XXVIII • Dracula, le gentlemen célibataire

Le Comte Dracula regarda à nouveau par la fenêtre. 

Dehors, il faisait gris, la pluie tombait fortement. Pourtant, elles étaient là. Elles. Ces maudites bonnes femmes, toutes âgées de 15 à 30-35 ans au moins. Toute une foule de femmes, de jeunes filles et de jeunes enfants qui faisaient le pied de grue devant son immense château. 

Ce n’était rien de plus que des mortelles en manque d’adrénaline et de frissons, une bande de gamines accros (sans mauvais jeu de mots !) à l’éternelle et mystérieuse figure du Vampire qu’elles avaient tant aimé retrouver dans leurs foutus romans pour adolescents ! Rien que des Bella qui cherchaient un Edward Cullen pour mettre des paillettes (et du sang) dans leur monotone et déprimante existence en somme… 

-        On ne peut vraiment pas avoir la paix dans ce monde…, marmonna Dracula en glissant ses doigts sur sa moustache blanche. 

Celles qui ne désiraient pas recevoir un baiser du célèbre Comte transylvanien réclamaient une morsure pour paraît-il “devenir immortelle et avoir des pouvoirs trop cools et stylés”... Dracula pesta. Bon sang mais qu’avaient donc fais tous ces fichus écrivains ?! S’étaient-ils donc tous réveillés un matin avec la brillante idée de le ridiculiser, lui, le terrible, le sanglant, le grand Dracula ?! Que diable leur était-il passé par la tête pour vouloir chercher à rendre les Vampires “séduisants” et “sexy”, comme le disaient souvent les femmes plantées devant sa demeure en ce moment-même ?! 

-        Bien qu’il fût un mortel assez minable, ce bon vieux Bram Stoker avait au moins eu la décence de faire preuve de réalisme, lui ! cria le Vampire. 

Il avait, certes, à peine connu l’écrivain mais devait admettre lui vouer une infime admiration pour son travail d’écriture autour de son histoire, à lui, le Comte Dracula. Bien entendu, ce respect qu’il éprouvait pour le défunt auteur - paix à son âme ! - demeurait secret, bien enfoui dans un coin de son esprit tel un trésor si petit qu’il en dévient précieux au point d’être jalousement gardé. 

Faisant les cent pas, Dracula marmonna à nouveau, agacé, outré, en colère !

-        Un Vampire, c’est terrifiant ! s’énerva-t-il. Ça tue ! Ça vous mord ! Ça vous broie les os sans la moindre émotion ! Ça vous fait peur et mal ! Oh oui, très mal ! Ça joue avec vous, avec l’esprit de ces pauvres imbéciles de mortels, ça s’amuse comme un chat qui joue avec une souris, se délectant de sa lente agonie ! Ça boit du sang ! Un Vampire est un monstre ! Un monstre ! Ce n’est pas SEXY !

Il avait hurlé la dernière phrase, parvenant même à prononcer le dernier mot encore plus fort que les autres. 

Soupirant, il tâcha de mieux contenir sa colère mais au souvenir d’une dingue qui était parvenue à se glisser dans sa demeure pour le demander en mariage, il se mit à fracasser le moindre vase qui était à sa portée. 

Cette folle lui avait littéralement sauter dessus, et de cela, Dracula en était encore quelque peu marqué, bien qu’il ne l’avouerait jamais devant témoin… 
OK, il voulait bien admettre que pour une créature aussi vieille que lui, il avait encore du charme mais quand même ! Les humains n’avaient-ils donc aucune limite ?!

Il commençait à croire qu’il lui faudrait déménager car la paix avait déserté les Carpates depuis longtemps à cause de cet attroupement d’admiratrices non-désirées. 

L’éternité était longue, certes, et si au début tout ce cirque lui avait donné un semblant de divertissement apparu de nulle part pour briser son morne quotidien, le Vampire en avait vite eu marre. Il en avait tué une, puis deux, puis trois, et puis, passé ce chiffre-là, il avait cessé de compter. Pour sa défense, il les avait prévenus mais ces idiotes, trop heureuses de réaliser le fameux fantasme du vampire qui mord le cou de sa belle, s’étaient laissées faire bêtement… Désespéré, excédé, le Comte s’était demandé s’il devait porter plainte pour harcèlement avant de se rappeler que personne ne se donnerait probablement la peine de le défendre, lui, le monstre assoiffé de sang… 

-        Regarde-moi ça, Cornélius, lança Dracula d’un ton méprisant en se postant à nouveau à la fenêtre. Elles n’ont donc rien de mieux à faire !

A quelques pas de lui, une silhouette avait émergé dans son dos avant de s’approcher de la créature. Cornélius n’était qu’un gamin. Un môme que sa mère avait lâchement abandonné pour venir séduire la créature millénaire. Dans un faible instant de pitié, Dracula avait décidé d’emporter l’enfant avec lui. Ça lui faisait un peu de compagnie, et puis, c’était toujours mieux que ce troupeau de bonnes femmes venues lui faire la cour ! 

Dracula se souvenait encore du jour où il avait pris l’enfant avec lui. Sa mère l’avait fixé avec une fascination des plus dérangeantes - même lui en avait été fort mal à l’aise devant l’intensité de son regard - et l’avait tout simplement laissé prendre son enfant. Elle n’avait pas pleuré ou crié qu’on le lui rende. Elle avait simplement dit au petit garçon alors âgé de 10 ans : “Demande-lui quelle est sa couleur préférée, s’il te plaît !”.  

Même Dracula qui s’était drapé dans un semblant d’indifférence avait eu mal pour l’enfant. Elle ne se souciait pas de son propre fils, de ce qu’il pouvait bien lui arriver. Pris de remord en voyant ce qu’il avait provoqué, Dracula avait été tenté de le rendre à sa mère mais en songeant au comportement de la femme, il avait jugé bon d’éloigner l’enfant d’elle. Quel genre de mère laissait donc un enfant entre les mains d’un Vampire, franchement ? Et cela sans broncher en plus ! Le petit avait pleuré, beaucoup même. Désemparé, et se demandant très sérieusement s’il n’avait pas fait une connerie, le Comte avait tenté de le rassurer mais il fallait avouer que ses crocs n’aidaient pas vraiment… Il avait donc tenté de les camoufler, scellant ses lèvres pâles pour tout simplement bercer maladroitement l’enfant dans ses bras. Il frissonnait à cause des mains froides du Vampire et rapidement, celui-ci avait pris l’habitude de porter des gants fins pour pouvoir prendre l’enfant contre lui. Il lui avait acheté de la nourriture, des couvertures, tout ce qui pouvait l’aider à se sentir en sécurité, sans se rendre compte que le garçon commençait lentement à se prendre d’affection pour lui. 

Des mois entiers s’étaient écoulés et jamais la mère n’avait réclamé son enfant. Dracula n’avait pas aimé voir le masque de la douleur se glisser sur le visage du petit Cornélius. Il avait essuyé ses larmes autant que possible avant de le serrer doucement contre lui. Ainsi lové dans les bras du Vampire, Cornélius s’était laissé happer par la tristesse, le goût amer de la trahison d’une mère indigne, et l’horrible sentiment d’être abandonné s’était ajouté à ce sombre mélange… 
Dracula l’avait emmené en ville quelques fois pour qu’il se sente mieux, loin de ce château. Il espérait à chaque fois que l’enfant s’échapperait : Qui sait ? Peut-être se croyait-il prisonnier du Vampire ? Mais à chaque fois, le garçon était demeuré près de lui, serrant fort sa main froide dans ses petits doigts fins, ne pouvant se détacher de ce semblant de figure paternelle, aussi étrange et sinistre soit-elle.

De ce qu’avait compris Dracula quand le petit s’était mis à parler de lui, il avait vécu seul avec sa mère, habitué à l’absence d’un géniteur qui, trop lâche et idiot pour assumer ses responsabilités de père, avait fui à la naissance. Sa génitrice n’était d’ailleurs guère mieux : elle s’était peu occupée de son enfant, le confiant la plupart du temps à des amis dignes de confiance ou des grands-parents. 

Au fil des quatre ans qui s’étaient écoulés depuis, Dracula, bien qu’il ne l’admettait que rarement, s’était attaché au garçon. Cornélius, lui, ne cachait pas son affection pour le Vampire qui se prenait parfois à penser la chose suivante : “Père, Mère, vous qui désiriez avoir des petits-enfants, vous seriez sans doute heureux d’apprendre que du haut de mon grand âge, je me sens enfin prêt à être père depuis que Cornélius est là…”.     

En y songeant, le Comte sourit et Cornélius lui adressa un regard intrigué. Il se demandait probablement à quoi Dracula pensait. Bien qu’il lui avait depuis deux ans collé officiellement l’étiquette de père, Cornélius n’avait jamais osé l’appeler ainsi. La nuit, quand il savait le Comte dehors en train de se nourrir, il se postait à cette même fenêtre et rêvait qu’un jour, il l’accueillerait en prononçant le mot “Papa”. Mais Dracula avait tenu à imposer des règles, à fixer des limites et Cornélius craignait que jamais son tuteur vampirique ne l’autorise à le nommer ainsi. 

Le Vampire ne le saurait probablement jamais mais pour Cornélius, il était désormais sa seule et unique famille, pour l’éternité… 



Et voilà pour ce 28e jour (déjà ! 😱) du Writober. 🙂 J'espère que ce texte vous aura plu, n'hésitez pas à me laisser votre avis en commentaire. 🙂
Pauvre Dracula, traumatisé par les femmes. 😅 Et pauvre Cornélius, avec la mère qu'il a, on peut affirmer sans le moindre doute qu'il est mieux auprès du Comte. 😕

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