Chapitre 17 - Offre
~ "I'll be no longer guilty of this sin". Henry IV ~
Atsuhiro ne disposait d'aucun moyen de recharger son portable dans la ruine, depuis longtemps privée de courant, où ils détenaient Fukurõ. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de relire sa dernière conversation avec Setsuha, la poitrine serrée, et de consulter sans cesse son écran, à l'affut d'un nouveau message.
– Hier –
📩 Merveilleuse créature – 15 : 12
Atsuhiro, c'est Setsuha
✉️ Sako Atsuhiro – 15 : 18
Je sais, j'ai gardé ton numéro
📩 Merveilleuse créature – 15 : 19
C'est à propos de mon frère.
J'ai contacté les autorités pour qu'ils organisent sa libération.
Sois honnête, est-ce que la Ligue est susceptible d'accepter leur offre ?
✉️ Sako Atsuhiro – 15 : 20
Si on peut avoir la garantie qu'il n'y aura pas d'entourloupe
📩 Merveilleuse créature – 15 : 20
C'est moi, la garantie
✉️ Sako Atsuhiro – 15 : 22
Alors je suppose que ça peut s'envisager
On va en discuter
Je te dirai ce qui se décide
L'échange s'était avéré rien de moins qu'éprouvant, si loin de leur habituel jeu de charme et de leur magnifique connivence. Atsuhiro avait pesé chacun de ses mots, redoutant de paraître froid, mais bien conscient qu'il n'avait aucun droit de se montrer affectionné. D'autant qu'il ne savait plus dans quelles mesures se fier à l'ailée. La possibilité qu'elle collabore avec les forces héroïques pour leur tendre un piège n'était pas à exclure.
Un vent du nord s'engouffra dans l'ancienne maison rurale, tirant des gémissements à la structure éprouvée. L'odeur d'humidité forcit. Atsuhiro frissonna sous l'étoffe en piteux état de son manteau de vilain. Il releva les yeux de l'écran de son smartphone.
Face à lui, assit par terre, un coude appuyé sur son genou replié, Dabi allumait flammèche après flammèche au bout de ses doigts. Bien qu'ils ne soient arrivés que depuis un quart d'heure, l'ennui s'étalait sur la figure de l'incendiaire.
Enfin, un bruit d'ailes, qu'Atsuhiro commençait à bien connaître, claqua à l'extérieur. Il se fit fugitivement la réflexion qu'il ne risquait pas de confondre le vol du héros avec celui, parfaitement silencieux, de Setsuha. La silhouette de Hawks se profila sur le seuil, nimbé par la clarté lunaire. Le contre-jour lui conférait un aspect que le vilain ne put s'empêcher de trouver menaçant. Le bois vermoulu protesta sous les semelles de Hawks. Dabi se redressa d'un mouvement flegmatique et dépourvu de grâce.
— Le magouilleur est de retour.
Hawks leur déposa un sac empli de provisions alimentaires et nécessaire pharmaceutique destiné à Fukurõ.
— Je suppose que vous avez eu le message du détective Tsukauchi.
— En trois exemplaires, railla Dabi. Y a combien d'interlocuteurs, dans cette histoire ?
La saillie n'amusa pas Atsuhiro. La situation ne faisait qu'attester à quel point ce réseau d'interconnexions compliquait les choses.
Hawks leva ses mains gantées, en geste d'innocence.
— J'en suis pas un. Mais je suis le mieux placé pour s'assurer que l'échange se déroule sans accroc.
— Alors c'est vraiment de ça qu'il s'agit ? s'enquit Atsuhiro. Un échange ? Rien de louche ?
— La vie de Fukurõ est en jeu, lui rappela le héros d'un ton sans appel.
Dabi émit un reniflement cynique.
— Les seuls qui l'ont véritablement à cœur sont sa frangine et toi. Ose prétendre que la CSPH n'hésiterait pas à le sacrifier, Numéro 3.
— C'est pour ça qu'ils vous laissent déterminer les conditions de sa libération. À vous de choisir les termes qui vous arrangent. De mon côté, s'ils préparent bel et bien une embuscade, je vous avertirai. Mais à l'heure actuelle, je peux vous assurer que c'est pas le cas.
Derrière son masque, Atsuhiro plissa le front, plongé dans des cogitations effrénées. La Ligue se trouvait trop démunie, embourbée dans une situation trop précaire, pour cracher sur l'offre. Toga et lui peinaient à rapporter de quoi leur tenir au ventre et panser leurs plaies. Un approvisionnement digne de ce nom pourrait faire une différence significative dans le combat contre Gigantomachia, qui s'éternisait. Dabi lui-même considérait la proposition, s'aperçut le magicien en avisant son regard contemplatif.
Un soupçon d'espoir tressaillit dans la poitrine d'Atsuhiro. Ils pouvaient se permettre de relâcher Fukurõ. Avec son aile blessée, il ne représenterait plus une menace avant un bon moment. Le mal était fait, mais s'il parvenait au moins à rendre son frère à Setsuha...
— On a besoin de moyens, Dabi, glissa-t-il.
L'incendiaire tiqua, puis étira un rictus sardonique à l'adresse du héros.
— Combien vaut la chouette, pour eux ? Un million de yens ? Deux millions ?
— Je vous l'ai dit : c'est pas moi qui transmets. Voyez avec Kuze ou Setsuha.
— Oh, je suis pas sûr que t'aies envie que je leur énonce toutes mes conditions.
Atsuhiro porta un regard alarmé vers son acolyte, craignant qu'il ne compromette la libération de Fukurõ. Hawks étrécit des yeux pleins d'une défiance lassée.
— Je suis pas encore convaincu de ta fiabilité, Numéro 3, reprit Dabi d'une voix venimeuse. Et j'ai un Nomu à tester. Tu veux Fukurõ ? Fournis-moi un cobaye. Je te laisse choisir lequel de tes copains héroïque, tant que c'est un gros morceau.
Atsuhiro ravala un rire médusé, impressionné par le cruel opportunisme de l'incendiaire. Le héros haussa les épaules.
— Ça sera pas un problème, assura-t-il.
Une satisfaction qui n'augurait rien de bon pour Hawks reluisit au fond des yeux de Dabi. Peu concerné par le sort du faucon pourpre, Atsuhiro n'en fut aucunement troublé. Seul lui importait le message qu'il s'apprêtait à envoyer à Setsuha.
Il mettrait tout en œuvre pour son frère lui soit rendu.
– – –
Profitant d'un essoufflement dans l'afflux de commandes, Kaya astiquait le bar, attentive à bien essuyer les gouttes sucrées de l'alcool renversé et à ramasser les brins de menthe et épluchures d'agrumes. Une voix familière figea soudain son bras.
— Un Black Russian, s'il-te-plaît.
Elle releva la tête avec un souffle indigné. Sako Atsuhiro se tenait sur l'un des tabourets du bar. Bien mis dans son pull à grosse maille, si élégant, si agréable à l'œil. Si parfait pour Setsuha. Jusqu'à ce qu'il la trahisse.
Kaya jeta son torchon et scruta le vilain d'un air accusateur.
— T'es conscient que je peux cracher dedans ?
— Je peux en appeler à ta conscience professionnelle ? plaida Sako en posant les avant-bras sur le comptoir.
— Ma conscience professionnelle veut que je serve pas de verres aux doubles faces.
Le vilain grimaça.
— Dabi et toi, vous êtes bien trouvés.
La commis renifla, mais s'attela tout de même à la préparation de sa boisson fétiche, consciente malgré ses dires qu'elle n'était pas en position de refuser un client. Le Baratin restait un lieu de neutralité. Elle-même ne pouvait y déroger par grief personnel.
— Alors, reprit-elle en mélangeant les glaçons avec la vodka et la liqueur de café. Vous allez enfin relâcher Fukurõ ?
— Dès que possible.
Le réel soulagement qu'elle décela dans sa voix interpella Kaya. Elle poussa le cocktail vers Sako, et se planta devant lui, paumes appuyées sur le rebord du bar, la moue hargneuse. Il la remercia d'un hochement de tête, puis la dévisagea par-dessus son verre.
— Dis-moi, interrogea-t-il. Qu'est-ce qui fait que Dabi ait pu enlever le frère de ton amie sans que tu lui tournes le dos ?
Kaya faillit se hérisser, avant de saisir qu'il ne s'agissait pas d'une accusation. Le vilain semblait plutôt chercher des réponses.
— Notre situation est pas la même que la tienne, Sako. Et même si je cautionne pas du tout votre connerie, Dabi a fait l'effort d'en discuter quand je l'ai confronté là-dessus. Puis... il m'a déjà largement prouvé qu'il serait pas une menace pour mes frères et moi.
— Prouver qu'il n'est pas une menace, répéta songeusement Sako en faisant tinter la glace dans son cocktail. Je suppose que c'est ce que j'aurais dû faire avec Setsuha.
Elle se fit un malin plaisir d'enfoncer le clou.
— Oui, parce que là, elle te prend pour un gros manipulateur qui s'est joué de ses sentiments pour lui soustraire des infos et flatter ton égo. Niveau confiance, on repassera.
Un tressaillement parcourut la figure de Sako. Comme il s'absorbait dans la contemplation du fond de son verre, Kaya retourna s'occuper des commandes. Il la héla d'un geste quelques instants plus tard, et elle s'arrêta devant lui. Elle jeta un coup d'œil à son Black Russian, qu'il avait à peine touché, puis croisa son regard résolut.
— Ton Alter te permet de sonder les gens, c'est ça ? Et de détecter les mensonges ?
Anticipant sa requête, Kaya se contenta de croiser les bras, à l'écoute. Sako posa le coude sur cuivre et lui présenta sa main.
— S'il-te-plaît. Tu es la seule qui peut attester que mes intentions envers Setsuha n'ont jamais été fallacieuses.
La jeune femme toisa sa main. Elle n'avait pas besoin de la prendre. Sa demande acheva à elle seule de la convaincre des sentiments de Sako pour l'ailée. Néanmoins, elle releva le menton, en signe de refus.
— Non. C'est pas à moi que tu dois le prouver. Je te faciliterai pas la tâche.
La déception conféra un instant un air démuni au vilain, avant qu'il n'acquiesce, compréhensif. Sa reddition lui fit regagner quelques points dans l'estime de Kaya. S'il poursuivait ses efforts de la sorte, et avec beaucoup de patience, peut-être parviendrait-il à obtenir le pardon de Setsuha.
Peu après que Sako eut quitté le bar, une paire de clients commandèrent deux pressions à Kaya, puis la guignèrent avec une attente insistante. Elle les étudia de loin en loin. Tous deux lourdement adeptes de street wear, tatoués des poignets à la gorge de motifs floraux, ils lui évoquaient les artistes qui fréquentaient le squat. La femme arborait un teint rosi et deux longues tresses orange vif, tandis que le crâne rasé de son ami était recouvert de motifs savamment exécutés, dont la blancheur contrastait avec sa peau sombre.
— Oui ? leur dit-elle en revenant à leur hauteur avec un chargement de verres sortis de la plonge à essuyer.
— Hum... t'es bien la photographe qui a couvert les Roaring Runs ? hésita l'homme.
L'intérêt de Kaya fut aussitôt piqué.
— C'est moi.
— Top ! s'égaya la femme. Je suis Taz, lui c'est Roby. On est grapheurs et on adore ton travail !
— T'as vraiment l'œil pour saisir l'atmosphère du milieu, renchérit Roby.
— C'est parce que j'y suis sensible. Je l'aime, ce milieu, leur confia-t-elle.
Taz hocha vigoureusement la tête.
— Et ça se voit ! Du coup, on voulait savoir, tu prends des commandes, en ce moment ?
— Tout dépend de la commande. Je peux vous faire un devis, mais vous pouvez vous faire une idée de mes tarifs sur mon site.
Roby croisa ses bras secs et nerveux sur le zinc.
— Ouais, on a regardé un peu. On prend ton prix, annonça-t-il en déposant une carte SD sous ses deux doigts. Ça, c'est ce qu'on fait, si tu veux voir un peu. On est en train de mettre en place un projet, et on voudrait le divulguer un max.
Curieuse, Kaya empocha la carte. L'énergie sauvage et intrépide dégagée par le duo de grapheurs attisait déjà son envie de travailler avec eux. Elle se promit de consulter les fichiers numériques dès qu'elle serait rentrée.
— Comment je peux vous joindre ? s'enquit-elle.
Ils lui remirent leurs coordonnées, et terminèrent leurs bières avant de lui présenter leurs poings pour un check en guise de salut. Dès qu'ils se furent éclipsés, Kuze se rapprocha de son employée.
— Les affaires marchent bien, à ce que j'vois.
Kaya lui adressa un sourire triomphant, et il lui donna une tape affectueuse à l'arrière du crâne en lui ordonnant de retourner au boulot. Quand la fin de son service arriva enfin, la jeune femme rangea son tablier, enfila sa parka doublée de fourrure synthétique, et s'enfonça dans la nuit froide de fin novembre.
Rentrée à son studio, elle prit une douche rapide avant de brancher son ordinateur. Comme la plupart des grapheurs illicites, Taz, Roby et leur bande ne disposaient d'aucun site ni profil sur les réseaux sociaux. Leur travail éphémère, nettoyé sans relâche par les propriétaires des bâtiments et véhicules qu'ils bombaient, n'était conservé que sur des fichiers, transmis en cercle restreint. Ils brisaient leurs codes pour la première fois en faisant appel à elle pour exposer leurs œuvres.
Allongée à plat-ventre sur le lit poussé dans le renfoncement de la pièce à vivre, Kaya parcourut les vidéos et photos réalisées par les grapheurs. La qualité médiocre de l'image et de la majeure partie des prises ne rendait pas justice à leur travail, mais la jeune femme apprécia la fougue assoiffée de sensations qui s'en dégageait.
Dès qu'elle entendit la porte d'entrée s'ouvrir, elle appela :
— Tõya ! Viens voir.
Il y eut un bruit de lourdes boots chutant sur le lino, puis le son mat des grandes enjambées du vilain, et d'un seul coup, une masse s'affala de tout son poids sur Kaya. Écrasée sous le corps de Tõya, elle expulsa une plainte de surprise, ses poumons vidés de leur air, puis lâcha un rire.
— T'es collant, lui dit-elle avec une pointe de nostalgie pour la première fois où elle lui avait fait la remarque, lorsqu'il l'avait escorté à Kabukicho.
Pour toute réponse, Tõya embrassa ses cheveux avec un marmonnement, puis y pressa son nez pour les humer. Sa chaleur corporelle imprégnait déjà Kaya. Elle appréciait de sentir les contours de sa musculature contre son dos.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il en désignant son écran ouvert devant elle.
— Mes prochains clients.
La jeune femme décala la tête pour qu'il puisse suivre avec elle les photos qu'elle faisait défiler à l'aide des flèches de son clavier. Un sourire étira ses lèvres quand elle le sentit se figer au-dessus d'elle, attentif.
Les fresques auraient pu faire s'arrêter Kaya dans la rue. Hautes en couleur, jouant avec les effets de textures, elles se voulaient subversives et engagées. Contre l'ordre héroïque. Elles montraient le sillage de ruines laissé par les héros, attiraient l'œil sur l'ombre dans laquelle demeuraient les victimes qu'aucun d'entre eux ne secourrait jamais. Elles dénonçaient la gloire et le prestige. Les privilèges outranciers dont ils jouissaient.
Les lèvres brûlantes et râpeuses de Tõya se posèrent à la jonction entre l'épaule et la nuque de Kaya. Elle put déceler sa satisfaction rien qu'à la manière dont son souffle balaya sa peau nue.
~ "Je ne serai plus coupable de ce péché" Henri IV ~
Est-ce qu'une résolution du drama Atsuha s'ammorce à l'horizon ?
Un chapitre de transition, mais qui prépare des scènes importantes !
J'espère qu'il vous a plu ~
Sako rame (et c'est mérité) xD
Kaya continue de vivre sa vie tranquille (avec bonus, petite scène de domesticité Tokaya, puisque vous les aimez)
J'ai hâte de vous montrer ce que va donner cette commande !
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