Chapitre 4

On va faire comme Marseille qui boycott le Ricard, mais avec les prénoms imprononçables dans les fantasy

Moon

Enfin la fin des cours. Si je pensais passer une journée de ma vie dans les profondeurs de la fosse des Mariannes pour faire des mathématiques et de l'anglais — parce que oui, je n'ai même pas percuté que je parle la même langue qu'eux — je ne l'aurais pas cru.

Je suis Romary qui sort dans le couloir en discutant avec Sally de je ne sais quelle rumeur dont je ne pige rien. Après mon cours de maths chaotique avec Chase le coupeur d'oreille, nous avons pu nous mettre à côté en cours de langue pour mon plus grand soulagement. Elle n'en revenait pas de me voir me chamailler avec Chase, LE mec que tout le monde aime apparemment. Honnêtement, je ne vois pas ce qui peut l'attirer.

Il a tenté malgré tout de me parler plusieurs fois pendant que je réfléchissais à des calculs mais je l'ai ouvertement ignoré. J'étais assez surprise de découvrir les mêmes cours que chez nous alors je n'avais pas besoin d'un pot de glue dangereux en rab.

En parlant de ça, Romary m'a gentiment posé un pansement en algues vertes sur la petite plaie derrière mon oreille et je ne sens plus rien depuis. Comme quoi, le naturel fait du bon travail.

—    Tu viens Moon ?

Mince, je n'avais pas remarqué que je me suis arrêtée pour regarder à travers la fenêtre qui donne sur le reste des bâtiments. J'aimerais bien voir à quoi ressemble l'entrée de l'école, histoire de ne pas être surprise le jour où je tombe à cet endroit.

—    J'arrive.

Je me tourne mais tombe nez à nez avec Chase qui prend une direction opposée. Je manque de trébucher en avant mais une main puissante se pose sur mon avant bras pour m'empêcher de sombrer. Je me redresse, le cœur battant la chamade, mes yeux croisent ceux de Chase. Je n'arrive pas à savoir s'il l'a fait exprès ou non. Son air est totalement indescriptible, comme s'il sondait mon regard de fond en comble mais pas aussi méchamment que le ferait Peyton, la peste à l'intestin asticot.

—    Excuse-moi, lâche-t-il à mon plus grand étonnement. Je ne regardais pas où j'allais.

Je me détache de ses yeux envoûtants pour observer mon bras enfermé entre ses doigts, puis il me lâche comme si je l'avais brûlé.

—    Excuse-moi aussi, je ne faisais pas attention.

Il hoche lentement la tête, j'attends qu'il se tourne le premier mais pas du tout. Sa main se lève pour venir frôler la cicatrice près de mon œil. À son contact, je sens mon corps frissonner pour la première fois au toucher de quelqu'un. Il entrouvre la bouche sans dire un mot, puis ses sourcils se froncent.

—    Excuse-moi, dit-il en retirant plus violemment sa main intrusive. Elle est particulière ta cicatrice, surtout pour une Drecean. Enfin bref, à plus petit chat.

Chase se tourne en mettant son sac à dos sur ses deux épaules puis il disparaît dans la masse de personnes. Ma main se guide toute seule jusqu'à mon sourcil gauche et mon œil entaillé, mais rien n'a changé quant à d'habitude. Et puis ça veut dire quoi ça, particulière pour une Drecean ? Il dit ça mais il n'a pas vu sa figure avec ces deux plaies comme le Joker... De nous deux, c'est lui le plus particulier.

Vexée, je me retourne pour de bon vers mes deux amis en coiffant ma courte frange pour occuper mes mains. Les deux filles m'observent avec le même air béat, les yeux grands ouverts et les bras ballants.

—    Bah quoi ?

Romary pose ses doigts sur ses joues pour mimer un tableau de Munch quand Sally recoiffe ses longs cheveux bruns derrière ses oreilles.

—    Chase t'a touché le visage, réagit mon amie en tapant son visage.

—    Et il t'a complimenté, continue Sally.

—    Complimentée ? Il m'a dit que j'avais une drôle de figure... Rien de très sympa.

Oula, vu leur air à cet instant, j'ai l'impression d'avoir été la moins convaincante du monde...

—    Bon... on y va ?

Romary soupire avant de replacer ses piercings aux narines. Sally en profite pour s'éclipser comme elle doit passer à la scolarité pour je ne sais quoi. Sa jolie peau orangée devient plus vive quand elle passe près de la fenêtre puis elle tourne dans l'angle et disparaît.

—    On va aller faire un tour vers là où je t'ai trouvée, chuchote Rom' en prenant une fois de plus mon bras sous le sien. Peut-être qu'on trouvera quelque chose.

—    Tu penses ? Tu n'y es pas retournée depuis ?

Mon amie se tourne vers moi en affichant une mine blasée.

—    Je te rappelle qu'une inconnue dormait dans ma chambre avant de devenir folle au réveil.

—    Rooh ça va ! On ne va pas rester là-dessus.

Nous rions en cœur en se rappelant mon réveil chaotique, descendons les escaliers qui donnent sur le hall principal encore bien remplit puis nous sortons dehors. On sent que l'après-midi est déjà bien entamée, avec toutes ces personnes qui profitent du soleil et de la quasi fin des cours. À l'extérieur, certaines créatures semblent plus chaleureuses et moins mystérieuses que tout à l'heure, comme les Lomunes qui sont moins fluorescents et plus visibles.

En anglais, Romary m'a expliqué que c'est une espèce assez discrète en général mais plutôt sympathique quand on apprend à les connaitre. J'avoue qu'ils ont quelque chose de magnétique, même si je n'oublie pas toute la dangerosité de leur corps. En fait, chaque espèce ici est plus ou moins dangereuse si on fait bien attention. La preuve avec Chase : même ceux qui ressemblent à des pirates tout ce qu'il y a de plus humain peuvent sortir des lames de leur corps sans aucune raison.

Nous traversons la cour d'herbe en direction du stade de sport en discutant de tout et de rien, mais Romary arrive à me glisser quelques questions sur mon monde. Si jusqu'ici elle s'est retenue, elle se laisse totalement aller au point de me demander comment nous faisions nos besoins. Je ne sais pas trop comment ça se passe ici, mais c'est vrai que je n'ai pas pensé aux toilettes et à leur moyen de se doucher. C'est tout bête, mais je ne peux pas du tout aller dans l'eau présente en dehors du cercle d'air qui entoure l'école, sous peine de finir réduite comme une canette de soda qu'on écrase... Et puis, être lavée mais toute salée... pas ma came.

—    Eh bien, on a des toilettes. On se pose dessus et ça aspire nos besoins quand on appuie sur un bouton, j'explique en riant à moitié. Çe n'est pas comme ça chez vous ?

Romary secoue la tête puis m'explique qu'ils ont un système de toilettes sèches avec du sable. Elle ne m'explique pas exactement avec ces termes, mais le principe est le même. Ça me rassure.

Quand nous arrivons au stade, une bande de requin se font des passes avec un ballon au milieu du terrain d'athlétisme. Ils nous saluent d'un geste de la main taquin puis reprennent leur jeu comme un groupe d'enfants.

—    Les Charingers sont toujours super sympa quand tu les connais un peu.

—    Tu traines souvent avec ?

Ses joues rougissent mais elle détourne le regard pour que je ne la crame pas.

—    Ça m'arrive, marmonne-t-elle avec un léger agacement. Au moins, on peut être naturels avec eux.

—    Avec eux... ou quelqu'un en particulier ? Lui ? Elle ?

Je retiens mon petit rire et me contente de lui donner un coup d'épaule auquel elle répond mollement. Son sourire ne trompe personne, quelqu'un lui a claqué dans l'œil.

—    Hummm, peut-être bien oui.

—    Comment il ou elle s'appelle ?

Romary m'entraîne plus loin, pressant le pas assez loin dans le terrain pour que personne ne nous entende. D'ici, je vois enfin la barrière d'air qui me sépare de ce milieu hostile. Comme un dôme autour de nous, la bulle d'air est plus claire au-dessus de nos têtes pour donner une illusion de soleil et de ciel dégagé. Mais si près du rebord, ce que je vois est tout autre : la mer s'étend comme arrêtée par un mur de verre, d'un noir profond qui me fait des frissons dans le dos. Malgré toute cette noirceur, on distingue les quelques reflets d'algues marines que je n'ai jamais vu de ma vie, plus sombre encore que la profondeur des abysses.

—    Il s'appelle Dexter, Dexter Hogan, me confie Romary alors que je suis plus concentrée sur la barrière qui me sépare de chez moi plutôt que sur ses problèmes de cœur.

Dans mon état normal, je lui aurai avoué que le prénom Dexter a une connotation de scientifique enfant déjanté ou d'un tueur en série médecin légiste... Mais je me contente de lui demander lequel d'entre eux se prénomme comme ça, et elle me montre du doigt un grand garçon maigre aux cheveux blonds. Je devine ses yeux bleus et une boucle d'oreille qui reflète le soleil, mais le reste est masqué par des ailerons et la grande tache qui disparaît sous son t-shirt, trahissant son genre.

—    Il est pas mal, lâché-je sans grande conviction.

—    Il est incroyable. J'avais des vues sur Peyton pendant longtemps mais... Tu comprends pourquoi je n'ai jamais cherché à aller plus loin qu'un crush.

En effet, cette garce ne mérite même pas un bout de l'intérêt de Romary.

—    Quant à Dexter... Il est incroyable. Il est gentil et j'aime bien les Charingers.

—    Mais, sans vouloir te vexer ou mettre un pied de travers, vous pouvez sortir entre vous, entre espèces je veux dire ?

—    Ah, oui, oui on peut. C'est plus complexe quand il s'agit de parler de la reproduction car c'est extrêmement compliqué d'avoir un enfant — sans m'avancer quant à ma relation inexistante avec lui. Mais en gros, soit tu te reproduis avec quelqu'un de ton espèce, soit tu essayes avec une autre espèce mais il n'existe pas de mixtes. Je n'ai jamais été très douée en biologie, mais de ce que j'ai compris l'un des parents donnera un patrimoine vierge et l'autre les caractéristiques de son espèce. Donc imaginons un Charingers avec une Alopian, l'enfant peut-être soit l'un, soit l'autre, pas les deux. Mais évidemment c'est extrêmement rare, on fait souvent appel à des dons pour pouvoir avoir un enfant plus facilement.

J'hoche la tête et lui jette un coup d'œil discret. Le regard qu'elle porte à Dexter est bien plus qu'un regard amoureux. Je ne sais pas si des personnes peuvent être destinées l'une à l'autre, mais mon instinct me crie qu'il se passera quelque chose entre les deux.

—    Bon, fini de parler de mes crushs, de « toilettes ? » et de ton mini rapprochement avec Chase, go chercher un peu d'indices non ?

—    T'as raison, il serait temps que je m'inquiète de rentrer.

Au fond de moi, je ne sais même pas si j'en ai vraiment envie. Qu'est-ce qui m'attend chez moi ? Des parents qui s'en foutent, un bahut même pas capable d'être dans la légalité et... rien d'autre. Si, à la limite mon oncle mais, quelque chose dans mon inconscient me bloque. Comme si... Comme si le fait d'être ici l'impliquait. Il y a un truc pas clair, je n'arrive pas à tout comprendre.

—    Là !

Je n'ai même pas eu le temps de chercher que Romary lève fièrement un bout de ferraille vers moi. J'esquisse un pas vers elle mais me fais stopper net avant de pouvoir la rejoindre. Une femme aux yeux blanc brillant et aux cheveux de la même couleur coupés à la garçonne arrive vers nous, un sourire calculateur sur le visage. Malgré son haut noir strict, on devine un point lumineux jaunis au centre de ses clavicules : une Lomunes.

—    Mme Rumsey ! S'exclame mon amie en se rapprochant de moi pour me glisser discrètement le bout de trésor dans la paume de ma main. Comment allez-vous depuis ce matin ?

—    Très bien Romary. Moon, je suppose ?

Son ton est calme, posé, jovial même. Si je comptais me méfier à cause de son attitude un peu mystérieuse, elle semble vraiment agréable et chaleureuse.

—    Oui, enchantée.

Par réflexe, je lui tends le bras pour serrer sa main, mais elle reste interdite. À ma gauche, Romary se tend. Merde, est-ce qu'ils se serrent la main ici ? Elle hésite un instant puis rapproche sa main pour serrer la mienne avec bienveillance malgré tout. Sur sa paume, des dizaines de points jaunes tout doux décorent son membre. Ça doit être les points venimeux dont m'a parlé mon amie.

—    J'espère que cette première journée n'est pas trop compliquée pour vous, reprend la femme. Quand Romary est venue me voir, j'étais un peu étonnée de voir une Drecean avec elle mais soit, vous me paraissez plus... moins... je ne sais pas. Aucun doute quant à votre espèce, mais je veux dire qu'il y'a un truc qui m'échappe en vous voyant. Je comprends pourquoi une créature comme Romary est amie avec vous.

C'est un compliment ou non ? Je n'arrive pas trop à cerner. Et puis, qui est-elle déjà ? Son nom me dit quelque chose mais je suis incapable de savoir qui s'est. Une professeure qui a été mentionnée sûrement.

—    Merci, finis-je par dire sans trop de conviction.

—    Et donc, d'où venez-vous déjà ?

Euh... Au fait, je viens de la terre, enfin, la terre, le continent. Vous savez, je suis une humaine et non une superbe Drecean comme vous dites. Mais ça, je ne vais pas vous le dire car apparemment vous n'aimez pas les humains...

—    De loin ! Enfin, vous ne connaîtrez pas. Je suis de passage de toute façon, le temps que des histoires familiales se calment.

La femme me scanne de haut en bas — décidément c'est une habitude chez eux — avant d'hocher la tête, satisfaite. Elle ouvre la bouche pour répliquer mais avant qu'elle ne puisse parler, un ballon fuse jusqu'à percuter l'arrière du crâne de la professeure. À peine il la touche, il commence à fondre en retombant sur le sol. Révoltée, elle se retourne d'un seul coup, dévoilant les petits pois jaunes sur son crâne, luisant d'une drôle de couleur.

—    Nom d'un oursin sous Ricard ! Dexter Hogan ! Dans mon bureau !

Le ballon n'est plus qu'à moitié formé sur le sol. Elle a carrément dissous le ballon !

L'intéressé s'excuse mille fois auprès... de la directrice ! Mince, c'était ça ! Puis il la rejoint sous les ricanements de ses collègues.

—    Romary, avec moi. J'ai besoin de te parler du club de lecture.

Mon amie m'envoie un regard paniqué et je comprends qu'elle ne peut pas contester les ordres de sa supérieure. De toute façon, l'occasion est trop belle pour qu'elle passe du temps avec Dexter, je ne vais pas l'en empêcher.

—    Bonne fin d'après-midi Moon, dit la dirlo avant de tourner ses talons dans le sable et de partir d'un pas déterminé vers les bâtiments.

Romary et Dexter la suivent en trottinant, et je me retrouve seule comme une idiote. Il s'est passé trop de choses en quelques secondes, mon cerveau n'a même pas eu le temps d'assimiler.

Un Charingers s'approche pour récupérer le ballon puis me lance un clin d'œil en retournant vers ses amis. Mes poils se hérissent sur tout mon corps. Hors de question que je reste ici. Malgré la non protection de Romary, tant pis. Je ne sais pas pour combien de temps elle en a, alors autant profiter.

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