Chapitre 14

Min-Hee mange distraitement des céréales. Entre Nicholas qui est sorti pour acheter des viennoiseries, Charlie qui la fixe avec un sourire amusé depuis le canapé et ses parents qui lui posent des questions auxquelles elle n'a même pas de réponses, la jeune asiatique est déjà épuisée. Les partiels se sont terminés avant-hier et ils attendent maintenant leurs résultats. Elle n'a pas perçu de difficultés insurmontables et se montre plutôt confiante, tout comme Evi d'ailleurs. Le nez dans son bol, elle cherche un moyen de s'éclipser sans les vexer. En surprenant leur fils et elle en train de s'embrasser, grâce au stratagème vicieux du frère jumeau, ils ne les ont plus lâchés, voulant tout savoir.

— Vous êtes trop mignons ! chantonne la mère.

La jeune femme relève les yeux et marmonne :

— Ah bon ?

— Oui ! Enfin, il nous a ramenés une fille ! Ce n'était pas trop tôt ! 

Ils n'ont pas entendu Nicholas rentrer.

— Je le répète pour la centième fois. Nous n'étions pas du tout ensemble quand elle est arrivée à la maison, grogne-t-il.

— Mais, oui, bien sûr, mon chéri !

Il abandonne. Sa mère, aussi têtue soit-elle, insistera encore et encore jusqu'à ce qu'il soit contraint d'avouer quelque chose de faux par lassitude. Il dépose les viennoiseries sur la table juste au moment où Min-Hee finit son bol de céréales. Elle s'empresse de débarrasser et suit Nicholas dans sa chambre sous les regards fiers des parents et pervers de Charlie. Elle le foudroie sur place, agacée par ce frère-là. En refermant la porte derrière eux, elle se jette sur le lit et maugrée :

— Heureusement que tu es complètement différent de ton frère ! Comment se fait-il que vous soyez des jumeaux ? 

— Je ne le considère pas comme mon jumeau, si ça peut te rassurer !

Il la rejoint et s'allonge sur le dos à côté d'elle.

— Ils me fatiguent tous, souffle-t-il. 

— La bonne nouvelle, c'est que personne ne nous embêtera de mon côté.

Quoi que. Certes, son père ne risque pas de les ennuyer à longueur de journée avec des indiscrétions et des remarques pleines de sous-entendus, mais il recommence de plus en plus à envoyer des messages à Min-Hee. Elle les a ignorés et a demandé son avis à Mark. D'après son chauffeur, il veut simplement discuter avec sa fille. Elle ne croit pas à une telle docilité et ne lui a pas répondu. Cependant, la curiosité la titille. Qui plus est, elle souhaiterait mettre un terme à leur relation en ruine, une bonne fois pour toute ! 

Sentant que son humeur a tourné dans le négatif, Nicholas roule sur le côté, se surélève sur ses coudes et dépose un tendre baiser sur ses lèvres. Elle y répond sans hésitation. Les deux restent allonger un moment, entrelacés. Le portable de la jeune femme se remet à vibrer. Pour sûr, il s'agit de son père. Elle est tentée de regarder et il le voit. Il saisit à sa place le portable et vérifie les messages. Apparemment, son horrible géniteur ne désire que la voir. Menteur. Perplexe, le châtain médite sur la situation. Elle ne peut pas le fuir toute sa vie, alors il lui suggère :

— Puisque nous passerons la soirée avec nos amis, tu pourrais rencontrer ton père aujourd'hui et si ça se déroule mal, tu pourras profiter du réconfort des autres. 

— De toute façon, plus vite je le confronterai, mieux je me porterai ! acquies-t-elle. Enfin..., j'espère !

— Et puis, ne crois pas y aller toute seule. Je serai là pour te tirer des griffes du méchant antagoniste. 

Elle s'était rendu compte qu'une protagoniste ne parvenait pas toujours à accomplir sa quête sans une aide extérieure provenant souvent de son entourage et de ses amis. Il lui fallait donc un acolyte et Nicholas constituait le meilleur d'entre tous. Elle hoche de la tête mollement et se blottit contre lui en lui demandant d'envoyer un message à son père. Il s'exécute et propose une heure en fin d'après-midi, qui est acceptée. Son moral tombe automatiquement à zéro et elle affiche une moue sombre. 

Jusqu'à ce rendez-vous contrariant, il s'évertue à lui remonter le moral. Nicholas lui a acheté un roman en guise de félicitation pour ses résultats du premier semestre qui, il en est sûr, se révéleront brillants. Mais, il lui offre aujourd'hui. Ceci suffit à lui redonner le sourire. Ensuite, il la divertit en la pourchassant dans la chambre en quémandant des baisers. Souhaitant lire, elle le fuit, mais cède et ils finissent sur le lit. Encore. Min-Hee éprouve du bonheur sa limite avec lui et pourtant elle ne sourit pas plus qu'auparavant. Le châtain s'est longtemps questionné à ce propos et il a réalisé que la jeune femme ne ressent pas le besoin de dévoiler ses émotions. Elle les garde pour elle, à l'intérieur.

Toutefois, ne vous y trompez pas, Han Min-Hee ne pourrait pas adorer davantage sa nouvelle vie. Un jour, elle a même remercié Evi sans raison apparente. En réalité, elle exprimait sa gratitude pour l'avoir poursuivi malgré sa froideur à la rentrée. Sans cela, elle n'aurait pas fait leur connaissance et elle serait à la merci de son père. Elle prononce quelques je t'aime par ci et plusieurs compliments par-là, prouvant à ses amis qu'elle vit grâce à eux. 

Aux alentours de dix-huit heures, Nicholas la traîne devant son armoire et lui explique qu'il lui choisit la plus époustouflante de ses tenues, celle qui indiquera à son père de façon très claire qu'elle s'est affranchie de lui. Il lui tend un ensemble de jogging d'une marque plutôt élégante et colorée. Elle fronce les sourcils. Incertaine au début, elle comprend cette sélection et ne rechigne pas en enfilant les habits. Ils s'opposent à son goût de la mode et à tout ce que sa famille lui a inculqué en matière de vêtements. 

Ils conduisent en silence. Min-Hee s'invente des scénarii et chacun d'eux contient des cris, des larmes et de la colère. Elle chasse ces pensées et décide d'improviser devant son père. Lorsque Nicholas se gare, elle grimace à la vue de sa maison. Sans crier gare, le châtain détache sa ceinture, se penche sur elle, encadre ses joues et l'embrasse langoureusement. Elle ne s'y attendait pas et suit cet échange sans trop réagir. En se séparant de la belle asiatique, il chuchote :

— Tu es belle, tu es forte et tu détiens toutes les qualités nécessaire pour être une protagoniste qui déchire ! Alors, tu entres là-dedans, tu le mords et tu reviens. D'accord ?

Au lieu de rebondir sur ses mots, elle réplique d'un ton encore plus rauque que d'habitude.

— Tu sais que je t'aime ? 

Il pouffe et opine du chef. En se mordant la lèvre de nervosité, elle sort de la voiture et ne regarde pas en arrière pour ne pas retourner auprès du châtain. Min-Hee tape le code du portail qui n'a à priori pas changé et gagne la porte d'entrée sans aucune volonté. En rassemblant le peu d'énergie qu'elle n'a pas gaspillé à stresser toute la journée, elle toque. C'est Mark qui lui ouvre. Sans la laisser entrer, il lui bondit dessus et la prend dans ses bras. Elle saute sur l'occasion pour lui glisser quelque chose dans la poche de sa chemise. Le chauffeur s'en aperçoit et l'interroge du regard.

— Le père d'un de mes amis travaille dans la politique. Son dernier chauffeur part à la retraite dans trois semaines et il aura besoin d'un remplaçant. Pas besoin de postuler, appelez-le dans trois semaines et partez de cette maison. 

Ému, l'homme retient ses larmes de gratitude et enlace de nouveau sa protégée en la remerciant du fond du cœur. Elle ne peut rien faire de plus pour lui. 

— Comment est-il ?

— Il agit de manière très calme depuis ce matin et ne donne pas l'impression d'avoir une idée derrière la tête. Mais, nous le connaissons tous les deux. Je pense qu'il cache une intention, qu'elle soit bonne ou mauvaise.

— Super, j'ai hâte ! ironise-t-elle.

Avant qu'elle ne s'aventure dans l'antre du démon, Mark lui glisse :

— Ce jogging ne te va pas du tout !

— A la base, je m'en sers de pyjama. Je ne l'ai pas choisi !

Il glousse, ravi de la retrouver après tant de temps.  Mais, déjà, sa protégée arbore un air sérieux, rigide et déterminée. Elle ne lui adresse pas un regard et avance droit en direction où son père patiente. La jeune femme parait sur le point d'affronter le diable, pénétrant dans une arène pour un combat à mort. Mark lui emboîte le pas et compte bien épier leur conversation. En somme, son père n'a montré aucun geste violent envers sa fille, hormis quand elle était enfant et qu'il la punissait. En grandissant, les gifles ont diminué jusqu'à disparaître. Mais, sait-on jamais, tout est possible avec cet homme. 

En franchissant la porte, la jeune asiatique note sur-le-champ l'absence de certains éléments du décor, notamment les deux seuls cadres de la maison où elle se tenait à sa mère sur des motoneiges. Cela ne l'étonne pas. Min-Hee distingue du coin de l'œil la cuisinière qui la scrute avec un air de pitié. Elle la salue en s'inclinant et continue sa route. Le couloir s'ouvre directement sur le salon. Son père est assis élégamment sur le sofa, un bras allongé sur le dossier et l'autre serrant son verre d'alcool. Il dévisage le marbre du sol tout en réfléchissant. Il n'a pas changé ; son attitude renvoie de l'hostilité, de l'austérité et un flagrant mépris. 

Sans un mot et sans se courber, elle rejoint le fauteuil en perpendiculaire du sofa et s'y enfonce avec grâce. Ses anciennes manies refont surface. Peu à peu, elle a laissé derrière elle tous les tics que son père lui avait inculqué, mais elle les utilise tous maintenant. Min-Hee se redresse pour que son dos soit droit, ses épaules en arrière et son menton légèrement relevé. Elle croise les jambes et pose ses avant-bras sur celles-ci. Pour résumer, elle redevient la jeune femme à l'allure hautaine et froide qu'il a forgée.  

— Tu es laide dans ces vulgaires habits.

Elle accuse le coup sans broncher.

— Tu n'as pas répondu à mes messages, je me suis inquiété. 

Quelle blague. Derechef, Min-Hee n'objecte pas, optant pour la carte de la prudence. Elle aimerait découvrir ses intentions.

— Finis rapidement ta crise et reviens à la maison. Cette fugue est en tout point ridicule. 

— Si tu m'as convoquée pour me faire la morale et critiquer mes choix, autant ne pas me parler du tout. 

Ses yeux perçants l'auraient clouée sur place, s'il l'effrayait autant qu'auparavant.

— Et tu as tout oublié, en plus... Toute une éducation envolée ! 

Il soupire et boit d'une traite son verre, avant de s'en resservir un.

— Je n'apprécie pas ce ton, Min-Hee. Ta mère serait déçue de toi.

Son père l'incite clairement à s'énerver et à perdre son sang-froid. Il réussit presque. Le sujet de sa mère demeure sensible et trop frais dans sa mémoire, elle refuse que tel homme, qui n'a porté aucun intérêt à la vie et à la mort de cette formidable femme, la mentionne avec autant d'impunité. Seulement, elle repense à Nicholas et à ses paroles. Un chien battu par son maître doit apprendre à se révolter, à mordre et à fuir au bon moment. Min-Hee inspire posément et rétorque :

— Laissez les morts dans leur tombe, Monsieur.  

— Et là revoilà à me vouvoyer ! Tu m'insupportes, Min-Hee, c'est vrai. Tu n'écoutes personne et tu agis sans jugeote ! Qu'importe. Prétendons que tu n'es pas qu'une sale gamine égoïste et que tu rentres sagement à la maison, comme toutes les gentilles filles. 

— Vous réclamez ma présence, Monsieur, pour une raison. Je souhaiterais la connaître.

Il peste au vouvoiement et déballe une série d'insultes. Son père déteste cela et lorsqu'elle l'a compris, Min-Hee a usé de cette technique pour le pousser à bout. Elle ne saisit pas vraiment pourquoi cela le fait sortir de ses gongs, mais le voir s'agacer procure une immense sensation de délectation à la jeune femme. 

 — La saison des galas et des réceptions arrive bientôt et tu vas y participer avec moi. 

— Pour que j'écarte les cuisses et me sacrifie au prix de quelques contrats ? Non merci. Une société qui réussit grâce au piston, cela me contrarie. Mais, une société qui réussit en vendant le corps des femmes, je ne le permettrai.

— Je croyais que tu avais ouvert les yeux sur ta véritable place ! aboie-t-il.

La Min-Hee de dix-huit ans aurait sursauté et cédé à ses exigences, mais elle résiste.

— Oui, en effet. Après de nombreux bilans, j'ai conclu que ma véritable place se trouve quelque part à l'abri de vous, très loin. Monsieur ! s'exclame-t-elle en se relevant. Je suppose que nous n'avons plus rien à nous dire. Je vous bannis de ma vie et j'attends de vous de me rendre la pareille. Considérez que vous n'avez plus d'enfant et ne m'interpellez pas si nous venons à nous recroiser un jour. 

Il bondit et dépose avec violence son verre sur la table, mais Min-Hee ne recule pas. Il ne lui inspire plus que du dégoût et de l'aversion, sans peur ni regret. 

— Sale garce ! Comment...?!

— Vous savez ce qui est le plus malheureux ? le coupe-t-elle, sèchement. Certains enfants prient et supplient leurs parents de ne pas les négliger, de faire attention à eux et de ne pas les délaisser... Moi, je vous implore de me foutre la paix et je vous vouvoie pour que vous vous rendiez compte que je ne veux plus rien avoir à faire avec vous. J'aurais préféré que cette histoire s'achève mieux entre nous, mais je n'ai pas envie de fournir le moindre effort pour un antagoniste qui n'en fait aucun. Je suis la seule et unique protagoniste de ce récit, je décide de la fin et elle ne sera pas tragique. Maintenant, je vous conseille de travailler vos stratégies marketing, car je ne vous appartiens plus et vous ne possédez donc plus d'offrandes pour vos partenaires. Je vous souhaite tout de même de connaître une fin heureuse dans l'histoire où vous incarnez le protagoniste, mais je crains que les ordures telles que vous ne finissent jamais bien, que ce soit dans leur propre histoire ou dans une autre. Ah, et je vous défends de retourner à la tombe de ma mère. Vous ne méritez ni de l'approcher, ni de songer à elle. Cordialement, au revoir, Monsieur Han.

Elle tourne les talons à peine le dernier mot prononcé. Dans son esprit, rien ne suit un cheminement logique. Elle panique, elle est soulagée, se sent en colère et ressent un besoin d'extérioriser par les larmes, mais elle ravale tout et porte un masque infaillible qui dissimule toutes ses émotions. Min-Hee traverse le hall d'entrée, évite habilement Mark qui les surveillait caché par une porte et dévale les marches jusqu'au trottoir. Bien évidemment, son père n'a pas aimé son discours. Il la pourchasse en proférant des menaces et des injures en tout genre. Parmi toutes ses pensées chaotiques, une nécessité lui apparaît tout à coup : dégoter un travail au plus vite, puisque l'héritage de sa mère ne durera pas éternellement. 

La jeune femme déboule dans la rue et claque le portail à son passage. Son père hurle si bruyamment que Nicholas est attiré par le bruit. Il s'apprête à sortir de la voiture pour rejoindre Min-Hee, mais celle-ci se jette dans le véhicule, ferme la portière contre laquelle l'antagoniste s'appuie pour cracher son venin. Le châtain verrouille l'accès et pivote vers elle, le visage peint d'horreur. Il la voit essoufflée, fatiguée et tremblotante. Elle tente par tous les moyens de contenir ses réactions, en particulier aux cris monstrueux du démon. 

— Il recouvrera la raison, assure-t-elle. Mais, pour l'instant, il risque de fracasser la vitre. Ce serait franchement bien que tu démarres !

Nicholas, bouchée bée, toise méchamment le père et observe avec inquiétude la jeune femme. Peinant à s'exprimer, il lâche :

— A ce point ?! Que s'est-il passé pour qu'il se retrouve dans cet état d'hystérie ?

Elle fait volte-face et déclare avec un large sourire :

— J'ai mordu. Je l'ai mordu très fort ! L'antagoniste a été vaincu pour de bon. 

Pendant que son père contourne la voiture pour taper contre le capot, Min-Hee rayonne tellement de fierté que Nicholas craque et explose de rire. Il jauge tour à tour l'antagoniste déchu qui constate avec impuissance sa défaite et la protagoniste victoire qui est enfin libérée de l'emprise du démon. Il tempère quelque peu son hilarité nerveuse et embrasse tendrement le front de la jeune femme. 

— Bravo, Han Min-Hee.

Elle se cale dans son siège et ignore superbement le gueulard. Nicholas allume le moteur et le fait vrombir. L'antagoniste se décale à contrecœur et persiste à les insulter. Les vitres étouffent tous ses braillements. Soudainement, le châtain remarque quelque chose et une idée germe dans son esprit. Il actionne l'accélérateur et la voiture roule moins de deux mètres avant de percuter la poubelle verte se situant juste à côté du véhicule de son père. Cette dernière tombe au ralenti et déverse son contenu sur les portières. 

— Ça fait du bien ! s'écrie Nicholas.

Il mime un signe de main au père, manœuvre et conduit loin de cette maison. Cette fois, Min-Hee n'a plus de doutes, elle n'y reviendra pas. Une larme de soulagement ruisselle sur sa joue et elle l'efface d'un revers de main.

— Ce soir, fêtons ta libération ! 

Nicholas parait encore plus joyeux qu'elle, ce qui amuse la jeune femme.  

 — Il ne t'embêtera plus, c'est certain ? 

— Normalement, non. D'une part, il me haït et sa rancœur perdurera longtemps. Dans ces cas-là, il ne contacte plus la personne qui l'a mis dans cet état. Je n'ai jamais compris pourquoi. Peut-être parce qu'il ne tolère plus la présence de cette personne. D'autre part, il sait pertinemment que je ne me soumettrai plus. Il a suffisamment de travail pour s'en rajouter. Il lui faudra du temps pour que la colère s'atténue et qu'il tourne la page. 

Les lèvres de Nicholas ne cessent de s'étirer, ravi au possible. Sa petite amie a courageusement combattu son père tyrannique et a tiré un trait sur sa vie passée ; ses deux meilleurs amis ont arrêté de jouer aux autruches et vivent pleinement leur nouvelle idylle ; Lucille ne réprime plus sa réelle nature et se prépare à expérimenter des aventures bien plus palpitantes maintenant qu'elle se connait ; et finalement, petit à petit, il outrepasse son blocage émotionnel pour offrir de l'amour autour de lui. Il discerne de façon distincte et intense les effets de bonheur en lui, augmentant d'autant plus sa bonne humeur.

Il conduit prudemment jusqu'au bar où ils s'étaient déjà rencontrés. Nicholas reconnaît la voiture du brun où une peluche s'est accaparée l'espace de la vitre arrière – probablement un caprice d'Evi. Ces deux-là ont parcouru une longue route semée d'embûches. Entre le divorce atroce des parents de Christopher et la relation bancale mère-fille de la tête violette, ils sont arrivés à construire un pont au-dessus de tous les obstacles, tous ensemble. Il voit également le vélo de la blonde. Tout le monde est déjà présent.

— A quoi penses-tu ? demande la voix chaude de Min-Hee.

— Je me disais que mes amis font partie des personnes les plus téméraires et braves du monde et je suis fier de vous tous.

— Tu peux te féliciter aussi. 

Main dans la main, ils entrent dans le bar où le serveur Liam leur sert aussitôt deux verres. Le groupe réuni trinque à la fin de leur premier semestre et Min-Hee commence à leur raconter son entrevue avec son père, mais puisqu'elle n'y met pas assez d'entrain selon Nicholas, il prend la relève. Lucille l'ensevelit sous les questions afin de s'assurer que son moral n'est pas à zéro. En réalité, la jeune asiatique a d'ores et déjà enterré sa jeunesse et a ouvert une porte qui lui plait cent fois plus. En somme, tout semble se produire à merveille. Bien sûr, ce sentiment de paix leur sera dérobé par d'autres épreuves, d'autres difficultés, mais ils le savourent au maximum.

— Et toi, Evi ? s'enquiert Lucie. Tu n'as plus évoqué la situation avec ta mère.

La tête violette hésite à trouver les mots corrects, elle balbutie :

— Eh bien, apparemment..., elle m'aime. Bon, attention, tout peut changer du jour au lendemain avec elle. Mais, actuellement, elle me propose des sorties toutes les deux et elle m'a juré de dégager du temps pour nous... Honnêtement, je n'ai pas tout saisi ! 

— L'important, c'est que votre relation s'améliore.

— Je suis d'accord, Nich. Sauf que je ne suis pas habituée à sa bienveillance. Elle me perturbe !

Ses traits se déforment en une expression dubitative, comme si elle visualisait un extraterrestre dans son esprit. Christopher la charrie et pointe le fait que Lucille fait face à pire qu'elle. Ils questionnent la blondinette sur sa connexion avec ses parents. Ils n'ont plus mentionné son orientation sexuelle, mais elle pressent parfois qu'ils s'interdisent de venir la voir dans sa chambre ou de converser avec elle, surtout son père. Mais, cela ne la dérange pas. De toute manière, elle n'entretenait pas de grands liens familiaux. Elle les rassure et ainsi progresse la soirée. Ils s'enivrent de sucre grâce aux sodas, se gavent de biscuits apéritifs et discutent de tout et de rien.    

— Au fait, j'ai une annonce à faire.

Les quatre se retournent face à Min-Hee, curieux.

— Que mon père cherche à me trouver ou non, je m'en fiche. Je refuse de gâcher mes années à l'université à cause de lui. Dès le semestre prochain, je reviens à la fac. 

Contre toute attente, Lucille montre le plus de joie. Elle saute littéralement sur la jeune asiatique et la serre dans ses bras, réjouie de cette nouvelle. Min-Hee, ayant en horreur les câlins, se fige avec les bras ballants, faisant rire les autres. Evi tend son verre pour qu'ils trinquent à nouveau.

— Je crois que nous sommes devenus des adultes. 

— Beurk ! raille Christopher. Evil, ne nous estimez pas trop !

— N'exagère pas, marmonne Lucie au brun. Selon moi, nous nous trouvons à la jonction entre l'adolescence et l'ère adulte. Le mot jonction n'est pas trop complexe pour toi, Chris ?

Le brun se décompose à cette pique. Depuis un moment, ils n'arrêtent pas de se chamailler, remplaçant Evi qui, épuisée de ces enfantillages, ne se dispute plus autant avec le brun. Pour se venger, il détache ses cheveux qui recouvrent subitement son visage et il les désordonne davantage. 

— Es-tu sûre de ce que tu avances ? plaisante Nicholas. 

— Oui ! Je pense sincèrement que nous avons évolué ! Du moins, certains d'entre nous.

— Il serait temps, intervient Nicholas. Je vous rappelle que nous avons dépassé les vingt ans. Enfin, à quelques semaines près pour Min-Hee ! J'ose espérer que nous sommes des adultes. Et nous devrions nous comporter comme des adultes. N'est-ce pas, Chris ?

En guise de réponse, le brun lui tire la langue et grimace. Lucille s'esclaffe. Evi soupire de désespoir et interroge :

— Qu'est-ce que tu en penses, Min-Hee ?

Cette dernière les contemple les uns après les autres, en s'attardant sur son petit ami. Jamais elle n'aurait imaginé que ces personnes formeraient le cœur et l'essence de sa vie. Sans famille, elle s'accrocherait dorénavant à eux, sans mascarade ni artifices. 

— Nous verrons bien, souffle-t-elle.

Min-Hee s'aperçoit que le poids pesant sur son être s'évapore au fil des minutes qui défilent. Sous peu, ses démons ne symboliseront plus qu'un cruel cauchemar. Elle prend conscience de la tristesse et des ténèbres qu'elle gardées à l'intérieur tous ces ans et la jeune femme relâche tout. Elle chasse toutes les mauvaises ondes et se focalise sur ses amis. 

  — Nous verrons bien comment nous nous débrouillerons en tant qu'adultes. Ça promet... Quoi qu'il en soit, profitons de ce moment de répit avant d'entamer un énième chapitre de notre vie. 

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