Chapitre 1

Harry

South Orange était le dernier endroit où Harry voulait passer son été et pourtant, comme par hasard, il en avait connu précisément vingt-et-un autres dans ce même lieu. La simple idée était évocatrice d'un nombre incalculable de voyages à Coney Island, de repas bien gras avec ses amis, et de nuits passées à se faufiler par la fenêtre de sa chambre.

Tout son passé était englobé par ces sept kilomètres carrés et il n'y avait pas beaucoup d'endroits où il pouvait aller sans qu'un souvenir n'y soit déjà attaché. Ça devrait être réconfortant et, d'une certaine façon, ça l'était – mais il serait toujours enraciné à cet endroit et ça lui donnait l'impression de se blottir dans la couverture usée de son enfance lorsqu'il arrivait. Mais la stagnation était l'une de ses plus grandes peurs et l'idée de vivre toute sa vie dans un même endroit semblait étouffante.

Il ne détestait pas le New Jersey ou sa ville natale ou les personnes y vivant – loin de là. Mais étant à l'université à Santa Barbara depuis déjà trois ans, il pensait que pour une fois peut-être, une seule fois, il pourrait en fait arriver à profiter des avantages de la période estivale en Californie. Il avait eu le grand rêve d'échapper à l'humidité familière de l'Est et de perdre du temps à la foire artisanale à La Cumbre Plaza, peut-être même partager discrètement une bouteille de vin avec ses amis tout en ratissant la plage de Channel Islands.

L'idée semblait décadente dans sa tête même en étant à 4 616 kilomètres de tout ça.

Mais sa mère avait envisagé quelque chose de différent pour lui, et dans l'intérêt de faire des économies, il avait accepté de vivre à la maison pour son dernier été en tant qu'étudiant. L'affaire n'était pas si mal. Il pouvait pleinement profiter de la pool-house et la Jaguar vintage que son beau-père restaurait depuis des années, et il savait que c'était important pour sa mère qu'il reste avec elle au moins pendant son dernier été d'étudiant, parce qu'elle n'aurait plus son mot à dire sur l'endroit où il finirait après avoir obtenu son diplôme.

Se réveillant sur le matelas bosselé de la pool-house, Harry se souvint de cela. C'était juste un été de plus de ce à quoi il était déjà habitué et il passerait le prochain où bon lui semblait. Le monde était à lui, vraiment, même si ça serait un exploit qu'il réussisse à mettre son diplôme d'anglais à bon escient, et il ne voulait même pas penser à des concepts tels que commencer sa carrière et s'installer qui lui donneraient l'air plus âgé qu'il ne l'était. Il y avait toujours des opportunités – il passerait peut-être du temps à voyager ou trouverait un appartement à New York. Rien n'avait besoin d'être inscrit dans la pierre. Il pouvait simplement prendre tout ça comme ça venait et ne pas être aussi hyper-préoccupé par des projets comme tout le monde dans sa vie semblait l'être. Il ne voulait pas toujours savoir ce qui allait se passait avant que ça ne se produise.

C'était comme un mantra qu'il se répétait tout en enfilant un short et un vieux tee-shirt de cross-country pour aller courir – c'est peut-être ton dernier été ici, ça ne sera plus jamais comme ça, essaie au moins de t'amuser.

Il ouvrit les volets et tenta de calculer combien de temps il avait dormi grâce à la position du soleil dans le ciel. C'était le début de l'été, le premier jour du mois de juin, et cette humidité familière ne s'était pas encore vraiment installée. Dehors, tout avait une odeur de frais et le soleil était encore trop bas pour faire quoi que ce soit d'autre que projeter de jolies ombres sur la terrasse.

Harry lassa ses baskets sur la marche à l'extérieur de la pool-house et regarda autour de lui. Le paysage était intrinsèquement familier mais tellement différent de ce qu'il voyait tous les jours en Californie, et cette simple pensée lui donna vaguement conscience d'à quel point c'était sans doute ennuyeux pour lui de constamment faire cette comparaison. Il était rentré depuis trente-six heures et il savait, par expérience, que ces pensées importunes mettraient encore quelques semaines avant d'arrêter d'être instinctives.

La pelouse autour de la piscine s'étendait jusqu'à la terrasse à l'arrière de la maison, et un regard à sa gauche montra plusieurs maisons, même pas séparées par des clôtures : simplement une étendue de jardins avec des aires de jeux, des barbecues, des terrasses, des frites de piscines négligées et appuyées contre les façades des garages.

Il était tôt, tout était calme. Harry se releva et étira ses bras par-dessus sa tête, ajusta le bandeau qu'il portait pour dégager ses cheveux de son front, et partit.

Il y avait un chemin qu'il suivait habituellement, celui sur lequel ils couraient quand il était dans l'équipe de cross-country du lycée, et il s'y tenait sans même en considérer un autre. Il faisait dix kilomètres au total, et Harry ne réfléchit pas pendant presque toute sa course, courant simplement, respirant, se poussant malgré la brûlure à l'arrière de ses cuisses et ce tiraillement familier dans son dos qui se manifestait à chaque fois qu'il courait en montée.

Quand il retourna dans son quartier, des enfants montaient à bord de bus et il pensa, presque ravi pour eux, que ça devait être le dernier jour d'école, ou presque. Son jogging lui prenait normalement moins d'une heure avec son équipe, mais il vérifia sa montre et constata qu'il avait mis un peu plus de temps que ça au moment où il commença à marcher le long du dernier pâté de maisons.

Il était neuf heure et demi lorsqu'il arriva tout doucement devant chez lui, haletant. Il salua Monsieur Tyler vivant à côté, qui rentrait son chien dans la maison, et mit en marche le tuyau d'arrosage dans l'allée, éclaboussant son visage avec l'eau froide et le refermant dans un grincement.

Ce ne fut qu'une fois devant la porte qu'il réalisa : ses clés.

A Santa Barbara, il s'était tellement habitué à toujours avoir ses colocataires présents pour le laisser entrer qu'il avait perdu l'habitude de prendre ses clés partout avec lui. Evidemment, à présent, ça lui revenait en pleine figure, parce que ses parents étaient déjà partis pour le travail – les deux voitures avaient disparu de l'allée. Et il savait que sa mère avait arrêté de laisser la porte arrière ouverte depuis des années, après avoir été à un séminaire que Madame Tyler avait donné sur les dangers qu'il pourrait y avoir dans le quartier.

Il considéra ses options, ayant l'impression d'être en train de repérer l'endroit alors qu'il cherchait une fenêtre ouverte et tordait la poignée de porte dans un exercice inutile, comme si elle serait passée de verrouillée à déverrouillée en cinq minutes.

Il n'y avait aucun moyen qu'il puisse entrer à l'intérieur sans commettre d'effraction et il était trop tôt pour déclencher le système d'alarme et affronter les policiers qui viendraient lui poser un million de questions. Heureusement, il avait le vague souvenir que sa mère lui ait dit qu'elle avait laissé un double des clés chez les voisins, pour toutes les fois où ils partaient en vacances et qu'un des Wood avait été en charge d'arroser les plantes et nourrir Dusty.

Tout cela semblait un peu pitoyable alors qu'il traversait son allée et entrait dans celle des voisins, en sueur et légèrement gêné d'avoir vingt-deux ans et que son chemin vers l'âge adulte soit freiné par l'oubli d'une chose aussi nécessaire à sa vie quotidienne. La maison semblait calme au premier regard et ça avait du sens, pensa Harry, parce qu'ils devaient très certainement être, également, déjà partis travailler.

Pourtant, il se trouva à sonner deux fois de plus quand personne ne répondit au début. Il était sur le point d'abandonner, de faire la marche de la honte pour retourner chez lui et appeler sa mère pour la faire revenir du boulot afin de lui permettre d'entrer, quand il entendit un grommellement de l'autre côté de la porte. Il était tout étouffé, mais Harry put faire le rapprochement avec un chœur distinct de merde, merde, merde et le bruit de pas venant dans sa direction.

Il y eut un peu d'agitation puis la porte s'ouvrit brusquement, le laissant face à face avec une personne qui n'était définitivement pas Monsieur ou Madame Wood. Le garçon en face de lui était séduisant, malgré l'état dans lequel il était à présent : mouillé, essoufflé et tenant en équilibre un bébé dans un maillot de bain rose contre sa hanche. Harry pensa qu'il pouvait avoir quelques ans de plus que lui, tout au plus, mais ce fut difficile à dire alors qu'il essayait fortement de ne pas remarquer les perles d'eau parcourant son torse, embrassé par le soleil comme s'il avait déjà passé plusieurs semaines au bord d'une piscine.

Remarquant le regard plein d'attente qu'il reçut, Harry se redressa, se tenant droit et essayant de remettre de l'ordre dans ses pensées.

« Oui ? Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? »

Le gars avait l'air un peu impatient, ne fut-ce parce que le bébé commençait à s'agiter dans ses bras et qu'il devait la repositionner, souriant et l'encourageant en lui parlant jusqu'à ce qu'elle se calme à nouveau.

« Désolé. Je vis à côté, » commença Harry, faisant un geste large en direction de sa maison avant de se tourner à nouveau vers lui. « Je suis en quelque sorte... enfermé dehors, » dit-il plus rapidement, comme si ce serait moins embarrassant s'il passait à la hâte cette partie. « Bref, je crois que mes parents gardent une clé de secours ici. J'veux dire, les Wood vivent toujours ici, hein ? »

Le garçon le regarda fixement pendant une seconde, les sourcils froncés avant de répondre doucement, « Oui. »

« J'ai grandi juste à côté, » Harry pointa avec son pouce, il était toujours un peu haletant, et l'air conditionné venant de l'intérieur par la porte ouverte était assez pour lui donner envie de rester ici indéfiniment. Le gars hocha de la tête et Harry continua. « Je suis le fils d'Anne, » proposa-t-il, comme si ça pourrait lui dire quelque chose. « Harry ? J'ai juste besoin de ma clé, mes parents ne vont pas revenir avant ce soir, je sais où ils la gardent – »

« D'accord, mec, calme-toi, » dit le garçon, levant sa main comme pour lui dire d'y aller mollo, et Harry fut surpris lorsqu'il commença à rire. C'était en quelque sorte incroyable, en fait, la façon dont son rire transformait son visage, et il était contagieux. Harry sourit en retour, penaud, alors qu'il hochait de la tête, et le gars se recula assez pour le laisser passer le seuil de la porte.

Le bébé qu'il faisait rebondir sur sa hanche fit une sorte de crissement de contentement et Harry ne put s'empêcher de tendre une main pour pousser son doigt dans sa minuscule paume. Elle l'attrapa immédiatement, comme la plus mignonne des dionées au monde, et Harry la laissa s'y accrocher alors qu'il les suivait tous les deux à travers le salon et jusqu'à la cuisine.

« Liz et Scott sont au travail, » expliqua-t-il par-dessus son épaule. Les cheveux à la base de sa nuque étaient mouillés et sombres, et les gouttes d'eau qui coulaient lentement au milieu de sa colonne vertébrale étaient plus qu'un peu distrayantes. Harry cogna son orteil contre l'encadrement de la porte de la cuisine et se maudit d'avoir, toujours, si peu de contrôle sur ses membres. « Je m'occupe des enfants. »

« Oh, comme une nounou, » explicita Harry, lorgnant sur le portant à clé se trouvant sur le mur à côté du réfrigérateur. Puisque c'était apparemment son jour de chance, il semblait y avoir les clés de chacune des maisons du quartier, et aucune d'elle n'était étiquetée. « Tu t'appelles comment déjà ? »

« Louis, » répondit-il. Il ne regarda pas Harry, mais lorsqu'il le fit, son expression était impassible. « Mais je préfère 'La Nounou', si ça ne te dérange pas. »

Harry se considérait comme assez bon pour lire les gens et pour une quelconque raison, il ne fut pas du tout surpris par l'intrigue immédiate qu'il ressentit pour cet étranger torse-nu et portant un bébé devant lui – ou Louis, devrait-il dire. Il était drôle, même en étant fatigué et en train de fouiller dans un interminable tas de clés suspendues. Honnêtement, il était exactement le genre de personnes par lesquelles Harry était attiré dans n'importe quelle situation. Quelqu'un qui pouvait suivre son rythme ou même le surpasser parce qu'Harry vivait pour être défié. Il y avait un prêté pour un rendu qui l'attirait, le rendait curieux de ce qui viendrait après, et il le ressentait déjà avec leur échange de cinq minutes.

« J'sais pas. J'suis pas sûr que ça t'aille aussi bien que Louis, » dit Harry, lâchant un soupir de considération et passant son bras derrière lui pour gratter sa nuque, incapable de cacher son sourire lorsque Louis lui fit un roulement d'yeux peu subtil. « Je suis Harry, en fait. Je crois que je l'ai déjà dit, mais, » Harry se coupa quand Louis mit brusquement le bébé dans ses bras.

« Oui, tu l'as fait. Eh bien, Harry, voici Annie et j'ai besoin que tu la tiennes pour moi, si ça ne te dérange pas. Comme tu peux le voir, Liz et Scott ne sont pas exactement des grands fans de l'organisation. » Louis laissa échapper un soupir d'exaspération, aidant Annie à se positionner dans les bras d'Harry et rencontrant rapidement ses yeux, comme s'il essayait de juger s'il pouvait ou non lui faire confiance pour ne pas la faire tomber ou éventuellement courir jusqu'à la porte d'entrée avec elle dans son sillage. Voisin ou non, il restait un étranger.

Harry lui répondit avec un de ses roulements d'yeux. « C'est bon ! Je sais comment tenir un bébé. »

Annie avait de grands yeux gris ardoise qui louchèrent très légèrement en contrepartie quand il attacha ses bras autour d'elle, la berçant contre son torse.

« Coucou, » Harry augmenta sa voix à un ton plus haut et lui sourit radieusement, levant une de ses mains, heureux lorsqu'elle s'accrocha à nouveau à un de ses doigts. A sa grande surprise, elle l'apporta cette fois jusqu'à sa bouche, essayant de le mordre.

« Euh... c'est normal ? »

Louis lança un bref coup d'œil dans leur direction et rigola, retournant immédiatement à sa tâche consistant à fouiller dans les clés. Il semblait, à juste titre, assez bien savoir lesquelles appartenaient réellement aux Wood et il retirait systématiques les mauvaises des crochets, réduisant la recherche. « Elle fait encore ses dents. Tout devient un jouet à mâcher en ce moment. »

En quelques secondes, Harry eut de la bave coulant le long de son doigt, mais le facteur mignon dépassait de loin le facteur dégueulasse et il éloigna son doigt seulement une fois qu'elle sembla se désintéresser de la distraction momentanée. Il remonta la bretelle lâche de son maillot de bain et observa le dos de Louis alors qu'il farfouillait dans une quantité encore plus importante de clés.

« Je me souviens pas que les Wood aient une piscine, » dit-il en fronçant les sourcils, ajustant Annie dans ses bras jusqu'à ce qu'elle se tortille moins. Ses doigts s'emmêlèrent à la chaîne du collier de Harry et il ne l'arrêta pas lorsqu'elle essaya, également, de mettre le pendentif dans bouche.

« Juste une piscine pour enfants. Elle a, genre, dix centimètres d'eau – oh, enfin. » Louis brandit une clé, triomphant, et revenant vers Harry, la main tendue. « Voilà. »

Ça sonnait un peu comme la fin, la façon dont il le disait – voilà, j'ai trouvé la clé, merci de bien vouloir aller voir ailleurs si j'y suis. Ça avait du sens, pensa-t-il, parce qu'il était en train de travailler et il ne s'était probablement pas attendu à ce qu'un voisin en sueur vienne faire irruption en demandant une clé. Harry la lui prit des mains, hocha de la tête et marmonna un remerciement.

« Pas de problème, » dit Louis, tendant ses mains pour attraper Annie sous ses bras. Harry avait un million de questions et il n'était pas bon pour tenir sa langue puisqu'il était curieux, mais quelque chose lui disait que Louis pourrait mal prendre le fait qu'il lui demande directement son âge, d'où il venait et pourquoi il ne l'avait jamais vu avant.

Il était le genre de personne par qui Harry voulait simplement être apprécié, tout de suite ; il dégageait une certaine confiance en lui qui attirait Harry, une sorte d'attitude sans prise de tête, sans pour autant être un connard total.

Louis ne semblait pas être du genre à dévoiler gratuitement de nombreuses parties de lui, et Harry aimait ça : l'idée d'être assez bien pour apprendre à connaître quelqu'un. Et il avait déjà l'impression que Louis était un cadenas qu'il pouvait ouvrir avec un peu d'effort.

Leurs yeux se rencontrèrent lorsqu'Annie partit de ses bras pour retourner dans ceux de Louis, et c'était vraiment étrange. Mais Harry ne put empêcher un sourire de se glisser sur son visage et il eut du mal à lutter contre l'envie de réellement rire, même s'il n'y avait rien de drôle. A part le fait qu'Harry gouttait de sueur, que son odeur devait probablement être pire que son apparence et que la nounou masculine des voisins avait l'air d'un foutu mannequin.

Louis détourna son regard, appuyant sa langue à l'intérieur de sa joue, mais Harry jura qu'il put voir le coin de sa bouche se retrousser alors qu'il se dirigeait vers l'arrière de la maison.

« Tu peux me suivre par là, » dit-il, et Harry le fit.

Ils arrivèrent sur la terrasse et descendirent les marches pour atterrir sur la pelouse, où il y avait une balançoire, une batte de baseball pour enfant à côté du garage, un ballon de kickball en bas des escaliers et, enfin, la piscine pour enfants au milieu de tout ça. Louis l'enjamba pour entrer dedans et Harry rigola quand il vit que l'eau ne montait pas plus haut que le milieu de ses mollets. Louis baissa le regard et tortilla ses orteils.

« Je t'inviterais bien à piquer une tête, mais. » Louis sourit, tira une paire d'aviateurs du sommet de sa tête pour la poser sur son nez, rendant son visage encore moins lisible alors qu'il s'asseyait les jambes croisées dans l'eau peu profonde, posant Annie sur ses genoux. Elle retira presque immédiatement les lunettes et les jeta dans l'eau, gloussant, et le visage de Louis devint doux, comme s'il ne pouvait pas s'en empêcher.

« Bien, » dit Harry, pointant son propre jardin par-dessus son épaule, séparé seulement par une allée. « Merci. » Il commença à avancer à reculons, faisant un pas ou deux puis répondant au signe de main qu'il reçut de la part de Louis.

« Est-ce que t'es ici tout le temps ? » demanda Harry, reculant toujours, apparemment incapable de garder ses questions pour lui, même pendant qu'il essayait de partir.

« Du lundi au vendredi. Pourquoi, tu prévois d'oublier tes clés tous les jours ? »

Harry rejeta sa tête en arrière et rigola, haut et fort, et il était un peu trop loin pour voir avec certitude, à cause du soleil rayonnant sur son visage, mais il pensait que Louis souriait aussi.

« Ça se pourrait, » rétorqua-t-il alors qu'il faisait encore quelques pas vers sa maison. « C'est toujours bon d'avoir un plan de secours. »

Louis leva un pouce en l'air, et Harry en fit de même.

« A demain, Nounou. »


Louis

Au début, lorsque Louis avait accepté le travail chez les Wood, il avait eu légèrement peur de l'impact que ça aurait sur sa vie sociale. Tous ses amis de la fac, qui avaient été assez chanceux pour déjà décrocher un boulot stable dans leurs domaines respectifs, pouvaient interagir avec leurs pairs sur une base quotidienne, et Louis – eh bien. Il passait la majorité de son temps avec trois personnes qui, en additionnant leurs âges, avaient onze ans.

Ses amis lui racontaient tout sur qui couchait avec qui dans la salle de pause et quel collègue avait mystérieusement été porté malade après un face à face paralysant et embarrassant causé par peu importe. L'histoire changeait à chaque fois, et tout ce qu'il avait à leur offrir en retour était la façon dont Annie avait bavé partout sur son tee-shirt préféré et les tenir au courant sur la quête permanente des jumeaux pour souligner leur individualité. Ça le mettait parfois de côté, mais ils se moquaient gentiment de lui, en tout cas, sachant que c'était juste un boulot temporaire jusqu'à ce qu'il trouve un poste d'enseignant.

Le fait était que, même si ce n'était pas toujours la chose la plus excitante au monde, Louis aimait son travail. Bien sûr, il n'avait pas perdu l'espoir de trouver un poste quelque part dans le coin pour pouvoir réellement faire ce pour quoi il avait passé quatre années à accumuler des dettes, mais il ne pouvait pas demander mieux en attendant. Il aimait les enfants et il savait qu'il était génial avec eux. Grandir avec quatre petites sœurs l'avait bien préparé aux attitudes émotive et imprévisible que les enfants pouvaient avoir, mais ils ne manquaient tout de même jamais de le surprendre.

Mais surtout, il vivait pour les faire rire, leur enseigner de nouvelles choses et être quelqu'un dans leurs vies qui pourrait aider à stimuler leur créativité. Leurs parents y portaient beaucoup d'importance – stimuler la créativité. Il aimait ça.

S'il avait une seule plainte à faire, ce serait que les choses pouvaient être un peu monotones certaines fois. Il s'assoyait pour regarder au moins dix fois les mêmes épisodes de chaque dessin animé et il ne voyait pas beaucoup de nouveaux visages – juste le facteur et les prospecteurs religieux occasionnels avec une poignée de brochures à lui offrir.

C'était pourquoi rencontrer Harry avait été en quelque sorte merveilleux. C'était un nouvel élément dans son quotidien ; la promesse d'un voisin plus proche de son âge que n'importe quel autre dans le quartier, et il savait qu'ils se croiseraient par la suite, et c'était un peu amusant, cette idée.

Il ne s'attendait pas réellement à le voir le lendemain, mais comme si c'était le signal, il était dix heure et demi et il était là, portant cette fois un jeans tellement serré que Louis n'était même pas sûr de comment il avait réussi à le mettre en considérant l'humidité. Ses cheveux étaient plus longs qu'ils en avaient eu l'air la veille, et secs cette fois-ci, tombant sur son front.

Louis ne croyait pas qu'il se réveillait juste comme ça. Mais il avait également le sentiment que c'était le cas, parce qu'Harry était la plus belle personne, sans avoir besoin de faire le moindre effort, qu'il n'ait jamais vu, et il n'avait absolument aucune satisfaction à s'admettre ça.

Il portait encore un autre vieux tee-shirt de cross-country et était plus beau qu'il n'en avait le droit, balançant entre ses doigts le double des clés pour que Louis la prenne.

« Je crois que je te préférais avec le bandeau, » mentit Louis, et Harry sourit, le poussant pour passer à côté de lui et entrer à l'intérieur de la maison.

« Tu veux que j'en mette un ? »

Il était donc facile, ouais, de tomber dans ces petites habitudes bizarres : d'aller au travail dans l'attente de voir quelqu'un d'autre que les trois enfants qu'il était en charge de nourrir et d'occuper. Ils aimaient Harry, cependant, et Louis n'était pas contre l'idée de l'avoir dans les pattes même si ses excuses pour venir continuaient à devenir de plus en plus tirées par les cheveux.

La première avait été pour rendre la clé, ce qui était acceptable. Puis, ce fut pour demander à Louis s'il avait un chargeur pour iPhone en plus. Le jour suivant, ce fut pour apporter à Miles une boîte de chaussure pleine des vieilles petites voitures Matchbox lui appartenant et, Louis dut lui rendre justice, parce que divertir les enfants était une assez bonne façon de se faire bien voir par lui.

Cependant, Harry n'avait pas vraiment besoin d'essayer, parce qu'ils en étaient déjà là. Genre, il ne leur fallut que quelques jours avant de commencer à se parler avec des voix ennuyantes, chacun d'entre eux essayant d'être de plus en plus bizarre jusqu'à ce que Harry rigole inévitablement le premier et donne l'impression à Louis d'être la personne la plus drôle au monde, ce qui était de loin la qualité qu'il préférait chez quelqu'un. C'était pourquoi il appréciait autant les enfants, peut-être. Ils le trouvaient hilarant.

Après quatre jours, Louis considéra sa connaissance d'Harry comme étant minime, mais suffisante.

Il était à l'université. Il préparait un diplôme d'anglais. Il en parlait beaucoup, des cours et de ses amis là-haut, de son impatience d'y retourner, ce que Louis comprenait. C'était sa dernière année de réflexion magique, et lui-même ça lui manquait un peu, cette liberté de toute responsabilité, de loyer à payer, de cuisiner ses propres repas.

Il avait énormément de tatouages, il était très prudent avec les bébés, et il avait le rire le plus contagieux que Louis n'ait jamais entendu.

Il était correct. Harry était très bien même. Ce fut ce qu'il dit à Zayn lorsqu'il lui posa des questions sur son nouvel « ami-entre-guillemets ». Louis le rembarra presque immédiatement, et Zayn dit qu'il commençait juste à poser les questions pertinentes. Louis arrêta de lui répondre sur Facebook même si Zayn pouvait clairement voir qu'il lisait ses messages.

Le vendredi, Louis emmena les enfants manger une glace chez un petit glacier à quelques pâtés de maisons de chez eux. Il faisait chaud, mais sans être étouffant alors ils décidèrent de marcher, mettant Annie dans sa poussette et fixant la visière sur le dessus pour la protéger du soleil.

Miles et Charlotte marchaient chacun d'un côté de Louis et cette dernière parla pendant tout le chemin, radotant une histoire imaginaire où elle s'était accordé le rôle de la princesse. Elle était habillée en conséquence, collant, tutu violet et turquoise bouffant de vigueur avec une couronne en papier sur sa tête. Miles semblait s'ennuyer, laissant échapper un soupir de temps en temps et soulignant les inexactitudes du conte de fée créé sur le tas par sa sœur.

Louis rit simplement et ébouriffa ses cheveux, puis ils arrivèrent à destination après vingt minutes, tous couverts d'une légère pellicule de sueur à cause de l'humidité.

« Quel goût vous allez prendre, alors ? » demanda-t-il, la cloche de la porte tintant bruyamment alors qu'il essayait de la pousser tout en faisant simultanément passer la poussette à travers. Quelqu'un attrapa le bord, la tenant ouverte pour qu'il puisse manœuvrer le reste jusqu'à l'intérieur, et quand il leva le regard pour remercier la personne, il ne sut pas pourquoi il se sentit aussi stupéfait. Ils vivaient dans la même ville, évidemment qu'ils étaient destinés à tomber l'un sur l'autre loin de leurs propres maisons à l'occasion.

« Louis ! » dit Harry de façon rayonnante, ne tentant même pas de cacher ce qui semblait être de la joie pure à la vue de Louis, à laquelle ce dernier ne voulait pas exactement trop penser.

Charlotte courut jusqu'à lui, se précipitant pratiquement dans ses bras et Harry l'attrapa facilement, la levant et gagnant un gloussement en retour. « Vous avez l'air terriblement belle aujourd'hui, Princesse Charlotte. »

Apparemment satisfaite par ça, Charlotte lança un regard noir à son frère, comme si la chose la plus évidente au monde venait juste d'être confirmée et qu'elle voulait s'assurer qu'il l'avait entendu. « Tu vois, Harry dit que je suis une princesse ! » Elle jeta ses bras autour de son cou pour un rapide câlin puis tapota son torse pour qu'il la laisse descendre, soudainement plus intéressée par aller regarder l'étalage des différents parfums de glace au choix.

Louis se rendit compte, tardivement, qu'il l'avait fixé pendant tout ce temps et avait prêté peut-être un peu trop d'attention à la façon dont les muscles des bras d'Harry fléchirent quand il se pencha pour poser Charlotte sur la terre ferme. Il fut presque certain que Harry le remarqua, mais ça ne le dissuada apparemment pas du tout car il maintenait quand même le contact visuel entre eux, souriant toujours, confiant et bien évidemment ravi qu'ils se soient rencontrés juste au moment où il était sur le point de partir.

Harry s'assit à l'une des minuscules tables pour enfants, ayant l'air encore plus gigantesque qu'il ne l'était déjà en étant entouré par une douzaine de gamins dans le glacier. Quand Louis jeta un coup d'œil par-dessus son épaule pour vérifier qu'il était toujours là, Harry regardait droit dans sa direction, les doigts noués sur la table, semblant à la fois juvénile et très ridicule, souriant comme s'il savait exactement ce qu'il était en train de faire.

« Je m'assois à côté de Harry ! » cria Miles en courant vers la table à une vitesse alarmante.

« Louis, dis à Miles que je l'ai dit en première, » couina Charlotte en tirant sur ses doigts. Louis rit et Harry proclama, avant qu'il puisse dire quoi que ce soit, qu'elle avait la place réservée pour la prochaine fois qu'ils viendraient manger une glace. Louis essaya de ne pas penser à toutes les implications derrière ça, et qu'encore une fois Harry semblait être totalement décidé à rester dans les parages pendant le reste de l'été.

Cependant, il était content de le voir. Ça avait été une semaine bizarre, avoir de la compagnie au boulot, avoir une vraie interaction entre adultes plutôt que de sortir devant la maison pour forcer un petit papotage avec le facteur, seulement pour ne pas avoir à écouter une fois de plus le générique de Bob l'Eponge.

« Alors qu'est-ce qu'il s'est passé ? » demanda-t-il à Harry, qui secoua sa tête, confus.

« Qu'est-ce que tu veux dire ? »

« Je suppose que tu as été en rupture de raisons pour me harceler pendant que je suis au boulot, » dit Louis, léchant la menthe aux pépites de chocolat au coin de sa bouche. « C'est une honte, en fait. Je pensais que tu avais plus de persévérance en toi. »

Harry sourit, comme si c'était un défi qu'il acceptait. « Je ne voulais pas que tu te fasses une fausse idée, » dit-il.

Louis repéra de la glace en train de couler du visage de Miles et poussa sans un mot une serviette dans ses mains. « C'est-à-dire ? »

Et Harry, parce que c'était le pire, haussa simplement les épaules et sourit doucement, avec ses fossettes et tout.

Louis roula des yeux et dévora la partie supérieur de sa glace parce qu'il n'était pas sûr de quoi faire d'autre avec sa bouche et il était absolument certain de ne pas céder à ce visage.

Ils flirtaient, voilà ce qu'il se passait – ils avaient fait ça pendant toute la semaine – mais le truc était que Louis avait en quelque sorte bien aimé Harry sur le champ de toute façon, ce qui rendait plus facile le fait de le taquiner et de plaisanter avec lui, même s'il ne le connaissait seulement depuis cinq jours. C'était une amitié appuyée partiellement par l'ennui, et il comprenait ça, mais ça ne rendait pas moins agréable la présence de Harry, rampant sur le sol avec Charlotte sur son dos et discutant facilement avec Louis de tout et rien à la fois.

« Vous avez fait quelque chose d'amusant aujourd'hui ? » demanda Harry, et Miles commença immédiatement à parler, se lançant dans un résumé exhaustif de leur journée pendant qu'ils finissaient tous leurs cônes glacés, et Louis passa encore plus de serviettes à tout le monde. Les enfants avaient exagéré sur le sucre et étaient littéralement en train de sauter en l'air partout, sauf Annie, qui restait merveilleusement endormie dans sa poussette.

Ils partirent tous ensemble et commencèrent une marche paresseuse jusqu'à la maison des Wood. C'était la fin de l'après-midi donc Liz et Scott devraient être rentrés au moment où ils arriveraient, et Louis pourrait retourner chez lui et prendre une douche pour enlever toutes ces odeurs d'enfant de sur lui et faire... rien du tout, probablement.

Harry trottina pour marcher derrière et cogna son épaule. « J'ai regardé cet épisode des Frères Scott sur lequel tu t'extasiais. »

Louis rigola, se retournant pour rencontrer ses yeux. « Vraiment ? Qu'est-ce que t'en penses ? »

« Cette série est putain de – oups, désolé, » il plaqua une main par-dessus sa bouche et essaya de nouveau, parlant avec une voix plus calme. « Cette série est épouvantable, mec. Tu dois regarder Les Soprano. J'peux pas croire que tu l'ais jamais vu. Je fais la meilleure imitation de Christopher. »

Louis cligna des yeux, secouant sa tête. Il n'avait aucune idée de qui était Christopher, mais il était presque sûr qu'il regarderait Harry se ridiculiser en faisant une imitation de n'importe qui. « Tu l'as en DVD ? »

« Ouais. »

« Tu devrais me laisser l'emprunter. Hé ! Attendez-moi pour traverser la rue, » cria-t-il, et Miles et Charlotte s'arrêtèrent au bord du trottoir, vérifiant que Louis était derrière eux avant qu'ils ne traversent tous.

« Quoi, tu ne veux pas la regarder avec moi chez mes parents ? » La voix de Harry était sarcastique, et même lorsque Charlotte le tapa à la hanche pour qu'il la porte sur son dos, il continua quand même de laisser ses yeux rivés sur Louis. Il n'arrivait pas à comprendre s'il était sérieux ou pas, mais l'idée de s'asseoir et de regarder n'importe quoi pendant que Harry était à côté de lui semblait être... un challenge.

Il se tira d'affaire sans avoir à répondre parce qu'ils arrivèrent devant la maison des Wood, et à en juger par les voitures dans l'allée, Liz et Scott étaient tous les deux à la maison.

« Maman et papa sont rentrés, les enfants, » leur dit Louis, et les mots étaient à peine sortis de sa bouche que Charlotte plongea pratiquement des bras de Harry et elle et Miles partirent en sautillant vers le porche, essayant d'arriver en premier à la porte. Louis sortit Annie de la poussette et la tint contre son torse, se tournant pour regarder Harry, qui louchait face au soleil derrière la tête de Louis, relavant sa main contre son front comme une visière.

« Alors demain, on est samedi, » dit-il.

Louis fronça ses sourcils et fit semblant de délibérer sur cette déclaration pendant un moment. « Attends, est-ce que samedi vient après vendredi ? C'est comme ça que – » Mais il fut couper lorsqu'Harry le frappa dans le tibia avec le bout de sa Converse blanche, lui disant de se taire.

« Donc tu ne seras pas là jusqu'à lundi, » continua-t-il.

« Encore exact. »

« Mais tu seras là lundi. »

Louis essaya de ne pas sourire. Il essaya vraiment, mais putain, il était mignon. « Seras-tu là lundi ? »

Harry sourit et baissa sa main de son front pour retirer quelques mèches de cheveux de son visage alors qu'il commençait à se diriger vers sa maison. « Ouep. »

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