13. Coup d'un soir
Je prends l'un de mes gros coussins, de mon canapé tout neuf, dont je paierai les mensualités encore quatre mois, et le place devant mon corps nu. Sans pour autant me rhabiller, j'avise le gars avec qui je viens de coucher, les quinze dernières minutes. Thomas. Un parfait inconnu, un brun petit, musicien et baroudeur, un brin imbu de sa personne, mais assez intelligent et très bon communicateur. Nous avons bu un verre, bien échangé, et nous avons convenu de rentrer chez moi. Sans engagement, deux adultes consentants avec des besoins à assouvir.
Je l'ai fait.
Coucher avec quelqu'un est si simple. Se mettre nu est si simple. Mes complexes et ma pudeur, ce sont bel et bien envolés. Ce n'était pas juste Paul, c'est moi, moi qui vais mieux avec mon corps, moi qui n'ai plus du tout peur de tisser une intimité avec un homme.
Alors oui, ce coup-ci, c'était décevant, mais je me sens légère, et c'est gaiement que j'entame un dialogue avec Thomas, en tenue d'Adam et Eve. Maxime déplorait mes lacunes en communication, je découvre chaque jour que ces problèmes étaient uniquement inhérents à notre relation, car me voilà entrain de dire en toute transparence à un homme ce qui m'a plu et déplu dans la rencontre et sa concrétisation. Sans crainte, sans blocage, les mots viennent et nous voilà, en adultes, à conclure que l'un comme l'autre nous étions sur la réserve.
Bon, je lui passe le fait que je n'ai littéralement rien senti, et ris d'autant le déstabiliser.
— Tu es surprenante... D'habitude, c'est moi qui parle beaucoup, qui aide les filles à savoir où elles en sont, qui les décode.
Avec beaucoup de bienveillance, nous clôturons ce chapitre, que je nomme comme officiellement mon premier coup d'un soir. Je ne m'en croyais pas capable et ça y est, j'ai sauté le pas.
Encore une des choses de ma liste à cocher.
Je vis mon célibat, celui que mon ex disait chercher, pour profiter de sa jeunesse, et dont il ne jouira jamais autant que moi. Car il ne me faut qu'une petite heure sur les applications de rencontre pour trouver chaussure à mon pied, maintenant que j'ai admis ne pas vouloir de sérieux et avoir simplement envie de sexe. À moi les histoires légères, dont les règles sont posées de prime abord. Le départ proche d'Arthur pour le Canada a été l'électrochoc qu'il me fallait. Il tombait à pic, en soi, et ça m'a ôté une épine du pied. Désormais, je n'ai personne qui place des espoirs en moi, personne à qui être fidèle malgré moi, hormis... moi.
Je vais papillonner. Je m'autorise à être frivole, à explorer les plaisirs charnels, à voir différents hommes et me faire mon expérience.
J'en suis à trois et déjà je vois à quel point au lit, les affinités peuvent varier. Paul n'était pas aussi bien membré que Maxime, mais au moins il a rendu le moment unique. Là, je réalise à mon grand dam que le sexe, ça peut être vraiment... pourri. Mais j'en garde un excellent souvenir, pour toute la partie honnête de la discussion à la fin, et pour ce que ça révèle de moi.
Et évidemment, je ne garde pas secret. Dans la foulée, mon groupe d'amis récolte une vidéo anecdote, où je raconte ma soirée. Je suis guillerette mais ne suis pas tendre avec Thomas, en exposant la petite taille de son engin et en criant sur tous les toits que je me suis ennuyée. Je m'en veux presque, cependant dois-je avoir des scrupules face à un homme prétentieux ? J'arrête mon vlog sur :
— Il a eu plus d'une vingtaine de conquêtes sexuelles, je prenais ça comme gage de savoir-faire, alors qu'en fait... Il en a eu autant, parce qu'aucune ne réitérait...
Les réactions ne tardent pas après mon envoi. Clément bougonne, comme à son habitude, et le reste du groupe se marre. J'échange quelques mots avec eux en parallèle de ma routine du soir. Aussitôt dans mon lit, je réouvre la boîte de Pandore.
Je n'ai pas été satisfaite, sexuellement parlant, et il est grand temps de trouver un autre amant. Il me faut quelqu'un, sinon je n'arriverai pas à repousser les avances de Paul, prêt à remettre ça.
Alors, oscillant entre sentiment de culpabilité et plaisir à l'idée de séduire, je swipe à gauche et droite.
En plus d'être chronophage et de m'emmurer dans l'improductivité, Clément dit vrai : c'est un véritable supermarché d'humains ! Une vitrine où tout est basé sur le physique quoi qu'on en dise. J'ai moi-même arrêté d'être hypocrite et je m'accorde de ne « liker » que les hommes que je trouve réellement attirants. Plus que Thomas, si possible autant que Paul. Car sans désir il n'y aura rien, et sans attirance il n'y en aura pas. Voir au-delà des apparences, c'est un jeu réservé à l'amour. J'ai aimé Maxime alors qu'il était l'opposé de mon idéal masculin. Je l'ai aimé de tout mon corps, de tout mon cœur, dévouée au point que même les plus beaux hommes à côté ne pouvaient rivaliser. Mes yeux ne l'ont jamais quitté, malgré les opportunités multiples de succomber aux charmes d'autres, plus grands, plus musclés, plus séduisants. Tout ça pour me faire tromper.
Peut-être qu'en tablant sur plus superficiel, j'éviterai de me brûler les ailes.
Alors, je cherche. Un visage qui me parlera, ou un torse qui me chatouillera.
Je n'ai jamais fait dans le sportif, encore...
Je me mords la lèvre en pensant à Arthur. Mes doigts me démangent, ce serait si simple de l'appeler, d'assouvir mes envies avec lui avant qu'il s'envole pour de bon... Mais diablement égoïste. Il représente, lui, mon idéal. Et il m'a fait part de ses sentiments à mon égard. Je n'ai pas le droit de jouer avec.
Quelle ironie, hein ? Avoir déjà trouvé celui qui m'exciterait, et devoir renoncer à ces plaisirs charnels parce qu'il est aussi celui que j'espèrerais... et que je le respecte trop pour l'utiliser comme un jouet.
C'est trop tôt. Trop tôt pour repenser à une relation sérieuse, mon cœur brûle encore. Et pourtant... j'en crève d'envie. Ma libido aussi.
Rageusement, je balance mon téléphone à l'autre bout du canapé.
Tu fais n'importe quoi, Cléo.
Est-ce moi qui parle, ou la voix ennuyée de Clément qui fait écho dans mon crâne ?
Mais si je l'écoute, c'est dans ses bras que je tomberai et ça, je ne peux pas me le permettre.
Alors, à peine deux heures plus tard, en insomnie, je continue à swiper, liker, flirter, avec en prime une deuxième application de rencontre téléchargée. Je passe de l'une à l'autre, constatant que même si certains profils apparaissent sur les deux plateformes, les objectifs sont bien différents : Fruitz promettait des rencontres plutôt sérieuses, mais Tinder est la jungle du sexe. Autrement dit, mon nouveau terrain de jeu favori.
Je ne m'endors qu'une fois un autre rendez-vous de posé avec un certain Alessandro, pour le surlendemain au soir.
***
Il est seize heures trente passés quand j'essaie d'appeler le père de la petite Nina pour la troisième fois depuis mon portable personnel, tout en livrant à la petite fille un sourire rassurant. Je ne laisse rien paraître afin de ne pas l'inquiéter, mais c'est bien la première fois que son père, Benicio De Souza, cet ancien champion de MMA, est en retard pour la chercher. D'une voix légère, je me décide à laisser un message sur la boîte vocale de l'habituel ponctuel, puis cherche dans l'un des placards de la pièce un puzzle, un brin compliqué pour son âge, afin d'occuper un moment la brunette de sept ans.
Conciliante et obéissante, Nina ne pose aucune question et se lance dans l'activité avec gaieté. Je passe une main dans ses boucles foncées, dont une partie est nouée en queue de cheval au sommet de son crâne, et l'observe en silence, prête à lui venir en aide pour assembler les pièces si elle le demande... ce qui n'arrive pas, car si elle a pris le charme physique brésilien de son géniteur, elle a assurément pris le caractère entêté et indépendant de sa mère espagnole.
Vive d'esprit et pleine de douceur, j'ai parfois du mal à me dire qu'elle est le fruit d'un lutteur invétéré et d'une explosive danseuse itinérante.
Il faut le reconnaître, derrière sa tonne de muscles et les stigmates de ses combats dont les réussites sont tatouées de ses phalanges à son cou, monsieur De Souza a fait preuve d'une éducation bienveillante, complète et stimulante en tous points de vue.
En parlant du loup, c'est enfin lui qui toque à la porte fenêtre, m'arrachant un sursaut par la même occasion. C'est un frisson indéfinissable qui me parcourt en le découvrant en tenue de sport, comme s'il sortait d'entraînement.
Il est encore plus séduisant qu'avant ou c'est juste moi qui suis en manque ?
Benicio De Souza repousse les bouclettes noires qui tombent sur son front et se gratte le menton, rasé à blanc. Ainsi, il fait bien dix ans de moins... et colle complètement à mon type d'hommes.
Je secoue la tête afin de reprendre mes esprits.
— Monsieur De Souza ! m'exclamé-je en lui ouvrant.
— Papa ! s'écrie Nina, lâchant son chef d'œuvre pour lui sauter au cou.
Le colosse enlace sa fille et la brandit en l'air. Comme si elle ne pesait pas les vingt-deux kilos que j'ai du mal à soulever en l'aidant à marquer des paniers lors de l'activité basket ! La force qui émane du compétiteur réformé somme au respect... tout semble plume, au bout de ses larges mains.
Le débardeur blanc colle au torse de Benicio et met en valeur ses bras, dont j'avais minimisé la stature. Je sens mes joues s'empourprer quand mes yeux descendent le long de ses veines apparentes. Je n'ai jamais eu aucune idée déplacée envers qui que ce soit parmi les parents d'élèves, y compris lui... Et pourtant, l'envie commence à m'effleurer, à mesure que je comprends qu'il me soulèverait et me plaquerait contre le mur d'un doigt s'il le voulait...
Le rire chatoyant et innocent qui résonne soudain ampute ma luxure. Ce tendre spectacle est un baume au cœur car la parentalité dans le quartier prioritaire où je travaille n'est que rarement légère et sécurisante. Mes lèvres s'étirent en une expression ravie que je vois dans le reflet des yeux marrons du lutteur. Son visage basané, aux traits taillés à la serpe, se fige une micro seconde dans le sourire qu'il me renvoie... Et la lascivité me consume à nouveau.
Pourquoi faut-il qu'il soit si charmant ?
— Je suis navré, dit-il, un accident sur la route... Merci d'avoir pris soin del cielo de mi alma !
Je mime une levée de chapeau signifiant « service ! » tandis qu'il repose Nina au sol. Il plonge alors son regard mordoré dans le mien, dissimulant mal ses intentions à mon égard.
— Comment pourrais-je vous remercier, Cléo ?
Je lui tends le cartable de son enfant en répondant poliment :
— Pensez à me prévenir, la prochaine fois, simplement.
Ou laissons Nina finir son puzzle et allons aux toilettes.
— Maintenant, j'ai votre numéro personnel, fait-il en agitant son portable hors de sa poche de jogging, avant de me dire au revoir.
Et merde.
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