CHAPITRE TRENTE-HUIT




ASAL


Mon regard se perd dans l'immensité de la galaxie. Je suis dans ma cabine, assise en tailleur sur mon lit. Ma chambre est minuscule et cela m'étonne vu la taille de ce vaisseau. À croire que mon confort ne soit plus la priorité. C'est vrai, ils m'ont eue, plus besoin de m'amadouer.

Je lâche un long soupir. Je repense à papa, à maman, à mon frère, à Iremia, à Skepsi... Toutes ces personnes qui ont perdu la vie à cause de moi. Après tout, si je n'étais pas venue au monde, si je n'avais pas cette particularité, si mon don n'était pas aussi puissant, si j'étais une fille normale, rien de tout cela ne serait jamais arrivé.

Au fond de moi, je me sens trahie. Je hausse les épaules, une grimace déformant mon visage. J'ai honte, honte de toutes ces erreurs. Je me laisse tomber en arrière, rebondissant sur le matelas de mon couchage.

Je me revois dans les rues de Tæna avec toute ma famille, les soirées passées en ville. La musique jouée dans les rues. Le flux électrique traversant les câbles transparents. Le rire d'Iremia qui résonne. Ma tête est submergée par ces souvenirs, c'est comme une vague qui frappe mon esprit. Je ne veux pas oublier ces détails de ma vie.

Le visage de Thane envahit ensuite mes pensées. Stop. Arrête. Je ferme les yeux. Je n'arrive pas à comprendre comment il a pu m'avoir aussi facilement. Les rêves m'ont influencée dans mes choix. Mon flux contredit mon esprit, il m'a volé l'une de mes lumières. Comment a-t-il fait ? Je serre les dents et rouvre les yeux. Je me redresse et me lève pour me rapprocher de la vitre donnant sur les étoiles, les trous noirs, les planètes, les supernovas, sur toutes ces couleurs que j'ai toujours admirées.

Comment vais-je faire à présent ? Je n'ai plus personne pour me soutenir. Je ne sais pas si je vais réussir à tenir contre toutes ces épreuves. M'ôter la vie serait simple, mais qui sauvera ces pauvres gens voués à la destruction ? Je ne me vois pas comme étant la seule personne dans cet univers à pouvoir sauver nos civilisations mais si je n'aide pas, que se passera-t-il ? Les choses ne pourront pas s'améliorer. Après tout, je serais plus heureuse de mourir en sachant que j'ai fait tout mon possible pour libérer ces personnes.

Que pense Thane à présent ? Il croyait que je ne viendrais pas, que je me tuerais avant de monter. Mais bon sang ! Arrête avec ça ! Oublie le, tu ne peux pas le sauver. Stop.

J'entends un groupe de soldats rire et se chamailler. Comment font-ils ? Je ne connais pas leur degrés de stupidité mais il faut croire qu'ils sont assez aveugles pour suivre l'un des plus grands tyrans de l'Histoire.

Mais peut-on réellement parler d'idiotie ? Ces hommes sont conditionnés depuis qu'ils sont entrés dans l'armée de Thumos. Ils ont subis un lavage de cerveau, ils sont devenus de pauvres pantins, de pauvres bêtes qui suivent leur alpha. L'endoctrinement est un processus complexe, Hippias a su diriger les événements pour avoir ces soldats à sa merci. Triste monde.

La rage, la violence, le mépris, le racisme sont ancrés en eux. Les chaînes d'une idéologie les enlacent. Impossible de s'en défaire. Tristes hommes. La peur, la crainte et la pression du groupe poussent aussi ces soldats à commettre des actes abominables. Comment en est-on arrivés là ? Je lève les yeux au ciel. Après tout, cela a toujours été tel quel.

Je me souviens de mes cours d'histoire terrienne. Les événements se déroulent toujours ainsi : un fou se lève un jour, manipule les citoyens les plus faibles et les plus influençables, il instaure une idéologie, il fait de ces personnes une armée puissante, un coup d'état, une guerre, des millions de morts, un monde dévasté. Je pense sincèrement que c'est ce qui a mené la Terre à la destruction.

Je me redresse et observe avec attention ma minuscule cabine. Un grand hublot me permet d'admirer l'univers. Mon lit est posé en face de ce dernier, il est enveloppé de draps blancs. Une petite armoire, qui comporte mes quelques affaires, est en métal, elle est peinte en noire. C'est tout, rien d'autre. Le sol et les murs sont unis, de couleur gris perle.

Je redoute la suite de ce voyage. M'imaginer sortir de ma chambre m'angoisse terriblement. J'espère que je ne vais pas me retrouver chaque jour avec Thane et son père, ni avec leurs centaines de soldats à des repas. Je ne veux pas parler de stratégies pour tuer des milliers d'innocents. Je ne peux plus supporter toutes ces choses. Je prie pour ne plus avoir d'entraînement, de ne plus avoir à regarder, impuissante, d'autres êtres souffrir, mourir.

Je me lève et sors de ma chambre, j'aimerais trouver Harry pour lui parler de tout cela. Il était proche de Skepsi et il m'a déjà dit qu'elle lui avait parlé de moi de nombreuses fois. Mais j'ai peur, peur de causer sa disparition, comme à chaque fois que je m'attache à quelqu'un.

L'intérieur du vaisseau est simple, Hippias n'a pas fait l'effort de le décorer autant que la demeure de son fils et des androïdes. Mon mouchard me brûle, mes lumières dansent sous ma peau. Je souffre, simplement parce que je ne peux pas laisser mon flux s'exprimer comme il le voudrait, comme il en aurait besoin. Triste vie.

Les lumières de l'hovercraft grésillent à mon passage. Je ne connais pas encore tous les recoins de ce vaisseau, je ne parviens pas à me repérer. Des petites plaques accrochées au mur et gravées attirent mon attention. On dirait de l'or mais est-ce que le tyran de Thumos aurait dépensé autant d'argent pour de tout petits panneaux ? Je hausse les épaules, sûrement.

Je continue de vagabonder sans croiser un seul membre d'équipage. Je n'ai vu aucun androïde, pourquoi ne pas les amener ? Ils sont d'une grande utilité. Ces robots nettoient, s'occupent de vous et sont à votre service. Peut-être qu'ils sont placés dans un compartiment spécial et que je n'y ai pas accès. D'ailleurs, j'ai gardé le bracelet de Skepsi, je l'ai retrouvé dans l'une de mes poches l'autre jour. Malheureusement, il n'ouvre aucune des portes de ce vaisseau. Ce serait trop beau. De toute façon, il doit être cassé.

Je m'arrête en face d'une grande salle, des dizaines de hublots ornent les parois. Au plafond, des centaines de tuyaux comme on en voyait sur Keraunos y sont accrochés. Ma mâchoire se contracte dans un claquement douloureux. Ne craque pas, n'y pense plus. Concentre-toi. Je m'avance un peu plus et je découvre un magnifique salon. De grands fauteuils y sont installés, ils sont en tissus pourpre, les coutures sont dorées. Ma main glisse sur l'un des accoudoirs en bois. Les pieds des fauteuils sont sculptés dans du chêne clair.

Un grand tapis beige recouvre le sol. Il a été tissé par des mains expertes, il n'y aucune imperfection. Un véritables chef d'œuvre. De discrets motifs plus foncés le parcourent. Derrière ce salon se trouve une table accompagnée de plusieurs chaises, j'en compte vingt-cinq. Le chiffre impair me fait grincer des dents. Ce mobilier est fait dans un matériau synthétique, ce qui m'étonne beaucoup de la part d'Hippias... mais il est logique qu'il ait choisi des matières plus légères pour éviter de surcharger le vaisseau inutilement.

Une sorte de grand boîtier m'intrigue et je m'en approche. Je l'examine avec précautions. En soulevant son couvercle, je reconnais une boîte à musique très perfectionnée. Mon père en avait une plus petite que celle-ci. On pouvait enregistrer des musiques, on pouvait composer, écrire et jouer nos musiques mais aussi celles de planètes étrangères.

La musique a toujours été importante pour les habitants de Keraunos. Je tourne quelques boutons dont je pense me souvenir. Soudain, une musique se joue. Je me concentre pour l'apprécier... quelques minutes de répit. Je veux profiter de cet instant. Je viens augmenter le volume puis me poster devant l'un des hublots donnant sur les étoiles.

Je fredonne le rythme et vérifie que la porte soit fermée. Je regarde autour de moi et inspire. Je me mets à danser en fermant les yeux, profitant des sensations qui s'emparent de mon corps. Mon flux fait vibrer mes muscles.


Le grincement de la porte me fait sursauter et je me retourne dans un mouvement vif. Je voulais l'éviter à tout prix, ne pas le croiser dans ce vaisseau. Parce que j'ai peur, oui, j'ai peur de lui, de son père, de toutes ces choses qui vont m'arriver dans les prochains jours.

Et pourtant, le voilà appuyé contre l'encadrement de la porte du grand salon. Les mains dans les poches, le visage détendu. Il semble vérifier que personne ne se trouve dans le couloir ou ne menace de nous voir ensemble.

- Je ne savais pas que tu dansais, souffle-t-il. Je pensais t'avoir forcé l'autre soir sur Thumos.

- Depuis combien de temps est-ce que tu m'observes ? demandé-je.

- Je ne m'amuse pas à compter les minutes, les heures... répond-t-il avec un sourcil relevé.

Thane referme la porte derrière lui. La musique continue d'enivrer la pièce sans être assourdissante. Ses cheveux bruns ne sont pas coiffés comme d'habitude. Ils sont plus désordonnés, moins dominés par le gel et la cire.

Il porte une tunique noire brodée d'argent. Le sceau de sa planète natale gravée sur sa poitrine. Une longue cape gris foncé pend à son cou. Elle caresse son dos, flottant légèrement, bercée par sa démarche.

Les talons de ses bottes en cuir viennent claquer contre le sol du vaisseau mais la musique couvre ce bruit désagréable. Il s'approche prudemment.

- J'ai toujours aimé danser, avoué-je.

Je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça, je ne sais pas pourquoi je me suis sentie forcée d'ajouter ces mots. Un petit sourire, très discret, étire ses lèvres. Il fait un pas de plus.

- Alors tu m'as menti ? dit-il avec une pointe d'amusement.

- Mon père me prenait toujours contre lui pour danser, murmuré-je. J'appréciais tellement être avec lui, profiter de ces instants en sa compagnie. Je me sentais aimée...

Thane est face à moi. Ses yeux gris m'absorbent et je ne peux m'empêcher de garder mon regard rivé dans le sien. Sa cape s'est figée à l'instant où il s'est arrêté à mes côtés. Une légère brise glisse contre moi, chargée d'un parfum que je connais maintenant parfaitement. Un mélange de cuir, de fleurs légèrement poivrées, avec une pointe d'eau de cologne.

- Je n'ai pas eu la chance de vivre ce genre de moments, dit-il tout aussi bas que moi. Ce n'était pas dans nos habitudes de profiter tous ensemble, encore moins de danser. Ironique n'est-ce pas ? Pour les dirigeants d'une planète qui ne cessent d'organiser des bals tous les soirs pour ravir leurs sujets tous plus difficiles les uns que les autres.

Il se met à sourire plus franchement et je me surprends à l'imiter sans même pouvoir me contrôler.

- Je n'ai pas eu l'impression que tu appréciais vraiment cette danse avec moi ce soir là, poursuit-il, rebondissant sur le sujet.

- J'étais effrayée, dis-je. J'étais terrorisée. Je ne pouvais pas profiter de cet instant.

Thane ne semble pas être vexé par ma réponse. Il se contente de soupirer, baissant un instant les yeux vers le sol avant de les ramener vers moi.

- Laisse-moi me rattraper, chuchote-t-il, juste assez fort pour que sa voix se distingue de la musique.

Je veux faire un pas en arrière mais mon flux me bloque sur place. La main de Thane se rapproche de mes cheveux et sans que je ne le comprenne, il vient les détacher délicatement. Ils tombent alors le long de mes joues, dans ma nuque. Les boucles brunes viennent chatouiller ma peau.

La main du soldat se pose ensuite sur ma joue, doucement, comme pour s'assurer que je suis bien là, avec lui. Mon énergie s'affole et les lumières se mettent à danser au rythme de la musique. La lueur qu'il m'a volée la veille suit mon flux.

- Apprends-moi à te faire apprécier ce genre de moment avec moi. Fais-moi découvrir ces instants qui te sont si précieux, déclare-t-il.

Alors, je ne veux plus lutter. J'ai l'impression de fondre sur place. Nos mains viennent s'enlacer et nous nous mettons à danser tous les deux, au rythme doux de la musique qui se répète en boucle depuis plusieurs minutes. Le contact de sa peau est agréable. Il dégage une chaleur douce, lente. Ce feu m'envahit, il se faufile sur l'ensemble de mon corps.

- Apprends-moi à danser comme ton père le ferait. Montre-moi comment te faire sentir aimée... conclue-t-il.

J'ouvre brutalement les yeux. Je secoue la tête pour chasser ce scénario de mon esprit.

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