18. Shelley : Les papillons

L'après-midi s'écoule comme un brouillard. Les mots de Haru résonnent en boucle dans mon esprit : « Nous jouons avec le feu. » C'est vrai, et peut-être que mon obsession nouvelle pour Noah en est la preuve vivante.

Le centre-ville est animé lorsque je quitte l'ambassade. Les vendeurs du marché crient leurs offres près de la rivière Spree, les étals débordent de fruits et de babioles électroniques. Le brouhaha est assourdissant, mais mes pensées sont ailleurs : flottant autour du club et de ses androïdes. Je me faufile à travers la foule, mes sens en veille. Chaque visage, chaque geste, devient flou et indistinct. Les notifications de ma puce connectée vibrent doucement sous ma tempe, mais je ne prends pas la peine de vérifier les messages. Le monde me semble lointain, irréel. Ce que j'ai vu chez Haru, ce que j'ai ressenti en pensant à Noah, cela m'aspire dans une spirale de curiosité, étouffant toute autre considération.

* * *

La nuit est tombée lorsque je me retrouve devant l'entrée du Club Frankenstein. Revenir ici n'est pas le fruit du hasard. Chaque seconde depuis le rêve de l'aéroport m'a conduit irrémédiablement devant cette porte. En quittant Haru, je savais déjà que je reviendrais au club. Ce besoin de réponses, ce besoin insatiable de le revoir m'y pousse.

Les néons du Club scintillent dans la nuit, projetant une lueur rose et bleue sur le trottoir. Je prends une grande inspiration, surprise de voir des dizaines et des dizaines de personnes faire la queue devant l'établissement. Une file de tenues affriolantes s'étire sur une longue portion du trottoir. J'observe de nouveau sa devanture à la recherche d'une indication d'une soirée quelconque, mais il n'y a rien de plus que d'habitude : simplement son enseigne néon violette aux grandes lettres cursives.

Je finis par m'approcher de deux jeunes femmes qui font la queue et leur demande :

— Excusez-moi, il y a un événement particulier ce soir ?

Les deux filles, une blonde un peu potelée et une rousse aux cheveux tressés et innombrables grains de beauté, me répondent d'un air alcoolisé :

— C'est les cinq ans du club ce soir. Ils transforment les étages supérieurs en une immense boîte de nuit ! dit la jolie blonde en agitant ses mains avec enthousiasme.

Je souris en les regardant s'affoler comme deux adolescentes avant le concert de leur boys band préféré. La file devant le club est typique des nuits berlinoises. Les gens portent des vêtements en matériaux réfléchissants, certains avec des implants bioluminescents qui scintillent sous la lumière des néons. La musique électronique, étouffée par les murs du club, se mêle aux rires et aux conversations animées.

J'hésite à tourner les talons ; je ne m'attendais pas à ça. Plantée devant les deux fêtardes, pensive, je suis ramenée sur Terre par la blonde qui s'écrie :

— T'es toute seule ?!!! Tu veux venir avec nous ?!!!

Je souris davantage, réalisant à quel point elles sont imbibées.

— Shhhh ! Arrête de hurler comme ça... dit son amie en la poussant un peu. Ils vont jamais nous laisser entrer sinon.

— Je t'avais dit que... que je tiens pas l'alcool, glousse l'autre.

Je retiens un petit rire et réponds :

— Je ne sais pas si je vais rester... J'avais quelque chose de bien précis en tête.

— Ah, ouais ? Quoi ? réplique la blonde.

Elle penche la tête, curieuse.

— Je voulais... retrouver quelqu'un.

La rousse réplique, arquant un sourcil :

— Oh ! Tu connais quelqu'un qui bosse ici ?

Je me sens rougir et sourcille, ayant un peu honte d'avouer :

— Non, je voulais... Je voulais revoir l'un de leurs... androïdes.

Les deux filles me regardent avec de grands yeux brillants, puis la blonde me tape sur l'épaule comme si nous nous connaissions depuis toujours.

— Oh, ma pauvre ! Toi aussi, t'es tombée amoureuse d'un robot ? lance-t-elle.

Elle se tourne vers son amie et ajoute en feignant des pleurs :

— J'arrive toujours pas à oublier Milan ! J'ai beau être fiancée depuis six mois et aimer Jakob... je te jure que Milan reste dans ma tête quand on... quand on fait la chose.

La rousse la pousse légèrement.

— C'est peut-être Milan le robot que tu devrais épouser, ma vieille, la taquine-t-elle.

J'apprécie de voir leur amitié et me détends un peu.

— Comment tu t'appelles ? me lance la rousse. On est tellement impolies ! Moi, c'est Sophia et elle c'est Charlotte, dit-elle en pointant son amie du doigt.

— Je m'appelle Shelley, je réponds en souriant. Enchantée.

Sophia me dit en me prenant par le bras :

— Alors, tu fais quoi ? Tu restes avec nous ? Peut-être que ton androïde sera là, qui sait ? Ils ont prévu un show spécial à une heure du matin.

Elle me fait un clin d'œil.

Je réfléchis, puis finis par hocher la tête.

— OK, dis-je, Oui, je reste avec vous.

Les deux filles m'acclament comme si j'étais déjà des leurs et m'attirent dans le cœur de la foule. Leur excitation est contagieuse. Le club scintille de promesses. Je souris, me trouvant complètement folle, puis lève les yeux vers les étoiles. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai des papillons dans le ventre.

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