🌸 Éclosion²

Le rouquin se réveilla dans un brusque sursaut. Lorsqu'il tenta de se lever, son dos l'élança au point de lui arracher un gémissement de douleur. Sa mère devait l'avoir conduit dans son lit, car il n'était plus dans le fauteuil disposé dans sa chambre.

Ses yeux bouffis le faisaient souffrir. Les larmes qui s'étaient échouées sur ses joues avaient séché, mais il avait l'impression qu'elles lui brûlaient la peau, comme si elles y avaient imprimé l'empreinte humide de son chagrin.

Il était huit heures. Incapable de se rendormir, le jeune homme se leva et gagna la salle de bain en se déplaçant avec raideur.

Le reflet que lui renvoya le miroir brillait par son état décharné. À force d'avoir versé des larmes, ses pommettes étaient érubescentes et ses yeux secs. Son échine se courbait légèrement vers l'avant, dû à la douleur qui sourdait dans son dos.

En passant une main dans sa chevelure fauve et éparse, Felix étouffa un cri de surprise.

De part et d'autre de son minois retombaient deux mèches d'une blondeur immaculée qui ondulaient délicatement sur ses tempes. Leur blancheur semblait irréelle, comme si elles étaient filées dans de l'argent pur.

L'Australien enroula doucement les deux boucles entre ses petits doigts. Leur couleur ressemblait étrangement aux étincelles éburnéennes de son rêve. Brusquement, le souvenir des filaments ivoirins s'étant formés sur le miroir s'immisça dans sa conscience. Il fronça les sourcils.

Tout cela ne pouvait définitivement pas être une simple coïncidence, l'adolescent en était persuadé. Les fils de lumière étaient la dernière chose qu'il avait aperçue avant que son corps n'ait changé.

Mais leur couleur argentée le poussa à se demander si sa mère n'avait pas un lien avec tout cela.

— C'est ridicule, grommela le jeune homme. Ce n'était qu'un rêve...

Mais étrangement, il se sentait très serein. Un peu comme si les mots de sa mère lui avaient permis de recouvrer son sang-froid et de faire disparaître ses doutes et ses peurs. Un peu comme s'ils l'avaient incité à ne plus craindre cette situation et de s'y faire.

Car Felix avait l'impression d'être lui-même, cette fois-ci. Et ce constat, en plus de l'ébranler au plus profond de son âme, lui apporta le courage dont il avait cruellement besoin.

En retirant son pyjama, il révéla le pendentif de sa mère autour de son cou. Il se figea net, plongé dans l'effarement. On ne pouvait pas ramener d'objets de ses rêves, c'était impossible. Pourtant, alors qu'il détachait lentement la chaînette, son contact froid avec ses doigts lui fit prendre conscience que tout cela était bien réel.

Ébahi, le jeune homme retira le talisman et le déposa sur le rebord du lavabo. Il ôta ensuite le reste de ses vêtements et fila sous la douche. Il laissa couler l'eau chaude un long moment sur son corps et se lava sans réfléchir. Puis, enroulé dans un linge, il retourna dans sa chambre.

L'adolescent avait bien réfléchi. Il ignorait complètement le pourquoi du comment, mais son rêve était loin d'être banal. Il avait même l'impression que sa rencontre avec sa mère s'était réellement passée, malgré tous les éléments improbables en jeu.

Le pendentif l'avait suivi jusqu'à son réveil. Les bluettes qu'elle avait saupoudrées sur ses cheveux pouvaient-elles avoir éclairci deux de ses mèches ? Si la réalité pouvait s'inverser, alors pourquoi ne pourrait-il pas apercevoir sa mère en rêve ?

— C'est forcément ça...

Felix exhala un soupir. Les dires de sa défunte mère ne cessaient de tournoyer dans son esprit. Il se sentit presque coupable de s'être autant affolé la veille.

Peut-être qu'elle avait raison, après tout. Peut-être que tout cela l'atteignait uniquement à cause du regard scrutateur du monde.

Mais lui, que pensait-il réellement de tout cela ?

Le jeune homme se mordit l'intérieur des joues, acculé entre deux feux. Le dilemme insurmontable qu'il ressentait... il se l'était lui-même imposé. Il avait lui-même érigé des barrières dans le but de poursuivre le chemin de la pensée commune, afin qu'il évite de se noyer dans ses désirs et ses vices.

Mais ce qui se passait présentement allait au-delà de toutes les règles édictées.

— Peut-être que j'ai vraiment perdu la raison...

Un rire nerveux lui échappa à cette idée.

Felix secoua la tête pour chasser ses pensées. Il enfila de nouveaux sous-vêtements et ouvrit son armoire d'un air décidé.

Il avait envie d'essayer de nouvelles choses.

L'adolescent choisit une robe et retourna dans la salle de bain. Il avait un peu de mal à croire qu'il allait délibérément la porter parce qu'il le désirait. Son rêve l'avait-il changé à ce point ?

Cependant, il ne se sentait pas différent, seulement... impassible. Sa conscience était aussi claire que de l'eau de roche, désormais. Il comprenait peu à peu que les paroles de sa mère avaient servi à apaiser la terreur en lui. Elle ne l'avait pas changé ; elle l'avait poussé à accepter sa situation, à s'accepter lui-même.

Le jeune homme s'habilla et agrémenta ses lobes de boucles d'oreilles pendantes en forme de plumes d'argent. La jupe de sa robe était plus longue derrière que devant ; l'arrière atteignait ses chevilles, tandis que devant, elle s'arrêtait au niveau de ses genoux. L'extrémité de la jupe était agrémentée d'une bande de tissu noir. Une ceinture drapée rehaussait sa fine taille et retombait sur sa hanche. Le haut de la robe était ajusté à sa poitrine, et les bretelles, de dentelles pâles.

Felix passa un coup de brosse dans ses cheveux humides en espérant que les adultes ne feraient aucun commentaire sur les deux mèches nouvellement argentées, puis attacha le pendentif de sa défunte mère autour de son cou. Le contact de la pierre sur sa peau lui procura une sorte de bien-être ineffable.

Sur ces entrefaites, l'adolescent remarqua la présence inusitée de maquillage sur le rebord du lavabo.

Sa passion pour la mode s'était essoufflée suite au décès de sa mère, mais elle avait inéluctablement recommencé à émerger en lui à la vue de tous ces habits féminins.

L'Australien agrippa la palette de fard à paupières entre ses petits doigts. Il examina longuement les différentes couleurs avec hésitation. Devrait-il essayer ? Il ignorait si la situation s'y prêtait vraiment.

— C'est maintenant ou jamais, décida-t-il finalement.

Avant qu'il ne se remette à hésiter, Felix s'employa à étoffer ses cils d'un léger mascara, puis enjoliva ses paupières de fard rose-orangé. Il n'avait aucune raison particulière de s'en appliquer, si ce n'était cet étrange désir d'afficher une féminité qui fleurissait timidement en lui après des années de dénégation.

Il descendit ensuite les escaliers et se rendit dans la cuisine. Sa mère et sa tante étaient d'ores et déjà en train de préparer le déjeuner.

— Darling, souffla la noiraude avec un soulagement certain. Tu vas mieux ?

Le jeune homme hocha la tête, avant de prendre place à table. Il attendit un instant que tout soit prêt et enfourna une tartine au miel dans la bouche. Il mastiqua mécaniquement en suivant la conversation des adultes sans chercher à y prendre part. Ses pensées tournaient en boucles dans sa conscience. Incapable de les faire taire, il souffla bruyamment.

Felix joua ensuite aux cartes avec les deux femmes pendant plus d'une heure. S'amuser lui permit d'oblitérer quelques instants toutes ses interrogations.

Plus le bus poursuivait sa route, plus l'adolescent regrettait sa décision.

Faute de places, il restait debout au milieu de l'allée, coincé entre le parfum particulièrement marqué d'une jeune femme possédant des ongles presque aussi longs que ses cheveux, le caniche d'un vieil homme qui n'arrêtait pas de renifler ses jambes sans que son propriétaire ne s'en préoccupe le moins du monde, les rires bêtes de quelques garçons partageant apparemment qu'un seul neurone et la forte conversation téléphonique d'un homme dont la voix était teintée d'un accent espagnol éminemment prononcé.

Malgré la précarité de son équilibre, Felix commença par discuter avec son ami sur son natel pour passer le temps. La réalité s'était apparemment inversée partout, car même si Hyunjin portait toujours le même nom, sa photo de profil en disait long sur sa situation. Elle représentait une adolescente filiforme aux longues jambes sveltes. On pouvait distinguer son soutien-gorge à travers son pull noir en mousseline dont les longues manches étaient cousues de dentelles. Hyunjin avait vêtu des bas de nylon, et par-dessus, un short très court. À ses pieds, il chaussait une paire de bottines beiges à talons. Il avait une pose de modèle sur la photo ; une de ses jambes reposait à plat sur la cuisse de l'autre, et son menton était niché dans la paume de sa main baguée. Son regard fardé semblait jauger l'objectif avec une froide condescendance.

Alors que l'Australien discutait avec lui en se tenant à la barre qui courait le long de la cloison, un puissant soulagement le submergea. Son ami était toujours le même, si on passait outre sa longue chevelure de jais qui retombait sur une poitrine plutôt rebondie.

Sur la photo se trouvait également une jeune femme portant ses cheveux blonds aux épaules. Elle était de petite taille, mais très musclée. Ses yeux bridés étaient soulignés de khôl noir, ce qui lui donnait un air intimidant et mystérieux. Elle portait un jeans sombre et un sweatshirt dont la capuche était rabattue sur sa tête.

Felix apprit qu'il s'agissait de la copine de Hyunjin — enfin, de son copain. Il lui adressa ses félicitations et lui promit de venir lui rendre visite durant les vacances. Puis, le noiraud dut le laisser, car sa mère réclamait son aide.

Le jeune homme poussa un soupir en verrouillant son natel. En jetant un œil à l'écran affiché dans le couloir du bus, il constata qu'il lui restait encore dix bonnes minutes de trajet. Une pointe de nervosité commença à sourdre en lui lorsque d'autres passagers pénétrèrent dans le car, le poussant au plein milieu de l'allée.

Le véhicule referma ses portes, et l'adolescent écarquilla les yeux en constatant qu'il ne parvenait plus à atteindre la barre.

— Oh merde..., marmonna-t-il pour lui-même.

Le caniche poussa un glapissement, et son propriétaire dirigea sur Felix un regard incendiaire. Celui-ci exhala un soupir, excédé. Il posa ses mains sur les rambardes des sièges à proximité en espérant ne pas déranger qui que soit.

Malheureusement, il n'eut pas l'occasion de se tenir bien longtemps ; le bus fit une brusque embardée sur la droite, emportant l'Australien dans son mouvement. Ce dernier trébucha sur ses propres pieds et fut précipité sur une personne qui se tenait à proximité.

Felix se redressa aussitôt, profondément embarrassé. Il s'excusa à mi-voix, avant de se pencher maladroitement pour se saisir de son sac qui lui avait échappé.

— Pas de soucis, souffla son interlocutrice quelque part au-dessus de lui.

L'adolescent releva la tête. Son souffle se coupa brutalement lorsqu'il croisa les yeux noisette d'une jeune fille pas plus âgée que lui. Quelque chose en lui s'agita au point de concurrencer les loopings des parcs d'attractions.

Son regard lui rappelait tellement...

— Seungmin ? fit Felix sans réfléchir en dévisageant fixement l'inconnue.

Les yeux écarquillés, celle-ci le scruta pendant d'innombrables secondes.

— Do we know each other ? bredouilla-t-elle finalement dans un Anglais un peu bancal.

Felix hésita un instant. Et s'il se trompait ? Et surtout, et si Seungmin ne le reconnaissait pas ? « Je n'ai rien à perdre », fut-il alors forcé de constater. Il s'exprima en Coréen :

— C'est moi, Felix.

Le visage de l'adolescente resta de marbre un instant, mais le rouquin aperçut briller de la confusion dans ses prunelles. Finalement, la stupeur et le soulagement teintèrent son regard sombre d'une tache familière qui réchauffa aussitôt le cœur de l'Australien.

— F-Felix ? C'est vraiment toi ?

Le rouquin opina vigoureusement du chef, ravi.

Les cheveux couleur framboise de Seungmin étaient coupés au carré et s'arrêtaient au milieu de son cou. Il avait revêtu un pantalon blanc ajusté, un large pull aux manches multicolores et des Converse bordeaux.

Felix retint son souffle en prenant brutalement conscience que Seungmin se souvenait de lui, pas de Dahlia.

— On a absolument besoin de parler, chuchota alors le rouquin. Où est-ce que tu sors ?

— À P-Perth...

L'Australien opina du chef en reconnaissant le nom de sa propre destination. Un soulagement mâtiné d'une pointe d'appréhension déferla en lui si sauvagement qu'il en eut momentanément le vertige.

Le restant du trajet fut terriblement éprouvant pour le jeune homme dont l'attention jonglait constamment entre les yeux implorants de son ancien camarade de classe, son équilibre plus que précaire et la proximité importune des autres passagers.

De plus en plus d'interrogations s'acharnaient à tourmenter son esprit, car jusque-là, seul Seungmin et lui s'étaient révélés conscients de cette deuxième réalité. Son cœur battait à tout rompre contre sa cage thoracique, animé par une angoisse qu'il ne s'expliquait pas. La question du « pourquoi » l'envahissait, dénué de tout scrupule à le laisser sans la moindre réponse.

Le seul indice qu'il avait déniché lui avait seulement permis de résoudre une parcelle du mystère. Mais peut-être n'était-il tout simplement pas assez avisé pour en déterrer tous les fondements.

Felix vouait une confiance aveugle à sa mère, même à celle issue de ses songes. Seulement, le nuage opaque qui enveloppait la réponse semblait si impénétrable qu'il commençait à perdre espoir.

La présence de Seungmin devait l'aider, il en était certain. Mais pour le moment, il avait du mal à démêler les émotions conflictuelles qui s'éprenaient de lui.

L'Australien, en sentant la brûlure du regard scrutateur de son ami sur sa personne, détourna vivement la tête dans la direction opposée. Il avait complètement passé outre le fait qu'il portait une robe et du maquillage.

À l'accoutumée, le rouquin se serait tancé intérieurement, mais... En ce jour, tout était différent, si différent des souvenirs d'antan qui le cinglaient sans cesse. Hormis le regard assassin du propriétaire du chien qui l'avait mal jaugé parce que son animal avait jappé à son égard, personne n'avait prêté la moindre attention à son apparence.

Il rejeta les mèches argentées qui lui obstruaient la vue derrière ses oreilles en reportant ses yeux sur Seungmin. Il ne devait pas avoir honte. Il n'avait pas à avoir honte. Et il essaya de s'en persuader, malgré le froncement de sourcils du jeune homme aux cheveux rouge-rose.

Bientôt, le bus s'arrêta à Perth — son dernier arrêt —, et Felix attendit patiemment que tous les passagers en soient descendus, avant de poser à son tour pied sur le trottoir.

Il chaussait ses escarpins ouverts, et la chaleur caniculaire qui l'assaillit brusquement lui fit prendre conscience qu'il avait fait le bon choix, et ce malgré le regard incrédule que Seungmin posa sur lui lorsqu'il se posta à ses côtés.

Le véhicule s'éclipsa, et un instant de malaise enveloppa les deux adolescents pendant de longues secondes, avant que le Coréen ne souffle :

— J-Je suis tellement soulagé... Tu sais pas à quel point je commençais à désespérer...

Il eut un rire sec auquel le rouquin répondit par un sourire morne. Ce dernier embrassa brièvement la vue qui s'offrait à lui du regard. En ce lundi de juillet, les rues n'étaient pas très bondées, mais le jeune homme sentit son courage lui échapper comme du sable entre les doigts. Cependant, son initiative de se dérober à ses pensées tenaillantes et aux quatre murs de la maison de son oncle lui avait semblé être délicieuse sur le moment.

Flanqué de Seungmin, Felix examina les différents horaires sur le panneau dressé quelques mètres plus loin. Il passa sa main dans sa chevelure rousse afin de la repousser sur sa nuque en poussant un juron.

— Putain... Je savais qu'il vivait dans un coin paumé, mais là, on a atteint le summum...

— Qui ça ?

Son ami s'était exprimé d'une voix douce qui l'avait fait sursauter. Elle était toujours aussi nasillarde, mais plus haute et plus claire. Il prit un instant à recouvrer la parole.

— Mon oncle, répondit-il. 'Fin, ma tante maintenant. Mais peu importe. Est-ce que tu es pressé ?

Seungmin secoua la tête, et Felix observa avec fascination ses mèches soyeuses s'affoler autour de son doux minois.

— J'étais avec mes parents et ma sœur visiter les alentours de la ville, expliqua-t-il. Je leur ai dit que je me sentais pas très bien, alors ils m'ont filé la clef de notre chambre d'hôtel.

— Qu'est-ce que tu as ?

Le Coréen le foudroya d'un regard qui s'était fait mordant.

— Tu te fous de ma gueule ?

— Ah, oui. Pardon.

En sentant qu'un lourd silence commençait à les enrober, le rouquin se mit à avancer en direction d'une petite allée, ses légers talons claquant sur le trottoir. Seungmin lui emboîta le pas sans discuter.

— Où on va ? demanda-t-il après quelques minutes.

— Au parc. J'y vais souvent quand je rends visite à mon oncle.

Le vrombissement récurrent des véhicules résonnait à leurs oreilles, alors que les voitures se défilaient sur la route principale. Mais mis à part cela, la ville baignait dans une tranquillité qui les prit légèrement au dépourvu. Une chaleur dense vibrait dans l'air, et même si Felix en souffrait, il ne pouvait nier qu'elle pouvait s'avérer agréable s'il se réfugiait à l'ombre. Peu à peu, il se sentit mieux ; ses pas se faisaient plus sûrs à mesure que la confiance refluait en lui.

L'entente de bribes de conversation en Anglais le ramena tout droit dans le passé. Bientôt, la vie australienne qui animait les lieux lui procura un intense sentiment de nostalgie qui l'attrista.

— Alors... Toi aussi, c'est depuis hier ? s'enquit Felix pour chasser ses souvenirs.

— Hmm. Dans l'avion, répondit Seungmin sur un ton détaché.

Le plus âgé arqua un sourcil, ébranlé par le cynisme de son ami. Il le savait bien moins laxiste que lui, aussi s'était-il attendu à une panique manifeste, mais pourtant, il n'affichait que de la désinvolture pure et simple.

— Tu es venu pour passer les vacances ici ? demanda-t-il sans laisser paraître son trouble.

— Oui... mais tout ça a tourné au cauchemar avant même qu'on arrive à destination.

Le timbre du Coréen était teinté d'amertume, une vibration qui serra le cœur de Felix. Il garda le silence et décida d'aller acheter des churros en réponse aux grondements de leurs estomacs. Ils entrèrent finalement dans le parc d'un accord commun.

Les jeunes hommes s'assirent dans l'herbe entre deux arbres, puisque les alentours étaient déserts. « Enfin, presque », songea le rouquin en examinant les cacatoès qui picoraient les brins du sol. Suite à leur arrivée, ceux-ci se dispersèrent en craillant doucement, mais avec un grand manque de conviction qui ne le surprit pas. Il savait qu'ils n'avaient pas vraiment peur des humains.

La nature était majoritairement présente en ces lieux, cependant, l'Australien n'y puisa pas le même réconfort qu'il avait éprouvé lors de son rêve. Quand les images de celui-ci s'immisçaient en lui, l'enchantement de son songe tranchait crûment avec cette morne réalité.

Le mouvement velouté des feuilles émeraude qui se découpaient sur un firmament d'azur n'avaient décidemment rien avoir avec la couleur verdâtre des eucalyptus et le ciel anthracite où s'amoncelaient de gros nuages annonciateurs d'orage. L'expression des bois enchantés ne se reflétait pas ici-bas, et Felix pouvait cruellement le ressentir.

Mais l'insipidité des lieux fut interrompue par une douce chaleur qui rendit le jeune homme anxieux. En baissant les yeux, il remarqua qu'une lueur orangée émanait de son pendentif pourtant dissimulé dans son col.

Le rouquin retira son pendentif et agrippa délicatement la chaînette entre ses mains. Il passa lentement les doigts sur les rosaces gravées qui s'entrelaçaient sur la pierre rougeoyante. En fermant les paupières, le jeune homme sentit le vent se perdre dans ses cheveux et jouer avec ses boucles. Sa jupe s'enroula autour de ses jambes, et son effleurement lui fut étrangement agréable.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, l'Australien constata avec dépit que la pierre s'était éteinte. La chaleur s'évapora peu à peu, jusqu'à ce qu'il ait l'impression de tenir un banal caillou entre ses doigts.

— Qu'est-ce que c'est ? s'enquit Seungmin en désignant son pendentif.

— Oh, rien. Dis-moi, est-ce que tu as aperçu des filaments argentés sur un miroir la veille de... ça ?

L'adolescent aux cheveux framboise réfléchit un instant, son regard se perdant dans le vide.

— Je crois, oui.

Felix s'allongea sur le dos en soupirant profondément. Cette histoire épineuse le travaillait. Peut-être que la monotonie du début de ses vacances était préférable à ce retournement de situation invraisemblable.

— Je pense que ma mère possède un lien avec tout ça, souffla-t-il finalement.

— Hein ?

Seungmin s'assit en tailleur et pencha la tête pour croiser son regard. Le cœur du rouquin tressauta douloureusement dans sa poitrine.

— J'ai rêvé d'elle, la nuit dernière, renchérit ce dernier. Mais je ne peux pas être sûr de son implication là-dedans.

Son ami ne pipa mot. Son expression s'était assombrie, comme s'il s'était brusquement rendu compte que cette situation n'avait ni queue ni tête.

— Donc les seuls indices qu'on a, c'est les fils argentés qui se sont introduits en nous et ton rêve ? récapitula-t-il, dubitatif.

— Ouais, soupira son vis-à-vis en tirant sur l'extrémité de sa robe qui s'était relevée.

— C'est insensé, Lix. Et puis, je ne comprends pas comment tu fais pour être aussi détendu.

Le surnom prit l'Australien de court. Une ombre passa sur son visage, mais presque aussitôt, un sourire vint l'effacer.

— J'étais comme toi, hier, répondit Felix. Mais je crois... Je crois que j'ai pris conscience que c'était le moment ou jamais pour essayer de nouvelles choses. Et puis, pour l'instant, on ne peut rien y changer.

Son regard se perdit dans l'immensité du firmament au-dessus d'eux. Une goutte de pluie s'écrasa sur son front, le faisant sursauter.

Seungmin le considéra avec incrédulité.

— Je ne te demande pas de me comprendre, Min, renchérit Felix en sentant le poids brûlant de son interrogation muette. Mais sache seulement qu'il faudra qu'on s'arme de patience. Et maintenant, tu n'es plus seul face à tout ça.

Le Coréen hocha la tête. Le soulagement qu'il ressentait était palpable tant il s'écoulait de son être tout entier.

— Merci..., fit-il dans un murmure.

Felix eut un pincement au cœur en plongeant son regard dans celui de Seungmin, débordant d'espoir. Il ne put que se demander s'il prenait véritablement la bonne décision.

Les deux jeunes hommes continuèrent de se voir les jours qui suivirent. La plupart du temps, ils s'asseyaient simplement quelque part et passaient la journée à discuter, ou faisaient le tour de la ville en entrant parfois dans quelques échoppes. L'Australien était finalement parvenu à rassurer son cadet, ou du moins, à calmer en partie ses angoisses et son insécurité.

De son côté, la douleur de ses sentiments qu'il avait réussi à terrer dans un coin de sa tête était revenue à la charge avec la force d'un taureau. Il comprit avec amertume que ce qu'il ressentait ne s'était pas même légèrement estompé.

Ses sentiments étaient toujours intacts. Et maintenant qu'il fréquentait l'élu de son cœur, ils ne s'étaient faits que plus vifs. Parfois, lorsqu'une boule se formait dans sa poitrine, un souffle saccadé s'échappait des lèvres de Felix. Il avait la nette impression que s'habituer à son corps féminin était une bien moins mince affaire que de tenter d'oublier ses ressentis tourmentés.

Une semaine après leur première rencontre, les deux adolescents se rendirent dans un petit café. Lorsque le rouquin s'y engagea, il repéra aussitôt son ami, assis à la table la plus isolée. Il approuva silencieusement son stratagème. Lui aussi souhaitait éviter de trop attirer l'attention, même s'il ne risquait rien.

— Je t'ai pris un jus de fruit, fit Seungmin alors que son aîné prenait place face à lui. Je savais pas ce que tu voulais.

— C'est très bien, merci.

Felix accrocha son sac en bandoulière à sa chaise tout en examinant discrètement son vis-à-vis. Mais le Coréen, en dépit de la canicule, portait toujours la même chose : un jeans skinny, des baskets et un sweatshirt bariolé. Le rouquin déplorait son manque d'imagination — ou était-ce de l'embarras ?

Il n'était pas comme lui. Dès le premier jour, il avait exploré sa garde-robe et ses tiroirs dont le contenu avait changé. Et toute la semaine durant, il avait essayé une bonne dizaine de tenues. Était-ce une mauvaise chose ? Il l'ignorait ; ses pensées baignaient dans une telle confusion que plus rien ne semblait normal à ses yeux. Parfois, il avait envie de se gifler, et d'autres fois encore, il avait la sensation que la féminité était inhérente à sa personne.

« Cette situation te permettra de comprendre qui tu es vraiment et de te réconcilier avec toi-même. Tu verras ce qui a réellement de l'importance. »

Felix peinait à démêler les propos énigmatiques que lui avait servis sa mère. De quelle manière pourrait-il donc déchiffrer son âme inextricable si lui-même était complètement égaré ? Son intuition lui soufflait que son identité s'estompait peu à peu, pas qu'elle se reconstruisait.

Tout ce qu'il savait, c'était que sa passion pour la mode s'était faite plus présente que jamais dans sa vie, un peu comme un désir impossible à réprimer.

Un désir qui l'aidait à refléter ses pensées et sentiments les plus intimes.

— Lix...

— Ouais ? fit le concerné en secouant la tête pour s'arracher à sa rêverie.

— Il y a quelque chose que je ne comprends pas..., souffla Seungmin en le considérant précautionneusement.

— De quoi ?

Felix était sincèrement perplexe par la stupeur qui se déployait sur le visage du plus jeune.

— Mec, sérieux... Comment tu fais pour porter ce genre de trucs ? Et qui plus est, en public ?

Le rouquin resta de marbre quelques secondes, avant de s'esclaffer d'un rire si doux que la mine de son vis-à-vis s'adoucit quelque peu.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? s'enquit l'Australien avec un demi-sourire amusé.

Le Coréen exhala un profond soupir en enfouissant sa tête entre ses mains. Ses oreilles avaient pris une teinte cramoisie. Elles étaient tellement rouges que Felix s'attendait presque à en voir jaillir des volutes de fumée.

— Lix, je ne comprends vraiment pas..., souffla le jeune homme aux cheveux framboise sans oser le dévisager. Tu... Tu es un garçon, alors pourquoi tu... comment ça se fait que tu...

Sur ces entrefaites, une serveuse arriva vers eux et déposa leur commande sur la petite table à la nappe rayée de jaune.

Une fois qu'elle fut partie, Felix se saisit de son verre et but une gorgée de son grapefruit. Il était véritablement amusé par la réaction de son cadet, même si, tout comme lui, il peinait à se comprendre.

Ses jambes enveloppées de bas noirs étaient drapées d'une longue jupe fendue sur le devant. Il portait un chemisier ajusté dont les manches bouffantes dessinaient des motifs orange et blancs, ce qui offrait un contraste saisissant avec les tons bleu nuit de sa jupe.

Les longues boucles argentées de l'Australien encadraient un visage aux yeux fardés d'indigo. Sa chevelure rousse coulait comme une cascade dans son dos.

— Je n'en sais rien, avoua finalement Felix après avoir vidé le contenu de son verre à grandes lampées. J'en ai juste envie, c'est tout.

— Lix, putain, à quoi tu joues ? siffla Seungmin entre ses dents. Soit t'es un garçon, soit t'es une fille, mais là, tu...

Soudain, l'expression de l'Australien se durcit.

— Développe.

Seungmin se mordit la lèvre face à la froideur de son aîné. Son regard s'était fait aussi menaçant que celui d'un serpent sur le point de mordre sa proie. Il savait qu'il ne pourrait pas échapper à cette conversation qui avait pris une tournure plus que désobligeante.

— Eh bien, par exemple... Ta poitrine est moins développée que la mienne, tu pourrais facilement la dissimuler. Pourtant, tu ne le fais pas, bien au contraire d'ailleurs.

— Pourquoi je devrais ? demanda Felix sur un ton neutre qui crispa son vis-à-vis. Dans cette réalité, il s'agit de mon corps.

— Mais tu restes un garçon, insista Seungmin en faisant fi de circonspection.

— Et ?

Pris de court, le cadet demeura muet.

— Je fais ce qu'il faut pour que cette situation ne reste pas une mauvaise expérience.

— Cette situation, comme tu dis, te fait perdre ton identité. Ce sera quoi, la prochaine étape ? Que je t'appelle Dahlia ?

L'impudence de Seungmin irrita Felix au point qu'il asséna sèchement son verre sur la table. Il darda un regard assassin dans le sien.

— Pour quelqu'un qui se sent obligé de cacher son corps, je trouve ça un peu prétentieux, riposta-t-il calmement.

Son cadet écarquilla les yeux, offusqué par ses paroles crues et irréfléchies.

— Je dis juste qu'en tant que garçon, tu ne te comportes pas du tout comme tel ! rétorqua ce dernier.

— Mais de quoi je me mêle ?!

L'Australien se leva et quitta la table sans prononcer un seul mot de plus. Froissé par le jugement que lui portait Seungmin et fatigué par la puissance insoutenable de ses sentiments pour lui, il était sur le point d'éclater.

Felix traversa la petite place devant le café à grandes enjambées. Son visage ne retranscrivait aucune émotion, mais intérieurement, il fulminait. Lui qui croyait s'être enfin libéré du sens commun de la société lui rabâchant les oreilles avec toujours le même disque, il voyait bien qu'il s'était lourdement trompé. Et entendre ces reproches de la bouche même de celui dont il était amoureux n'arrangeait pas les choses, bien au contraire. Il avait l'impression qu'on lui avait planté un couteau dans le dos.

Perdu dans ce qu'il ressentait, le rouquin s'arrêta net au beau milieu d'une ruelle. La femme qui marchait derrière lui dut faire un brusque écart pour l'éviter. Elle le foudroya du regard en le devançant, mais l'adolescent ne lui prêta aucune attention.

En effet, celui-ci venait de prendre conscience qu'à l'accoutumée, il n'était pas aussi irascible. Pourtant, il avait suffi de quelques mots mal placés pour que son esprit s'échauffe et qu'il voie rouge.

— Miséricorde...

Le gémissement de l'Australien fut presque inaudible. Il se laissa alors choir sur le banc public le plus proche, s'attirant ainsi les foudres des pigeons qui s'envolèrent en piaillant de protestation.

Il commençait à comprendre que passer du temps avec celui qu'il aimait sans pour autant pouvoir lui avouer ce qu'il avait sur le cœur sapait toute son énergie et le mettait constamment sur les nerfs.

Felix avait une furieuse envie de crier, mais il se retint. Il se contenta de redresser la tête pour distinguer la voûte céleste constellée de nuages déchiquetés qui s'étalait comme une peinture au-dessus de lui. Bientôt, il allait pleuvoir.

Sa jupe s'enroula autour de ses jambes lorsqu'il les croisa afin de se sentir plus confortable.

— Salut.

Le rouquin ne daigna pas détacher son regard du firmament. Elle était belle, cette œuvre morcelée en deux fragments ; l'un d'un bleu limpide, l'autre labouré par la noirceur de l'orage qui s'annonçait.

— Hé, je te parle.

Felix roula des yeux lorsqu'il les posa finalement sur le jeune homme qui venait de l'apostropher. Il n'était pas très grand, ses cheveux châtains retombaient en frisures serrées autour de son visage mangé par une barbe de quelques jours. Celui-ci haussa les sourcils de manière aguichante face au silence du roux.

Ce dernier expira lentement en l'examinant avec indifférence. Dans cette réalité-là, il était théoriquement une femme, et de surcroît, il était toujours gay. En l'occurrence, il n'était pas intéressé le moins du monde par son interlocuteur.

Il reluqua un instant son vis-à-vis des pieds à la tête sans proférer un mot. Il nota qu'il portait une veste de motard et devina qu'il cherchait à fanfaronner.

— On se connaît ? souffla finalement Felix tout en sachant pertinemment que ce n'était pas le cas.

L'homme lui sourit de toutes ses dents. Le rouquin dut réprimer une très forte envie de lui envoyer son talon dans l'entrejambe.

— Non, mais rien n'empêche de...

— Alors ta gueule, le coupa l'adolescent d'un ton sec. Tu crois que j'ai envie de me faire aborder dans la rue par un mec qui m'intéresse pas le moins du monde ?

— Mais on pourrait...

— Non. Fiche-moi la paix.

Son interlocuteur ne bougea pas pendant d'innombrables secondes, hésitant. Il se balançait sur ses pieds d'avant en arrière en lorgnant sur le corps délié de Felix.

— Va-t'en, gronda ce dernier en se redressant. Ou j'appelle la police.

L'homme se recula légèrement, avant de reprendre son chemin non sans lui avoir lancé un dernier regard libidineux qui l'emplit de dégoût.

Le rouquin attendit quelques minutes en le suivant des yeux jusqu'à ce qu'il le voie disparaître au coin de la rue. Il exhala un soupir en laissant tomber sa tête contre le dossier du banc.

Il n'aurait jamais dû s'énerver contre Seungmin pour des futilités. Il était blessé, évidemment, mais il n'avait même pas essayé d'argumenter pour soutenir sa position. Il s'était emporté bien trop vite, alors qu'il s'était pour ainsi dire toujours douté de la posture du Coréen. Il n'osait même pas imaginer à quel point la situation devait être difficile pour lui. L'Australien ne put que se reprocher de ne pas être là pour l'aider, l'aider à accepter, l'aider à comprendre. Il voulait le rassurer, plus que tout au monde, mais ce faisant, il craignait de faire un faux pas. La dernière chose qu'il désirait, c'était que ses sentiments se reflètent dans ses gestes et le trahissent.

La pluie se mit à tomber, désireuse d'emporter avec elle la douleur qui se glissait dans le cœur d'un Felix affligé par la tournure des évènements. Mais malheureusement, cette ondée drue ne rendit que plus vive la brûlure honteuse de ses larmes.

Avachi sur son lit, l'Australien se laissait bercer par le son des gouttes de pluie qui s'écrasaient contre la vitre en laissant son esprit vagabonder.

Cela lui faisait bizarre d'être soudainement attiré par le genre opposé. Mais quelque chose en lui trouvait cela parfaitement normal, comme si cela avait toujours été le cas ; son subconscient de cette réalité, probablement.

— Voilà qui explique pourquoi je suis toujours amoureux de Seungmin..., pensa l'adolescent à voix haute.

Il ne s'était ni changé ni démaquillé, par pure paresse. Mais il faisait malgré tout bien attention de ne pas souiller ses draps.

Felix agrippa sa peluche et la serra contre lui sans prêter attention à la sensation de sa poitrine sous ses bras. Il avait fini par s'y faire. Mais au fond de lui, il devait admettre qu'il avait peur. Et s'il finissait par totalement s'habituer à ce corps-ci ? Finirait-il par perdre à jamais son identité ?

« Tu dois te ressaisir, Felix. Tu n'es pas une fille et tu ne le sauras jamais, peu importe dans quelle réalité tu te trouves. »

Le jeune homme agrippa la chaînette de son talisman et le dégagea de son col. Il le tourna et le retourna dans sa main en laissant ses doigts en retracer les fins sillons. Il recherchait un indice, n'importe quoi, un signe qui lui ferait comprendre son pouvoir.

— Je n'aurais jamais cru prononcer les mots « pouvoir » et « magie » sérieusement un jour, souffla l'Australien avec un léger rire.

Il soupira dans les poils synthétiques de sa peluche et y déposa un bisou, sans se soucier d'avoir l'air d'un enfant.

« Est-ce vraiment ce que tu penses, sweetheart ? Ou est-ce la vision des autres sur ce corps qui t'effraie ? »

Le rouquin expira lentement. Les paroles de sa mère transformaient ses pensées en véritable tempête émotionnelle. La subtile part de vérité qu'il décelait dans ses mots le préoccupait tellement qu'il en vint à se remettre en question.

Parce qu'au fond, il savait que sa mère avait raison. C'était bien l'idée que les gens se faisaient de son apparence qui l'empêchait de s'affirmer davantage dans ce qui lui plaisait réellement.

Felix ne se sentait pas si mal avec ce corps-ci. C'était seulement la manière nouvelle qu'avaient les gens de se conduire à son égard qui le dérangeait. Que l'on se comporte différemment vis-à-vis des hommes ou des femmes, il le savait déjà auparavant. Mais maintenant qu'il l'avait véritablement expérimenté, il comprenait mieux l'injustice humaine.

Le rouquin reposa délicatement son doudou contre son coussin. Il regrettait de ne pas avoir enregistré le numéro de téléphone de Seungmin. Il aurait voulu l'appeler et s'excuser de s'être emporté pour des bagatelles.

Perdu dans ses pensées, il sursauta quand on frappa soudainement à la porte de sa chambre.

— Dahlia ?

— Ah, oui..., soupira Felix dans un murmure. J'avais oublié.

— Sweetie ? insista la voix étouffée de sa mère.

Le jeune homme quitta son lit et déchiffonna rapidement ses draps.

— Oui ?

— Eileen est venue te voir. Je la fais entrer, d'accord ?

L'Australien demeura muet pendant quelques secondes. Il nageait en pleine confusion.

Sa mère prit son silence pour une affirmation, et la poignée de la porte s'abaissa. Cette dernière s'effaça, et ce qui sembla être une adolescente s'avança timidement dans sa chambre. Hébété, Felix crut bien s'être endormi lorsqu'il reconnut Seungmin.

— Je vous laisse, fit sa mère en souriant. D'ailleurs Dahlia, tu ne m'avais pas dit que tu avais une amie aussi jolie !

Le rouquin s'empourpra violemment et lui décocha un regard aigu qui la fit rire. Elle quitta ensuite la chambre en leur faisant promettre de l'appeler s'ils avaient besoin de quoi que ce soit.

Un lourd silence s'appesantit sur les deux adolescents, debouts l'un en face de l'autre et engourdis par leurs pensées respectives. L'Australien chercha à croiser le regard de son ami, mais celui-ci se déroba et fixa le sol à la place.

Felix exhala un doux soupir. Il retourna s'asseoir sur son lit et tapota la place à ses côtés. Seungmin leva les yeux sur lui et ravala sa salive avec embarras. Il finit par obtempérer à sa demande silencieuse et le rejoignit.

— Eileen, hein ? railla le rouquin lorsqu'il se fut installé.

Le plus jeune ouvrit la bouche pour riposter, mais en apercevant l'éclat moqueur qui tressautait dans le regard de son vis-à-vis, il préféra museler sa susceptibilité. Il se contenta d'opiner, ses lèvres se déformant en une petite moue.

L'Australien laissa son rire rauque venir fendre le silence, ce qui conforta Seungmin dans l'idée que celui-ci le taquinait. Ses yeux pétillants formaient des croissants de lune, et cela fit instantanément sourire le Coréen. Le rire de Felix était si communicatif et chaleureux qu'il avait le pouvoir de lui redonner sa bonne humeur fraîchement disparue.

Quand il se tut, ils se dévisagèrent longuement, tous deux hésitant à faire part du fond de leur pensée.

— Je suis désolé, déclarèrent-ils en même temps.

Les adolescents se jetèrent un regard surpris, avant de pouffer à nouveau. Le rouquin ébouriffa sa chevelure fauve avec un embarras qui se reflétait sur son visage.

— Je..., fit Seungmin, hésitant.

Il déglutit en se triturant les doigts.

— Hm... Je suis venu m'excuser pour toute à l'heure. Je n'aurais pas dû me montrer aussi inflexible. Je veux dire... Je ne comprends vraiment pas, mais...

— T'en fais pas, l'interrompit doucement Felix. C'est de ma faute. Je m'énerve pas aussi facilement, d'habitude. On est tous les deux sur les nerfs, c'est normal.

Le plus jeune acquiesça, le soulagement se peignant sur son minois. Mais l'Australien ne parvint pas à partager son allégresse. Il craignait de n'être qu'une bouée de sauvetage pour Seungmin, et non pas un ami auquel il tenait véritablement. Ne s'était-il pas excusé uniquement pour demeurer dans ses bonnes grâces ? Il savait qu'il avait moralement besoin de sa présence.

La main du jeune homme aux cheveux framboise s'agrippa à sa manche, ce qui le fit relever les yeux vers lui.

— Euh... Lix... Je suis venu pour te demander... euh...

Le sourcil du rouquin s'arqua.

— Ouais ?

— Est-ce... hm...

Seungmin tira nerveusement sur le tissu orange de son chemisier, un peu comme un enfant, ce que Felix qualifia aussitôt d'adorable.

— Est-ce que tu pourrais m'expliquer ton point de vue sur cette situation ? Je te promets de ne pas te juger, cette fois, prononça-t-il alors d'une seule traite.

L'Australien demeura ahuri pendant plusieurs secondes. À la fois surpris et intrigué par sa question, il finit par demander :

— Pourquoi ?

— Je... J'aimerais bien comprendre. Et puis, je dois dire que je suis un peu jaloux de ta capacité à t'adapter aussi aisément...

Felix sembla réfléchir. En réalité, il était plutôt content que Seungmin lui ait posé cette question. Il aligna ses coussins contre le mur et s'y adossa.

— Alors installe-toi, parce que ça risque d'être long.

Le Coréen acquiesça et s'installa à ses côtés. Le rouquin s'efforça de ne pas afficher son désarroi lorsque leurs épaules s'effleurèrent.

— Alors pour commencer... Tu veux bien m'expliquer pourquoi tu ne caches pas ta poitrine ? souffla Seungmin en évitant soigneusement son regard.

— Pourquoi ça aurait de l'importance ? riposta gentiment l'Australien en se saisissant de sa peluche. Ça ne me dérange pas. Je reste un garçon, peu importe ce que les gens dehors en pensent.

— Je ne comprends pas. Le fait que tu... Enfin... Tu ne te comportes pas comme un garçon, Lix.

Felix laissa tomber sa tête contre le mur.

— Qu'est-ce que tu qualifies comme comportement de filles ?

— Eh bien... Tu portes une robe et du maquillage, tu mets des formes féminines en valeur, tu t'assieds élégamment... Ce genre de trucs, quoi.

— Parce que tu crois qu'un homme ne pourrait pas s'asseoir élégamment ? le questionna le rouquin. Tu penses qu'un garçon, c'est nécessairement quelqu'un de bourru et d'excessivement viril ?

Le silence ensuivit la déclaration du petit Australien. En dirigeant son regard dans la direction de son cadet, celui-ci constata qu'il se triturait les doigts en fixant le mur d'en face. Felix attendit qu'il aille au bout de son raisonnement.

— Non, fit soudainement la voix veloutée de Seungmin en s'élevant doucement dans la pièce, ce qui, par la même occasion, fit vibrer le cœur de l'aîné. On n'est pas tous comme ça. Mais... je ne suis pas sûr de comprendre.

— Alors, laisse-moi te raconter quelque chose.

Le rouquin installa son doudou sur ses jambes en cherchant le courage dont il avait besoin afin d'entamer son récit.

— Quand j'étais plus jeune, mon père était souvent absent, parce que son travail lui prenait tout son temps. C'est pour ça que j'ai majoritairement été élevé par ma mère. Elle était particulière, cette femme. Elle vouait une profonde aversion aux stéréotypes et elle m'a transmis ses idéaux.

La voix de Felix s'était mise à trembler d'émotions.

— Ton corps, tes vêtements, ton comportement... Ces choses-là sont édictées par la société, et ce n'est pas pour autant que cela définit qui tu es. Ça n'a pas d'importance. Je suis un garçon, et si, dans cette réalité, j'ai effectivement des attributs de femme, je n'en suis cependant pas une. Tout simplement parce que je ne me considère pas comme tel.

L'Australien chercha le regard de son ami et le soutint.

— Je ne me sens pas mal à l'aise de porter ce genre de trucs, Min. Même si je suis un garçon, je juge avoir le droit d'expérimenter de nouvelles choses et de profiter de cette situation pour explorer la bribe de féminité en moi.

Seungmin resta interdit face à ses propos. Il ne proféra aucun mot, se contentant de dévisager Felix avec un curieux scepticisme mêlé d'envoûtement. Il semblait s'interroger sur la portée de ces paroles.

— Tu n'as pas à avoir peur, souffla l'aîné. Il n'y a rien d'honteux, contrairement à ce que j'ai longtemps cru. J'ai enfin compris que j'ai eu tort de réprimer mes envies.

— Ta mère... où est-elle, maintenant ? s'enquit le Coréen en remontant ses jambes contre lui.

Le visage du rouquin s'assombrit. Une douleur sourde se déversa dans ses yeux vitreux.

— Elle est morte il y a deux mois.

Seungmin regretta aussitôt d'avoir posé la question. Le regard chargé de larmes de Felix l'émut au plus profond de son cœur. Il eut l'impression soudaine de distinguer chez lui un chagrin bien plus profond qu'il le laissait paraître, une peine qu'il traînait avec lui comme un fardeau depuis de nombreuses semaines sans parvenir à réellement s'en débarrasser.

Dans l'incapacité de trouver les bons mots, l'adolescent aux cheveux framboise suivit son instinct et posa doucement sa main sur celle de l'Australien. Ce dernier en resta coi lorsqu'il l'agrippa entre ses doigts, caressant ainsi sa peau légèrement tannée par le soleil.

Seungmin lui sourit doucement, et Felix en fut touché. Une chaleur s'éprit de lui à la vue de son regard pétillant et à la douceur de sa main sur la sienne. La présence de son ami versa un baume sur son cœur. La balafre qui le traversait se cicatrisa, animé par la compassion indicible s'exhalant du plus jeune.

Brusquement, ce dernier lâcha une exclamation de stupeur. Le rouquin s'essuya les yeux et baissa aussitôt la tête afin de suivre le regard de son vis-à-vis. Caché dans son col, son pendentif émettait une faible lumière orangée.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda nerveusement le Coréen.

— Le talisman que m'a confié ma mère dans mon rêve... Il brille, parfois.

Felix agrippa la chaînette et exhiba le collier en le dégageant de son col. Il avait déjà chatoyé ainsi auparavant, aussi n'y accorda-t-il qu'un bref regard. Il préféra se concentrer sur le doux visage de son vis-à-vis, sur ses grands yeux de velours, sur ses cheveux d'un rose rougeoyant aussi légers que de la soie, sur ses lèvres charnues...

— Euh, Lix... Est-ce que c'est normal qu'il brille aussi fort ? le questionna à nouveau Seungmin, de l'inquiétude dans la voix.

Le rouquin cligna des paupières et reporta vivement son attention sur le pendentif. Il dut plisser les yeux pour ne pas être ébloui.

— J'en sais rien, souffla-t-il, pris de court par l'intensité de sa lueur. Il n'avait jamais brillé autant...

Seungmin voulut séparer leurs mains, mais il se rendit compte qu'il leur était impossible de les dénouer. Il leva un regard paniqué sur Felix.

— Lix, qu'est-ce que...

Il s'interrompit lorsque du talisman s'échappèrent des filaments carmin qui glissèrent le long du bras de Felix. Ils formèrent de longs fils qui s'enroulèrent autour de lui en se cramponnant à sa manche, comme des griffes.

— Felix ! s'écria le plus jeune, les yeux exorbités par la terreur.

L'Australien ne pouvait plus se mouvoir. Il fixait la nitescence, telle des braises, terrorisé par sa véhémence.

Les brins incandescents se propagèrent de ses petites mains à celles de Seungmin. Celui-ci regarda, impuissant, la lueur serpenter le long de son bras. En atteignant son cœur, les filaments pénétrèrent dans sa poitrine comme des flèches érubescentes, formant comme un lien noueux entre les adolescents. Ce lien, à la fois apaisant et inquiétant, eut pour effet de faire enfler la lumière du talisman. Brillant de mille feux, les interstices des rosaces aveuglèrent les deux jeunes hommes alors forcés de fermer les paupières.

Ils ne ressentaient aucune douleur, uniquement une chaleur évanescente, véritable fournaise infernale. Felix grinça des dents, alors que la brûlure s'estompait peu à peu.

Lorsqu'elle fut totalement apaisée, il souffla de soulagement. Ce fut le cri de stupeur de Seungmin qui le tira de son abrutissement. Il papillonna longuement des paupières, avant de les ouvrir péniblement. Aussitôt, son regard se posa sur son ami, et sa bouche s'entrouvrit.

Aussi étrange que cela puisse paraître, ses vêtements n'étaient plus les mêmes. Le jeans et le pull avaient été remplacés ; le Coréen était revêtu d'une combinaison couleur ocre dont le haut légèrement déboutonné laissait entrevoir son échancrure. Sa poitrine était effectivement un peu plus développée que la sienne, quoi que tout de même ronde et bien dessinée. Felix sentit ses joues s'empourprer, aussi s'empressa-t-il de secouer la tête pour se forcer à diriger son regard ailleurs que sur son décolleté, c'est-à-dire, sur son visage.

Les cheveux framboise de Seungmin étaient nattés en deux tresses tirées vers l'arrière de la tête et entrelacées en chignon. Ses yeux légèrement maquillés demeuraient exorbités, mais le rouquin ne put s'empêcher de le trouver magnifique.

— Euh... Lix...

Le plus jeune le pointa du doigt, la stupeur s'étant faufilée dans son regard sombre. Le rouquin battit des paupières, avant de baisser la tête sur lui. Il lâcha un ricanement nerveux en constatant que ses vêtements s'étaient également transformés en une fraction de secondes.

Une robe de la même couleur aurore que la combinaison de Seungmin le parait désormais. La jupe retombait en cascade de tissus en mousseline superposés jusqu'à mi-cuisses. Le haut, retenu par une seule manche, était en fait en entrelacement de dentelle et de tulle. De longues chaussettes noires étaient remontées jusqu'au-dessus de ses genoux.

Felix se leva brusquement et se précipita dans la salle de bain afin de s'examiner dans le miroir. Ses cheveux étaient relevés en queue de cheval et encadrés de boucles d'oreilles en argent, et ses paupières, maquillées de rouge brique. Le fond de teint qu'il avait appliqué le matin même sur son visage s'était estompé, révélant ainsi les taches de rousseur qui mouchetaient sa peau légèrement hâlée.

— Felix !

Le concerné jura en comprenant qu'il n'avait pas le temps de recouvrir ses pommettes et son nez de maquillage. En poussant un soupir, il revint sur ses pas et regagna sa chambre.

À peine s'était-il avancé dans la pièce que son regard avait déjà atterri sur le décolleté de Seungmin. Il sentit son visage chauffer furieusement au point de prendre une forte couleur cramoisie. Face à sa réaction, le plus jeune cligna des paupières, ses yeux en amande reluisant d'incompréhension. Puis, alors qu'il examinait ses propres vêtements, ses yeux s'écarquillèrent. Il se retourna vivement, mais Felix eut toutefois le temps de distinguer la peau écarlate de ses oreilles.

— Oh bordel, Felix, t'aurais pas pu...?

Seungmin s'interrompit brusquement. Profondément embarrassé, ses doigts retrouvèrent son col et le boutonnèrent aussitôt. Le rouquin s'assit à nouveau sur le lit en feignant l'indifférence, bien que le chaos le plus absolu régnait en son for intérieur.

— Je... C'est la première fois que le talisman de ma mère a ce genre d'effet, commenta-t-il dans le but de fissurer le silence mordant qui avait empli l'atmosphère de la chambre.

Le Coréen déglutit et se retourna en évitant soigneusement le regard de son aîné.

— Lix, plus rien ne va dans cette histoire, souffla-t-il d'une voix blanche. Qu'est-ce qui vient de se passer ?

— Je n'en sais rien. Mais au moins, ce pendentif n'a pas d'effets dangereux.

— Comment tu pourrais le savoir ? Si ça se trouve, on...

— Ça ne sert à rien de se perdre en conjectures, l'arrêta aussitôt l'Australien.

Seungmin demeura silencieux. Un accablement tel se reflétait sur son expression figée que Felix sentit son cœur se serrer. Sans réfléchir, il tendit son bras, et ses doigts s'agrippèrent doucement à ceux de son cadet. Celui-ci tressaillit et reporta son regard sur le visage inquiet du rouquin.

— Ne t'inquiète pas, souffla ce dernier. Tu n'es pas seul. Je te promets que tout redeviendra comme avant.

Seungmin referma sa main autour de celle de son ami et le dévisagea longuement sans piper mot. L'Australien dut faire un effort surhumain pour que son corps ne le trahisse pas. En effet, la peau du jeune homme aux cheveux rougeâtres était infiniment douce, et son toucher le rendait tout chose.

— Tu as l'air très détendu, alors que... nos habits viennent de changer en un clin d'œil, marmonna finalement le Coréen.

Felix laissa échapper un rire qui s'étouffa dans sa gorge.

— Non, je ne suis pas détendu... Je ne sais juste pas quoi faire...

Il baissa la tête, la poitrine compressée par un bouleversement indicible.

— Felix, souffla Seungmin. Arrête-moi si je me trompe, mais... je crois que tu es encore plus perdu que moi, je me trompe ?

Le concerné ravala difficilement sa salive sans oser soutenir son regard inquisiteur. Dans la grande main du Coréen, ses doigts se raidirent.

— J'ai l'impression que tu te redécouvres, poursuivit la voix claire de Seungmin en constatant son manque de réaction. C'est ça, n'est-ce pas ? Tu découvres peu à peu une partie de toi que tu avais pris soin d'enterrer. Et ça te fait peur.

Felix releva vivement la tête sur lui. Ses yeux vitreux se remplirent de larmes qu'il s'employa aussitôt à chasser.

— C'est aussi visible que ça ? demanda-t-il faiblement.

Le plus jeune approcha sa deuxième main et retira l'élastique qui retenait la chevelure rousse de son aîné. Ses cheveux retombèrent alors en une cascade de boucles sur ses épaules. En sentant les doigts de son cadet se faufiler ensuite dans ses mèches, l'Australien le fixa sans rien dire, ébahi.

Les lèvres de Seungmin se fendirent d'un doux sourire.

— Aussi visible que ces taches de rousseur que tu avais pris soin de camoufler..., murmura-t-il sans cesser de caresser sa chevelure. Mais Felix, on peut voir dans tes yeux que tu es perdu.

Le concerné soupira d'aise sous le toucher de son cadet.

— Alors, on peut dire qu'on a besoin l'un de l'autre, n'est-ce pas ? demanda doucement le Coréen.

Felix déglutit en sentant les papillons sursauter dans son ventre et propager une véhémente chaleur en lui. Il s'efforça d'éviter le regard intense de son vis-à-vis, son cœur palpitant à tout rompre contre sa cage thoracique.

— J'imagine que oui, répondit-il dans un souffle rauque.

Un sourire fleurit sur les lèvres Seungmin, visiblement satisfait de sa réponse. Il dégagea finalement sa main de ses cheveux roux, et ceux-ci retombèrent en ondulant autour du doux minois de Felix.

— Alors, je tâcherai de te réconforter, conclut le plus jeune. Et toi, apprends-moi.

L'Australien le dévisagea, la confusion se peignant sur son visage.

— Apprends-moi la féminité, Felix, renchérit doucement le plus jeune.

L'aîné en demeura coi pendant plusieurs secondes. Il ne comprenait pas le soudain changement d'attitude de son ami.

— Pourquoi ? articula-t-il enfin. Enfin, je veux dire, qu'est-ce qui a changé au point que tu acceptes cette nouvelle facette de toi ?

Seungmin expira lentement. Son regard dévia sur le pendentif de Felix, qui reposait toujours sur sa poitrine.

— Je ne sais pas..., fit-il alors en redirigeant ses yeux sur le visage du rouquin. J'ai l'impression que les barrières ne sont plus là.

L'Australien fronça les sourcils.

— Comment ça ?

— Les barrières qu'on érige tous pour être conforme à la société..., souffla le plus jeune en levant sur lui une mine perplexe. Je suis juste... terriblement fatigué de toujours contredire ce qui s'oppose à la vision de la société.

Felix ne sut que rétorquer. Mais une petite voix dans son subconscient lui disait que leur étrange situation n'était peut-être pas aussi nocive qu'il l'avait cru, finalement.

Après de longues secondes de silence, il finit par opiner.

— Alors pour commencer, évite de te regarder dans le miroir au moins pendant tout l'après-midi.

Seungmin eut un mouvement de surprise. Il ne s'attendait pas vraiment à ça.

— Mais..., tenta-t-il de protester.

— Fais ce que je te dis, insista le rouquin. Je vois bien que tu n'as pas confiance en ton apparence. J'ignore si c'était déjà le cas avant cette transformation, mais j'aimerais que tu te sentes bien.

Le jeune homme aux cheveux framboise se pinça les lèvres, l'hésitation tressautant dans ses yeux de velours. Finalement, il acquiesça silencieusement. Il n'était pas friand d'aventures et de nouveautés, alors ne pas pouvoir prendre conscience de son apparence actuelle avait l'effet d'une démangeaison pernicieuse.

Felix perçut son hésitation, mais ne pipa mot. Il décelait une émotion différente dans les prunelles de son ami, une émotion qui acheva de la convaincre de l'aider.

— D'accord, fit Seungmin en vissant soudainement son regard dans le sien. Je veux bien essayer.

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