Evelyn Dupree
Lorsque je me réveille ce matin-là, j'ai l'impression d'avoir dormi des heures et aussi paisiblement que possible. Sans avoir levé mes paupières, je sens leur lourdeur, je sens la paralysie dans mes membres, je sens la fatigue palpable dans tout mon corps. Pourtant, je nage dans un confort quasi-surnaturel, au chaud sur mon épaisse couette. Et j'ai fait un doux rêve. Dans lequel j'avouais des pensées interdites à Monsieur Argent. Quelle cruelle chimère. Quelle audace de ma part d'avoir imaginé toutes ces choses impossibles avec lui, mes caresses sur ses bras fermes, mes mains sur son torse et même ses doigts autour de ma nuque. Je rougis rien qu'en y songeant. Un sourire stupide étire mes lèvres et je suis à deux doigts de glousser...
Quand je me rends compte du vide à côté de moi. Non pas que Rosa ne soit pas allongée près de moi. C'est tout son côté du lit qui manque. Je sursaute et ouvre les yeux brusquement. Par chance, une lumière tamisée m'accueille dans le monde réel. Le rêve s'effondre. La vérité me heurte de plein fouet. Je ne me trouve pas du tout dans ma chambre, au dortoir des sans-ordre. Rosa est assise, par terre, contre le mur d'une étroite pièce ouverte sur un couloir sombre. Il ne me faut pas longtemps pour m'apercevoir qu'il n'y a pas de porte, que la pierre a été détruite... Que s'est-il passé ici ? Où suis-je, d'ailleurs ?
Mes souvenirs remontent les uns après les autres. Le rêve si merveilleux, si défendu, apparaît dans toute la lumière de la réalité. Oh... Bon sang... Tout ce que j'ai dit... Une part de moi cherche tout de suite à rationaliser. Pourquoi ? Parce que sinon je fonds en larmes. Je me répète que tout aurait pu être bien pire. J'aurais pu démontrer un comportement mille fois plus obscène et osé. J'ai été étrangement sage avec l'Aulne de Malheur dans mon sang.
Bien sûr que j'en connaissais les ravages ; je sais que mes parents ont succombé à cette drogue, que ma mère a fini par gagner de l'argent en donnant son corps et que mon père saute des femmes richissimes contre des faveurs, pendant que j'attendais leur retour dans notre taudis, seule, obligée de faire les poubelles pour me nourrir. Avec ce genre d'enfance, j'étais conscience de ce que je risquais.
J'ai failli tomber dans les pommes, lorsque Monsieur Argent a déposé la racine sous mes yeux. J'ai failli pleurer. J'ai failli lui crier dessus que je ne suis pas comme mes parents. Et puis, je me suis vite souvenue qu'il n'est pas au courant de mon enfance. Qu'il ne pouvait pas savoir combien la vue de l'Aulne de Malheur m'a percé le cœur.
Je l'ai avalé sans réfléchir. Exactement comme il l'a prédit, j'éprouve un léger picotement dans tout mon corps. On dirait que je suis saisie d'infimes convulsions, de très imperceptibles tremblements au bout de mes membres. Un comportement de drogué, réduit et contrôlable. Je m'efforce de chasser les images de mes parents que je me suis inventées au fur et à mesure des années. Plus j'ai grandi, plus j'ai compris ce qu'ils faisaient. Ce que l'Aulne de Malheur leur avait fait. Comment il les avait anéantis. Le pire ? Je suis presque sûre qu'ils auraient sombré d'une façon ou d'une autre, même sans cette substance terrible. Car ils ont toujours été égoïstes, ils ne se sont jamais battus contre les obstacles de la vie, ils ne m'ont jamais aimée non plus et n'ont jamais pensé à moi.
— Rosa ?
Il faut que je me sorte de ses horribles souvenirs. Je l'appelle plusieurs fois, la gorge enrouée par le sommeil. Elle sursaute au bout de ma troisième tentative et se redresse d'un bond. Dans la seconde, elle est agenouillée devant le lit à m'ensevelir de questions.
— Rosa, par pitié, tu me fais tellement mal à la tête, calme-toi.
Son silence navré me laisse respirer un peu.
— Est-ce que tu pourrais résumer, simplement, tout ce que j'ai manqué, s'il te plaît ? J'ai la sensation de me réveiller d'un coma, le cerveau écrasé par une meute de Loups.
Elle acquiesce et se met à réfléchir longuement. J'apprécie son effort de réaliser un résumé concis pour m'épargner la migraine qui pointe déjà au-devant de mon crâne.
— Tu as pris de la drogue avec Monsieur Argent. Tu devras tout me raconter à ce sujet. Argent n'a pas été très bavard là-dessus. Ensuite, ton Ordre s'est manifesté et tu t'es évanouie. Le temps qu'il te conduise ici et t'allonge, tu as détruit le mur qui était là. L'infirmière a fait en sorte d'alléger l'emprise de la drogue sur toi et tu dors depuis cinq longues heures. J'ai veillé sur toi.
— Où est Monsieur Argent ? Il n'a pas voulu te dire mon Ordre, je suppose...
— Non... Et toi... ? Est-ce que tu as compris en quel Ordre tu as émergé ?
Je constate tristement que je n'ai toujours aucune idée de quel est mon Ordre. De la lumière qui neutralise un Loup en colère et qui explose des murs... Que suis-je censée conclure ? À son hésitation, je tique à la question qu'elle a ignorée. Je répète, la mâchoire contractée d'appréhension :
— Où est Monsieur Argent ?
Rosa confirme mes soupçons. Quelque chose cloche. Elle soupire avec un air dramatique qui ne lui ressemble pas.
— Si ça peut te réconforter, il a veillé sur toi, lui aussi. Il refusait même de quitter ton chevet. Mais, Morelli l'a convoqué à un conseil disciplinaire. Parce qu'il a enfreint une règle. Je présume que donner de la drogue à une élève n'a pas plu à la directrice.
Elle n'a pas l'occasion d'en dire plus. Une minute plus tard, je suis debout. Vacillante. Faible. Affamée. Tremblante de la tête aux pieds. Mais, debout. Rosa me gronde tout du long sans me forcer à me recoucher. Elle voit bien avec la panique qui me gagne que je ne lui pardonnerais pas de me restreindre ou de me ralentir. Elle m'accompagne donc jusqu'aux bureaux administratifs, soit de nombreux étages plus bas. Je m'accroche à son bras et à la rambarde pour ne pas chuter. Je prends note de l'absence des étudiants dans les couloirs, des chandeliers tous allumés et de l'opacité nocturne au-dehors. Ils doivent tous dîner à cette heure. Le jour se couche tôt.
Arrivées dans le couloir de la directrice, son assistante, dont je ne connais pas le nom, nous indique la salle dédiée aux conseils disciplinaires. Je réussis à marcher de mieux en mieux, si bien que je finis par me détacher de Rosa afin de pousser la porte d'un grand coup. De toute évidence, ma détermination surprend le corps enseignant. Ils se retournent tous, tels des suricates stupéfaits. J'identifie tous nos professeurs, ainsi qu'une Morelli sèche et sévère, comme à son habitude. Je remarque que la chaise, où s'assoient les étudiants convoqués, est vide. Monsieur Argent est assis tranquillement, encadré par Madame Natas et Monsieur Mock. Il affiche une expression neutre, voire indifférente, tirée, tendue, les épaules raides. Ils me fixent tous comme si une folle avait débarqué d'un asile face à eux.
— Je ne pense pas qu'il soit possible ou juste de juger un homme sans témoin, surtout sans le témoignage de la personne concernée.
Rosa, bouche bée, tente de me retenir, mais je pousse doucement sa main et m'avance d'un pas prompt dans cette vaste salle, sobre, ancienne, avec des statuettes de savants sur les buffets tout autour d'une immense table ronde, où se tient le corps enseignant. Je prends place sur la chaise vide, destinée à l'accusé en temps normal. Morelli pouffe, l'air de dire : pas croyable, cette fille ! Je garde la tête haute et attends leurs questions. Monsieur Argent est le seul qui ne me dévisage pas. Il me lance des coups d'œil réguliers et ne parvient pas à ravaler un rictus narquois, qu'il cache d'abord par un toussotement et ensuite derrière sa main.
— Regagnez le Bosquet des Sorciers, Mademoiselle Crowe, grince la directrice. Votre amie vous rejoindra bientôt.
J'opine du chef. En un regard, je comprends que Rosa m'attendra plutôt à mon dortoir, puisque ce sera moins loin pour moi. Il est vrai que je ressens encore une faiblesse tangible et je me tiendrai sûrement aux murs pour ne pas m'effondrer.
— Puisque vous insistez, nous recueillerons votre témoignage, Mademoiselle Dupree. Qu'avez-vous à rajouter à notre examen ?
Donc, ils ont réellement placé Monsieur Argent en examen. Je m'empourpre, cette fois d'indignation.
— Dans un premier temps, affirmé-je avec une voix forte et pompeuse, je ne comprends pas l'intérêt de cet examen. Contrairement à tous les autres professeurs, son idée a fonctionné. Mon Ordre s'est éveillé. Je ne remets aucune faute sur Madame Scoria ou sur les professeurs de Magie Offensive et Défensive, évidemment, mais vous devez accorder à Monsieur Argent qu'il a su m'aider au mieux.
Morelli ouvre la bouche pour répliquer quelque chose, mais je la coupe net dans son élan et continue sans un regard vers elle :
— De plus, je n'ai pas été en danger une seule seconde. Que ce soit physiquement, sur le plan magique ou sur un aspect plus... Eh bien, pour le formuler concrètement, Monsieur Argent n'a pas essayé de profiter de la situation, ce que vous craignez peut-être. Je n'ai guère été abusée d'une quelconque manière et ai été en sécurité tout au long du processus.
J'évite avec soin les yeux bleu marin de Monsieur Argent, mais, malgré moi, je les croise quelquefois en balayant l'assemblée. Il me toise avec un sérieux de plomb. Certains professeurs ricanent à la perspective d'un homme, adulte, et avec ses responsabilités, qui aurait pu profiter de moi. Leur réaction m'agace et je crache sans me contenir :
— D'autres n'auraient pas hésité à prendre avantage sur moi et vous le savez pertinemment. Je n'accuse ou ne vise personne parmi vous, mais vous ne pouvez nier qu'il s'agit d'une éventualité.
Bien que j'appuie sur le théorique de mon argument, je fais traîner mes orbes courroucés sur le professeur de Magie Offensive de Conrad. Panas Christanti. Le Loup nous l'a désigné une fois en précisant que les filles devraient toutes rallonger leurs jupes à proximité de cet homme. Il pâlit. Sale type. De nouveau, Morelli s'apprête à intervenir, mais je l'en empêche.
— Quoi qu'il en soit, je termine sur un point. Vous reprochez probablement à Monsieur Argent d'avoir procédé à cette expérience sans le soutien d'autres professeurs. Vous avez raison, en un sens. Je ne peux rien rétorquer là-dessus. Néanmoins, je parle en mon nom et selon mon ressenti personnel. J'aurais détesté que plusieurs personnes me voient dans cet état. Je suis déjà suffisamment honteuse d'avoir perdu le contrôle de mon corps et de mon esprit en présence de Monsieur Argent. Je ne pourrais pas affronter les cours si tous mes professeurs avaient assisté à ça. En conclusion, je remercie Monsieur Argent pour avoir fait émerger mon Ordre et je vous demande d'être cléments avec lui. N'omettez pas son expérience presque nulle dans le métier de professeur. Il a agi sous l'impulsion du moment et j'en suis reconnaissante. Avez-vous des questions ?
Je m'apparente à une fille qui vient juste d'achever son exposé, devant une assemblée qui est perdue dans ses réflexions, ou abasourdie par mon discours, tous muets. Cette fois, Morelli ne se presse pas pour s'exprimer. Elle me jauge de haut en bas, tout aussi étonnée que les autres. Je patiente docilement pour leurs réactions qui ne viennent pas. Monsieur Argent ne se contient pas davantage et explose d'un rire fluet. Quelques-uns le suivent, plus discrets, et la directrice bascule sur sa chaise en hochant de la tête par réflexe.
— Vous mentionnez souvent que je ne suis qu'un débutant, relève Monsieur Argent. Suis-je si mauvais en tant que professeur, Mademoiselle Dupree ?
Un peu si l'on juge sa pédagogie, mais ce n'est pas du tout ce que signifiaient mes remarques. Les rougeurs se propagent jusque dans ma nuque, embarrassée, et j'amorce un mouvement pour lui répondre, sauf que Monsieur Argent s'est déjà levé et contourne la table ronde pour gagner la porte par laquelle je suis entrée. Les professeurs commencent à l'imiter, mais partent de l'autre côté. Morelli quitte la pièce en dernière. Je les observe tous, pantoise, troublée, confuse.
— Vous venez ?
Monsieur Argent réapparaît brièvement dans la salle pour repartir aussitôt. Je saute hors de ma chaise et cours pour le rattraper. Dans le couloir, les murs tanguent dangereusement et je ne vois plus clair. Mon front heurte une surface dure. Le dos de mon professeur. Mon corps menace de s'écrouler. Il m'empoigne par les épaules et vérifie mon état, notamment en soulevant mon menton. Nos regards s'effleurent un instant. Une gêne immonde me parcourt à la pensée de tout ce que je lui ai dit.
— Prenez mon bras.
J'obéis et enroule ma main autour de son avant-bras, replié contre son torse. Progressant tous les deux côte à côte dans un interminable couloir, j'ai l'air d'une mariée, à l'exception de la robe manquante, avec une mine affreuse et sans mari. Il nous mène jusqu'à son bureau au rez-de-chaussée. Grands dieux, je n'ai pas à remonter tous les escaliers ! Je déduis sa raison de passer tout son temps dans sa salle de cours, et non ici. La pièce est exiguë, peu accueillante de prime abord. Il m'escorte jusqu'à son fauteuil grinçant et lui, s'adosse au petit bureau, bras croisés. Monsieur Argent s'efforce de maintenir son expression nonchalante, rigide, mais son sourire jaillit sans qu'il ne puisse le maîtriser.
— Heureusement que vous étiez là, Mademoiselle Dupree, je ne m'en serais pas tiré sans votre secours.
Je grimace et marmonne :
— C'est ironique ?
— Oui.
Il rit d'une chose apparemment hilarante de son point de vue. Une partie de moi s'offusque de sa moquerie ; une autre boit ce son mélodieux.
— Le conseil disciplinaire s'est terminé deux heures auparavant, sur un simple avertissement de la directrice. Je ne risquais rien en transgressant sa règle. Tant que la situation n'a pas dérapé et que vous êtes saine et sauve, avec votre Ordre éveillé, elle n'aurait pas pu me punir. Nous discutions de vous, figurez-vous. De votre Ordre.
Et revoilà les rougeurs de honte. Bon sang... Et moi qui l'ai défendu avec mes tirades argumentatives. Je regrette presque de m'être levée du lit bien chaud de la salle de repos. Une moue renfrognée s'installe sur mes lèvres et le rire de Monsieur Argent revient à la charge. Je boude, jusqu'à ce qu'il lâche :
— Je suis soulagé qu'il ne vous soit rien arrivé. J'ai eu peur à plusieurs reprises. Je suis l'adulte de nous deux, même si je ne suis pas beaucoup plus âgé. C'est à moi d'aborder ce sujet, je crois. Sur ce qui a été dit et fait durant le processus.
Je me tasse sur son fauteuil qui grogne à chaque geste de ma part.
— Evelyn, je réitère mes paroles de tout à l'heure. Vous n'êtes pas en faute pour ce que vous avez dit ou fait. La drogue a parlé à votre place et...
Je ne l'écoute pas. Il bredouille, se perd dans ses mots et moi, je suis bouleversée par des images de mes parents. J'étais consciente. Tout le temps. Hormis le désir et le besoin de me combler, de jouir, d'être touchée, hormis cet aspect-là, c'était ma volonté, mon envie. Je souhaitais qu'il m'embrasse. Je souhaitais le caresser. Je souhaitais qu'il me coince contre une table et que tout soit chamboulé entre nous. Je le désirais plus que tout au monde. Et seuls, dans cette pièce à l'espace limité, je le visualise sans mal entre mes cuisses, assise sur son bureau, sa bouche sur la mienne, sur ma nuque, mes doigts sous sa chemise... Est-ce que mes parents ont cette fraction de lucidité ou est-ce que la prise répétée de la drogue a bousillé leurs cerveaux ? Reconnaissent-ils qu'ils m'ont abandonnée, qu'ils se détruisent ?
Il bégaie encore. A priori, il évoque notre relation de professeur à étudiante, qu'il effacera ce souvenir de sa mémoire, que tout sera normal dès demain. Plus ce flot s'extirpe d'entre ses lèvres, plus je cogite sur les effets de cette drogue, plus la mélancolie me gagne, et je suis à deux doigts de devenir folle. Sa voix me paraît si lointaine. J'échappe à la réalité. Alors, je fais ce qui me semble urgent et nécessaire pour joindre à nouveau le rivage. Je me redresse et l'embrasse. Monsieur Argent se tait aussitôt, se fige. Je ne bouge pas. Ce n'est sûrement pas un baiser, en fait. Pas un vrai. Mais, le contact lèvres contre lèvres me réanime et je reviens à moi. Délicatement, ses mains frôlent mes bras et il m'écarte de lui, perplexe.
— Tous mes mots, tous mes gestes, c'était moi, que vous le vouliez ou non, professeur.
J'ignore d'où provient ce courage. Peut-être de mon désespoir. Il est sur le point de me servir un autre de ses sermons, mais il se meurt dans sa gorge. Monsieur Argent voit une lueur inquiétante dans mes yeux, je le sais à son froncement de sourcils. Il comprend ce que je refuse d'admettre ; que je suis au bord du gouffre.
— Je les déteste...
Je ne sais pas pourquoi mes parents me hantent autant, pourquoi je ne peux pas me débarrasser d'eux, les refouler comme je l'ai fait ces premiers mois, pourquoi je m'accroche à ma vie d'avant la Starborn. Je suis tellement terrorisée à l'idée que tout s'arrête, que j'échoue, que je replonge dans cet enfer. Sans pouvoir m'en empêcher, mes membres vibrent, tandis que des larmes perlent sur mes joues. Monsieur Argent en est ahuri, pris de court.
— Je préférerais qu'ils soient morts. Qu'ils ne m'aient jamais mise au monde.
Il devine tout et son cœur bat à l'unisson avec le mien : de peine. Monsieur Argent ne réfléchit pas et me tire à lui, m'encerclant dans ses bras tendres, plein de compassion, patient avec moi. Je me fracture complètement. Je n'ose pas lui expliquer pour quelle raison je faiblis maintenant ; le sais-je moi-même ? Est-ce à cause de l'Aulne de Malheur qui a fait resurgir mes souvenirs enfouis ? Est-ce à cause de mon éveil et de l'épuisement ? À cause de la pression qui retombe ? Ou, au contraire, la pression qui explose ?
— Je suis heureux qu'ils vous aient mise au monde, Evelyn. Même si c'est cruel de ma part, parce que je n'ai pas vécu toutes les horreurs contre lesquelles vous vous êtes débattu. Je suis vraiment heureux que vous fassiez partie de mes premières élèves, d'avoir fait cette expérience avec vous, d'être là pour vous aider.
— Il n'y a qu'à l'académie que...
Les sanglots me poussent dans une quinte de toux. Monsieur Argent frotte gentiment mon dos, alors que je noie son pull dans mes larmes.
—...que je n'ai pas envie de mourir à chaque seconde de ma vie.
Le soupir qui s'ensuit m'indique que Monsieur Argent vient de percer à jour un nouveau mystère sur moi. Lequel ? Il se détache de moi avec brusquerie, à tel point que j'en perds l'équilibre. Cependant, il ne me laisse pas tomber. Ses mains encadrent mes joues et de ses pouces, il sèche le torrent de mes larmes. Ses yeux océan attachent les miens et ne les relâchent plus. Il me renvoie autant de soutien que possible et son intrusion réclame l'accès à mon esprit.
— Je n'ai pas besoin que vous changiez mes émotions. S'il vous plaît, ne le faites pas.
J'ai besoin de me noyer. Ces mots m'étouffent, je ne les prononce pas à voix haute, mais Monsieur Argent les capte malgré tout. Son intrusion s'enlace tout de même avec mon esprit et il m'insuffle, non pas des émotions apaisées pour me calmer, mais ses émotions à lui. Il partage une rivière agitée de doutes, de désolation à la perspective de me voir dans cet état et d'impuissance face à ma noyade.
— J'avais prévu tout un monologue cérémonial pour vous annoncer votre Ordre, pour faire durer le suspense et marquer le coup, mais il m'est insupportable de vous laisser patauger dans votre détresse. Evelyn, je vais vous prouver que vous avez fait le bon choix en vous cramponnant à la vie. Je vais vous dire clairement pourquoi vous êtes merveilleuse, un cadeau du ciel et une femme qui mérite amplement tout le bonheur du monde. Vous êtes une Étoile, Evelyn. Une Étoile. De l'Ordre le plus ancien et le plus rare. Le plus puissant aussi et le plus pur. Vous êtes la créature la plus recherchée, fascinante et précieuse de Caeddarah à l'heure actuelle, et vous n'imaginez pas l'honneur que ce fut pour moi de vous éveiller. Je... Vous êtes splendide, Evelyn, et il est hors de question que vous souffriez un jour de plus. Au diable vos parents ! Ils se mordront les doigts. Ou qu'ils crèvent dans leur misère. Je m'en moque. Vous êtes le diamant brut de Caeddarah et je serais au premier rang pour prendre soin de vous.
Et parce que je ne suis pas assez ébranlée, et parce que je n'ai pas assez de questions, et parce que Damian verse une larme pour moi, il décide d'illustrer sa résolution par un baiser. Qui diffère totalement du mien. Un baiser passionné et hasardeux, doux et embrasé, réconfortant mais qui me procure une tempête dans l'estomac. Je ne me cramponne plus seulement à la vie pour reprendre ses termes. Il est mon ancre à partir d'aujourd'hui et jusqu'à ce qu'il ne veuille plus de moi.
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