Chapitre 2

♫ « Start Again » - Conrad Sewell ♫


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Ava
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La réunion avec les dirigeants de Saatchi & Saatchi a débuté il y a une demi-heure. J'attends patiemment de pouvoir exposer mes idées, en gardant mon dossier sous les mains. Le moins que l'on puisse dire, c'est que j'y ai mis du mien pour effectuer des recherches concernant le sujet d'aujourd'hui. Depuis trois jours, je me couche relativement tard et les communications existantes sur la livraison de plats à domicile n'ont plus de secret pour moi. Je me suis concentrée sur la veille concurrentielle afin de trouver un nouveau concept commercial impactant. Ici, c'est de cette manière que ça se passe. Chacun présente ce qu'il a imaginé et la meilleure trouvaille est retenue par le grand patron. La hiérarchie est encore et toujours perceptible dans ce genre de situation. Magnus est au bout de la table, entouré de ses partenaires financiers, ensuite viennent ses collaborateurs, dont je fais partie. Visiblement, je serai la dernière à prendre la parole pour exposer mon travail.

Je constate que des signes d'anxiété commencent à apparaître au moment où le regard d'Andy, mon associé du pôle animation, se pose sur ma main prise d'impatience. Je vois dans ses yeux qu'il m'incite clairement à lâcher prise.

- L'idée me plaît. Conclut Magnus, suite à la présentation d'une de mes collègues. Reste à savoir si votre équipe saurait être à la hauteur pour décliner de telles ambitions.

Oula. Il m'a regardé une microseconde. Est-ce que je suis censée répondre ? Je me contente d'acquiescer et heureusement, il passe à autre chose. Je me mets vraiment dans tous mes états, mais la différence avec Bread Collective est flagrante. Là-bas, nous n'avons jamais fonctionné de cette façon. Les interventions de chacun étaient bonnes à prendre. Une idée en faisait germer une autre, tandis que là, Magnus nous met clairement en concurrence entre collègues. Le climat n'est donc pas propice à l'échange et au partage, mais plutôt à se tirer dans les pattes.

Je pense que mon tour va enfin venir et ouvre donc mon dossier pour avoir les yeux sur mes notes. Le patron reprend la parole.

- Bon, je pense que l'on est tous d'accord. Scande-t-il d'une voix ferme et directive. On prend le projet de Charlie.

Quoi ? Comment ça ? Je m'agite sur ma chaise pour me redresser et m'apprête à ouvrir la bouche, mais il enchaîne immédiatement.

- Sur ce, bonne journée à tous. Je file, j'ai une autre réunion à dix heures.

Monsieur Djaba prend la poudre d'escampette. Les membres du personnel quittent un à un la salle. Les épaules m'en tombent. Il va vraiment falloir que je songe à prendre rendez-vous avec lui pour que nous discutions sérieusement. Je tiens à connaître les raisons de son ignorance. Il ne me laisse jamais la parole, en particulier en réunion collective. Je ne saisis pas pourquoi la proposition de ma collègue du pôle édition a suscité son engouement immédiat, car ce n'était pas la demande initiale du client. Un plan de communication global -comme j'étais sur le point de l'évoquer- aurait été beaucoup plus pertinent. Je suis persuadée que sa campagne va tomber à l'eau, puisque son choix a déjà été exploité dans d'autres publicités.

Je sens soudainement une légère pression sur le dessus de ma cuisse. Andy me ramène à la réalité et tente visiblement de se montrer rassurant. Perdue dans mes pensées, je ne m'étais pas aperçue que nous étions les deux derniers à occuper la pièce. Pour m'assurer que je ne suis pas folle, je lui demande son avis sur ce qui vient de se passer.

- Il se plante, on est d'accord ?

- Sur toute la ligne. Acquiesce-t-il avec un petit sourire.

- Je ne comprends pas ! Ton idée était super comparée à ce que Charlie a proposé !

- J'imagine que ce que tu avais préparé valait beaucoup plus le coup également. Ajoute-t-il en me fixant longuement, saisissant le fondement de mon état d'énervement.

- Il a dû penser que nous avions travaillé ensemble sur le sujet.

Alors que ce n'est absolument pas le cas. Au cours de la semaine, j'ai plusieurs fois tenté d'aborder la question avec mon collègue, mais il paraissait toujours occupé. Andy est constamment occupé de toute manière. Tandis que moi, j'ai le sentiment d'être sans cesse à la recherche d'une occupation.

Émergeant peu à peu de mes réflexions, je constate que sa main est toujours sur ma jambe. Mon malaise semble l'atteindre et il finit par se redresser. Étrangement, la situation fait immédiatement écho au fait que depuis un certain temps, je ne porte plus du tout de robe ou de jupe pour venir travailler. Je ne supportais plus le regard que me portait Magnus lorsqu'il me croisait les jambes dénudées. Concernant Andy, je ne me suis jamais posée la question d'une quelconque ambiguïté. C'est un bel homme, conscient du charme qu'il dégage, mais sa sympathie ne m'a jamais parue mal intentionnée.

Nous rejoignons ensemble le troisième étage pour regagner nos bureaux. L'équipe de créatifs au grand complet est arrivée et je décide d'aller leur dire bonjour, tandis qu'Andy poursuit sa route. Je connais désormais le prénom de chacun, car je trouve que c'est un point essentiel pour parvenir à m'intégrer. Je prends donc bien le temps les saluer individuellement en passant devant leurs box respectifs. L'un d'entre eux, qui ne m'a pas vu arriver, flâne sur les réseaux sociaux, les pieds sur la table, mais je ne suis pas là pour juger les pauses qu'il s'octroie. Lorsqu'il m'aperçoit enfin, il se redresse en vitesse et rouvre son logiciel de montage vidéo.

- Matt, Matt, Matt... J'ai bien vu que vous traîniez sur Facebook au lieu de travailler...

Le pauvre ne semble pas saisir l'humour caché derrière ma réplique. Son regard reste fixer le clavier de son iMac et il n'ose rien répondre.

- Eh, tout va bien. Vous pouvez me regarder dans les yeux, vous savez. Je plaisantais.

J'entends des chuchotements de part en part des demi-cloisons. Une chaise se décale subitement à la droite de celui à qui je m'adresse.

- Allez Matt, on va peut-être enfin entendre le son de ta voix. Lui lance-t-il abjectement.

Le mépris dans son intonation est tout simplement ignoble. Moi qui voulais juste détendre un peu l'atmosphère en faisant une blague, je viens de me rendre compte que l'ambiance d'équipe est nettement plus grave que ce que je pensais. Le soufflé coupé, je tourne les talons pour rejoindre silencieusement ma pièce attitrée.

Plus que deux jours, Ava. Deux jours et tu pourras souffler. Je me mets à compter les heures qui me séparent de mes congés, même si je suis ici depuis peu. L'esprit de Noël ne m'a d'ailleurs pas du tout impacté cette année, alors qu'habituellement, je suis extrêmement impliquée dans les préparatifs. Le climat pesant du boulot y est certainement pour beaucoup, car personne ne semble prêter attention au fait que dans moins d'une semaine, les fêtes battront leur plein. J'espère parvenir tout de même à me plonger dans l'ambiance, car nous allons dans la famille de Louis cette année. Il a bien insisté sur le fait que Noël est sacré pour les Tomlinson et toujours propice à la démesure.

Assise lourdement dans mon fauteuil, j'active mes méninges. Mon rôle est de faire en sorte que tout se passe au mieux et pourtant c'est tout le contraire. En un mois et demi, je crois bien que jamais je n'avais pris conscience de l'ampleur du travail qu'il y a à faire pour manager une équipe qui, clairement, ne se supporte pas.

Peut-être que mon erreur a été de ne pas avoir su m'intégrer dès mon arrivée ? Ils s'imaginent tous que mon poste était gagné d'avance parce que mon nom est désormais lié à quelqu'un de célèbre. Si je reste, ce n'est pas uniquement parce que mon salaire me permet une vie plus que correcte. Il y a clairement un bon nombre de choses à changer dans cette entreprise et mon statut m'offre un rôle primordial pour trouver des solutions. Alors, c'est ce que je suis déterminée à faire.

Je déjeune avec Jo ce midi. Étant donné qu'elle est directrice artistique, je pense qu'elle saura m'aiguiller et m'aider à me faire une idée de l'ampleur de ce que je m'apprête à instaurer dans mon service.

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S'il y a bien une chose qui est appréciable lorsque l'on sort d'une sale journée de boulot, c'est de savoir que la personne que l'on retrouve va nous redonner instantanément le sourire. Louis est tellement épanoui dans son travail ces derniers temps, qu'il a constamment des tonnes de choses à raconter. Et toujours avec cette joie si communicative.

J'ai à peine poussé la porte d'entrée de son loft qu'il se tourne vers moi après un rapide coup d'œil à l'horloge, sous-entendant que je suis une nouvelle fois restée faire des heures supplémentaires.

- Dure journée ? Me demande-t-il en scannant mon visage dépité.

Je hausse timidement les épaules. Il quitte les fourneaux pour venir m'accueillir et m'embrasse. Mais rapidement, je me surprends à m'inquiéter de la présence d'une tierce personne et désunis nos lèvres.

- Oli est ici ?

- Non, il est parti il y a une heure. Répond-t-il en me regardant du coin de l'œil.

Un léger soulagement est perceptible dans le souffle que je laisse échapper. Je crois que je n'avais pas particulièrement envie d'être sur la retenue ce soir.

- Ne t'en fais pas, ce sera bientôt réglé. Il est sur le point de se trouver un appartement.

Je l'embrasse de nouveau, puis cherche instinctivement du regard où peut bien se trouver le deuxième pensionnaire.

- Et le chat, où est-il ?

- Regarde le canapé. M'indique-t-il du bout du nez.

- Il n'y est pas.

- Non, regarde l'état du canapé et tu vas comprendre.

Jusqu'ici, l'animal de compagnie de Harry n'avait fait que deux ou trois griffures, mais là, il s'est attaqué au côté droit du sofa, déchirant le tissu. Et à quelques mètres de là, le sapin de Noël gît une fois encore à même le sol. Louis a finit par abandonner l'idée de le refaire chaque jour.

- Oooh... Tu l'as encore puni...

Je me dirige vers la salle de bains et libère le félin, qui se précipite vers sa gamelle. Louis souffle d'exaspération en sachant parfaitement qu'il trouvera une autre bêtise à faire d'ici quelques minutes.

- Il est plus que temps qu'ils reviennent... Glisse-t-il en référence à nos amis.

Mon chéri rejoint la cuisine et au même instant, son portable résonne près de moi sur le meuble de l'entrée. Je m'apprête à le lui donner pour qu'il décroche, mais le coup de fil ne semble pas l'intéresser.

- C'est encore ceux à qui je pense ? Me demande-t-il avant même que je n'arrive à sa hauteur.

J'examine le numéro qui s'affiche et hoche la tête pour acquiescer.

- Laisse sonner. Ajoute-t-il d'un air blasé.

Je dépose donc son iPhone sur le comptoir et commence à mettre la table. Louis m'indique rapidement quelque chose qu'il a laissé en veille sur sa tablette numérique. Il réactive l'écran pour que je m'y intéresse et mes yeux détectent qu'il s'agit d'un article concernant nos deux amis à l'autre bout de la planète.

- Ils ne seraient pas en train de nous faire un petit ces deux-là ? Ironise-t-il, en référence au fait que le site web rapporte que Joy aurait été aperçue nauséeuse en public, soutenue par Harry qui semblait très attentionné.

- Tu ne vas pas te mettre à croire de pareilles bêtises toi aussi ?

- Bien sûr que non, j'ai juste trouvé ça amusant.

Je sais qu'ils tentent d'être les plus discrets possible et malgré leurs efforts, ils continuent à agrémenter les tabloïds. J'espère qu'ils sont à mille lieues de ce qui se trame autour de leur couple, car ils n'en ont pas besoin. J'imagine que ces mauvaises langues se sont fait une fausse idée de ce qu'ils ont vu. Si Joy était effectivement malade, cela ne peut être dû qu'au combat qu'elle mène contre le Paxil.

- Tiens, en parlant d'eux.

Je sors mon téléphone de ma veste et montre à Louis les deux photos que Harry m'a envoyées en fin de journée. Ils sont actuellement en Jamaïque. L'une montre Joy, rayonnante, parmi des enfants dans un village typique de l'île. La seconde présente Harry avec un bambin sur les épaules. On ressent parfaitement à travers ces clichés que leur immersion est très intense.

- Des enfants... Laisse échapper Louis en levant des yeux pleins de malice vers moi.

Il commence à me mettre le doute.

- Arrête. Tu penses vraiment qu'elle me l'aurait caché ?

Louis lève les sourcils et hausse les épaules.

- Elle m'aurait dit quand même...

Mais oui. Aucun doute à avoir là-dessus. Il me fait marcher.

Tandis qu'il dresse les assiettes, j'en profite pour aborder le sujet de notre départ imminent à Doncaster.

- Tu as commencé à préparer tes affaires pour samedi ?

Les lèvres pincées, je sais très bien qu'il n'a toujours rien fait.

- La réponse est dans ta question, trésor. Samedi, c'est dans deux jours.

J'ironise alors à mon tour.

- Oh, mais oui tu as raison. On est larges ! En plus, on travaille demain ! Je ne vois pas en quoi on devrait s'inquiéter.

S'il y a un point sur lequel nous ne nous ressemblons pas du tout, c'est bien notre sens de l'organisation. Le séjour que nous allons passer dans sa famille pour Noël ne dure que cinq jours, mais nécessite tout de même un minimum de préparatifs.

- D'ailleurs, je me suis dit que j'irais bien voir un peu mes parents après notre retour. C'est la première fois que je passe les fêtes de fin d'année sans eux. Tu pourrais m'accompagner...

- Ce sera avec plaisir. Répond-t-il sans réfléchir davantage.

Nous entamons notre dîner tout en continuant de discuter. J'évoque alors avec lui ma nouvelle motivation concernant le boulot.

- Jo m'a incitée dans ce sens, en me disant que favoriser la cohésion d'équipe était essentiel.

Effectivement, lorsque l'on se base sur l'exemple de Bread, cela fonctionne parfaitement car le personnel est soudé.

- Si au moins ça te permet de t'épanouir un peu plus, je pense que c'est une excellente idée. Me dit-il, soulevant le fait que me lever le matin est de plus en plus pénible.

Je sais qu'il est conscient de mon mal-être grandissant. J'essaie constamment de minimiser mon quotidien, car Louis pourrait facilement s'emporter. J'évite désormais de m'accabler sur mon sort et c'est la raison pour laquelle je m'abstiens de lui parler de la réunion désastreuse de ce matin. Il ne me l'a jamais clairement dit, mais je sais qu'il souhaiterait que je quitte mes fonctions chez Saatchi & Saatchi. Seulement, avec les nouveaux arguments que j'ai en tête, il sent que cela ne peut être qu'enrichissant et ne tient pas à me décourager.

- Jo ne t'a pas dit s'ils t'ont trouvé un remplaçant ? Tente-t-il tout de même.

Je le fixe en mâchant longuement ma dernière bouchée de tarte.

- Je sais ce que tu insinues...

Mon ancien poste est effectivement toujours vacant, mais ce n'est pas une raison pour envisager de le récupérer.

En fin de repas, Edgar se joint à nous et tente de terminer les restes dans mon assiette. Je les lui aurais laissés volontiers, mais Louis s'en empare pour lui éviter cette mauvaise habitude.

- Doug ! Le reprend-t-il autoritairement.

- Pourquoi tu l'appelles Doug ? C'est Edgar.

- Un coup c'est Doug, un coup c'est Edgar ! Il faudrait lui donner des repères à ce chat ! Regarde, il est complètement... perdu !

Je sais qu'un mot bien différent a faillit lui traverser la bouche. Il est persuadé que le chat est stupide, alors qu'au contraire, il sait parfaitement y faire pour mener les gens par le bout du nez.

Louis débarrasse nos assiettes et jette un regard à la petite bestiole que j'attire vers moi pour la caresser. Il se met à ronronner. Je sais qu'il n'a pas envie d'être attendri par rapport à toutes les bêtises qu'il a pu faire depuis qu'il est ici, mais comment résister ?

- Par contre, cette nuit, on l'enferme dans la salle de bains. Exige Louis. Je me suis réveillé à deux heures du matin et il était sur ma table de chevet à m'observer en grognant.

Le chaton laisse échapper un adorable miaulement.

- Ouais, c'est bien de toi que je parle...

Louis tente de le défier, mais Edgar est totalement déconnecté.

- C'est vraiment dommage qu'il détruise tout. Il est tellement mignon.

- Tu ne diras pas ça quand tu verras l'état de ton carnet de croquis à l'étage... Marmonne-t-il dans le but de me rallier à sa cause.

Délicatement, j'agrippe le petit démon pour le mettre au sol.

- Ok mon pote... Dommage pour toi. Tu viens de perdre ton unique alliée...

Tout l'humour déployé autour de cette situation cache clairement le fait que nous sommes réellement inquiets de ce que peuvent vivre Joy et Harry de leur côté. Les seules nouvelles que nous recevons couvrent toujours la réelle implication de leur périple. Certes, les photos sont merveilleuses. Ils paraissent heureux et épanouis. Mais l'envers du décor est très certainement bien moins lisse que ce qu'ils veulent laisser paraître. L'article qui tourne sur Internet me le prouve parfaitement.

Je reste intimement persuadée que la décision de Harry était la bonne. Déjà plus d'un mois qu'ils sont partis, mais il n'est toujours pas en mesure de nous dire quand ils rentreront. J'espère seulement que tout cela les rendra plus forts et ne finira pas par les désunir.

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