Chapitre 20 √
— Vous êtes déjà levée ?
Je me tourne vers Ariane qui vient d'ouvrir la porte et qui m'observe, les yeux plissés, l'air suspicieuse comme si je mijotais quelque chose.
— J'ai mal dormi, je me suis réveillée tôt.
À cause du prince. Nous sommes restés dans le jardin assez longtemps à vrai dire, peut-être jusque une heure du matin si mes souvenirs sont exacts, et il m'a raccompagnée jusqu'à ma chambre avant de repartir de son côté. Je me suis alors effondrée sur mon lit, morte de fatigue.
Après divers réflexions, j'ai décidé de m'avouer à moi-même avoir passé un bon moment en sa compagnie. Finalement, il n'est peut-être pas si désagréable qu'il y paraît. J'ai dormi pendant quelques heures avant de me réveiller en sursauts après un cauchemar. Dans mon rêve, je me faisais larguer par Aiden. Pas très joyeux cette histoire.
— Alors, cette séance photo ? Enrichissante ?
— Ennuyante, répliqué-je en sortant de mon lit.
Ariane s'en va poser son bac à linges et me lance un regard comme si j'étais ridicule.
— Vous êtes une piètre menteuse. Wilson m'a dit que le prince était rentré tardivement de cette soirée, et un sourire étincelant aux lèvres.
— Et alors ? Il était sûrement avec une autre sélectionnée.
Je ne sais pas pourquoi je mens mais ses questions m'agacent. Peut-être parce qu'elle met le doigt sur quelque chose dont je ne veux pas parler. J'ai l'impression de trahir Aiden et ce sentiment me fait culpabiliser.
Ariane lève les yeux au ciel et claque sa langue contre son palais.
— Cela explique donc pourquoi il a vu le prince vous raccompagner à votre chambre.
— Je m'étais égarée dans les couloirs.
— À une heure du matin ? Cessez de me mentir, Sarah !
— Alors arrête de me poser des questions ! Tiens, parlons de toi. Tu es vraiment avec cet espèce de gros grognon méchant et méprisable ?
Ariane me fixe, un air interrogateur au visage.
— Je parle de Wilson, sapristi !
— Il n'est pas méprisable, mademoiselle. C'est un homme doux et parfaitement respectable.
Elle pose ses mains sur ses genoux croisés, la tête droite. Je me lève et commence à marcher dans ma chambre, déclarant :
— C'est un homme méprisant et méprisable, méchant et critique. Il a osé dire que je ressemblais à un sac à patates et que je n'en faisais qu'à ma tête !
— Et il a raison, lance Ariane. Vous ne tenez pas en place, Sarah.
— Je le déteste. Tu lui feras savoir de ma part.
— Entendu.
Je pousse un soupir et me rassois sur mon lit. Ariane a bonne mine. Ses joues sont plus rebondies et son visage plus coloré. Ses cheveux sont tressés aujourd'hui et elle semble de bonne humeur.
— Comment l'as-tu rencontré ?
— J'étais sa domestique avant d'être la vôtre. Je suis arrivée dans ce palais il y a trois ans et on m'a assignée aux fourneaux au début. Un jour, il est venu dans les cuisines et... je ne sais pas. Nos regards se sont croisés et tout est parti comme ça.
Elle se tait et je m'exclame :
— Comme ça ? Raconte-moi tout !
Elle sourit puis poursuit :
— Il était venu pour une requête stupide. Le prince avait besoin d'une nouvelle tasse ou quelque chose comme ça. Lui et Son Altesse sont amis depuis l'enfance, vous savez. Je lui ai donné ce qu'il cherchait puis il est reparti. Les jours suivants, il venait en cuisine pour n'importe quelle raison. J'ai fini par être assignée comme sa domestique. Au début, je refusais tout contact. Il était mon supérieur et notre relation aurait pu être mal vu mais petit à petit, les choses sont devenues sérieuses et je ne pouvais plus résister. Notre relation était restée secrète depuis deux ans, jusqu'à maintenant.
— J'ai donc découvert un secret d'état ?
— Le prince ne le sait pas et vous ne devez pas le lui dire. Je risquerais un renvoi immédiat.
Je mime une bouche cousue puis finis par demander :
— Si tu es employée ici depuis trois ans, quel âge as-tu ?
— Vingt ans.
Elle fait trois années de moins. Je me retiens de lui dire.
— Et alors, vous voyez souvent ? Est-il gentil avec toi ? J'espère qu'il n'est pas violent !
Elle lève les yeux au ciel, saisit son panier à linges et me tourne le dos pour sortir de ma chambre. Je fronce les sourcils, me lève, en nuisette et la suit.
— Ariane !
— Vous êtes épuisante, mademoiselle. Il n'aime juste pas votre attitude au sein du palais, cela ne fait pas de lui un homme terrible !
— Si, clairement. Il est odieux et désagréable !
Je lis dans son regard qu'elle est vexée et je soupire, agacée.
— Vous êtes insupportable, Sarah. Vous ne me parlez même pas de votre histoire avec le prince et vous contentez seulement de critiquer ma relation avec l'homme que j'aime.
Elle se détourne de moi et je la laisse partir.
— Il n'y a aucune histoire avec lui ! m'époumoné-je.
— Vous vous voilez la face, lance-t-elle au bout du couloir. Aucune femme ne resterait des heures avec un homme si elle ne l'appréciait pas, un tant soit peu.
Et elle disparaît. Énervée, je m'élance d'un pas rageur dans sa direction afin de lui expliquer clairement mes sentiments et opinions mais lorsque j'arrive au bout du couloir, Ariane n'est plus là.
J'avance alors le long de l'allée, me dirigeant dans un endroit du palais que je n'ai pas encore visité. Une étrange musique s'échappe d'une pièce au bout et curieuse, je m'y rends. La porte est ouverte et j'ai juste besoin de jeter un coup d'œil à l'intérieur pour me rendre compte de deux choses. La première étant que dans cette salle-ci, c'est cours de danse classique. La deuxième étant que Solenn et Calista y sont en ce moment même. Je grimace en les voyant effectuer les mouvements.
Et un, deux, trois !
Solenn est tellement gracieuse et cela me rend folle. Je n'aurai jamais cette prestance et délicatesse qu'elle possède, je n'aurais jamais de belles boucles comme elle et des yeux clairs. Je ne serai jamais grande et élancée, souriante et confiante.
Dans un dernier acte de rage ou de désespoir, je tente de les imiter. Je recopie leurs pas de danse, les bras relevés au-dessus de ma tête dans un mouvement qui se veut gracieux, le ventre serré et le dos droit. Je mets mets sur la pointe des pieds et sautille d'un pied à l'autre en essayant d'être aussi légère qu'elle. C'est peine perdue.
— Tu as raté le cours de discipline ce matin et tu ne participes même pas à celui de danse classique ?
Je m'arrête brusquement dans ma pirouette et manque de m'étaler de tout mon long si mon ami le mur n'avait pas été là. Mais qu'est-ce qu'il fait encore là ?
Je vais volte-face, les yeux plissés en direction du prince et déclare d'une voix amère :
— Je peux savoir pourquoi vous êtes tout le temps dans les parages ?
Un sourire railleur se dessine sur ses lèvres et il réplique :
— Je vivais ici avant même que tu sois née. D'après mes calculs, je devrais avoir... huit ans de plus que toi.
J'ouvre la bouche et tente de l'ignorer. Je m'exclame :
— Mais vous me suivez à la trace !
— Loin de là. J'observais les sélectionnées avant que tu n'arrives pour t'approprier le couloir à toi toute seule.
J'étais donc tellement dans mes pensées que je n'ai pas vu une masse d'un mètre quatre-vingt adossée au mur ? Cela signifie qu'il m'a vue réaliser mes stupides mouvements de danse, la honte !
— Tu aimes la danse ?
— Pas vraiment. Je suis plus arme, baston et guerre, vous voyez le genre ?
Il hausse un sourcil, le regard amusé.
— Je vois. Tu es une femme de caractère, indépendante et qui ne se laisse pas marcher sur les pieds.
Je m'enfonce dans mon mensonge en hochant la tête. Ses yeux deviennent malicieux lorsqu'il me fait signe d'approcher de ses mains et mime une position de combat.
Oh, la boulette.
— Hein ? dis-je, l'air de ne pas comprendre. Non mais vous savez, je suis experte dans la matière, je risque de vous blesser.
— Approche.
— Non, dis-je beaucoup trop rapidement.
Il me fait signe de la main de s'approcher de moi.
— Votre maudit garde du corps n'est pas là ?
Pour une fois qu'on aurait besoin de lui. J'essaie de détourner le sujet pour masquer mon malaise mais je devine clairement être rouge pivoine.
— Arrête de rougir et viens par ici. Et non, j'ai demandé à Wilson de prendre sa journée.
— Si vous vous faites tuer, il n'aura plus aucun jour de vacances, remarqué-je.
Il soupire, lassé de cette conversation.
— Tuer par qui ?
— Par moi éventuellement.
Décidément, je sors bêtise sur bêtise et ça le fait ricaner.
— Aucun risque que tu me tues, j'ai des années d'expérience. Viens, ton prince te l'ordonne, tu ne peux plus reculer.
— Mais allez vous faire voir.
Je me détourne de lui pour regagner ma chambre mais il commence à me suivre, silencieux. Il ne me laissera donc jamais tranquille ? J'accélère la cadence en soupirant, exaspérée. Heureusement que les éliminations ont lieu ce soir, je serai enfin débarrassée de ce pot de colle !
Encore une fois, je n'ai le temps de rien comprendre que le prince me prend par le poignet pour me pousser contre le mur.
— Tu n'as aucun réflexe, remarque-t-il.
— Comme si on le savait pas déjà, dis-je en roulant des yeux.
Sa main appuie contre mon poignet, me tiraillant de douleur et étrangement, je ne dis rien. Son corps est si proche du mien que je risque la crise cardiaque à tout moment.
— Et tu lèves les yeux au ciel en plus.
— Ça pose un problème ?
— Tu es vraiment...
— Insolente ? proposé-je, le sourire aux lèvres.
— Exactement, insolente.
— J'ai d'autres adjectifs à vous proposer si vous voulez.
— J'en ai moi-même en réserve.
— Dites-moi tout, Votre Altesse.
Une de ses mains me lâche pour suivre le contour de mon visage de ses doigts, tandis que de l'autre il me maintient contre le mur.
— Belle...
Ses doigts tracent la ligne de ma mâchoire et les battements de mon cœur s'accélèrent.
— Têtue...
Du pouce, il effleure mes lèvres et je retiens ma respiration.
— Séduisante...
N'y tenant plus, je m'échappe de sa prise et recule de quelques mètres, reprenant une bouffée d'oxygène. J'ai l'impression que lui aussi semble chamboulé. Il me regarde avec un je ne sais quoi dans les yeux qui me rend fébrile et qui me donne la chair de poule.
Un silence s'écoule et heureusement pour moi, il finit par reprendre la parole :
— Tu veux apprendre à te battre ?
— Me battre ?
— Je pourrais t'apprendre quelques enchaînements.
Après une réflexion d'à peine dix secondes, je hoche la tête et accepte la main qu'il me tend. Que veut-il dire par se battre ?
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