CHAPITRE 15 - Tendresse et tragédie

I don't recognize these eyes

I don't recognize these hands

Please believe me when I tell you

That this is not who I am

If I recover, will you take me back again?

- I was me, Imagine Dragons


Après avoir passé une nuit blanche à me tourner dans tous les sens dans un lit devenu inconfortable, je me lève pour la dernière fois chez Milo. Je me prépare rapidement avant de boucler ma valise et me dirige vers la cuisine que j'espère déserte, trainant mes bagages derrière moi.

Il est là, adossé au comptoir de la cuisine, les bras croisés. Il semble m'attendre et cette seule pensée me serre le cœur. Ses yeux se fixent sur moi et je suis tentée d'abaisser mes défenses mais je ne fais rien, me contentant d'avancer, la tête haute, vers la porte d'entrée.

Peut-être qu'un mot, une parole, m'aurait convaincue de rester ou du moins d'avoir une seconde conversation avec Milo, mais il ne bronche pas. Je sors de la maison, le cœur lourd, et me dirige vers la petite Fiat qui m'a conduite jusqu'ici. Je charge ma valise et, jetant un dernier regard sur ce qui fut un havre de paix durant un peu plus d'une semaine, m'engouffre dans la voiture. Il fait atrocement beau aujourd'hui. Le printemps arrive doucement, me chassant du cœur et de l'esprit de Milo. Je réprime quelques larmes et démarre la voiture qui émet un ronronnement apaisant.

Je fais demi-tour sur la cour et remonte le chemin blanc. Alors que ma vue se brouille de plus en plus à chaque mètre parcouru, je jette un coup d'œil dans le rétroviseur. J'espère y voir Milo me courir après et me supplier de revenir pour que oui, on retente de vivre une belle histoire, mais le sentier demeure douloureusement vide.

J'autorise une perle salée à couler le long de ma joue mais chasse les autres larmes, me concentrant sur ma conduite. Dix ans après, je tire un trait sur ma seule histoire d'amour. Du moins, je tente de le faire.

--

J'arrive à Florence deux petites heures après mon départ. Je jette un coup d'œil sur les vols à destination de Paris et en déniche un pour le soir même, me laissant toute la journée pour ruminer ma défaite. Le cœur lourd, je me promène une dernière fois dans la ville et me promets que je ne remettrais plus jamais les pieds ici, la douleur de cet échec étant bien trop vive.

Je ne regarde même pas où je vais et laisse mes pieds me guider dans cette ville qui hébergea, il y a dix ans, un amour indescriptible que je ne comprends toujours pas et qui sommeille en moi. Je laisse quelques larmes faire leur chemin habituel sur mes joues et espère que cela m'apaisera. Mais il n'en est rien. J'ai l'impression de souffrir encore plus qu'avant mon arrivée en Italie. Milo est parvenu à me briser le cœur une seconde fois, force est de reconnaître qu'il est doué pour cela. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire, qui ressemble probablement plus à une grimace, face à cette pensée.

Il doit être aux alentours de seize heures quand je réalise où je me trouve. Mon subconscient, probablement, m'a mené au café où Milo et moi avons partagé de nombreux moments de bonheur. Ce même café où je suis retournée dix jours plus tôt. Je me retiens de rire face à cette ironie du sort, et décide de m'installer à nouveau en terrasse. Quelle meilleure façon de boucler mon voyage ici que de boire un ultime ristretto ?

Je passe ma commande et m'enfonce dans le siège, offrant mon visage au soleil éclatant. Sa chaleur s'insinue dans les pores de mes joues et m'apaise légèrement. J'autorise mes yeux à se fermer, tentant de vivre un petit moment de paix au milieu des bourrasques douloureuses que m'inflige mon cœur. Un effluve de café m'indique que ma commande est arrivée, mais je ne rouvre pas mes paupières pour autant, m'accrochant aux rayons lumineux comme si ma vie en dépendait.

Pourtant, alors que mon cœur commençait à s'apaiser, une ombre vient glacer mes joues et me prive de la chaleur réconfortante du soleil. J'ouvre les yeux, rageant déjà contre un possible nuage ou un passant, mais ce que je découvre devant moi me coupe le souffle.

Ses cheveux bruns baignent dans la douce lumière de l'étoile descendante et il m'apparaît comme un ange venu sauver mon âme. Ses yeux sont aussi noirs que le café et me scrutent, remplis d'un mélange subtil de douleur et de soulagement. Son visage, lui, est crispé et je remarque ses cernes, ces marques violettes que je n'ai pas vues ce matin. Seule sa bouche affiche un léger sourire que je ne sais pas comment interpréter. Mon cœur bondit dans tous les sens, partagé entre le bonheur de le voir ici et la rancœur toujours présente.

Je déglutis difficilement et m'enfonce encore plus dans le siège, espérant sûrement disparaître et éviter de l'affronter à nouveau. Sans attendre un quelconque signe de ma part, Milo s'assoit en face de moi. Il jette un rapide coup d'œil à la tasse de café déjà froid et fait un nouveau sourire empreint de nostalgie. Deux sourires pour le prix d'un, c'est mon jour de chance !

Figée, je l'observe sans retenue et tente d'analyser les raisons qui l'ont poussé à venir me retrouver à Florence. Pourquoi ne m'a-t-il pas retenu dès ce matin, quand j'étais encore à portée de main ?

— J'avais peur de ne pas te retrouver, commence-t-il avec un léger sourire. C'est le dernier lieu où je pensais te voir.

Je me retiens d'étirer les lèvres, ne voulant pas lui faire ce plaisir. La peine qu'il m'a infligée hier soir est toujours présente et ne compte pas s'en aller en un coup de vent. Milo semble s'en apercevoir et son sourire se fait rapidement la malle. Il se racle la gorge et pose sa main sur la table ronde, tout proche de la mienne.

— Erin, je... j'ai très mal réagi hier soir. J'en suis vraiment désolé.

Ces quelques mots m'apaisent déjà un peu et me permettent de me détendre. Pourtant, je n'oublie pas ses paroles de la veille et attends une quelconque explication. S'il est venu me retrouver ici, ce n'est pas uniquement pour me présenter ses excuses, n'est-ce pas ? Suis-je à nouveau une idiote d'espérer plus alors que je suis toujours meurtrie ?

— Je ne peux pas effacer tout le mal que l'on s'est fait mutuellement il y a dix ans, et je suis désolé d'avoir ignoré ta propre souffrance. J'ai juste... du mal à affronter le passé, de manière générale.

Avec surprise, je remarque ses yeux se remplir de larmes. Il inspire profondément en levant le visage vers le ciel afin d'empêcher les perles de couler. C'est la première fois que je le vois dans cet état-là et sa profonde tristesse me fait oublier ma colère contre lui. Je saisis sa main, son contact électrifiant ma peau, et la serre. Il baisse son regard vers moi et me fait un léger sourire avant de m'étreindre les doigts à son tour. Ce lien entre nous, ce contact qui parle à notre place, est tellement puissant que je ressens toute sa tristesse me frapper de plein fouet.

— Ces dix dernières années n'ont pas été tendres avec moi, murmure-t-il sans quitter mes prunelles.

J'acquiesce, avide d'enfin découvrir ce nouveau Milo pour qui la vie semble être une souffrance, et caresse doucement sa peau dure de mon pouce.

— Quelques semaines après que tu sois partie de Florence, il y a dix ans, mes parents sont décédés dans un accident de voiture, lâche-t-il après un long moment de silence.

Mon cœur se serre et souffre avec lui, nos larmes coulant au même moment. Je me doutais qu'il était arrivé quelque chose à ses parents mais je n'osais pas m'avouer qu'il ait pu vivre un tel drame. Je regrette d'avoir fermé les yeux sur cette intuition et de ne pas avoir su déceler les signes évidents de sa tristesse et de son deuil perpétuel.

Je ne peux m'empêcher de penser que c'est à cause de cet événement tragique que je n'ai jamais reçu une autre lettre. Ce n'était pas un abandon de sa part, du moins pas de façon aussi claire. Il vivait quelque chose d'horriblement dur pour un jeune homme et, au lieu de se raccrocher aux personnes aimées comme certains le font, il s'était isolé et avait cultivé sa peine et ses rancœurs durant toutes ces années.

— Je n'étais pas du tout prêt à ça, continue-t-il, la voix voilée par les sanglots. C'est pour ça que je m'occupe du domaine viticole. Je ne supportais pas l'idée de le vendre et de laisser leur héritage s'envoler...

J'acquiesce, comprenant son besoin de s'attacher à ses racines et d'honorer la mémoire de ses parents. Je perçois du soulagement dans ses yeux mais un nuage de tristesse plane toujours au-dessus de lui. Il ne me dit pas tout, mais je n'insiste pas. Cet immense pas qu'il fait aujourd'hui me réchauffe le cœur, bien que ses aveux me retournent l'estomac.

— On n'est jamais prêt à faire face à une tragédie, murmuré-je, entrelaçant mes doigts aux siens.

Il laisse ses larmes couler librement et emporter sa peine. Je ne l'avais jamais vu pleurer jusqu'à présent. Cet échange, bien que terriblement douloureux pour nous deux, me permet de découvrir une facette de ce nouveau Milo abîmé par la vie.

— Quand tu as fait ce repas il y a deux jours... J'étais parti me recueillir sur leur tombe. Je le fais au moins une fois par semaine, pour ne pas rompre ce lien familial, je suppose...

Je me sens d'autant plus stupide lorsque je me rends compte à quel point j'ai été puérile. Mes joues s'empourprent et j'ai soudainement chaud, sentant la honte m'envahir.

— Je suis atrocement désolée... murmuré-je, les yeux baissés sur nos mains jointes.

— Tu ne pouvais pas savoir, me rassure-t-il en resserrant la pression de sa paume contre la mienne.

J'acquiesce, à moitié convaincue par ses paroles. Un long silence s'abat sur nous et j'ai l'impression de sentir son cœur battre à tout rompre au bout de mes doigts. Je relève les yeux vers lui et me retrouve à nouveau chamboulée par cet homme dont la vie m'est quasiment inconnue.

— Ne pars pas, s'il te plaît... lâche-t-il comme une supplication.

Ce que je lis dans ses yeux, sa détresse et sa tristesse, font chavirer mon cœur. Ne m'abandonne pas. Je secoue vivement la tête, ne supportant plus de ressentir sa douleur. J'ai été inconsciemment convaincue de rester dès lors qu'il s'est interposé entre moi et le soleil.

Milo s'est enfin ouvert à moi, mais je sais qu'il ne m'a dévoilé qu'un pan de ce qu'il a vécu durant ces dix années. Elles ne l'ont visiblement pas épargné et son âme est teintée d'une tristesse qui résonne en écho dans ma poitrine.

Peut-être que pour trouver mon bonheur, il faut d'abord que je lui rende le sien. 


___


Hello ! 

Le chapitre 15 s'est un peu fait attendre, désolée... J'ai accumulé un peu de retard avec le déconfinement ! Je pense que mon rythme de publication va un peu ralentir mais je vais essayer de le maintenir :)

Alors, que pensez-vous de ce chapitre ? Milo semble avoir eu une révélation ?

En parlant de révélation... que pensez-vous de la sienne ? 

Est-ce que vous le boudez toujours ? :(

J'espère que cette semaine s'est bien passée pour vous et n'oubliez pas de continuer à faire attention à vous ! 

- Clara




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