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La cloche qui me rappelait fortement le Moyen-Age venait de sonner. Je me réveillais, très difficilement. On nous avait fait rentrer dans la cellule vers deux heures du matin et ils venaient de nous réveiller alors qu'il n'était que six. Gabriel ne se réveillait pas et ne s'arrêtait de se retourner au fur et à mesure que la corde rentrait en contact avec le cuivre pour trouver du calme. Je n'avais eu autre possibilité que de le secouer, alors que - ce que je prétendais être - un garde martelait ses chaussures sur le bitume. Quelques ronchons avaient suffit pour qu'il se tienne droit, les yeux rouges et renfoncés dans sa chair noircie par les cernes.

Alors que la méchanceté de ses yeux se mêlait au décontracté de son corps, le garde passa sa clé dans la serrure et nous indiqua d'un coup de tête sec la direction à prendre. Nous avions suivi les marquages aux sols et avions terminé notre promenade dans une grande salle à manger, habillés de nos tenues oranges, envahies par l'odeur de la transpiration, qui s'était accrochée à nos pores. J'avais désespérément envie de me frotter la peau avec une eau de javel. Pourquoi pas en avaler une dose par la même occasion...

La nourriture avait l'air dégoûtante. Sur la plupart, je ne savais s'il s'agissait de moisi ou simplement le résultat d'un melange improbable. Gabriel, dont le visage n'avait réussi à masquer ses pensées, peu différentes des miennes, m'avait indiquée une petite table, au fond de cette grande piece. Peut-être était-ce calculé mais nous étions à proximité de la sortie. Plus nous approchions de l'extrémité, plus la lumière du seul néon se trouvant au milieu, se faisait rare, elle se dissipait pour accueillir la sombreur.  Mes bras étaient recouvert de chair de poule, le froid se mélangeant à la peur. J'essayais de deviner les attentions de chaque personne en fixant leurs regards mais je ne tardais pas à baisser le mien, effrayé par le leur. Je n'étais pas à ma place.

Sortez-moi de là. S'il vous plaît. Quelqu'un ?

Gabriel ne me parlait pas. Ses yeux se vidaient pour ressembler à ceux de chaque personne autour de nous. Que dois-je faire ? De temps en temps, il me regardait mais ne tardait à remettre son nez dans sa nourriture, la tâtonnant avec sa fourchette, faisant des dessins, les effaçant puis recommençait. Ainsi de suite. Je ne pouvais m'empêcher de l'admirer. Son doux visage. Ses épaules carrées. Ses cheveux doux. J'avais mis mes mains entre mes jambes pour désespérément les réchauffer mais j'étais toujours autant frigorifiée. Une boule au ventre s'était créée proportionnellement à l'augmentation des mouvements autour de moi. Que va-t-il se passer ?

- Gabriel ? Ma voix tremblait. Il avait relever la tête, regardant ce qu'il se passait derrière moi. Pourrais-tu m'expliquer...

- Je suis tellement désolé... Je ne peux pas t'en parler...

Il laissait ses phrases en suspens comme s'il attendait que je devine. Mes pensées se mêlaient, se perdaient, revenaient, s'embrouillaient.

Mon ventre m'avait arrêtée, remplissait mon espace vital du bruit de mes gargouillements. J'avais tâtonné l'assiette et avais rapidement commencé à manger. Gabriel était retourné dans ses dessins. Je fus surprise quand il se leva pour taper du poing sur la table. Tellement que j'avais fermé les yeux. Non par peur qu'il me blesse, mais pour m'évader. Pour m'imaginer quelques heures auparavant, nos jambes s'enlaçant, son cœur battant contre mon oreille, le bruit de la télévision ne surplombant pas ses ronflements. Il m'avait attrapée le poignet et l'avait tiré jusqu'à la sortie.

Les couloirs s'enchaînaient. Tous se ressemblant. Les murs blancs. Certains avaient des marques. D'autres étaient fraîchement peints. Mon esprit essayait d'assimiler mais abandonnait en même temps. Où allons-nous ? Sa facilité de s'orienter me consternait. Comme s'il connaissait l'endroit. Ne raconte pas de bêtise. Ne raconte pas de bêtise. Ne raconte pas de bêtise. Mon cerveau essayait de se convaincre alors que les virages se faisaient davantage nombreux.

Nous étions finalement arrivés dans une salle de bain. Le sol était noir, même si on pouvait apercevoir la couleur orangée du carrelage. Il s'était arrêté et, comme pressé, avait vérifié les lieux de quelques coups d'œil succincts. J'avais senti son corps frapper le mien. J'eus le réflexe d'enrouler mes bras autour de son cou alors que les siens encerclaient mes côtes.  On s'embrassait. On se regardait. Je sentais mon cœur comme repartir, comme se réanimer. J'oubliais l'environnement extérieur. Je m'en foutais à ce moment précis. Je n'avais plus aucun doute. Je pourrai tout vivre, tant qu'il serait prêt de moi.

Nous avions rejoint notre cellule. Nous étions libres l'après-midi. Nous pouvions autant rejoindre la salle commune que rester dans notre « appartement ». Nos corps exténués, nos cerveaux embués, ne s'étaient fait prier. Nous nous étions endormis sur nos matelas respectifs, après une petite dizaine de minutes à s'observer chacun de son côté. A se compléter plutôt.

Mon dos avait crié à la douleur quand j'eus l'intention de m'étirer alors qu'un individu tapait sur les barreaux en métal. Une petite femme, les rides d'expression éblouissant son visage, les yeux pétillants, les lèvres remontées, en était à l'origine.

- Votre ami a des ennuis.

Encore embuée de sommeil, j'avais vérifié s'il s'agissait bien de Gabriel à l'aide de quelques indications physiques. Une fois qu'elles furent toutes positivement remplies, j'avais dégagé ma couverture d'un revert, frigorifiant chaque parcelle de ma peau, fouettant mon visage et l'avait suivie. Elle marchait difficilement mais avait l'air de faire un véritable effort pour se dépêcher. Elle se dirigeait aussi facilement que Gabriel, comme si elle était une habituée de ses lieux. Elle avait l'air tellement adorable pourtant...

Elle m'avait conduite jusqu'à une sorte de salle de jeux. Une foule s'était réunie en rond. J'avais poussée quelques personnes et m'était retrouvée devant Gabriel, chevauchant un homme d'une forte envergure. Les poings qu'il donnait rentrait en collision dans le visage de l'individu avec une force qui me faisait sursauter. Je lui criais d'arrêter. Encore et encore. Il ne m'entendait pas. Ou m'ignorait. Deux gardes l'avaient attrapé par les épaules, alors que le type commençait à perdre connaissance.

- Pourquoi ? Avais-je dit en lui attrapant le visage. Pourquoi tu fais ça ? Tu veux écoper de plus d'années ?

Alors qu'il s'était dégagé non sans peine des gardes qui se dirigeaient vers la victime, il m'avait serrée dans les bras en me murmurant qu'il était désolé. On réagit tous différemment face aux difficultés. J'avais choisi le silence, le déni. Gabriel avait choisi la violence. Je ne pouvais lui en vouloir. Un endroit aussi comprimant, gênant, envahissant, ne pouvait avoir que des conséquences mauvaises. Sur toutes personnes. Comment allons-nous réussir à s'en sortir ? Je veux sortir. Je dois sortir. Mes pensées commençaient déjà à se noircir comme les poumons des fumeurs. La prison était comme la nicotine. Elle me pourrit de l'intérieur.

- Ne t'inquiète surtout pas. Me répétait-il.

Devrais-je réellement le croire ? Peut-on vraiment s'en sortir ?

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