Chapitre 9

— À mon avis, souffle Lee, assis à ma gauche sur la table, les marcheurs seront là d'ici ce soir.

Il baisse les yeux vers sa planche, qu'il vient tout juste de nettoyer. Le torchon emprunté aux cuisines s'est coloré de rouge écarlate, saigne désormais tout autant que les cadavres qui errent là dehors.
Le reste du groupe lève un regard inquiet dans sa direction.

— Les coureurs, plutôt, le corrige Marius.

Appuyé sur son mur, Ryan étouffe un rire. Je lève les yeux au ciel, réprimant un grognement agacé. Le jeune militaire joue avec mes nerfs.

— Les coureurs, si tu veux, grogne Lee. Peu importe. Dans tous les cas, ils finiront par bouffer tout le monde dans les alentours et arriveront ici pour nous.

— Personne n'a de téléphone ? gémit Roxane, blottie contre Marius, dont les larmes n'ont toujours pas séché. Sophie doit être en train d'essayer de m'appeler...

Personne n'ose prononcer à haute voix la pensée qui nous a tous traversé l'esprit.

— On a laissé nos sacs à côté de la salle de permanence, soupire Iris.

— On est trop cons, rechigne Arkan, qui à son tour semble comme au bord des larmes.

J'hoche doucement le menton. Il suffit d'une erreur, d'un oubli, d'une précipitation, et beaucoup de choses s'en retrouvent impactées.

— On devrait prendre les voitures derrière au parking et partir d'ici, souffle Eliot, assis un peu plus loin avec Lucia et Raphaël.

Ils s'entassent sur eux-mêmes, se recroquevillent. Ils avaient donné rendez vous à leur amie Satine au réfectoire, mais cette dernière n'est pas venue. Voir leurs yeux se gorger d'eau n'avait pas été facile pour tout le monde.
Nous qui songeons toujours à nos familles, à nos amis, dont nous n'avons toujours aucun moyen de savoir s'ils sont en vie ou non.

— Et Satine ? murmure Raphaël. On peut pas la laisser là.

— Elle ne viendra pas, hoquète Eliot, qui couvre son sanglot en se détournant.

— Ça ne fait que trente minutes, réplique Lucia. On peut encore attendre.

Du coin de l'œil, j'aperçois les sourcils de Derel se froncer. Il semble être en pleine confrontation avec lui-même.

Aux fenêtres, le troisième des soldats et l'un des professeurs guettent. Le commandant est toujours attelé à la tâche de trier leurs trouvailles et de les répartir dans les sacs. Le professeur manquant n'est pas reparu. Inutile de demander pourquoi : si l'on ne l'a pas mentionné, c'est que son cadavre doit probablement joncher quelque part aux cuisines.
Quant à cette terrible réalité qui me somme d'ouvrir les yeux sur la situation depuis presque une heure, mon esprit s'acharne à la chasser. Il se refuse à avaler le simple fait que nous ayons dû fuir les bâtiments principaux du lycée. Alors croire à une apocalypse de zombie... il faudrait en être victime, pour qu'il s'y résigne. Chose qui ne risque pas de se produire, si l'on suit sa logique.
Enfin. Je n'en sais rien, à vrai dire. Comme tout le monde ici. Et pourtant, ce sont ces mêmes questions qui tournent dans mon esprit inlassablement depuis notre arrivée ici.

Malgré notre ignorance des faits et de la situation extérieure, il y a au moins une chose dont je suis certaine.

— Je ne veux pas dormir ici, je souffle, pourtant ferme sur ma requête.

Le reste du groupe approuve d'un léger mouvement de tête. Je me redresse, étire ma colonne endolorie et m'apprête à proposer une solution à notre confinement. Mais mon élan est brusquement stoppé par l'arrivée du troisième soldat, qui brandit sous nos yeux un regard horrifié et deux mains tremblantes :

— Ils sont là !

— Déjà ?! s'étrangle Marius, qui saute sur ses pieds.

Il passe un bras devant Roxane, qui sanglote à nouveau de plus belle.

— Déjà... gronde Lee tout en descendant de la table, bien plus posément que le reste de nos amis.

Il empoigne sa planche et me jette un regard d'avertissement :

— Tu devrais trouver quelque chose pour te défendre.

Mais mes membres sont incapables d'esquisser le moindre mouvement. Les coureurs sont là ? S'élancent ils vers le réfectoire à l'instant même ? Si tel était le cas, alors nous n'avions probablement aucune chance de quitter l'endroit, sinon de sauter dans les voitures à l'arrière, au parking.

Iris, tout aussi paralysée, songe visiblement à la même chose, car elle pivote vers Derel et lui pousse timidement le coude pour l'interpeller :

— On devrait partir d'ici...

Il secoue négativement le menton, l'air coupable.

— On ne peut pas, soupire-t-il.

Ses joues se sont creusées, et les poches sous ses yeux se sont soudain alourdies. Je fronce les sourcils, inquiète. Il semblerait que l'on ne nous ait pas tout dit.

— Pourquoi ? gémit Eliot. Partons d'ici vite, tant qu'on peut, justement !

— Vous n'avez pas encore compris ? raille Ryan, qui se glisse devant moi tout en tirant son arme.

Je le fusille du regard, les dents serrées :

— Ça serait peut-être le moment de nous dire !

— Il n'y a plus de voitures au parking, mugit le commandant d'une voix grave, quittant son siège pour feindre nos rangs et se placer en première position.

J'écarquille les yeux, sous le choc.

— Putain... murmure Arkan tout en passant deux mains tremblantes dans ses cheveux.

— Les gars... souffle Théodore tout en nous dévisageant tour à tour, les yeux gorgés de larmes, même si ça semble perdu d'avance, on va se battre, OK ?

— On va tous mourir, hurle Roxane, défigurée par les sanglots.

Et personne ne trouve rien à redire à ça.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top