10/ 🎨
ㅤㅤㅤ— 𝐂𝐄 𝐓𝐀𝐁𝐋𝐄𝐀𝐔 ne m'inspire rien.
Ces messieurs en costard cravate observent d'un œil acéré, les créations qui jonchent les murs. Pas de clémence, pas de pitié. Les commentaires sont acides, des lames qui écorchent le cœur.
— Cependant, il demeure de loin le plus potable.
Les violoncelles s'accordent, fredonnent cet air un peu mélancolique. Les notes rebondissent sur les cordes maniées avec dextérité par ces doigts habiles. L'harmonie embrasse nos âmes.
La musique adoucit les mœurs, dit-on.
Et pourtant, les critiques pleuvent en abondance. L'avenir de certains d'entre nous se scellent, volent aux éclats. Des mines entachées par la tristesse défilent. L'amer frustration nous ronge. Nous restons cependant silencieux.
— Je suis d'accord avec vous.
— Je suis déçu. On m'avait promis un génie. Ce travail est à la portée de tous.
— Que cherche-t-il à nous raconter ? J'ai du mal à suivre.
— C'est laid. Tout simplement.
— Qu'en pensez vous monsieur Dante ?
Silencieux, l'illustre icône dans le monde artistique s'éloigne. D'une démarche assurée et majestueuse, n'offrant de regard à personne.
La déception se lit sur son visage, autant que le mien.
Mon nom chute, s'égratigne à force d'être piétiné par les langues acerbes. Qu'elles sont cruelles, vides d'empathie. Ce sont eux, ceux à qui j'avais tant à prouver. Ceux à qui je devais tant mes exploits. Ceux contre lesquels mon grand-père me mettait tant en garde.
Leurs regards spectateurs constituent le publique de ma création.
Désirs frivoles.
— Vous obtenez la première place aux évaluations Kim Sunoo, m'annonce sans surprise notre professeur principal.
Je ne l'ai jamais porté dans mon cœur.
— Notez cependant qu'il vous faudra beaucoup plus que ça, si vous comptez laisser une trace dans l'histoire.
Je veux peindre, avant tout.
Armé de ces pinceaux qui racontent une histoire dès qu'ils rencontrent la toile. Ils se laissent ainsi aller à l'inspiration qui ruisselle, valsent parmi la flopée de couleurs. C'est une idylle entre l'artiste et le tableau.
Je me sens fade en ce jour où je me hisse à la première place.
Là où tout semble dégringoler, mes aspirations, mes espoirs, mes amours. Ils m'échappent comme le sable fin entre les doigts. Applaudit au sein d'un théâtre onirique, les flashs des appareils capturent la teinte morose de ma peau, un pétale qui se fane.
Mes épaules s'alourdissent de pression. Une étoile se doit de briller, continuellement. Elle attire par sa lumière facétieuse, gorgée de rayons opalescents. Jusqu'au jour où elle s'éteint. La solitude l'enveloppe dès lors.
Plus personne ne s'en souvient. À moins qu'elle n'ait laissé une trace, comme les étoiles filantes qui émerveillent les âmes rêveurs dans la nuit.
Après tout, que sont les créations sans la reconnaissance ?
***
Sans exagérer, je galère.
J'accroche une épingle qui soutient le chignon sur le haut de mon crâne, mon téléphone tenu par mes dents. J'ai l'air idiot à travers le miroir. Mais une fois l'objectif atteint, je retire mon téléphone et arrange les quelques mèches du devant.
J'inhale malgré moi la fumée toxique de la cigarette de Giselle, consommée en cachette.
Assise sur le marbre du lavabo, ses cheveux peignés à la raie encadrent son visage revêche. Elle consulte toutes les cinq secondes son téléphone. Je l'étudie en silence avec plus d'attention que d'habitude. Nous nous sommes rarement croisés ces derniers temps.
— Ça va toi ?
Levant à peine les yeux, elle réponds quand même.
— Hm ? Ouais ouais.
Curieux, je pousse ma curiosité plus loin.
— Sûre ? T'as l'air d'attendre un message important.
— Je t'en pose moi des questions sur ta vie privée ? Vas-y je rentre.
Surpris, je la regarde détaler, les yeux fuyant et plaquant son téléphone contre sa poitrine. Mes yeux se plissent. J'étais si ancré sur ma propre vie que je n'avais pas remarqué les changements avec Giselle. Je suis persuadé qu'elle cache quelque chose.
Elle ne m'en parlera que lorsqu'elle le souhaitera. En attendant, sa réaction n'est pas surprenante et ne me blesse pas vraiment. Elle a tendance à devenir agressive lorsque la pression prend le dessus.
Je quitte les toilettes en passant en revue mes notifications.
Alors Sunoo, ça fait quoi d'avoir foiré ton amitié avec Heeseung ?
Je coche cette case parmi les plus belles conneries de l'année. Je les réciterai devant la cheminée au dernier jour de Décembre prochain, me promettant qu'au nouvel an, je serai une meilleure personne.
Celle qui répétera les mêmes erreurs, tel un disque raillé.
J'entame une lente démarche sur les trottoirs aux structures étroites de Yosei, une vue sur mon écran. Nous ne sommes plus amis, est-ce que je devrais me désabonner ? Je me pose la question. Ou alors, supprimer son numéro. Parce que ça fait deux semaines, et Heeseung n'a rien fait.
Je fais toujours partie des gens qu'il suit sur les réseaux sociaux.
Ça me fait longuement soupirer, ça torture ce cerveau déjà malade et incapable de pondre un travail satisfaisant. Est-ce qu'il attend que je le fasse ? Après tout, j'ai bien insinué qu'on cesse de se parler. Or je me retiens de faire le premier pas. Je me sens assez mal comme ça.
Si notre relation prend fin, autant faire les choses jusqu'au bout.
Alors, je ne comprends pas pourquoi il continue à me suivre. Peut-être que l'être insignifiant que je suis, est si minuscule qu'il ne vaut même pas la peine d'être bloqué. Au loin, j'aperçois une ombre qui m'est familière. Mes pas m'y mènent, un mince sourire redessine le faciès morne que je me trimballe.
En m'approchant, la voix de Ni-ki s'éclaircit.
— Deux paquets et on n'en parle plus.
Mes pas ralentissent.
— Continue de me faire de supers prix comme ça et on s'entendra pendant très longtemps.
Je déglutis. Ils se passent un paquet contre quelques liasses de billets.
— Hyunjin ?
Le prénom de mon cousin de détache de mes lèvres. Et quand j'arrive à leur hauteur, je décèle mieux sa chevelure longue et coloré. Il me fixe et me partage une brève surprise, qui se dissous quelques minutes après au profit d'un air détaché.
— Yo.
— Qu'est-ce que tu fais ici ?
— Des affaires, dit-il en comptant ses billets.
Une fois qu'il termine sa besogne, il ajoute.
— Et aussi court qu'à été notre rencontre, ça m'a fait plaisir. J'dois y aller.
Il plonge ses doigts gelés dans les poches de ses vestes et n'hésite pas à nous tourner le dos, non sans un bref regard à mon ancien colocataire. Ce dernier se contente de sourire. Une fois que le silence retombe, il m'observe.
Il s'approche, munie d'un sourire en coin.
— Bah alors, tu fous quoi seul sous la tempête ?
— Abuse pas. On ne peut pas appeler ça, tempête.
Les flocons fragiles effleurent à peine mon corps. Ma veste Harrington à la doublure épaisse me protège d'elles. Et puis, j'aime bien l'odeur de l'humidité.
Il passe un bras autour de mon cou comme à son habitude.
— Tu faisais... avec Hyunjin, commencé-je, un peu nerveux.
— Relax. Ça passe crème. J'me ferais pas cramer.
— Ok mais, ralenti.
Je m'élance sur le sujet, un peu timide, comme de peur de le bousculer. Il m'est arrivé d'abuser de substances illicites par le passé, au point de me perdre dans une réalité illusoire. Là où l'angoisse, tranchante, dissèque l'esprit.
Dans les cas les moins chanceux, c'est la mort qui l'emporte.
— T'inquiète, je sais ce que je fais.
— Ouais j'dis pas- je m'arrête. Ce que je veux dire c'est que ça peut aller très vite. On n'est pas à l'abri d'une overdose.
— Sunoo.
On stoppe nos pas. Il me fait face, et j'ai du mal à interpréter son regard.
— Je vais bien.
— Je ne dis pas le contraire.
— Alors, c'est quoi le soucis ? Relance-t-il sur un ton calme.
— Aucun. Je veux juste que tu fasses attention.
Il est vrai que par le passé, nous n'avions jamais eut ce type de discussions. Je veux dire, Ni-ki et moi aimons nous perdre entre taquineries mesquines et humour médiocre. Les démonstrations d'affection de trop ne nous ressemblent pas.
Or là, je ne peux pas empêcher l'inquiétude de remonter à la surface.
— Ok, d'accord, finit-il par lâcher dans un souffle.
— Je ne t'ai pas vexé j'espère ?
— Non ? Rétorque le jeune homme, le sourcil arqué. Pourquoi je le serais ?
Je hausse les épaules. Peut-être parce que je me suis un peu trop immiscé dans sa vie privée. Je ne m'en rend compte que maintenant.
— J'ai juste pensé que- commencé-je en voulant m'expliquer.
— C'est ça ton problème. Tu penses trop dans ton coin.
J'ai l'impression que cette phrase veut me passer un message différent du sujet actuel. Elle entache ma mine. J'ai tendance à me perdre dans mes pensées, comme les humains en général. Pas tant que ça, toutefois ?
— Ça veut dire quoi ça ?
— Rien. Au fait, on sort en ville ce soir avec les gars. Ça te tente ?
— Peut-être. Pourquoi pas.
Nous reprenons notre marche, toujours avec son bras harponné à mes épaules. J'imagine qu'une sortie me fera du bien.
Mais d'un coup, le doute s'infiltre en moi.
Habituellement, nos sorties se font dans un groupe restreint. Un groupe qui comprend Heeseung. Ça veut dire que je le reverrai. J'ai peur que ça soit gênant. Maintenant qu'on ne se parle plus, va-t-on aussi avoir des groupes d'amis différents ? Je pense que si quelqu'un devra se détacher, ce sera moi.
Les autres le connaissent bien plus longtemps que moi.
Et je n'ai que Giselle. Et Ni-ki. Et Karina. Mais Karina est rarement présente. Ni-ki est un papillon sociable qui ne demeure jamais en place. Alors, je n'ai que Giselle.
Dans le doute, je demande quand même.
— Heeseung sera là ?
— Ouais. Comme d'hab.
Hésitant, je reprends.
— Et... Il a accepté ?
Le silence s'étire sur un laps de temps, avant que le blond ne me fournisse une réponse.
— Plus précisément ?
— Il accepte de venir tout en sachant que je serais là ?
Par un regard en biais, je vois ses sourcils se froncer.
— Pourquoi ? Il y a un truc qui va pas entre vous ?
Sa réponse me surprend un peu. Elle me pousse à la réflexion. Des mots muets s'effeuillent de mes lèvres. Je marmonne tout bas, en émettant des hypothèses sur la raison pour laquelle, Ni-ki a l'air de ne rien savoir.
— On n'est plus potes.
La nouvelle tombe comme un coup de poignard. Je m'en rend compte, c'est la première fois que je le dis de vive voix. Ça rend la chose plus réelle. Une exclamation de surprise peint la figure exquise de mon ex colocataire.
— J'savais pas.
— Il n'a rien dit ?
— Non, il est comme d'habitude. Bon, un peu bizarre avec son pote là, Jungwon je crois.
Mes sourcils se creusent. Je suis vivement intéressé par le sujet. Jungwon, son copain ? Enfin, je le suppose vu qu'ils se sont embrassés dans la remise.
Toutefois, personne ne parle de leur relation. Peut-être qu'elle est cachée. Puisqu'ils se dévorent les lèvres à la discrétion de tous.
— Comment ça ?
— J'veux dire, je crois qu'il y a plus que de l'amitié entre eux. Je ne veux pas faire de suppositions mais voilà, la façon dont Jungwon le matte.
Mon cœur se resserre. Je ne sais pas pourquoi savoir qu'ils sont ensemble me fait autant mal. À croire que je perds Heeseung parce qu'il est en couple. C'est une pensée toxique qui ne me plaît pas. Il ne m'appartient pas.
L'humeur mélancolique, je me remémore mon enfance tumultueuse à cause de Heeseung. C'était un enfant tornade. J'en venais à oublier les rires moqueurs en sa présence, pour me perdre dans ses mirettes comparable à la voûte nocturne assaillie par une marrée d'étoiles.
Mes larmes salées s'en allaient pour rejoindre ses éclats candides. Dans les années qui ont suivies après notre séparation, nous avons gardé contact grâce aux réseaux malgré la distance importante qui nous séparait.
Qu'auraient été mes nuits blanches peuplés d'idées noires sans nos appels téléphoniques ? Perchés sur les toits de nos maisons comme des oiseaux maudits, à se laisser aller à quelques rêveries malgré l'insomnie lancinante.
C'est l'époque à laquelle j'aimerais revenir.
Car quelque part, il a un peu été ma boussole. Pas étonnant que je me sois perdu dès que nous nous sommes perdus de vue. Trois années d'errance à chanceler dans le vide, trouvant refuge dans l'extase que procurait les opiacés.
— Ils sortent ensemble, tu penses ?
Égoïste est mon cœur, à vouloir garder son soleil rien que pour lui.
— À toi de me le dire. C'est ton meilleur ami, réplique Ni-ki.
Mes sourcils se rehaussent. Je confronte ses pupilles étincelants. Elles ont toujours été comme ça. Deux billes transpercées par ses émotions les plus vraies. Une âme à la pensée libertine, qui évoque toujours tout haut, ses pensées les plus basses.
— Je ne t'ai jamais dit que c'était mon meilleur ami.
Ni-ki roule des yeux.
— Pas besoin. Vu le nombre de fois où ton nom lui vient à la bouche. Heeseung a du nous répéter un million de fois à quel point vous étiez proches. Sunoo par ci, Sunoo par là.
Je suis surpris.
Heeseung a fait ça ? Mon cœur virevolte au carburant de sentiments qui s'éveillent. Mes pensées s'emballent, le vent les emporte. Une chaleur naissante se propage dans le reste de mon corps. Le sang afflue vers mes joues, destination fatale.
Pendant une seconde, je souris.
Et ce sourire se fane la seconde d'après. Je regarde mes mains destructrices qui ne peuvent s'en prendre qu'à leur propriétaire. Elles ont tenue le lien que je partageais avec Heeseung, l'ont fragilisé pour le réduire en cendres.
Je me sens coupable, détestable.
La mer de regrets remonte et remplis mes yeux. Mes rétines brûlent à leur passage. Tout me paraît si vide à présent. J'aurai voulu avoir un autre corps, une autre personnalité capable d'accomplir de meilleurs actions.
Et alors, peut-être que je n'aurais pas à me morfondre dans l'immensité de cette culpabilité tardive qui me dévore.
C'était plus simple, lorsque nos cerveaux de bambins insouciants n'avaient pas à trop réfléchir.
C'est plus dur dans un corps adulte. On écope de maux inguérissables, et le cœur se noircit. Les erreurs se répètent. Les regrets s'en suivent. Je l'ai laissé partir. C'est de ma faute.
— Tu, attends, ça va toi ?
Je cligne plusieurs fois des yeux et secoue la tête.
— Ouais, lui fournissé-je d'une voix loin d'être crédible.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top