Chapitre 25
Pendant de longues secondes, pas un seul bruit ne résonne dans la nef. Les centaines d'élèves et professeurs qui se trouvent dans la salle retiennent leurs souffles, pétrifiés. Chacun se demande si son imagination ne lui joue pas des tours.
Puis, soudain, les coups reprennent, plus insistants. La deuxième volée de coups agit comme un interrupteur : des cris résonnent dans la nef, la panique se propage à toute vitesse. Des pleurs d'enfants retentissent ; les élèves courent dans tous les sens, tentant désespérément d'échapper à une menace qu'ils ne comprennent pas et dont ils ne connaissent pas l'origine. Impuissants, les professeurs tentent en vain de rétablir l'ordre.
« Évacuez tout le monde ! Dans les souterrains ! » crie finalement Miss Hawk de toute la force de ses poumons, couvrant à peine le brouhaha général.
À ces mots, la porte en bois qu'avaient empruntée Enzo et Arthur s'ouvre, et les élèves s'engouffrent avec précipitation dans l'escalier, guidés par Miss Peregrine. Les Ombrunes et les professeurs tentent en vain de contrôler les flots désordonnés d'élèves – les plus petits se font emporter, piétiner. Il faut plusieurs longues minutes pour que l'intégralité des élèves et des professeurs pénètre dans les souterrains.
Quand le dernier professeur est entré, Miss Hawk referme la porte en bois, restant seule dans l'immense nef. Les coups à la porte résonnent toujours, de plus en plus pressants, doublés d'une voix féminine étouffée. Miss Hawk s'approche et place son oreille contre la porte.
« Ouvrez-moi ! crie la voix pleine de désespoir. Je suis Miss Dove ! Ouvrez-moi ! »
À ces mots, les yeux de Miss Hawk s'élargissent. Lentement, elle soulève le morceau de bois destiné à bloquer l'entrée, le fait coulisser et tire la porte en arrière. Accroupie devant elle, les os saillants sous une peau grise et sèche, se trouve Miss Dove, l'Ombrune de la boucle voisine.
« Miss Dove ? Que faites-vous ici ? Mais, vous êtes... »
La dirigeante de la maison Hawk a un mouvement de recul et place une main devant sa bouche. Elle vient d'apercevoir, sous l'aisselle dénudée de l'Ombrune, un bubon violacé.
« Miss Hawk... halète la nouvelle arrivante. J'ai besoin de votre aide. Notre boucle a été... contaminée. Vous devez nous aider.
– Vous avez la peste, constate froidement son interlocutrice. La peste noire.
– Oui. Il y a déjà tant de victimes. Des enfants... »
Miss Hawk regarde la femme rachitique avec dégoût. La vieillarde est secouée d'une douloureuse quinte de toux, la forçant à se recroqueviller par terre.
« S'il vous plaît... reprend-elle quand la toux s'est enfin arrêtée. Laissez-moi au moins voir Miss Peregrine. Elle décidera si elle est prête à nous venir en aide. »
L'Ombrune la fixe pendant de longues secondes, le regard froid. Puis son visage semble prendre une nouvelle intensité lorsqu'elle répond :
« D'accord. »
*
Dans le long tunnel, aucune parole n'est prononcée. Le silence n'est troublé que par des sanglots étouffés et des reniflements, qui résonnent étrangement dans le souterrain. Les trois cents élèves sont assis sur le sol de terre, les uns contre les autres ; les professeurs traversent le tunnel, prononçant en vain des paroles réconfortantes. Une atmosphère de mort règne. Même Miss Peregrine, assise au plus profond du boyau de terre, semble presque se laisser abattre par le désespoir.
Soudain, une voix de femme retentit, faisant sursauter les élèves.
« Miss Peregrine ! appelle Miss Hawk de l'autre bout du tunnel. Faites venir Miss Peregrine ! »
Le mot est passé d'un élève à l'autre, parcourant toute la longueur du couloir ; il faut plusieurs minutes pour que le message parvienne à Miss Peregrine.
Après un long silence, on entend un bruissement d'ailes. Chaque élève lève la tête et voit passer au-dessus de lui, vision incongrue dans ce souterrain, un grand faucon pèlerin. L'oiseau s'engouffre dans l'escalier et remonte à la surface. Reprenant forme humaine, Miss Peregrine ouvre la porte de bois et pénètre dans la cathédrale. Elle referme la porte derrière elle, et s'avance vers la nouvelle venue.
« Miss Dove. Quel plaisir de vous revoir, aurais-je fait remarquer si les circonstances n'étaient pas si grave.
– Miss Peregrine. »
D'un pas chancelant, la vieille Ombrune s'approche de la directrice.
« Miss Peregrine, vous devez nous aider. Notre boucle est infectée par la peste. Les enfants meurent... »
Si la directrice remarque le bubon qui colore le bras de son interlocutrice, elle n'en laisse rien paraître. Son regarde reste de marbre tandis qu'elle observe les yeux emplis de pitié de Miss Dove.
« Je vous en prie, Miss Peregrine... »
L'Ombrune tombe à genoux et fond en larmes. D'un geste brusque, elle empoigne le bras de Miss Peregrine.
« Pour le futur des Particuliers, vous devez nous aider. »
Miss Peregrine fixe la main parchemineuse qui s'agrippe à elle. Puis elle repose ses yeux sur Miss Dove.
« Je voudrais vous aider, Miss Dove, je le voudrais sincèrement. Mais il n'y a rien que nous puissions faire. »
La vieille Ombrune se met à tousser. Elle peine à reprendre son souffle ; à chaque inspiration, sa gorge émet un effrayant frottement qui devient de plus en plus prononcé.
« Recueillir... des... Particuliers... ici... souffle-t-elle entre chaque quinte de toux.
– Vos Particuliers sont malades. Je ne peux pas faire courir un seul risque à mes élèves.
– S'il... vous... »
L'Ombrune commence à cracher du sang ; elle porte sa main à sa gorge, et des borborygmes étouffés sortent de sa bouche. Ses yeux s'élargissent, sa peau pâlit à vue d'œil. Miss Peregrine l'observe, le visage impassible. Incapable de reprendre son souffle, étouffée par son propre sang, la vieille femme se débat pendant une longue minute, avant de s'effondrer au sol, les yeux vitreux.
Miss Peregrine s'agenouille, porte une main sous le menton de l'Ombrune, puis lâche un long soupire. D'un geste tendre, elle ferme les paupières de Miss Dove et soulève le corps squelettique.
« Pas un seul risque », souffle-t-elle pour elle-même.
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