Chapitre 13 - Deux, trois

Aujourd'hui il fait froid et gris. J'ai taffé deux, trois sons, vu deux, trois potes et essayé deux, trois bonnets à cent balle pièce pour finalement repartir avec une casquette des Yankees.

Ma conscience à moitié endormie s'est scandalisée devant le prix onéreux d'un bout de tissu de dix centimètres carré.
Comme si c'est elle qui allait le porter.

M'enfin, j'ai toujours été raisonnable. Plus je prends de l'âge, plus je pense aux conséquences et moins j'suis tenté par mon petit sheitan sur l'épaule gauche.

J'adore Paname quand c'est l'automne. J'ai fait un petit tour du tiekar et j'me suis acheté deux trois bouteilles de liqueur pour m'exploser le crâne.

Être raisonnable tout le temps, c'est auch'.

J'ai trouvé un vélib dans une impasse. Alors j'ai fait deux, trois aller-retour près du canal avant de rentrer.
Et c'est là que je me suis rappelé,
quand j'ai vu que la petite m'harcelait,
pour son bijou de merde en acier.

- C'est de l'argent, dit-elle avant de me l'arracher.

- Peu importe, c'est cheum.

Elle l'accroche à son oreille sans un mot. Tandis que je me couche à plat sur son lit.

Je n'arrive pas à croire que j'ai accepté de lui ramener cette merde qui lui pend à l'oreille comme un gros bouffon. Autant dire que son plan a marché à la perfection.

C'est drôle et à la fois déroutant, puisque je sais qu'elle fait tout pour me revoir, quitte à me prendre pour un con. Mais je continue, juste pour voir jusqu'où ira aller son imagination.

Sa piaule est grande et mal rangée. Des affaires trainent ça et là, un soutif pendouille au dessus de sa tête de lit, et un pot de yaourt lui sert de cendrier sur une chaise qui s'est appropriée par déduction, la fonction de table de chevet. Son armoire déborde d'habits mal pliés, et la fine pellicule de poussière qui siège sur sa coiffeuse la fait éternuer par moments.

Je la jauge tandis qu'elle s'applique quelque chose de noirâtre sur ses cils, censé l'embellir.

Elle porte une robe courte et près du corps dévoilant le peu de formes qu'elle a. Ses jambes ne sont couvertes que de collants résille et ses Docs Martens viennent finaliser sa tenue.

- C'est comme ça que tu sors ? Je demande.

- Oui ? Dit-elle en cherchant mon regard à travers la glace.

- Tu vas à une soirée ou tapiner ?

- Ne sois pas vulgaire.

- C'est toi qui l'est.

Elle stoppe son activité et se tourne vers moi en écarquillant ses grands yeux marrons comme si je l'avais insulté.

- C'est mon style, OK ?

- Et c'est mon avis.

- Je suis à l'aise avec ce que je porte, c'est l'essentiel.

- Nan.

Elle rebouche son tube.

- Et pourquoi ça ?

- Si tes parents te voyaient, tu crois qu'ils te laisseraient ?

Elle roule des yeux.

- Tu comptes jouer leur rôle ?

- Nan, mais tu sors pas comme ça.

- C'est toi qui vas m'en empêcher ?

Je me redresse et la défie du regard.

- T'as raison, si tu veux être un garage à bites, c'est ton problème, pas le mien.

- Pourquoi t'es méchant ?

- J'suis pas méchant, j'suis réaliste. J'ai eu ton âge et j'ai eu la bite en feu, moi aussi.

Je crois que tu l'as toujours.

- Alors crois-moi qu'à tes soirées chelous là, les mecs ne font qu'une bouchée des meufs fringuées comme toi.

- J'sais me défendre, t'inquiètes pas. Et puis moi, je ne fais envie à personne de toute manière.

Je n'ose pas répliquer à la dureté de ses mots et préfère me questionner sur la raison de leur emploi, pendant qu'elle maquille un peu plus ses yeux en commençant par deux, trois traits noirs.

- T'as vu comment tu te maltraites ? Normal que tu ne fasses pas envie.

Elle s'arrête à nouveau et me regarde, toujours à travers le miroir.

- Arrête de te maquiller à la skeleton déjà, c'est moche.

- Et tu crois que c'est toi qui va me donner des conseils beauté ?

- Tournes toi.

- Non.

- Fais pas l'enfant.

Elle souffle, puis pivote lentement pour se trouver face à moi. Elle croise les jambes et s'accoude nonchalamment au meuble pour me lancer son je m'en foutisme au visage.

Mais il n'en est rien.

Elle est juste mal à l'aise et a peur de son image.

- Quoi ? Aboie-t-elle, agressivement.

- Détache tes cheveux.

- Nan.

Elle flanche et retire l'élastique pour défaire son chignon négligé, ses longs cheveux lisses retombent souplement de part et d'autre de son visage. Ses traits sont durs et faibles. Elle refuse de me regarder. Je pense avoir touché un point sensible, une fois encore.

- C'est bon ? Monsieur est satisfait ?

- N'ajoute rien.

- Comment ça ?

- Pas de rouge à lèvres, pas de truc pour les joues et tes conneries que tu mets sur tes yeux. Restes simple.

- Pas possible.

- Pourquoi ?

- C'est pas moi.

Elle se retourne et tire la peau de son visage avec lassitude.

- J'suis pâle, j'ai des cernes, j'ai pas de couleur, je suis terne.

- Parce que tu crois que la triple couche de noir que tu te coltines ça t'illumine ? Je m'enquis, ironique.

- Arrêtes, t'es chiant là.

Elle débouche un autre tube et je soupire, sans tenter de lui tenir tête. A quoi bon de toute manière, qu'elle ne sache pas se mettre en valeur est le cadet de mes soucis, j'ai simplement voulu lui donner deux, trois conseils, puisqu'elle semble éprouver un mal être à ne pas être courtisée.

Une feuille traine au sol, je la ramasse et lis par inadvertance, les mots déversés dans une écriture fine et soignée.

« Sans titre (38)

Il a souri et j'ai souri, avant de sceller nos lèvres puis nos corps pour le reste de la nuit... »

Je n'ai pas le temps de survoler la suite que le morceau de papier m'est déjà arraché.

- T'as que ça à faire de fouiner ?

- Elle était à mes pieds, détends-toi.

Elle la déchire deux, trois fois avant de la jeter dans la corbeille située non loin d'elle.

- Comment tu me trouves ? S'enquit-elle, soudainement.

- Pardon ?

- Tu ne me trouves pas attrayante ?

Elle se mord la joue, ses yeux dans les miens, pris complètement au dépourvu.

C'est une question piège. Il faut que je l'esquive ni vu ni connu.

- Perçois-je un soudain manque de confiance en toi ?

- Rien à voir.

- J'aime tes mots. Ils me font un truc, je lui avoue.

- C'est pas le sujet.

- Fais-moi lire un de tes trucs et je te répondrai.

Elle semble hésiter deux, trois secondes, puis croise les bras sur sa poitrine.

- Jamais.

- Tant pis.

- T'es nul, geint-elle, tu joues pas le jeu.

- Parce que toi et moi c'est un jeu ?

Elle tique puis reprend.

- Peut-être pas, mais je n'ai pas de mal à te dire que t'as un physique avantageux.

- Merci, de ta part c'est courageux.

Je ricane et elle soupire.

- Si je te demande c'est parce que je ne veux pas me faire d'idées. J'ai cru penser que tu étais intéressé.

Intéressé par qui ? Elle ?
Comment a-t-elle pu le penser ?

J'ai cogité deux, trois minutes puis je l'ai laissé.

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