ℭ𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝐎
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MON VENTRE EPAIS et bedonnant semble siéger sur mes cuisses. Mes mains sont elles-mêmes posées dessus et je fais tourner mes pouces l’un autour de l’autre. Le paysan dont j’ai volé l’identité, étant donné sa bedaine, doit être particulièrement fortuné. Je n’ai plus qu’à espérer qu’il ne soit connu d’aucun noble du palais.
Quoique j’ai fait assez attention à en prendre un situé loin de Camelot pour éviter tout désagrément.
— Navré de vous avoir fait attendre, mon cher.
Je me fige en reconnaissant la voix d’Eren. Le roi entre par la porte présente dans mon dos et s’avance jusqu’au large bureau me faisant face. Il n’est pourtant pas celui du monarque — je le connais pour y avoir visité Erwin quelques fois auparavant.
Mes yeux s’attardent sur les bibelots trainant sur la surface. Des cartes, des sphères visant à les maintenir en place, des plumes, des livres… Et le tout posés dans un bric-à-brac que je connais bien. Enfin, je reconnais surtout les murs tapissés de foulards cousus de constellations ainsi que le puissant parfum de cèdre embaumant l’air.
Quelqu’un a fait brûler de l’encens ici.
A en juger par l’odeur et la décoration, je me trouve dans un repère noorathyl. Par ailleurs, étant donné le bazar et la désorganisation de ce bureau, je sais exactement de quelle noorathyl il s’agit.
Je me demande pourquoi Eren m’a faite venir dans le bureau de la cartographe.
— Plutôt chouette, votre bureau ! je lance en observant autour de moi, ne voulant laisser voir le fait que je connaisse la vérité sur les lieux. Dites, si vous avez besoin de rangement pour le merdier juste là, je peux dire aux gars de vous bricoler une petite étagère. J’étais ébéniste, dans le temps, moi m’sieur.
Les coudes posés sur les accoudoirs du fauteuil, Eren a joint ses mains. Il m’observe calmement par-dessus ses dernières. Je ne saurais traduire son regard. Mais, depuis que je suis arrivée dans le palais, j’y discerne une lueur que j’avais pu surprendre plus rarement, auparavant.
De la malice.
— Ce n’est pas mon bureau, lance-t-il simplement. Mais notre cartographe est rentrée présenter ses hommages à la famille royale noorathyl qui vient de perdre son fils cadet.
— Tragique, tout ça, je réponds simplement.
Il sourit. Un rictus viscéral, en coin.
— Effectivement… Tragique.
Penchant la tête sur le côté, il pose sa joue contre sa main. Quelques instants durant, il ne dit rien, se contentant de m’observer entre ses cils. Bientôt, le silence devient difficilement supportable et je lâche simplement :
— Ecoutez, Votre Majesté, j’ai juste besoin d’un remboursement pour ma grange, moi.
— Oh mais je comprends, monsieur Hervé. Tout comme je comprenais la nécessité de rembourser vos animaux morts, la semaine dernière, lance-t-il.
Je me fige. Je n’étais absolument pas au courant de cela. Bon sang, cet abruti de paysan a fait tout le trajet depuis son coin paumé pour demander quelques sous !? Alors qu’il est si riche qu’il pourrait se racheter une autre bête, cela ne lui ferait ni chaud ni froid ?
Il s’empare d’une des sphères de cristal et la fait tourner dans sa main. Bientôt, il la place en face de moi, m’observant à travers son prisme.
— J’imaginais pas que mon bon roi se souviendrait de moi…, je tente de me justifier.
— Et vous n’imaginez pas non plus que selon les lois promulguées par le roi Arthur lui-même, je doive dédommager les paysans perdant des ressources précieuses pour leur profession ? Et que mes dédommagements coûtent parfois plus cher que les ressources qu’ils ont perdues ?
— Je… Je comprends pas.
Eren sourit. Un autre de ses sourires vicieux, en coin.
— Il est étrange qu’en si peu de temps, vous ayez perdu vos bêtes, puis votre grange… Il me semble que le sort s’acharne sur vous, monsieur Hervé… Ou alors que vous avez compris comment provoquer une jolie rentrée d’argent sans trop vous bouger.
Je frissonne. Mais quelque part, un brin d’excitation me fait frétiller.
A l’époque où j’épaulais Eren, je craignais que celui-ci ne soit trop niais et trop candide pour un tel poste. Il m’apparaissait clairement qu’il ne dépasserait jamais le stade de chevalier au grand cœur et ne parviendrait point à s’imposer comme monarque.
Je suis ravie de constater que j’ai eu tort.
La lueur de malice allumant son regard, le sourire déformant le coin de ses lèvres… Si je n’étais pas déguisée en un autre et que je n’étais pas furieuse du simulacre de reine donnant des ordres, devant les trônes… Je crois que je l’embrasserais.
— Vous n’imaginez pas non, je suppose — mais cette fois-ci, plus sincèrement, je l’avoue — que le roi Erwin, pingre comme il l’était, ait aussi fait passer une loi. Une loi affirmant que des réclamations de paysans espacées de moins d’un mois chacune pouvaient être perçues comme de la fraude et que le paysan serait jugé en conséquence.
— M… Mais je dis vrai ! Ils s’en prennent à moi ! Ce serait pas juste de me mettre à la porte ou me punir parce que des gens s’acharnent sur moi ! je me plains.
Il acquiesce.
— Vous n’avez pas tort. Là est la raison pour laquelle je vous ai apporté… ceci.
Il dépose une fiole sur la table. Sa vision me glace le sang. Je reconnaitrais entre mille cette texture verdâtre aux éclats scintillants. J’ai consommé une substance voisine de cette potion, il y a peu de temps.
— Qu’est-ce que c’est donc que cela, sire ? je lance en faisant exprès de bafouiller certains sons.
— Vous le savez bien. Tout le monde sait à quoi ressemble un sérum de vérité. Même vous.
Je me raidis. Non. Je ne peux pas boire cela.
— C’est une honte ! je m’exclame en me levant brutalement, faisant tomber la chaise sur laquelle j’étais assise. Vous enfreignez mes droits ! Je ne suis pas obligé de boire cela et je ne tolèrerai pas qu’on me traite de menteur !
Là-dessus, je pars furieusement, atteignant la porte. Je n’avais de toute façon aucunement besoin de ces sous. Je souhaitais seulement m’introduire dans le palais avec une justification valable…
…Et peut-être revoir Eren.
— Vous ne tolérez pas qu’on vous traite de menteur ? demande soudain le monarque.
Je cesse de marcher mais ne me retourne pas. Je demeure face à la porte.
— Ou tu crains qu’après avoir bu le sérum, je réalise que tu n’es pas celui que tu prétends être ?
Je me retourne vivement, atterrée. Il m’observe encore, une lueur de malice dansant dans ses yeux.
— Je peux savoir ce que vous osez insinuer !? je lance.
— Monsieur Hervé n’a perdu aucun animal, la semaine dernière. Enfin, je parle du véritable monsieur Hervé.
Mes sourcils se haussent brutalement. Quel enfoiré.
Eren m’a piégée.
Je n’ai plus qu’à me faire passer pour un paysan qui voulait rafler la mise. Je serais enfermée aux cachots pour fraude quelques jours et en sortirai.
— Dé… Désolé, je lance en baissant les yeux. J’avais besoin d’argent et j’ai pas trouvé mieux que me déguiser en mon mai…
Il éclate de rire, me coupant la parole.
— Tu m’as habitué à de meilleurs mensonges.
Je me fige. Il me fixe intensément. Mais chacun de ses traits retombent lorsqu’il crache avec animosité et hargne entre ses dents, me lançant un regard noir et se penchant vers moi :
— Me crois-tu réellement incapable de reconnaitre le visage de la femme qui m’a détruit, Forgeron ?
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ça chauffe
hehe
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