Cassette 5 Face A
Son premier réflexe fut de se lever pour regarder à la fenêtre, 42 étage plus bas s'il se passait quelque chose. Elle avait un très mauvais pressentiment, le genre qui vous étreint les tripes, serre le cœur, et arrête toutes tentatives de pensées cohérentes. Elle qui était d'ordinaire si clairvoyante, enfin c'est ce qu'elle tentait de se convaincre, aujourd'hui ne voyait qu'un épais brouillard lui obscurcir ces pensées et sa vue. Son travail avait été soudain interrompu par une coupure générale de courant. Des articles défilaient sur son écran sans qu'elle ait aucun contrôle dessus, quelqu'un d'autre l'avait et il comptait bien faire passer son message jusqu'au bout. Soudain, l'arrêt des écrans derrière elle lui fit tourner la tête. La pièce était plongée dans l'obscurité, la seule source de lumière venait du message qui s'affichait désormais sur tous les écrans en grandes lettres blanches.
« On sait ce que tu as fait. On sait tout et on ne s'arrêtera pas là. »
De là-haut elle ne voyait qu'un attroupement de fourmis, peinant à deviner quoi que ce soit de si loin. Alors comme de toute manière le travail était suspendu et qu'elle était bien trop stressée pour attendre, elle prit l'ascenseur en courant. D'ici les pancartes n'étaient que des points sur la tête de toutes ces virgules.
Sa respiration était saccadée, quelque chose n'allait pas, elle pouvait très clairement le sentir au fond d'elle tout en faisant les cent pas dans l'ascenseur. Ce pourrait-il qu'elle soit responsable de ça ?
C'est impossible.
Pourtant c'est une évidence, mais le déni dont le cerveau peut faire preuve parfois n'a pas de limites. Pas elle. Elle n'aurait jamais pu... Jamais voulu... Comment se peut-il... ? Toutes ces questions, auquel elle faisait soudain face, sans attendre qu'on lui réplique, avaient pourtant leurs réponses. Quelque part derrière ce voile qui lui paraissait inaccessible et même invisible, pour autant son cerveau avait raison de lui cacher parce que le choc aurait été trop brutal à cet instant.
Un frisson désagréable la parcourut jusqu'à ce que les portes de l'ascenseur s'ouvrent. Elle courut jusqu'aux portes d'entrée, traversant tel un boulet de canon le hall. Mais elle devait être certaine de quelque chose, une seule petite chose, un seul indice qui pourrait à lui seul l'aider à comprendre clairement ce qu'il se passait. Cependant, ce qu'elle ne réalisait pas bien, c'est qu'aujourd'hui sa vie, à cet instant T, venait de changer à tout jamais. Quelqu'un, quelque chose, venait de lui donner encore plus de chance qu'un gagnant au loto, l'opportunité de rester en vie, si seulement elle s'en rendait compte... Pour le moment la seule chose dont elle était consciente c'est que dans cette histoire soit elle était inculpée ou disculpée, il n'y aurait pas d'entre-deux. Pas de nuances de gris, pas de miracle. Une petite voix au fond d'elle lui donnait encore une fois la réponse.
Tu es coupable et innocente. Protagoniste et deutéragoniste. Vivante et morte, mais tu n'es pas le problème, ni la solution du problème. Personne ne le saura jamais.
Quand les portes battantes s'ouvrirent à leur tour, une brise fraîche et sournoise s'insinua en elle. Comme si ses sens s'activaient petit à petit le bruit sourd d'une manifestation lui vrilla les tympans. Dans un premier temps, il lui fut impossible de distinguer quoi que ce soit distinctement, tout n'était qu'un brouhaha sauvage et mugissant. Pourtant quand ses oreilles et son cerveau travaillèrent de concert pour essayer d'entendre une phrase, une seule et unique petite phrase, elle perçut tout d'abord, toujours aussi fort, les hurlements de la foule. Puis vinrent progressivement les slogans assourdissants au loin, mais seul le premier atteignit son cerveau puis des acouphènes lui vrillèrent rapidement les oreilles. Et ce qu'elle entendit, cette information, son thalamus le réceptionna et la communication se fit immédiatement vers son cerveau reptilien. Il n'était pas sujet d'une quelconque seconde d'hésitation. Brusquement tout était clair et obscur, sourd et retentissant, muet et fracassant tout se mélangeait en un paradoxe limpide et primal. Tout cela n'était pas normal, ça ne l'avait jamais été, le voile était tombé et il fallait à présent... QU'ELLE COURE.
Non... Il va me tuer... Je vais mourir.
Quand son état de sidération et ces peurs les plus sombres furent chassés par son instinct de survie qui lui rugissait de courir, sa vue s'habitua soudain au monde alentour pour chercher quelque chose. Un autre indice, peu importe dans cette pagaille. Elle s'avança vers la foule à contre-courant, roula un peu des coudes à travers les uns et les autres jusqu'à ce qu'un peu plus en retrait elle remarque le van, elle n'avait aucun doute quant à son propriétaire. La personne assise dedans, sa tête blonde ne remarquait pas plus la petite rousse apeurée devant ces phares qu'il ne distinguait un moustique écrasé sur son phare gauche. S'il l'avait vu peut-être qu'il en aurait été autrement.
Son regard se posa une seconde sur cette tête qu'elle n'avait vue qu'une fois et qui pourtant l'avait frappé. Soudain elle eut du mal à respirer, sa tête lui tourna tandis qu'elle recula hébétée par ce qu'elle venait de comprendre. Des images, des souvenirs, des bribes illuminèrent sa vision, comme un orage intérieur tonitruant que personne ne pouvait voir à part elle. Les éclairs, le tonnerre de son cerveau qui semblait à présent trop petit pour son crâne, le noir des nuages qui lui obscurcissaient la vue...
Il ne pouvait pas avoir fait ça... Pas lui. Je vais mourir.
Tout ça, c'était de sa faute. Comment avait-elle pu être aussi naïve ? Elle posa une main sur son buste comme pour essayer de mieux respirer dans cette infernale tempête intérieure, mais c'était peine perdue. Sa respiration comme ses pensées se bousculèrent, fusionnant en question par milliers qui ne faisaient qu'alimenter son manque d'oxygène devenu non plus l'essence de sa vie, mais celle de son angoisse. Elle ne pouvait pas remonter dans les immeubles de la société qu'elle venait de trahir. À part à souhaiter mourir. Les larmes lui montèrent comme une odeur d'ammoniac et elle se mit enfin à courir à toute allure à travers la ville jusqu'à être assez loin de cette société, de la manifestation, de ce putain de van pour siffler un taxi. Il fallait qu'elle échappe à la mort avant qu'il ne la retrouve. Parce que ce n'était qu'une question de temps, Il retrouvait tout le monde. Toujours.
Le conducteur avait ses instructions, il devait l'emmener vers un bar à la sortie de la ville. Pendant la course, elle fixa l'écran de son téléphone, son collègue qui travaillait en étroite collaboration avec elle ne cessait de lui envoyer des textos et de l'appeler, mais elle ne répondit pas, elle ne pouvait pas. Pour eux, pour cette société, pour lui, elle devait cesser d'exister.
Le taxi la déposa devant ce bar mal éclairé aux allures malfamées, mais c'était le plus loin du centre-ville. C'était parfait, car elle ne voulait aller dans aucun lieu où on pouvait la chercher en premier. Elle tendit l'argent au taxi, un billet trainait dans sa poche de blazer, heureusement car elle n'avait rien pris en partant, sac, carte de crédit, ordinateur. Quand le taxi fit crisser ses pneus, elle jeta un œil au cimetière à côté duquel était maladroitement placé ce taudis. Elle en était sûre, jamais elle n'aurait la chance d'avoir une sépulture et comme pour valider ces pensées son regard se posa sur une affiche collée sur le poteau électrique.
PORTE DISPARUE AVEZ-VOUS VU CETTE PERSONNE ?
Ces mots résonnèrent dans sa tête alors qu'elle se décida enfin à rentrer dans le bar discrètement. Cependant, passer inaperçu s'avère être un échec dès son entrée. Portant un costume bordeaux sans rien sous sa veste assez large avec une paire de talons hauts, ce n'était pas vraiment le genre de la clientèle. Chaque tête du plus alcoolisé au dernier arrivé se tourna vers elle dans un silence pesant jusqu'à ce que l'un d'eux se détourne vers le match de baseball.
— Putain de parité.
Sans se démonter, elle se dirigea vers le comptoir sous le regard intrusif de la dizaine d'hommes présents dans la pièce. Elle avait réussi à les détourner du sport qui passait à la télé, c'est pour dire si les filles se faisaient rares ici, preuve étant le magnifique accueil de cet homme. Remarque le taulier ne semblait pas plus accueillant, mais elle avait l'habitude d'être entourée d'hommes. Certaines auraient donné un grand coup de pied dans la fourmilière, mais sa technique, à elle, était plutôt de se faire si petite que plus personne ne la verrait. Pourquoi pas, en revanche cette technique ne lui réussissait pas, c'était une évidence pour tout le monde, sauf elle. Au rythme des cris des supporters, elle récupéra sa commande et s'assit à une table dans la pénombre derrière l'entrée principale sans rien dire de plus. Le choc l'anéantissait, il lui semblait que sa bouche pesait une tonne et ses pensées tout autant. Rien ne paraissait cohérent, même si pourtant elle ne voulait pas, elle n'a jamais voulu, ça. Qu'est-ce qu'il allait faire... ? Est-ce qu'il la retrouverait ? Son avenir était foutu selon elle. D'ailleurs, elle n'avait pas tout à fait tort dans le fond, mais ce n'était qu'un mauvais moment à passer. Elle ne dessinerait plus jamais et encore moins pour un journal. Son rêve s'écroulait brusquement sous ses yeux comme un château de cartes. Ce boulot elle ne l'aimait même pas en plus, et elle allait perdre ces choix d'avenir, sa carrière rêvée pour lui. Mais est-ce qu'elle pouvait y penser, à cet avenir... ? N'allait-elle pas finir coulée sous une dalle de béton, oubliée de tous... ?
Elle laissa tomber sa tête entre ses mains, ne sachant pas quoi faire. Qui croirait à son histoire ? Et surtout serait-elle capable de la raconter... ? Une pensée lui traversa l'esprit. Celle d'un corps étendu maculé de sang dans une chambre de motel miteuse.
Réfléchissons. Il faut que je garde la tête froide à tout prix.
Qui ne voulait-elle pas impliquer était sa principale question ou tout du moins qui pouvait l'être de manière totalement désintéressée. Parce qu'à partir du moment où elle mettra quelqu'un au courant il serait complice et donc sa cible principale. Elle réfléchit plusieurs minutes tout en faisant défiler ses contacts avant de se rendre compte que sa réflexion était totalement stupide, seul quelqu'un d'intéressé la protégerait, c'était évident. Tremblante, elle vida son verre cul sec avant de prendre son téléphone pour contacter la seule personne qui la croirait et qui sera de toute manière innocentée. Il était bien trop malin pour ça.
J'ai besoin de toi... C'est au sujet de... oh merde... Je suis tellement désolée. Il faut que tu m'aides, je t'en prie.
Les larmes la gagnèrent au fur et à mesure de leur conversation. Elle lui expliqua les 10 dernières minutes avant que sa vie ne prenne un tournant dont elle ne pourra pas revenir.
Attends je regarde les caméras de surveillance... Lui répondit-il posément.
Un long silence s'ensuivit jusqu'à ce qu'il jure au bout du fil. Ils semblaient se comprendre pourtant lui et elle ne parlait pas du tout de la même chose.
L'enculé. Je te rejoins tout de suite.
Il raccrocha sans qu'elle ne lui ait indiqué aucune adresse pourtant en une vingtaine de minutes il était assis en face d'elle. Le collègue qu'elle avait choisi n'était autre que l'agent responsable de la sécurité informatique de son entreprise. Évidemment, ce titre cache en fait une autre profession ou tout du moins un talent, ce n'est que du politiquement correct pour dire que ce type était engagé pour ses facultés hors pair de hackeur. Ils ne s'étaient rencontrés que très récemment, mais il y a tout de suite eu quelque chose de plus entre eux. Tout à commencer à un séminaire il y a 2 mois.
L'équipe profitait d'un séjour dans un hôtel luxueux pour avoir fait de bons chiffres. Elle ne remarquait personne, elle était sur son téléphone à attendre la réponse de son amant qui ne venait pas. Oui, ils s'étaient encore disputés parce qu'il ne souhaitait pas qu'elle y aille. Il voulait qu'elle reste à la maison avec lui, il ne l'a pas dit, mais il désirait sa nourrice, maman, faire valoir et secrétaire non officielle à ses côtés. Il ne voulait surtout pas perdre le contrôle surtout face à une fille comme elle. Donc il décida de son côté de faire le mort tout en exultant à chaque message qu'il recevait tandis qu'elle se sentait plus désespérée que jamais. Elle avait peur de perdre l'amour de sa vie. Que nenni !
— Bah alors, tu viens jouer avec nous, je suis sûr qu'on formerait une aussi bonne équipe qu'au travail !
Son collègue, et binôme, réussis à la sortir de ses pensées.
— Si on est aussi concentré qu'on l'est au travail, je ne mise pas ma chemise qu'on va réussir.
— Ce ne serait pas une idée déplaisante pourtant, lui lança un des types autour du billard.
Elle ne l'avait jamais vue de surcroit d'une nature discrète avec les inconnus par conséquent ne releva pas.
— Tu ne peux pas rester toute la soirée sur ton téléphone, allez, ça va être fun !
— Non, écoute je suis crevée de toute manière il faut que j'aille me coucher.
Elle le remercia avant de se lever et partir, son pas était décidé, mais une main qui lui étreignit le bras la stoppa. Brusquement de mauvais souvenirs refirent surface la prenant à la gorge comme une odeur de vomi. Tout ça n'était encore qu'inconscient parce que le voile était si bien placé qu'elle pensait le mériter. C'était sa faute. C'est comme si toute sa vie se résumait à se voiler la face, elle n'avait jamais été préparée à vivre ça personne ne l'était, mais une personne aussi candide qu'elle n'était d'autant moins apte à l'encaisser. Alors son cerveau faisait de son mieux pour qu'elle traverse toutes ces épreuves en un seul morceau, ce qui n'était déjà pas une mince affaire face à un loup.
— Je peux venir te border si tu veux, ou te chanter une berceuse.
C'était la même personne qui lui avait déjà fait une remarque et dans son extrême faiblesse elle ne répondit rien se contentant de lui caresser la main pour qu'il lâche son étreinte, comme elle l'aurait fait avec Lui. Encore une fois, tout tenait de l'habitude elle-même ne se rendait plus compte que ce n'était pas normal comme réaction. Surpris, il lâcha sa prise immédiatement.
Elle descendit à l'étage du dessous en silence où étaient situées les chambres du groupe. Elle mit son portable à charger en regardant tous ses réseaux. Il avait posté des choses alors il était sur son téléphone, elle doit donc se rendre à l'évidence, il ne voulait pas lui parler. Ce qui aurait dû lui sauter aux yeux depuis quelque chose comme 8 heures, au moins. Elle était si loin dans cette bulle qu'elle ne réfléchissait même plus, pas même à la fermeture correcte de sa porte de chambre. Désormais dans la salle de bain, elle retira sa chemise, puis son pantalon de tailleur et se regarda dans le miroir. Elle se rendait compte quelque part qu'elle n'était que l'ombre d'elle-même, mais son âme était comme louée. Elle ne lui appartenait plus, ses pensées, ses actes, ses paroles, ses gestes tout était dicté sans qu'elle s'en rende compte ou peut-être qu'elle s'en rendait compte, au fond. Ce qui est sûr c'est qu'elle fût bien lucide quand la porte de sa salle de bain s'ouvrit laissant découvrir le fameux type qui lui avait fait des avances quelques dizaines de minutes plus tôt.
— Que fais-tu là ? On risquerait de te voir ! s'inquiéta-t-elle.
— Oh, je ne pensais pas que... Excu...
Elle s'approcha brusquement de son intrus afin de fermer la porte de la salle de bain à clé derrière lui. Son corps était à quelques centimètres du sien, elle pouvait entendre les battements de son cœur. Ils lui semblèrent à l'unisson avec les siens aussi saccadés, aussi erratiques, mais en harmonie. Elle ne se rendit même pas compte que son comportement n'était même pas adéquat à la situation. N'importe qui aurait hurlé parce qu'un inconnu lui aillant fait des allusions s'était introduit dans sa chambre d'hôtel, mais pas elle. C'est comme si face au démon, elle souriait. Peut-être parce que son enfer était déjà avec Lui alors le paradis se trouvait logiquement n'importe où, mais ailleurs.
Malgré la proximité de leurs deux corps et en parti celui de cette magnifique jeune femme qui lui faisait face, il se lança. Ce n'était pas un pervers, il était là pour une bonne raison. Il devait se rendre à l'évidence, il avait eu un coup de foudre pour elle, mais au-delà de ses sentiments personnels, un signal c'était déclenché dans sa tête, elle n'était peut-être pas lucide sur ces actes, mais lui, oui.
— Écoute, je... Je voulais juste venir te voir pour savoir si tout allait bien.
— Si je te dis que ce sont mes affaires... ?
Aucun son ne sortit de sa bouche, il se contenta de rapprocher ses lèvres de celle de cette magnifique rousse. Hésitant à quelques millimètres, il ne savait pas ce qu'il devait faire. C'est vrai, il voulait être un homme bien, c'est ce qu'il a toujours cherché à faire derrière tous ses actes, le bien. Mais rentré dans la chambre d'une femme, puis dans la salle de bain alors qu'elle va se doucher puis potentiellement l'embrasser, il n'était pas sûr que ce soit adéquat avec son concept du consentement.
— Tes affaires sont par terre actuellement, poupée.
Le souffle court il articula avec soin tout en sentant le doux souffle de cette femme sur son visage.
— Je peux te poser une question ? lui demanda-t-elle.
— Vas-y.
— Pourquoi moi ?
Son sourire à lui s'élargit sans pour autant la quitter une seule seconde des yeux malgré leur proximité.
— Pourquoi la Terre, pourquoi la vie ? C'est quelque chose qui se passe ici, et très peu là.
Il lui pointa d'abord son cœur puis sa tempe pour souligner ces propos.
— Montre-moi, lui chuchota-t-elle du bout des lèvres.
Elle ne savait pas ce qui lui prenait, mais pour la première fois elle se laissait guider par son cœur. Il s'était passé quelque chose quand elle avait croisé son regard, mais elle l'avait immédiatement enfouie tout en étant parfaitement consciente de ce fait. S'il devait se passer quelque chose, ce serait ce soir, éloigné de cette maison, de Lui, du travail, de tout. Mais là tout de suite elle n'avait envie de rien à part de se laisser aller dans les bras de ce grand audacieux aux cheveux noirs. Il ne mit pas longtemps avant de l'embrasser délicatement puis plus fougueusement. Chacun avait besoin de ce baiser, mais de manière différente. Elle avait seulement besoin d'être aimée tandis que lui avait besoin de la sentir contre lui comme pour essayer d'exorciser ses démons qui semblaient maintenir son âme captive. La découverte de leur corps à tâtons ne faisait qu'alimenter le feu qui les animait. Leurs baisers se faisaient de plus en plus assurer tandis qu'il la souleva afin de la déposer sur le lavabo, elle plaça ses jambes bien autour de sa taille, l'enserrant fermement.
Elle ne put nier, ce qu'elle était en train de vivre, ce qu'il était en train de lui faire, elle ne l'avait jamais vécu. Cette espèce de déconnexion avec la Terre, comme si elle avait atteint un niveau de conscience bien plus élevé, un endroit, un moment indescriptible alors qu'il ne faisait pas grand-chose... Mis à part s'occuper de son plaisir ; pour une fois, quelqu'un se préoccupait d'elle et de son corps, pour une fois elle n'avait pas l'impression d'être une vulgaire poupée gonflable et encore le mot poupée est un bien trop joli pour ce que c'était vraiment. Un vide-couille multi orifices. Évidemment, elle préférait bien mieux ce terme dans la bouche de cet homme, car sa signification semblait tout autre. Les cheveux contre le miroir, sa fraîcheur exacerbait sa sensation de chaleur qui remontait jusqu'aux oreilles. Ses jambes tremblaient, son corps tout entier ne semblait plus lui répondre, mais pour une fois elle adora ça parce que paradoxalement elle ne s'était jamais sentie aussi libre qu'à cet instant.
Une fois que la salle de bain ne leur suffit plus, ils se jetèrent sur l'immense lit avant de poursuivre cette découverte charnelle.
Le lendemain matin, son réveil d'urgence la réveilla. En effet, leurs activités « d'équipe » ne commençaient qu'à 14 h, mais pour parer toute éventualité elle avait mis une alarme à 13 h juste « au cas où ». À peine ses yeux ouverts, elle paniqua, avant de filer immédiatement sous la douche où elle se fit rejoindre quelques minutes plus tard.
— C'est une manie de rejoindre les femmes quand elles sont dans la salle de bain ? rigola-t-elle.
Il lui laissa découvrir son rire franc et rocailleux avant de la rejoindre sous la douche et l'embrasser tout en lui prenant le pommeau.
— Pourquoi es-tu resté ? C'est ridicule, je ne connais même pas ton prénom en plus, continua-t-elle.
— Parce que tu m'as demandé de te montrer, lui répondit-il avec un sourire tout en lui susurrant son prénom dans son oreille.
Son cœur battant la chamade à nouveau elle lui répondit les yeux fermés et le souffle court.
— Tu sais que j'ai quelqu'un...
— Absolument, mais je sais aussi qu'il n'est pas là et qu'aujourd'hui il y a quelque chose de plus dans ton regard.
La vie. Son regard, hier, manquait cruellement de vivacité. C'est comme si elle avait été totalement éteinte.
De cette incroyable rencontre a démarré une histoire. Elle n'aurait jamais pensé être ce genre de femmes, mais il y a également beaucoup d'autres choses qu'elle n'aurait jamais imaginé. La vie est ainsi faite. Elle avait essayé de résister et lui aussi d'ailleurs parce qu'il connaissait son petit ami et il voulait tout sauf avoir des ennuis avec Lui. Il y a eu des regards, des moments d'égarements dans l'ascenseur, des caresses volées, mais ils ne voulaient pas assumer ce lien entre eux. Puis un jour en rentrant après une énième dispute son conjoint a lancé ses clés de maison, à elle, par la fenêtre par pure colère comme il en avait l'habitude. Mais cette fois-ci, son sadisme le poussa à partir pour quelques heures en prenant soin de fermer derrière lui. À ce moment, on aurait pu se dire qu'en toute logique et selon toute vraisemblance elle aurait compris.
Compris que quelque chose n'allait pas, qu'il avait un problème, que leur relation n'avait rien de sain. On n'enferme pas son conjoint dans leur appartement-terrasse au 20e étage parce que le repas est prêt alors qu'une réservation avait été effectuée par monsieur en amont dans un restaurant chic de la ville. Elle a donc pu profiter de son poulet rôti aux truffes avec des patates douces rôties au miel, cet excellent repas qu'elle a eu toute l'opportunité de savourer seule. Mais aussi, le temps de faire la vaisselle, d'appeler son amant dont elle s'abstint de mettre au courant de tous les détails qui la lança dans un jeu coquin par téléphone, le temps de se doucher, de dormir. Ce jour-là, elle n'a pas eu le déclic qu'on pourrait attendre, elle ne s'est pas dite ; ce type est fou, je dois m'en aller dès que je peux, il ne m'aime pas de la manière qu'il faudrait si tant est que ce soit vrai, ce n'est pas normal que je me retrouve enfermée dans un appartement. Non. Elle s'est juste dit qu'elle avait envie de voir son amant. Elle s'en voulait d'ailleurs pour ça et quelque part, tout ça elle pensait le mériter parce qu'elle l'avait trompée et pire encore elle avait des sentiments qu'elle ne souhaitait plus refouler envers son amant. Elle le voulait. Après tout ce qu'Il lui faisait vivre, tout ce qui l'avait réussi à faire naître en elle c'était l'envie de liberté, c'était cette sensation de fougue qui aujourd'hui la levait chaque jour que Dieu voulait bien lui accorder.
« L'oiseau en cage rêvera des nuages. »
Les jours qui ont suivis, plus Il s'énervait, plus elle s'éloignait et plus c'était le cas plus Il s'énervait. D'un côté, qu'est-ce qui ne l'énervait pas ? En parallèle, les deux amoureux n'ont pas mis longtemps avant de décider de se revoir et de ne plus résister à leurs sentiments. Ils se voyaient le plus souvent tard le soir, elle prétextait d'avoir du travail pour rester sur place. Ce n'était que lorsqu'elle était sûre qu'Il rentrait chez eux, qu'elle allait le rejoindre dans son bureau qui se trouva soudainement meublé d'un canapé convertible. Ce qui n'était pas choquant pour le grand bureau de l'employé responsable de la sécurité informatique de l'entreprise. Petit à petit, cette femme qui s'était vue dépossédée de tout s'émancipait. Elle faisait de nouveau grandir la fleur de l'indépendance en elle, mais à l'abri de tous et surtout de Lui. Comme un trésor que personne ne devait voir pour ne pas le souiller.
Ça aurait pu durer pour eux, ils n'avisaient pas plus loin que le moment présent, chaque journée devait se finir pour arriver à cet instant charnel aussi vite que possible. Évidemment il y avait quand même des règles, qu'elle s'était fixées pour ne pas se faire prendre, qu'Il le découvre n'était même pas une option pour elle. Parce que si elle devait imaginer sa vengeance, elle savait qu'elle ne toucherait même pas la vérité du bout des doigts. Il ferait pire. Bien pire que ses pires cauchemars. Alors :
– Elle devait rester impassible avec son amant dans l'entreprise. Pas de regard, d'intimité en privé, rien. Des politesses et c'est tout.
– Personne ne devait être au courant pas même la mère d'une mère, d'un ami. Personne.
– Pas de rendez-vous à l'extérieur.
– Elle devait le rejoindre 1 heure après que son conjoint serait parti de son bureau, pas avant. Même en cas de déplacements prolongés.
– Elle ne dormirait jamais sur place.
Mais après tout, on pourrait se demander ; pourquoi ? Pourquoi faire tout ça ? Pourquoi se cacher ? Pourquoi ne pas le quitter directement ? C'est ce que se demandait son amant à juste titre sans pour autant lui en avoir parlé. C'est un soir qu'il brisa le silence.
– Tu sais, tu pourrais le quitter, et toi et moi, on pourrait enfin vivre autrement qu'entre 23 heures et 3 heures.
– Tu ne sais pas comment il est...
Allongée sur le dos, nue dans les draps du canapé convertible elle regardait le plafond. Est-ce qu'elle devait lui dire ? Est-ce qu'ils pourraient vraiment être ensemble et heureux tous les deux... ? Parfois, elle se surprenait à en rêver.
– Tu... Je ne peux pas le quitter.
– Alors qu'est-ce qu'on est tous les deux pour toi ?
– Nous deux ce qu'on vit c'est... Je ne peux pas le quitter. Il a besoin de moi, et de toute manière je ne peux pas le quitter, c'est... Comme ça.
En fait, elle voulait dire que c'était une question de vie ou de mort, mais elle était tellement sidérée d'avoir ce genre de pensée qu'elle n'arrivait pas à le prononcer. Comme si le verbaliser rendrait soudain ça réel et intenable, alors qu'elle le vivait bien ce cauchemar.
– Mais pourquoi ? C'est ça que je n'arrive pas à comprendre ! Si tu es là, c'est que tu as un minimum de sentiments pour moi ? Alors pourquoi ne pourrais-tu pas le quitter ?
Il haussa le ton en la pressant avec toujours de plus en plus de questions. Au bout d'un moment, la cocotte explosa, elle ne voulait pas vivre avec lui non plus ce qu'elle vivait déjà avec Lui.
– PARCE QUE SI JE LE QUITTE JE N'AI PLUS DE VIE !
Elle se leva furieusement en se rhabillant, tremblante.
– Je ne peux pas croire que tu ne t'intéresses qu'au matériel...
Il avait évidemment tout compris à l'envers, mais en vérité comment imaginer qu'une personne que vous aimiez autant puisse vivre ça dans l'intimité ? On imagine que ça arrive aux autres ; à ceux qui pleurent à la télé, à celles qui sont en prison pour s'être défendues, à celles qui sont au cimetière pour n'avoir rien osé dire, à celles qui sont retournées poussière espérant qu'il change. Elle ne lui répondit pas et posa la main sur la poignée marquant un temps d'arrêt avant de l'ouvrir et partir. Elle était presque arrivée au niveau de l'ascenseur quand elle entendit sa voix derrière elle.
– Dis-moi ! Dis-moi les vraies raisons pour lesquelles tu ne pourrais pas le quitter et je promets de te laisser tranquille. Je te jure que plus jamais tu ne me verras si c'est ce que tu désires.
– C'est fini, lui dit-elle d'un ton neutre sans même porter un regard sur lui.
– Attends, tu préfères me quitter plutôt que de me dire ce qu'il y a... ?
Il courut dans sa direction, seulement vêtu de son pantalon, avant que les portes de l'ascenseur ne s'ouvrent et qu'elle s'y engouffre à jamais. Arriver à sa portée il posa son front contre le sien en l'entourant de ses bras, un poing de chaque côté de sa tête. Elle ouvrit la bouche tandis qu'il l'embrassa passionnément. Rien ne pouvait être aussi important que cette femme à ces côtés pas même un secret bien gardé ou un conjoint. S'il devait passer par là pour l'avoir à lui tout seul alors, qu'il en soit ainsi. Il était prêt à accepter qu'elle ne lui appartienne jamais vraiment. Aujourd'hui, c'est ce qu'il pensait, mais si un jour il apprenait qu'elle allait se marier, qu'elle était enceinte, qu'est-ce qu'il ferait ? Comment réagirait-il ?
Elle se contenta une nouvelle fois de se laisser bercer par l'instant présent. C'était les seuls moments dans sa vie où elle avait enfin la sensation de reprendre le contrôle. Mais avant même qu'un mot n'en sorte, l'ascenseur ferma ses portes aussi vites qui les avaient ouvertes à côté d'elle.
Aucun des deux ne voulait vraiment se quitter, tels deux inséparables, l'idée même de se savoir l'un sans l'autre leur était inenvisageable. Quand ses lèvres s'écartèrent des siennes, elle observa sa posture protectrice qui semblait lui susurrer que tout irait bien qu'elle était en sécurité avec lui et qu'elle pouvait tout accomplir. C'était pourtant une promesse impossible à tenir, mais qui n'a pourtant pas été prononcée.
– La question n'est pas qu'est-ce qu'il a besoin, mais que désires -tu au plus profond de toi... lui murmura-t-il suavement au creux de l'oreille.
Son esprit revint à ce bar miteux, à la personne devant elle que personne n'a jamais plus aimée qu'elle. Pourtant c'était bien elle qui l'avait laissée ce soir-là devant cet ascenseur. Elle lui expliqua ce qu'il s'était passé il y a quelques jours, la discussion avec diverses personnes qui l'ont aidée, sa prise de décision et ensuite sa découverte horrifique et nauséabonde pour enfin arriver à cet instant précis. Elle essaya de faire de son mieux pour que son discours soit le plus audible et compréhensible possible malgré des hauts le cœur et des vertiges. Le visage de son collègue éloigné et ancien amant était impénétrable, à dire vrai, il lui faisait même peur comme un père qui s'apprêterait à gronder sa fille.
– Je suis terriblement désolée.
Elle fondit en larmes, mais cette fois-ci, elle n'arrivait plus à se contenir emportant dans le sillage du tsunami de ses larmes ses verres qui lui étaient servis jusqu'à la lie. Quand elle se décida à se lever afin de ne plus faire face au néant qui lui faisait face, elle dut s'y reprendre à 2 fois, le tsunami avait laissé des séquelles. C'est en marmonnant, qu'elle se dirigea jusqu'à la porte voyant que son collègue ne lui était d'aucune aide. C'était à prévoir, non ? Elle l'avait abandonnée à ses sentiments et maintenant qu'elle avait besoin de lui il n'était plus là pour elle. Il ne semblait même pas disposé à la réprimander, finalement. À quoi bon. Elle observa sa chevelure noire de dos avant de pousser la porte en soupirant.
– Comment peut-on être aussi conne ?!
En entrant dans le bar, il était encore médusé par ce qu'il avait vu aux caméras quelques vingtaines de minutes plus tôt. Le pire dans tout ça c'est qu'il était en ligne avec elle quand il a commencé à voir se dérouler devant ses yeux, ce qu'il pensait être qu'une dispute qui a dégénéré. Sentant son énervement monter il avait raccroché précipitamment. Quelques secondes après l'appel de l'amour de sa vie, il en était intimement convaincu aujourd'hui plus que jamais. Il avait cherché une explication au désarroi de son éternelle poupée et ce qu'il avait vu à la caméra du couloir lui avait coupé le souffle. Il n'était pas au bureau ce jour-là donc il n'avait eu aucune idée du black-out qui était en train d'arriver, mais le destin avait décidé de briser l'omerta. Alors, lui avait immédiatement pensé qu'il lui était arrivé quelque chose au travail donc c'est naturellement qu'il avait décidé de regarder les caméras en premier lieu. Ses yeux ne s'étaient jamais autant concentrés tandis que sa tête bouillonnait, c'est pour ça qu'il ne se voyait pas regarder avec elle toujours au bout du fil. Pour qu'elle soit dans cet état au téléphone, il imaginait tout ce qu'elle avait pu subir. L'imagination est parfois un film édulcoré de ce qui se passe ou passera, pas dans ce cas. Là, il n'aurait pas pu concevoir le quart même le dixième de ce qu'il a vu. Dans un souci de confidentialité, les caméras dans les bureaux n'avaient pas de son, mais celles des couloirs en avaient afin qu'en cas d'attaque que ce soit verbal ou physique un maximum de preuves puisse être collecté. Et ce soir-là, Il l'avait oublié obnubilé par sa colère Il n'avait pas fait attention. La porte de son bureau étant grande ouverte on pouvait entendre des éclats de voix venant de Lui uniquement. Sa voix hurlante portait intelligiblement jusqu'aux fameuses caméras du couloir. En orientant l'objectif, il réussit à apercevoir sa belle qui semblait essayer de s'échapper des bras de son petit ami. Il lui tenait fermement le bras tandis qu'elle lui parlait calmement bloquée entre son bureau et son corps imposant. Il pouvait entendre son ton, mais pas ce qu'elle disait clairement, mais il l'avait tant de fois entendu lui susurrer à l'oreille qu'il lui semblait que sa voix fût gravée à vie quelque part dans son âme. Elle semblait essayer de le calmer en tout cas au vu des gestes tendres qu'elle avait pour Lui et malgré qu'ils se soient séparés il ne pouvait s'empêcher d'en souffrir encore. Tout d'un coup, il lui prit si violemment les joues qu'il entendit un cri de douleur lui vriller les tympans à travers le casque à tel point qu'il mit ses mains dessus, prêt à le jeter avant de se raviser.
– Tu vois où je dois en venir avec toi. Tu es avec moi, et tu te refuses à moi ? Ce n'est pas toi qui décides de quand. Tu m'appartiens, et cela pour toujours. C'est moi qui te fais l'honneur de m'offrir à toi, tu m'entends ? Si tu étais plus gentille, ça se passerait différemment, mais en ce moment tu ne me laisses pas le choix.
Avant même que son cœur finisse de se serrer à l'entente très claire de ses mots brusques, mais soudain beaucoup plus calmes, sur un ton menaçant, il lui prit avec force les cheveux et la plaqua contre son bureau.
Des hauts le cœur et des tremblements de rage le secouèrent devant son écran. Il pouvait l'entendre supplier d'arrêter qu'il lui faisait mal et pourtant la seule réponse qu'Il lui réservait était qu'elle le méritait tout en tirant un peu plus ses cheveux. Il ne savait même pas comment c'était humainement possible que ses cheveux ne s'arrachent pas tellement ils étaient tirés fort. À chaque coup de reins, il semblait mourir un petit peu avec elle, mais ces images alimentaient un brasier à l'intérieur de lui, une colère insoupçonnée, à cet instant il aurait pu détruire son appartement et même pire. Il s'obligea à regarder jusqu'au bout, il ne pouvait pas s'en empêcher, c'était comme s'il était hypnotisé par son écran. Son bourreau ne s'arrêta pas là, Il la frappa à de multiples reprises, il pouvait voir l'élan qu'il prenait et le sursaut qu'elle avait même ses petits cris éteints. Et quand il pensa enfin arriver au bout de cet enfer, Il l'obligea à s'agenouiller en lui promettant que si elle se livrait à du sexe oral pour lui, il lui pardonnerait tout. Mais évidemment, cette pratique n'avait rien d'un échange sensuel entre deux personnes amoureuses, c'était comme si elle était sa poupée gonflable. Il en avait vu des contenus audiovisuels sur le dark web, des choses qu'il aimerait aujourd'hui oublier et pourtant il approcha sa poubelle afin de vomir sans pour autant mettre pause, il ne pouvait pas. Quand il eut fini, il la prit dans ses bras en lui répondant que c'était une bonne fille, mais qu'il était fatigué alors il lui laissait le privilège de finir son travail tandis qu'il allait se reposer. Tenant à peine debout, il vit cette femme qu'il aimait tant se diriger comme un pantin désarticulé vers son bureau à lui avant de fondre en larmes devant sa porte.
C'est uniquement à ce moment qu'il se permit d'arrêter l'enregistrement. C'est donc de ça qu'elle parlait quand elle lui disait qu'elle ne pouvait pas le quitter... La colère arriva avant le choc. Il avait la main si serrée autour de la souris qu'il lui semblait ne plus pouvoir la bouger et se libérer. Quand il réussit à se libérer de sa contracture musculaire, il tapa frénétiquement sur son clavier avant de tracer l'appel de sa poupée. Après réflexion il ne se laissa pas le temps d'extérioriser sa colère et dans la voiture lancée à toute vitesse il eut l'impression de sortir d'un monde parallèle, son cerveau refusait t'intégrer l'information. Bien sûr, ces images venaient de se dérouler juste devant ses yeux, mais le déni essayait de s'installer insidieusement. Cependant, il ne se laissa pas prendre, mais ne put échapper à l'état de choc.
La voir dans cet état devant lui... Son cerveau encore une fois ne voulait pas suivre, si elle était là devant lui ça voulait dire que ce qu'il avait vu était bien réel. Et c'était en contradiction totale avec le processus de déni qui était en train de se mettre en place à l'insu de son plein gré. Il se forçait à rester le plus impassible, mais il se sentait la force de casser toutes ses tables à mains nues, de hurler à en vomir ses poumons, et de la couvrir de baisers de la manière la plus tendre qui soit. Pourtant il n'en fit rien. Il était là devant elle, sans pouvoir ne rien faire. Il se sentait si impuissant qu'une once de culpabilité s'ajouta à ce cocktail de sentiment qui commençait à lui monter au nez. Mais quand il vit l'amour de sa vie partir en larmes, les mêmes larmes qu'il avait vues devant les caméras, son cœur se remit à battre normalement l'espace d'une seconde comme si on venait de le défibriller. Quand la porte claqua, il se leva brusquement pour la rejoindre, il ne pouvait en être autrement. Elle n'eut pas le temps de s'en rendre qu'il la prenait dans ses bras, son torse contre son dos. Ça faisait si longtemps qu'ils n'avaient pas eu de contact physique qu'il lui sembla tout à coup respirer, comme si le jour elle l'avait quittée elle avait emporté avec elle son oxygène. De son côté à elle, un soupir profond s'échappa de sa bouche tandis qu'elle se retourna pour se blottir contre lui, le plus loin possible, là où elle ne risquerait plus rien. Après quelques minutes sans se parler, il plongea son regard azur dans le sien essayant de communiquer avec elle pourtant, il lui sembla être plus impénétrable que jamais à ses yeux.
– Ne sois pas si dure avec toi. Je te raccompagne.
Il la surprit tellement, qu'aucun son ne sortit de sa bouche tandis que les larmes coulaient toujours, mais en silence. Ces mots paraissaient totalement en décalage avec le moment qu'ils partageaient et pourtant ni l'un ni l'autre ne trouvait que dire de plus. Lui ne voulait ou ne pouvait pas lui parler de ce qu'il venait de voir et elle pensait qu'il avait vu qui était à l'origine de ce chaos. De plus comme elle ne ressentait pas le besoin de savoir qui était cette personne, le malentendu resta épais. Le trajet dans le taxi du retour fut silencieux. Elle s'en voulait tellement, à un point... Sa carrière était probablement ruinée maintenant, tout comme la sienne.
– Dis-moi la vérité, lui demanda-t-elle avec honnêteté.
– Les apparences sont contre toi, mais on va te sortir de là. Je ne peux rien te promettre, parce que tu t'es mise dans une affaire qui te dépasse largement. Prends soin de toi surtout, c'est le principal.
Il aurait aimé lui dire tellement plus, qu'il l'aimait toujours et que de voir ses images l'avait marquée à jamais. Qu'elle aurait dû tout lui dire bien avant tout ça pour qu'il s'occupe de lui, mais surtout que jamais il ne l'oublierait ! Pourtant aucun mot ne sortit de sa bouche parce qu'il planifiait déjà sa vengeance avec minutie tandis que le brouillard demeura.
Son regard à elle essaya de le sonder, mais les vapeurs d'alcool qui avaient aidé à calmer ses angoisses l'empêchaient à présent de distinguer clairement ce qu'il pensait. À une époque, elle n'avait eu qu'à le regarder pour savoir, mais à présent c'était comme si un mur était érigé entre eux. Elle se sentit soudain coupable, si ça se trouve une copine l'attendait chez lui avec inquiétude, une femme enceinte, une future femme. Qui sait de quoi la vie était faite... Ce qui était sûr pour elle à cet instant c'est qu'elle avait loupé le coche avec lui, elle pouvait définitivement tirer un trait sur eux. À cette idée, son cœur se serra plusieurs fois au point qu'elle en avait dû mal à respirer.
Elle le remercia une dernière fois, elle aurait aimé l'embrasser aussi passionnément qu'avant, aimer qu'il l'accompagne, qu'il lui promette que tout irait bien tant qu'ils seraient ensemble, mais tout ça n'arriva pas. Il lui tendit 500 dollars avant qu'elle ne sorte du taxi en direction du motel devant lequel il s'était arrêté. Elle ne put s'empêcher d'emprunter le téléphone portable de la réceptionniste pour lui envoyer un message qui restera à jamais lettre morte.
Toi seul pourras à jamais me satisfaire, car tu es le seul qui peut me sauver.
Épuisée, elle s'écroula sur son lit sans même prendre la peine de se changer. Inutile de préciser la qualité de sa nuit jusqu'au lendemain matin. En se levant, elle ne voulait pas se doucher, ne pas s'habiller, et surtout ne pas aller au travail. En l'espace d'une journée, elle avait tout perdu. Pourtant elle devait faire toutes ses choses même si ça devait être à contrecœur et avec une peur viscérale. Elle commença par rejoindre son appartement à cette heure-ci Il ne serait plus là. Pour autant, elle ne devait pas trainer pour ne pas qu'Il ait le temps de la voir aux caméras de surveillance. Elle enfila un tailleur des plus décolleté avec un rouge à lèvres flamboyant.
Quitte à être virée et peut-être même mourir autant l'être avec classe. Ce soir-là, elle avait dû renoncer à tellement de choses, qu'elle n'avait presque plus peur de ce qui pourrait lui arriver. Il avait emmené dans les tréfonds de l'Enfer avec elle et elle se sentait la force de lui faire face une dernière fois. Cette force dont elle n'avait pas fait preuve, mais qu'elle avait emmagasinée ce jour-là, elle la sentait ce matin lui courir dans les veines en harmonie avec son adrénaline. Elle préférait encore mourir libre plutôt que de vivre une seconde de plus comme une poule dans un élevage intensif. Une nouvelle personne venait de renaître de ses cendres et peut être était-ce l'alcool ou l'adrénaline, mais elle allait le quitter et personne ne l'en empêcherait. Même pas Lui. Elle allait tout recommencer à zéro, se défaire de l'amour de sa vie, d'ailleurs la pensée qu'elle ne lui avait jamais dit la rendit nostalgique, renoncer à Lui, rompre avec cette vie en Enfer, laisser derrière elle son travail. Redevenir libre même si cette liberté incluait de le perdre, elle ne préférait pas y penser tout de suite. Elle sentait encore son parfum dans ses narines. Son torse contre sa joue, qui lui avait si souvent promis qu'elle ne risquerait rien si elle se tenait exactement à cette place. Son cœur qui avait constamment l'allure d'un cheval de course avec tous les cafés et autres boissons énergisantes qu'il buvait. Mais elle ne pouvait plus reculer et l'inclure dans sa nouvelle vie voulait dire le mettre en danger et ça elle ne pouvait pas le supporter. Il y avait également une toute petite part d'elle qui se refusait de lui demander tout simplement pour ne pas qu'il lui dise qu'il était avec quelqu'un d'autre. Elle souhaitait à jamais garder l'image de ce grand homme brun ; ses cheveux mi-longs trop souvent négligemment coiffés d'un chignon, ses yeux bleus tachés de marrons, son nez, ses lèvres, son menton, la forme scandaleuse dont ses clavicules incitaient à regarder plus bas. Ce torse qu'elle avait si souvent enlacé, ses bras qui l'avaient serré tant de fois, ses mains qui lui avaient ouvert un monde qu'elle ne connaissait même pas... Ses yeux fermés elle mémorisa cette image en tête pour ne jamais l'oublier, tandis qu'un souvenir s'échappa de sa pensine.
C'était au début de leur relation, elle avait un dîner avec son équipe et son collègue de travail avait eu la bonne idée de l'invité alors qu'il n'avait pas grand-chose à voir avec l'équipe. Alors en secret ils s'étaient vus pour « se préparer » ensemble. Encore nu de leurs ébats incandescents, elle l'avait fait assoir dans la salle de bain de l'hôtel.
— Tu me fais confiance ? lui demanda-t-elle très sérieusement.
– J'aimerais, mais quand une femme, aussi belle soit-elle, me dit ça avec un instrument brûlant dans les mains alors que je suis nu, j'avoue emmètre quelques réserves...
– Mais si, je vais te donner une seule et unique raison qui te convaincra à coup sûr !
Il fit la moue devant le miroir tout en regardant son reflet à elle. Elle se pencha vers lui et lui susurra aux creux de son oreille cet argument imparable. Il lui sourit franchement avant de lui prendre son petit visage entre ses mains et l'embrasser fougueusement jusqu'à en perdre haleine. Et elle s'activa pour brosser ses cheveux et lui boucler avec son fer à lisser. Quand les premières boucles tombèrent sur son épaule, ils rirent, et ces éclats de rire il lui semblait encore les entendre. Pour autant, il avait joué le jeu et lorsqu'il s'était habillé de son costume il était le plus beau des hommes. Elle l'avait dévorée des yeux toute la soirée comme la moitié des femmes du restaurant. On ne parle pas assez du sex appeal foudroyant des hommes avec les cheveux mi-longs. Mais elle rouvrit les yeux et la seule chose qu'elle se dit c'est qu'aujourd'hui tout était fini. Il le fallait.
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