Chapitre 4
- Est-ce qu'il y avait dans son comportement une sorte de satisfaction ?
Abby n'avait presque pas dormi de la nuit, car chaque souvenir révélé même le plus infime la ramenait à reconsidérer sa décision de se confier à un thérapeute. Cette question la poussa à se replonger une nouvelle fois dans son esprit. Elle se souvint alors de l'eau qui avait coulé pendant des heures après qu'il les ait tué. Sans bouger Abby avait fini par comprendre qu'il nettoyait les cages ensanglantés et à l'odeur insoutenable. Contrairement à ce que Margaret pensait, l'homme n'avait aucun comportement laissant deviner une satisfaction même la plus infime. Abby leva les yeux vers la thérapeute alors qu'une série de souvenirs défilaient devant ses yeux.
Particulièrement un.
Lorsqu'il avait atteint sa cage, le colosse ne s'était pas contenté de la dépasser. Elle le revoyait l'ouvrir et elle se souvenait avoir reculé la respiration difficile, les yeux baissés sur le sol qui avait commencé à s'immerger d'eau. C'est alors qu'il s'était baissé à sa hauteur pour lui infliger sa présence puissante et inégalée. Sans délicatesse sa main s'était plaquée contre son menton pour la maintenir immobile.
Abby avait pu sentir sa force se diffuser sur son visage et jusqu'à son échine puis elle avait senti l'eau froide sur son visage et en avait profité pour ouvrir la bouche afin de boire autant que possible tant elle avait soif.
Sans une parcelle de délicatesse il l'avait tout simplement lavé et laissé dans ce froid insoutenable. À aucun moment Abby avait songé à le supplier et encore moins le regarder dans les yeux.
- Est-ce que ça vous a paru être un geste de compassion ?
Abby s'arracha de sa torpeur et se passa une main dans les cheveux comme un tic nerveux.
- Il a passé un jet d'eau dans chaque cage pour retirer la boucherie qu'il avait commise, je suppose qu'il voulait nettoyer la mienne et me retirer le sang qu'il y avait sous mes pieds.
- Mais il vous a laissé boire ? Il vous a même incité à le faire voire obligé.
Abby regarda Margaret droit dans les yeux en ne laissant aucune émotion la trahir car c'est précisément à ce moment précis que les questions avaient commencé.
- Oui c'est exacte, finit-elle par dire.
L'intérêt de Margaret se raviva et elle se redressa.
- Combien de temps êtes-vous resté dans cette cage ?
- Je n'avais pas la notion du temps et j'étais épuisée. Je me souviens qu'après qu'il soit sorti je suis restée seule dans cette sorte d'étable pendant de longues minutes puis il est revenu. Je tremblais beaucoup mais je ne voulais pas m'endormir. J'ai entendu ses pas lourds se rapprocher puis il a fait rouler quelque chose jusqu'à mes pieds.
- Qu'est-ce que c'était ?
Suspendue sur un fil entre le passé et le présent Abby se souvint d'avoir levé les yeux vers lui est d'avoir fait face à son masque troublant et terrifiant.
- Une pomme.
- Une pomme ? Répéta-t-elle intriguée et surprise.
- Oui c'était une pomme rouge et je l'ai d'abord saisi pour la manger mais au moment où je l'ai approché de mes lèvres, je me suis figée. Il était là, de l'autre côté des barreaux et semblait attendre quelque chose. J'ai alors pensé qu'elle était empoisonnée alors je l'ai reposé même si j'avais terriblement faim.
- Vous pensez qu'il voulait vous tuer d'une façon différente des autres victimes ?
- Ce que je sais c'est qu'il est parti puis revenu quelques heures plus tard et il est entré à l'intérieur. J'étais tellement épuisée que je n'arrivais même plus à craindre la mort mais je me souviens qu'il a prit ma main, il l'a plaqué contre la pierre froide du sol et ensuite il y a eu une effroyable bruit d'acier qui rencontre la dureté du sol. J'ai trouvé la force de baisser les yeux et j'ai aperçu une grande lame à seulement quelques centimètres de mes doigts. Je pouvais sentir l'aura de sa colère s'engouffrer dans chaque millimètre carré de la cage et il respirait très fort.
- Il n'a pas réussi à vous la couper encore une fois et il était en colère, comme la première fois.
Abby déglutit péniblement en acquiesçant.
- Son visage masqué était si proche du mien que j'ai cru pendant une minute que mon cœur m'avait été arraché.
- Que s'est-il passé ensuite ?
- Il s'est servi du couteau pour fractionner la pomme en plusieurs morceaux et m'a forcé à la manger et je n'ai pas résisté malgré que je craignais qu'elle m'amène à mourir.
Abby marqua une pause en baissant les yeux sur le tapis bleu nuit.
- Il est parti et je suis encore restée seule un très long moment au bout duquel j'ai fini par m'endormir.
- Combien de temps êtes-vous restée dans cette cage ? Tout au long de votre captivité ?
- Non puisque lorsque je me suis réveillée en me maudissant de m'être endormie j'ai réalisé que je n'étais plus dans cette cage, mais dans une pièce avec une faible intensité de lumière.
Margaret recula dans le fond de son fauteuil, l'air intrigué.
- Je peux savoir à quoi vous pensez ? S'enquit Abby d'une voix qu'elle espérait moins tremblante que ces dernières minutes. Je pensais que vous étiez censé m'aider à comprendre et depuis le début vous ne dites rien.
La thérapeute secoua la tête comme pour recouvrer ses esprits et lui adressa un sourire nerveux.
- Je suis désolée Abby, j'étais en train de réfléchir. Pour être totalement honnête avec vous ce n'est pas la première fois que j'étudie la psychologie d'un tueur en série, mais c'est la première fois que j'ai un cas comme celui-ci.
- Un cas comme celui-ci ? Répéta-t-elle le cœur battant à la chamade comme s'il se trouvait derrière elle.
- Il est rare qu'un tueur exprime autant de compassion et qu'il soit arrêté dans ses pulsions meurtrières peu importe quel émotion les motivent, commença-t-elle en croisant les jambes. Le tueur au masque sans visage a été considéré comme extrêmement méticuleux avec une chronologie parfaitement exécutée sur un temps très long et espacé.
Abby serra ses mains l'une contre l'autre en essayant péniblement de ne pas montrer les émotions qui la traversaient. Particulièrement de la peur à l'idée d'entendre la suite.
- Chaque fois qu'un corps a été retrouvé on a découvert sur place aucune mise en scène particulière, ce qui signifie que pour lui ses victimes n'ont aucune importance. Il n'a aucun lien avec elles et il n'y a aucune compassion. Parfois des tueurs en série mettent en scène leur crime avec des remords, de la culpabilité ou bien ils montrent qu'ils ont été attaché à leur victime. Il n'en est rien pour lui. Son profil indique une détermination froide.
- Où voulez-vous en venir exactement ?
- Seulement quand je vous écoute parler, j'ai l'impression qu'il avait de la compassion pour vous et que cela le rendait en colère. Comme si vous étiez la pièce rouillée de son œuvre.
Abby n'osa pas s'exprimer car c'est exactement pour cette raison qu'elle avait décidé de parler. Elle voulait comprendre les raisons qui avaient poussé ce redoutable tueur en série à l'épargner de la mort ou de l'amputation.
- Vous avez disparue le sept janvier 2021 et les meurtre ont brutalement cessé en avril 2021, ce qui signifie qu'il a continué de tuer alors qu'il vous gardez prisonnière et après l'arrêt des meurtres il a continué à vous garder. Je suis autant troublée que vous Abby sur cette question qui doit sûrement vous hanter et je...
Quelqu'un cogna à la porte et elle remercia cette personne intérieurement. Elle se leva précipitamment en prenant de court Margaret.
- Entrez !
Un homme bien enrobé et qui ressemblait fortement à un policier entra l'air désolé de les avoir interrompu.
- Madame Stones, je suis désolé d'interrompre votre séance mais l'inspecteur Blair voudrez vous voir au plus vite au sujet de...
Abby agrippa les lanières de son sac en scrutant l'homme qui hésitait à poursuivre comme si sa présence le mettait mal à l'aise.
- Au sujet de ?
- Une autre femme a été retrouvé ce matin et il voudrait vous voir sur les lieux.
Cette information lui glaça le sang et elle se tourna vers Margaret qui lui adressa un regard compatissant.
- Vous devriez rentrer Abby, tout va bien, vous êtes en sécurité.
- En sécurité alors qu'il s'agit d'un meurtre ? Je croyais que Mercer Island était sans problème et paisible.
- C'est le cas, ne vous inquiétez pas, cela n'a aucun lien avec vous car comme vous vous en doutez, il y a d'autres monstres qui sévissent dans notre monde.
Très pâle, elle hocha de la tête comme une automate et s'en alla sans vouloir en savoir plus. Elle voulait se tenir loin de tout ça et plus encore, elle voulait effacer de sa mémoire les premières conclusions de Margaret Stones.
Quelques rues plus loin, Holly Bright et Trevis Blair attendaient à côté de la victime l'arrivée de la thérapeute pour qu'elle les aide à dresser un profil au meurtrier.
- C'est trop tôt pour dresser un profil, lança-t-elle en arrivant à leur hauteur.
- Trop tôt ? Répéta Trevis en levant un sourcil stupéfait. Ce gars a déjà tué quatre femmes en l'espace de trois semaines, ça ne vous suffit pas ?
- Il ne s'agit pas de...
Margaret Stones s'interrompit en regardant par-dessus l'épaule de Holly Bright alors qu'une Mustang de collection venait de s'arrêter derrière les rubans déployées pour délimiter la scène de crime. Au milieu des voitures de flics, la Mustang fit rugir son moteur avant de devenir silencieuse.
Un homme en sortit et au premier contact visuel il était presque impossible de l'ignorer. Dans son long manteau noir qui aiguisait une large carrure, l'inconnu passa en-dessous du ruban jaune et s'avança dans leur direction.
- Qui est-ce ? Lança Trevis.
Les cheveux noirs de jais et rebelle, des mâchoires d'acier, un menton recouvert d'une barbe de trois jours, l'inconnu possédait aussi de hautes pommettes saillantes et des traits durs comme la pierre. Derrière cette descriptions très froide, il était difficile de masquer son désir de continuer à le contempler. De loin on pouvait apercevoir une petite cicatrice sous son œil gauche. Ses yeux étaient opaques et très magnétiques. Il était très grand et de loin il était facile de deviner qu'il dépasserait Trevis et les deux policiers à sa droite une fois à leur hauteur.
Margaret Stones se racla la gorge avant qu'il les atteigne.
- C'est notre nouveau consultant, lança Holly elle aussi sous le charme. Bon sang je pensais que c'était un vieillard quand le chef la embauché.
- Bonjour mesdames, dit-il d'une voix très gutturale. Je suis le nouveau consultant. Silas Balthazar Azarov, c'est un plaisir de faire votre connaissance.
En acceptant la main tendue de l'homme Margaret ne s'attendait pas à une poigne aussi féroce et dut écarter les doigts pour faire passer la douleur.
- Messieurs, salua-t-il ensuite en leur infligeant la même puissance de poigne.
- Enchanté, je suis l'inspecteur Bright et voici mon coéquipier Trevis Blair. Voici le shérif Garret Smith et la thérapeute de la ville Margaret Stones. C'est un plaisir de vous avoir parmi nous pour cette affaire hautement complexe.
- C'est un plaisir hautement partagé, déclara-t-il avec un très très léger sourire en prenant le soin de les regarder l'un après l'autre.
- Balthazar ? C'est votre deuxième prénom ? Lança le jeune shérif tout juste arrivé en service.
- En grec cela signifie '' Dieu protège le roi '' et d'autres pensent tout de suite au diable, prenez l'interprétation qui vous conviendra le mieux, et vous pouvez même m'appeler ainsi si vous le désirez, déclara le nouvel arrivant sur un ton très calme et à la fois très intimidant.
- Eh bien monsieur Azarov j'espère que vos talents vont nous aider à découvrir qui est derrière ça.
Silas baissa les yeux sur le trottoir en ne laissant rien paraître.
- Comptez sur moi pour le chasser sans relâche, déclara-t-il d'une voix désincarnée tout comme l'était son visage impassible alors qu'à quelques mètres de là, de l'autre côté du carrefour, une jeune femme aux cheveux roux s'engouffrait dans une rue adjacente...
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