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Après l'enterrement improvisé, j'avais passé le reste de l'après-midi sur le canapé, rejoint en début de soirée par Maximilian. Eros et Cléa ne m'avaient pas quitté d'une semelle, comme Aerton l'aurait fait si... cela me prenait toujours la gorge d'y penser.

Au-dessus de sa tombe, Maximilian avait planté un rosier. Ce n'était pas ce qui manquait le long du mur qui donnait sur le verger, cependant il n'y en avait aucun là où le chien était enterré. Elles seraient blanches et fleuriraient cet été, normalement.

Les jours qui suivirent, j'avais eu du mal à me concentrer sur mes cours, Maximilian sur ses dossiers... aussi avait-il décrété qu'un tour à terre nous ferait du bien. Se changer les idées. Sortir de la maison où il manquait quelqu'un.

Je ne saurais dire si cela avait été vraiment efficace, mais passer la journée à parcourir la forêt m'avait fait du bien. Ça me manquait bien plus que ce que j'osais m'avouer... puis le soir nous avions dîné au restaurant. J'avais, l'espace de quelques heures, retrouvé Maximilian tel que je le connaissais – et je dois dire que je me sentais soulagé.

* * *

Une semaine s'était écoulée depuis qu'Aerton nous avait quittés et nous avions plus ou moins repris une vie « normale ». Aussi normal que possible quand un être vous manquait, du moins.

Actuellement, je me gavais de pop-corn devant un film, attendant que Maximilian ait terminé de se préparer. Il prenait de plus en plus de temps dans la salle de bain, et je ne trouvais pas vraiment d'explications à ça. Mais ça me faisait sourire.

Je ne suivais pas vraiment le film, aussi lorsqu'il descendit, je n'étais pas frustré de l'arrêter, d'enfiler ma veste et de monter sur le bateau. Au début, j'avais peur de la mer lorsqu'elle était un peu agitée, n'avait aucune idée de comment on naviguait, et peinait à trouver mon équilibre sans tenir quelque chose...

Cependant, ça, c'était avant. Aujourd'hui, Maximilian pouvait me confier des tâches sans même avoir à m'expliquer les termes – parfois, même, je parvenais à anticiper ses demandes. Tout ça, c'était grâce à lui, qui avait pris le temps de tout m'expliquer en long, en large et en travers, plusieurs fois, jusqu'à ce que j'intègre tout.

Et, au final, j'y avais pris goût. Même si nous vivions ensemble et qu'on passait nos journées de cours et de travail dans la même pièce, rares étaient les activités récréatives que l'on avait ensemble. Hormis les séances shopping auxquelles il me traînait de force, les balades en forêt où il me suivait comme mon ombre, les films que je le forçais à voir et l'entretient du potager qui relevait plus de la corvée que du plaisir me concernant, il n'y avait rien que l'on partageait autant l'un que l'autre.

Sauf prendre la mer. Depuis que je m'y étais vraiment intéressé et qu'il avait pris le temps de tout me détailler.


Une fois la terre ferme retrouvée, un tour au centre-ville expédié, nous avions décidé de manger un fish and chips près de la plage. L'ambiance entre nous était bonne et collait parfaitement au soleil rayonnant du jour... même si je sentais que quelque chose travaillait Maximilian. Quelque chose qu'il se bornait à garder pour lui.

Maximilian se décida à lâcher ce qu'il ruminait mentalement depuis des heures :

– Je crois qu'on devrait chercher un nouveau chiot, me dit-il alors, de but en blanc.

Je le toisais avec de gros yeux durant de longues secondes sans savoir quoi répondre. Est-ce que c'était un comportement normal de sa part ? Aucune idée. Est-ce que ce serait une bonne idée pour nous comme pour le chien ? Aucune idée. Que voulait-il que je dise ? Aucune idée.

– Je me disais que si ça m'avait aidé, ça devrait faire la même chose pour toi, précisa-t-il, face à mon silence et mon air perdu.

– Mais, tu es sûr de toi ? Ça fait quoi... Une semaine ? Tu ne crois pas que...

– Je sais, souffla-t-il alors, avant de se reprendre, tout sourire dehors : je ne pensais pas le prendre personnellement.

C'est-à-dire ? lisait-on sur mon visage – ce qui le fit rire – d'ailleurs son rire était vraiment totalement irrésistible...

Il précisa :

– Aerton m'a vraiment beaucoup aidé à me stabiliser, et toi aussi, il t'a aidé à avancer. Alors je me disais que... que si tu avais ton propre chien – un chiot – tu trouverais ton équilibre plus rapidement.

Je prenais la nouvelle sans réagir vraiment. Pour le moment, à part moi-même, je ne gérais rien ni personne.

Contrairement à ce qu'on pouvait penser, jamais je n'avais désiré avoir un animal. J'aurais eu trop peur de m'y attacher et que mon père ne s'en prenne à lui juste pour me faire du mal.

Cependant les choses étaient différentes, maintenant. Des bribes de souvenirs me revenaient, des moments que j'avais passés avec Aerton sous ma forme animale, des sensations de bonheur et de bien-être.

– Je ne suis pas sûr que je sache vraiment m'en occuper... surtout pas quand la Bête est de sortie.

– Tu disais ça aussi quand il s'agissait de naviguer et tu t'en sors bien maintenant.

– Oui, mais... t'es toujours avec moi dessus, il n'y a presque pas de risque que je parte en vrille et... tu ne penses pas que ce soit risqué pour un chiot ? Je veux dire... je pourrais lui faire du mal ou...

Sa main trouva ma cuisse, essayant, comme il le pouvait, de me rassurer.

– Je ne te proposerais pas ça si je n'étais pas totalement sûr qu'elle ne lui fera rien.

Je papillonnais des yeux, incompréhensif :

– Et comment tu peux être sûr de ça ?

– Je ne peux pas mettre des mots sur ce que je ressens. C'est instinctif.

En temps normal, un Lycanthrope suivait son instinct sur tous les aspects de sa vie. 

Cette disposition naturelle innée régissait nos comportements face aux situations, face aux autres, face à soi-même... petit, on racontait des histoires aux Louveteaux, on leur apprenait à l'écouter, à agir en fonction de ce qu'il dictait. Puis, en grandissant, nous en comprenions toutes les nuances, les petites subtilités qui faisaient la différence... que cela soit au sein de la Meute ou au milieu des humains, d'ailleurs.

Edward avait un bon instinct. C'était naturel chez lui. Il observait, écoutait, humait, déduisait et cela tombait toujours juste – c'était d'ailleurs pour cela qu'il était un bon Chef de Meute.

Maximilian, lui, était plus cérébral, plus dans la réflexion. Oh, il avait un très bon instinct, sans doute plus sensible encore que celui de son aîné, mais il y avait toujours une part de réflexion chez lui qui rendait ses décisions moins spontanées, cependant, elles ne'en demeuraient pas moins justes.

Maximilian taquinait son frère sur le fait qu'il était un éléphant dans une verrerie, Edward lui répondait généralement que lui était beaucoup trop subtil pour un Lycanthrope Mâle, un Alpha qui plus était. (Ce qui s'expliquait aisément par le fait que Maximilian était à la base un Bêta).

Là où je voulais en venir, c'était qu'avec le temps, j'avais compris que Maximilian avait un instinct sensible et qu'il mesurait ses paroles en fonction de la situation – pas comme Edward. C'était donc totalement conscient du contexte qu'il me parlait de ça.

Personnellement, j'avais beau savoir que j'avais de l'instinct aussi, comme tout Lycan sur cette terre, je ne parvenais pas à y croire réellement. J'enchaînais généralement les mauvaises décisions et je n'arrivais que difficilement à différencier le bon du mauvais. C'était, en théorie, aux parents d'enseigner cela, mais... moi je n'avais pas eu la chance qu'on m'apprenne à avoir confiance en mon instinct – ça aurait été « au moins ça » de bien – mais non.

J'avais confiance en Maximilian, en son jugement, en son instinct, bien plus que le mien, bien plus qu'en moi.

– C'est ta décision, murmura-t-il avant de m'embrasser sur la joue. Je serais là, je te montrerais, comme avec le bateau.

Mon regard se dirigea naturellement vers la partie du port où les bateaux étaient amarrés paresseusement, attendant de reprendre la mer...

Ça me paraissait fou qu'on veuille me confier la garde et la vie de qui que ce soit... parce qu'en plus d'être Défaillant et instable, je n'avais jamais eu que moi à gérer jusqu'à présent. Alors, certes, je m'occupais des chiens quand Maximilian travaillait, mais de là à dresser le mien il y avait un monde !

Mais peut-être qu'il avait raison, s'occuper d'autre chose que de ma personne apaiserait peut-être mes troubles. Même si je ne me sentais pas vraiment prêt pour ce changement dans l'immédiat...

– Et tu... Tu veux que je prenne quoi ? Un Beauceron, comme toi ?

– C'est à toi de voir, ça ! Du moment qu'il n'a pas peur de ta nature, ça sera bon... c'est plutôt rare, je pense qu'on devra chercher un petit peu.

Pendant le reste de l'après-midi, j'avais ruminé cette discussion.

En mois, je ressentais la conviction que je devais le faire. La même qui m'avait poussé à prendre un paquet de mauvaises décisions tout au long de ma vie... et je ne savais pas si c'était l'idée du siècle de l'écouter. 

Quand bien même Maximilian s'accordait avec elle. 

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