🔥 Semaine 3 : Distorsion

Et oui, je vous embarque à nouveau dans l'espace, à bord d'un vaisseau spatial qui va vivre une aventure... peu courante. Asseyez-vous, sanglez bien vos ceintures et levez la tête : l'univers vous tend les bras.

***

DISTORSION SPATIALE

- Plein gaz sur le trou noir. Attachez vos ceintures, priez votre dieu si vous en avez un, préparez vous à mourir dans les prochaines minutes. J'aime pas les adieux larmoyants alors on va se contenter de ça : bon voyage, camarades.

Peter Kinston, Le capitaine de l'EagleB237 ne dis aucun mot de plus et s'assit sur son siège pour se sangler soigneusement. Autour de lui, les trois autres membres de l'expédition firent de même. Mlle Craig, la navigatrice, était déjà attachée et actionnait les plein gaz en quelques manipulations habiles. Cameron Haris s'assit sur son siège de second navigateur et se sangla, les doigts si tremblants qu'il dû si prendre à trois fois. Et enfin, Jonas Eden s'installa sur la dernière chaise, s'attacha et remonta ses lunettes sur son nez, fébrile d'excitation.

D'aucun disaient, quand ils ont quittés la Terre, qu'ils partaient pour une mission suicide. Ils sauraient si c'était réellement le cas dans exactement quatre minutes et vingt-sept secondes, selon LucY. Tous avaient pleinement accepté l'idée de mourir pour une cause perdue – comme disaient les médias. Mais Juliette Craig préférait dire qu'ils étaient prêts à mourir pour la science et la survie de l'espèce humaine. Quand le professeur Eden, scientifique et astrologue renommé, avait proposé cette mission folle il y a maintenant six ans et que l'état avait accepté de la financer, ils s'étaient tous les trois proposés. Ils étaient les meilleurs navigateurs et techniciens spatial. Et, au fond de la soute, dans une température avoisinante les -217 degrés Celsius, se trouvaient la crème de la crème des scientifiques, artistes, techniciens et philosophes, plongés dans un sommeil artificiel au fond de leur caissons de cryogénisation. En tout, cent-quatre-vingt-dix-sept hommes et femmes, qui avaient été assez fous pour suivre Eden.

Entre 2138 et 2142, le professeur Jonas Eden a poussé les recherches sur les trous noirs plus loin que quiconque avant lui. Il en avait ressortie une théorie simple : les trous noirs étaient des sortes de tunnels qui, grâce à une distorsion de l'espace, permettaient d'aller d'un point à l'autre de l'univers. Il avait envoyé plusieurs sondes dans l'un d'eux, qui avaient aussitôt disparues dans le néant. Alors Eden tentait le tout pour le tout : aller lui-même dans un trou noir avec un vaisseau, un équipage et une cargaison de deux-cents personnes qui pourraient construire une civilisation sur une autre planète et régler, à long terme, le problème de la surpopulation sur Terre. Il avait crée des appareils qui permettraient de garder le contact avec leur planète mère peu importe où ils se trouvaient et, ainsi, s'il trouvaient une planète habitable on pourrait les y rejoindre.

Le seul problème était que Eden était considéré comme un vieux fou et que, de toutes ses idées, il n'y avait que de la théorie. Et pourtant, il y croyait dur comme fer et avait réussi à convaincre deux cents pauvre gens aussi fous que lui à le suivre dans son aventure.

- L'espace-temps est courbé, murmura ce dernier dans l'atmosphère lourde de la cabine, l'espace... l'espace est courbé. Le trou noir est un tunnel qui va nous emmener d'une courbe à l'autre. C'est un... c'est un tunnel. Le trou noir est...

- Tu nous répète ça depuis notre départ, le coupa Juliette Craig d'une voix tendue. Ferme là, et on verra si c'est un tunnel ou si c'est juste... le néant.

Tous les regards se tournèrent vers elle et elle haussa les épaules, l'air de dire qu'elle ne faisait qu'exprimer ce que chacun pensait. Une alarme s'alluma. Puis une autre. Des lumières clignotèrent en rouge dans toute la cabine.

[EMPRISE GRAVITATIONNELLE IMPORTANTE, JE RÉPÈTE, NOUS SOMMES EN PROIE À UNE FORTE EMPRISE GRAVITATIONNELLE]

- Je sais, LucY, murmura Juliette à l'ordinateur de bord. Vas-y à fond. Droit dedans. Et prie pour nous.

[JE NE PEUX PAS PRIER, JULIETTE, JE SUIS UNE MACHINE. JE N'AI PAS DE D....]

La communication coupa et, au même moment, le vaisseau atteignis le néant total et disparut à l'intérieur sans un mot, sans un cri, sans même une dernière prière.

***

[CAPITAINE KINSTON, CAPITAINE KINSTON, RÉVEILLEZ-VOUS. CAPITAINE, LES SIGNAUX VITAUX DE L'ÉQUIPAGE SONT FAIBLES, J'ACTIVE LA PROCÉDURE DE RÉVEIL D'URGENCE DANS TROIS, DEUX, UN...]

- Ha !

Peter Kinston fit un bond dans son siège, réanimé par la piqure d'adrénaline pure qu'un bras mécanique venait de faire dans sa poitrine. Le cœur battant à tout rompre, la respiration rapide, il se rendis compte qu'il était vivant. Sonné, certes, mais bien vivant. Et, quand il leva la tête vers la grande fenêtre qui s'élevait devant lui, ce fut un deuxième choc. Il se détacha, se leva et se colla, ébahi, au hublot. Il lui fallut plusieurs minutes avant de retrouver l'usage de la parole.

- LucY... ?

[OUI, CAPITAINE KINSTON ?]

- Ré... réveilles les autres, tu veux ?

[AFFIRMATIF]

Et, bientôt, les trois membres de l'équipage firent un bond, comme lui, mais il ne réussit pas à se détourner du spectacle pour aller les aider. Le premier à le rejoindre fut le scientifique. Ses lunettes étaient tordues sur son nez mais il ne pensa pas à les redresser. Pas cette fois. Il murmura :

- Est-ce que c'est...

- La Terre ? compléta le capitaine. J'en sais rien.

- Non, affirma Juliette en approchant à son tour, hypnotisée par le spectacle. Elle resta subjuguée une seconde puis reprit : C'est impossible. J'ai effectué près de vingt-trois missions spatiales autour de la Terre. Je sais la reconnaître. Et ça, ça ne l'est pas.

Le dernier membre de l'équipage acquiesça silencieusement. Devant eux, étendue au milieu d'un univers sombre et presque désert, se trouvait une planète. Une planète bleue, si bleue qu'il était facile de faire le parallèle avec leur Terre. Seulement, les étendues de terres n'avaient rien à voir et tout semblait y être bien différent.

- On a réussi, murmura Eden. On a trouvé une planète...

- Lucy, appela Juliette, concentrée. Que disent les données de position ?

[DONNÉES INDISPONIBLES, JULIETTE]

- Pardon ?

[DONNÉES INDISPO...]

- J'avais entendu, coupa la navigatrice. Pourquoi ? Les appareils devaient rester connectés avec la Terre quoi qu'il arrive !

[IL SEMBLERAIT QUE NOUS SOYONS TROP LOIN DU POINT D'ORIGINE POUR QUE LES APPAREILS SUR TERRE NE NOUS DÉTECTENT, AUSSI COMPÉTENTS SOIENT-ILS]

- Tu veux dire que... que tu ne peux pas contacter la terre ? demanda le capitaine. Contacter notre base ?

[AFFIRMATIF, C'EST EXACTEMENT CE QUE JE VEUX DIRE, CAPITAINE]

Il y eut un long silence, chacun comprenant la portée de cette phrase. Ce fut Cameron qui l'exprima le premier :

- On est coupés du monde. On est tous seuls.

[NÉGATIF, CAMERON. VOUS N'ETES PAS TOUT SEUL MAIS AVEC DEUX-CENT PERSONNES]

Oui, ils étaient bel et bien seuls. Ils passèrent une heure, ou peut-être deux, à essayer de rétablir la connexion, à essayer de se situer, à envisager la suite. Cameron était d'avis qu'il leur fallait repartir immédiatement dans le trou noir qui les avaient recrachés mais Eden était fermement opposé. Ils étaient déjà si éloignés, ça risquait de s'empirer en repartant ! Sans compter que cette planète, pas bien loin, semblait avoir le même écosystème que leur terre. Si elle était habitable... ils pourraient y vivre ! Oui, ils pourraient créer leur propre civilisation, s'assurer que les humains ne reproduisent pas les mêmes erreurs que sur leur planète d'origine et créer un monde serein et viable.

Il fut ainsi décidé, à la presque unanimité, d'envoyer une sonde sur place pour prélever des échantillons de la terre et de l'air. Lucy l'envoya et, peu après, déclara son compte-rendu :

[CARACTÈRE DE LA PLANÈTE : SOLIDE. TEMPÉRATURE ACTUELLE : 28 DEGRÉS CELSIUS. GRAVITE : 9,807 m/s AU CUBE. COMPOSITION DE L'ATMOSPHÈRE : 78% DE DIAZOTE, 21% DE DIOXYGÈNE et 1% D'AUTRES GAZ DONT L'ARGON ET LE DIOXYDE DE CARBONE. PRÉSENCE DE VIE : AFFIRMATIF. PRÉSENCE DE VIE INTELLIGENTE : NÉGATIF]

Trois des quatre personnes de l'équipage essayaient de réaliser ce qui venait de se dire tandis que Jonas Eden demanda d'un voix blanche.

- Ça veut dire que... Lucy, est-ce que la planète est habitable pour les humains ?

[AFFIRMATIF, PROFESSEUR. LES CHANCES D'IMPLANTATION ET DE SURVIE DE L'ESPÈCE HUMAINE SONT ÉVALUÉES A 94,7 %]

- Tu pourrais... tu pourrais nous y faire atterrir ?

[PROFESSEUR, JE SUIS BLESSÉE QUE VOUS ME POSIEZ UNE TELLE QUESTION]

Il leur fallut deux jours pour finalement se décider à y aller. Ils savaient que, une fois posés, ils ne pourraient sans doute plus redécoller, mais LucY estimait les risques plus faibles que de repasser par le trou noir. Ils avaient la vie de deux cents personnes entre les mains et ce fut ce facteur qui les poussa à descendre sur ce qu'ils appelèrent vite : la deuxième terre. Oui, il était peut-être temps de recréer une civilisation digne de ce nom. Cette planète, c'était une deuxième chance. Eden avait estimé qu'il devait exister, dans tous les univers, des centaines de planètes telles que celle-là, mais aucun encore ne comprenait leur chance d'être tombés sur l'une d'elle.

Ça aurait dû être le capitaine le premier à poser le pied sur cette terre nouvelle. Seulement, le professeur Eden était bien trop excité et se précipita dès que la porte fut ouverte. Il trébucha contre un appareil en métal juste à la sortie et il ne mit pas le premier pied sur cette planète, puisqu'il y arriva la tête la première. Il s'étala dans ce qui semblait être une plaine aride avec quelques arbres immenses qui semblaient toucher le ciel de leurs branches. Et, malheureusement pour lui, il tomba évanoui en se cognant la tête sur une pierre. Juliette et Cameron, après avoir fait le tour du site, leur fusil à la main pour parer aux éventuels danger et remarqué que tout était calme, allèrent l'installer au frais dans le vaisseau et laissèrent LucY s'occuper de lui.

Ils installèrent leur campement juste devant le vaisseau, ce qui leur pris toute la journée, étant donné qu'ils étaient tous les trois complètement fascinés par la faune et la flore environnante. Le premier incident arriva le lendemain matin : ils furent réveillés par des bruits venant de derrière le vaisseau. Après s'y être précipités, ils découvrirent des singes énormes qui, attirés par la brillance du métal du vaisseau, tapaient frénétiquement dessus, debout sur leur pattes arrière. Ils étaient au moins cinquante, peut-être plus.

Et l'équipage fit ce que l'Homme de tout temps à toujours fait face à l'inconnu : il attaqua. Quelques tirs de fusil plus tard, les créatures étaient à terre et Juliette poussa un soupir de soulagement :

- On a eu chaud. J'aurais pas aimé me retrouver entre leurs pattes énormes.

Les autres acquiescèrent en silence, un silence adapté à toute bonne extinction de masse.

- Mais qu'est-ce que vous avez fait ... ? murmura quelqu'un derrière eux.

Il se retournèrent : c'était le professeur Eden, bien réveillé et absolument horrifié. Il était livide et remontait sans cesse ses lunettes sur son nez d'un geste fébrile. Il contourna le groupe pour s'approcher des grand singes et, là, les contempla de ses yeux de scientifique. Il eut un hoquet de frayeur.

- Qu'est-ce que vous avez fait ? répéta-t-il d'une voix tremblante.

- Ils étaient en train d'attaquer le vaisseau, répondit le capitaine. Nous avons sauvé votre peau, voilà tout.

Le scientifique se releva et, quand il se retourna vers eux, tous virent qu'il pleurait. Il s'essuya les yeux avec un mouchoir puis, tremblant, dû se retenir à la coque du vaisseau pour ne pas tomber.

- Tout prend sens... murmura-t-il. Tout prend sens. Je m'étais trompé...

- Qu'est-ce qui prends sens ? lança Cameron, agacé. Parle, vieux fou !

Le regard qu'il leur lança les fit tous s'immobiliser. Un regard glacé d'intelligence et de compréhension. Il secoua la tête.

- Nous croyions... nous croyions que le trou noir était un tunnel dans l'espace... que nous venons de traverser une distorsion spatiale... mais c'est faux. Le trou noir a créé... une distorsion temporelle. Nous ne sommes pas à l'autre bout de l'univers. Nous sommes rentrés chez nous... à peu près trois millions d'années avant notre départ.

Un silence de mort s'étendis parmi l'équipage. Une minute, puis deux, chacun prenant conscience de tout ce que ça impliquait. Ce fut Juliette qui, la première, se ressaisit :

- C'est logique... voilà pourquoi nous n'avions pas de signal de la terre malgré nos appareils à la pointe... tout simplement parce que les récepteurs n'existeront que dans des millions d'années.

- Et voilà pourquoi la planète nous semblait si étrange, continua le capitaine. Elle a... elle a changé durant tout ce temps. Mais nous sommes bien à la maison. Dans ce qui devait être l'Afrique, à mon avis.

Juliette poussa un petit cri et plaqua la main sur sa bouche. Dans son esprit, les éléments se mirent les uns à côtés des autres. Trois millions d'années... l'Afrique... les grand singes qui se tenaient sur leur pattes arrière... Elle se tourna vers le scientifique et observa avec horreur le carnage derrière lui.

- Est-ce que... est-ce nous venons de tuer les premiers hommes ?

- Oh non, répondit le scientifique avec un rire nerveux. C'est ce que j'ai cru au départ mais c'est... c'est bien pire que ça. Ces singes n'ont rien à voir avec les ancêtres des hommes, j'en suis sûr. Et LucY a dit qu'il n'y avait pas de trace de vie intelligente... or, à cette époque, il aurait dû en avoir. Comprenez bien ça : les hommes n'existent pas encore et n'existeront sans doute jamais.

- Mais alors... murmura Juliette. Alors...

Elle se tut en comprenant soudainement ce que Eden essayait de leur dire. Le scientifique hocha lentement la tête puis dévisagea les deux autres membres de l'équipage.

- Vous ne comprenez donc pas ? L'histoire s'est toujours fourvoyée. Les premiers hommes n'étaient pas des singes... c'était un groupe de scientifiques fous qui ont traversés un trou noir.

- C'est impossible... geignit Cameron, dépassé par la situation. Non, ça ne se peut pas. On va... on va remonter à bord de Lucy et se casser de cette planète maudite. Maintenant !

Il fit un pas vers le vaisseau mais Eden l'arrête vivement :

- Non ! Surtout pas, pauvre malheureux ! Peux-tu réfléchir un peu ou ça dépasse tes capacités ? Si nous partons... la civilisation ne naitras jamais. Les hommes n'existeront pas. Nous... nous tous, nous ne naitrons jamais.

- C'est un paradoxe temporel... comprit le capitaine.

- Exactement ! Et je n'ai aucune envie de voir de quelle manière nous cesserions tout à coup d'exister. Et vous ?

Cameron s'arrêta et, pâle comme un linge, tomba dans les pommes. Juliette se tourna vers le scientifique.

- Qu'est-ce qu'on fait, alors ?

- Le plus important est de ne surtout pas contrarier l'histoire. N'oubliez pas que tout ça c'est déjà passé. Notre destin est tracé sur plus de trois millions d'années. Il nous faut mettre tout notre matériel, nos vêtements, notre nourriture, tout, à bord de LucY. Il faut ensuite que nous libérons nos frères et sœurs dans leurs caissons... puis que LucY redécolle. Une fois suffisamment hors de portée, elle devra s'autodétruire et disparaitront avec elle tout ce que nous avons. Nous devons devenir... nous devons retourner à l'âge de pierre. C'est le seul moyen d'être sûrs que la population humaine survive.

Tous acquiescèrent un à un, horrifiés quand à ce qu'ils allaient devenir. Ils firent ce qu'avait ordonné le scientifique et Lucy repartit dans le ciel avec, à son bord, Cameron, qui n'accepta jamais cette idée. Et c'est ainsi que les scientifiques et les techniciens le plus doués que le monde n'a jamais vu, les fruits de trois millions d'années d'évolution, devinrent des hommes préhistoriques... les tout premiers hommes. Et leurs connaissances, leur intelligence, leur volonté de faire un monde meilleur, tout disparut au fur et à mesure des générations, des naissances et des décès.

Depuis le début, l'histoire se fourvoyait, et le professeur Eden tout autant. L'espace-temps n'est pas une courbe... c'est un cercle qui n'a ni début, ni fin. Et chaque fois que nous croyons en tenir un bout, c'est pour se rendre compte que nous sommes revenus au départ.

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