La vie persiste au sein même de la destruction.

Gandhi.


Grâce à la Zabyl, l'ami pouvait décrire avec exactitude, la construction ainsi que leur fonctionnement. Il aurait même pu en reproduire une, sans aucun effort. C'était effrayant. Pourtant, aucun savoir n'aurait pu le préparer à ce qui se déroulait sous ses yeux. Des gens. Des tas de personnes perdaient la vie en une fraction de seconde. D'autres souffraient le martyre pendant des heures, avant de s'éteindre. Seuls, les plus importants avaient pu se protéger en se planquant dans des bunkers, trop souvent au détriment des autres.

« Importants »

Il grogna dans le vide. Pour lui, ces abrutis n'étaient pas plus importants que les autres ! Pendant un instant, il s'imaginait se protéger lui et pas leur peuple. Le simple fait d'oser penser ça le dégouta profondément. Et Ana ? Elle non plus n'aurait jamais, ne serait-ce qu'imaginer, faire cela. Ils n'avaient pas choisi leurs vies, mais ils ne la rechignaient pas pour autant.

Le colosse resta silencieux tout le temps du massacre. C'est à peine, s'il pouvait bouger un membre. Il détestait tous les coupables et se maudissait tout autant de ne pas pouvoir agir.

D'instinct, il comprit que plusieurs mois venaient de se passer. Peut-être même un an. La terre était toujours mortelle, l'eau imbuvable et l'air encore saturé de poison. Les rares survivants avaient fait preuve d'une très grande ingéniosité pour pouvoir rester en vie. Certains avaient pu survivre grâce à des abris de fortune, mais la quasi-totalité des « importants » était morte de faim ou en s'entretuant pour un morceau de viande qui aurait pu en nourrir trois.

Cela fit sourire Anton. Le même sourire qu'il arborait quand ses mains étaient rouges du sang de leurs ennemis. Peu à peu, tout se mourait sous son regard. Pratiquement toutes les terres se noyaient soit sous une mer toxique, soit sous un océan mortel, pratiquement aussi blanc que celui qu'il connaissait. Seule une petite île, qui lui semblait familière, était étrangement épargnée. Bien sûr, le sol y était pratiquement infertile, l'eau potable rare, et la nourriture presque totalement épuisées. Toutefois, certains survivaient encore. Il mit du temps à comprendre, un temps fou. Pourtant, c'était sous ses yeux.

Ils s'étaient regroupés en plusieurs petits groupes, s'entraidant pour la nourriture et l'eau. Se protégeant mutuellement également. Plus rien ne poussait sur cette terre inhospitalière. Cependant, eux y arrivaient. L'ami sentait bien que la vie avait envie de renaître, sans pour autant y arriver vraiment. Il le voyait aux jeunes pousses qui soulevaient vaillamment la terre. Aux animaux qui, par instinct, cherchaient à se reproduire pour perpétuer désespérément leur espèce. Peu survivaient, seuls les plus forts y arrivaient. Il y en avait bien peu. Pourtant, il y en avait bel et bien.

L'ami fit encore un bon dans le temps. Toutes les structures étaient encore détruites, plus rien n'était habitable. Les immeubles mal en point avaient fini par s'écraser sur le sol. Beaucoup de choses avaient sombré. L'océan était devenu définitivement blanc, comme le sien. Tant saturé par le sel, que le simple fait de le toucher était motel. Nombre de personnes qu'il avait torturé ainsi.

Maintenant, les carcasses d'avions, de maisons, ou tout ce qui pourrait encore tenir debout étaient consolidés avec les moyens du bord afin de pouvoir abriter les survivants et les protégés du reste du monde. L'ami fut fasciné. Sous ses yeux, la vie reprenait son cours envers et contre tout. Ils vivaient. Leurs visages étaient sales, leurs habits plus pratiques qu'autre chose, ils étaient maigres aussi et ils portaient encore des masques en tissus sur leurs visages. Le colosse avait compris que ça les aidait à mieux respirer, ce n'était pas un simple bout de tissus. Les survivants tissaient des feuilles entre elles pour filtrer l'air. Une seconde plus tard, il comprit que les plantes étaient du chanvre. Il y avait aussi des enfants, peu, trois ou quatre, mais il y en avait dans chaque camp.

Tout comme les bêtes, l'instinct était plus fort que tout.

Le colosse s'assit. Ses traits étaient tirés. Il était tellement absorbé par ce qu'il se passait sous ses yeux, que rien n'aurait pu le déranger. Pas même Ana. Son cœur se serra brutalement quand il se rendit compte que le genre humain avait la pourriture accrochée à l'âme. Il assista, complètement dépité, au massacre de plusieurs clans innocents. Ils se faisaient dépouiller puis tuer par d'autres pour leurs ressources.

- Ebat'... Brise-lui le cou ! Il beugla dans le vide.

Devant ce triste spectacle, il serra si fort ses mains, que ses os craquèrent sous la pression. Il grogna plusieurs fois, il aurait tant voulu pouvoir les aider ! Ce n'était pas juste ! Encore moins normal !

Pourquoi voyait-il tout cela ?! Quel en était le but ?! Pourquoi ne pouvaient pas t-ils vivre ensemble ?

Juste avant qu'un groupe de femmes et d'enfants ne respirent pour la toute dernière fois, ils s'étaient regroupés entre deux murs, qui ne tenaient qu'à peine debout, pour murmurer entre eux. Ils priaient. Cela rendait fou le colosse ! À quoi bon chantonner, si bêtement, il ne savait quoi ? Et surtout pour un Bog qui les avait oubliés depuis si longtemps ! Il fallait se battre ! S'imposer par la force ! Survivre, qu'importe le prix et le sang ! C'est ce qu'ils avaient toujours fait.

Pourtant, ces gens n'ont pas protesté, une seule seconde, quand ils se sont fait tuer. Cela le laissait sans voix, tant cela le rendait fou de rage.

La terre se mit à trembler. Elle se brisait, en tant d'endroits, que l'ami ne savait pas où regarder. C'était si soudain qu'il crut que c'était de sa faute, que sa colère venait de tout détruire. Après tout, ça n'aurait pas été la première fois. Il voulait tout casser, assassiner sauvagement et brutalement les monstres qui pourrissaient le peu de terre qu'il restait !

Pourtant ce n'était rien de tout cela. La terre se déchirait une nouvelle fois, à cause de Bog. Oui, Bog en personne. Tel un marionnettiste, il remodelait cette unique île, selon ses souhaits ! Se foutant bien que des bons survivants meurent à cause lui ! Lui, qui était capable de faucher des millions de vies en claquement de doigts, usait et abusait une nouvelle fois de ce pouvoir honteux.

L'ami ne put que rester silencieux face à tout cela. Hurler ne servait à rien, frapper non plus. Et supplier ? Hors de question !

Le colosse ne l'avait jamais fait. Il ne le ferait jamais.

L'île, l'Australie, fut réduite de moitié au moins. Il allait recommencer son massacre, quand le ciel éclata dans un vacarme assourdissant. Un orage éclata, il était si violent, que toute l'eau du globe formait d'immenses rouleaux qui s'écrasaient les uns contre les autres. Laissant parfois le fond marin a découvert, là aussi la vie subsistait. En levant les yeux, le colosse put voir un spectacle tout à fait inédit. Même pour lui.

Bog, dans toute sa splendeur, se faisait remettre à sa place par des anges. Ses fils et ses filles. Les enfants combattaient leur père avec tant de vaillance et de force que l'ami sentit une pointe d'admiration naître en lui.

- Ebat'... si on me l'avait dit, j'l'aurais pas cru...

Tout en se frottant le torse, il s'allongea sur le dos, croisa ses chevilles, mit ses mains sous son crâne et continua à regarder ce spectacle pour le moins étrange.

- Fils et filles ! hurla Bog, qui avait perdu de sa superbe, sa voix provenait de partout et nulle part à la fois, cela fit une drôle d'impression au colosse.

Ses cheveux blancs étaient gluants de son sang, un sang gris et épais. Sa toge, autrefois claire et parfaitement ajustée sur son corps rachitique, était maintenant déchirée et sale.

- Mes enfants, reprit-il le souffle coupé, je vous tuerai tous !

- Nous te tuerons tous ! répliqua aussi tôt un ange en brandissant une épée au-dessus de sa tête. Qui transpirait la haine et le mépris pour son créateur.

- Tu n'as que trop tué, Père ! Tu es un assassin ! Rajouta un autre avec du venin dans la voix.

- Je suis un assassin ?! Pauvres idiots ! Avez-vous vu ! Les avez-vous regardés ?!

- Bien sûr ! Ragea une de ses filles qui semblait féroce.

Du moins assez pour que le colosse n'ait pas envie d'aller lui chercher des poux. S'il l'avait pu, bien évidemment.

- Ils se détruisent ! Les êtres humains s'autodétruisent ! explosa le père, un mélange de sang et de salive coulait le long de sa mâchoire. Même ainsi, il était effrayant. Son regard était révélateur, ses prunelles flambaient d'une rage féroce peu contenue.

Les enfants restèrent un instant interdit, ils n'étaient pas dupent. Les anges savaient pertinemment qu'il pouvait encore tuer sans effort. Eux aussi n'avaient plus aussi fière allure, leurs toges ne tenaient parfois que grâce à de fins bouts de tissus. Leurs ailes n'étaient plus aussi blanches et certains n'en avaient plus.

- Punir les fautifs oui ! Mais assassiner froidement des innocents en masse non !

- Tu ne nous as pas enseigné cela ! Rajouta une autre qui avait les yeux brillants de haine. Il ne tenait plus debout seul, portant l'ami compris qu'il ne se laisserait pas abattre sans combattre. Il le voyait à ses mains tendues contre son corps, il était prêt à y laisser sa vie sans aucun doute.

- Je suis leur créateur ! Votre créateur ! Rugit Bog en écartant les bras, le sourire qu'il affichait donna des frissons a Anton.

Ce démon, en habit blanc, ne chercha pas une seule seconde à cacher sa menace. Bog n'eut pas le temps d'en rajouter plus, que ses enfants lui sautèrent, une nouvelle fois dessus, avec la ferme intention de le tuer. Ils y arrivèrent en quelques minutes seulement, mais juste avant que Bog ne disparaisse à jamais en emportant un nombre incalculable de ses enfants, eurent le temps de les maudire une dernière fois.

- Vous mourrez tous ! Et votre survie ne sera possible que grâce à EUX ! Du bout du doigt, il désigna le reste des êtres humains tétanisés en contre bas.

Son tout dernier mot claqua dans l'air, si violemment, que le colosse se raidit. L'un de ses bras se colla sur sa hanche par réflexe, grognant quand il se rendit compte qu'il n'avait pas son couteau sur lui.

Au-dessus de lui, Bog disparaissait dans un nuage sombre et visqueux, ainsi que quelques-uns de ses enfants qui moururent aussi. Seule une poignée d'entre eux restèrent dans les cieux. Ils changèrent tous d'apparence ; d'êtres lumineux et magnifiques, ils passèrent à l'état d'ombres aux couleurs pastels.

Se redressant sur ses coudes, il fixa les cieux sans ciller. Elle. La zabyl. Celle qui les avait maudits l'observait. Elle, qui avait à la fois foutu leur vie en l'air et l'avait changé du tout au tout, avait à la fois assassiné son père, Bog, et était tout aussi maudite qu'eux.

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