La nuit a été mouvementée, je n'ai pas réussi à trouver le sommeil et ça tombe mal, puisque ce n'est que le début de ce casting qui m'angoisse pas mal.

Ce matin, c'est donc un peu groggy que j'arrive à la salle de danse. Encore une fois, je suis là dernière arrivée. Les neuf autres filles s'échauffent déjà tandis que Delly a le nez dans sa paperasse.

A dans un coin de la salle, j'observe chacune d'entre-elles. Alors qu'elles étirent leurs muscles et exécutent des pas de danse préliminaires, je respire profondément, me préparant mentalement pour cette nouvelle journée et ma propre performance à venir, tout en absorbant l'énergie et l'excitation qui imprègnent l'atmosphère de la pièce.

Je dois à tout prix dissiper ce stress qui m'envahit afin de ne commettre aucune erreur. J'ai peut-être réussi à convaincre partiellement le danseur, mais sa manageuse est loin de m'avoir dans ses papiers.

Avec parcimonie, je m'étire dans un ordre bien précis, toujours avec les mêmes échauffements qu'en danse classique.

J'échauffe en premier lieu avec des rotations articulaires mes pieds et mes chevilles, qui constituent la base de tous mes mouvements de pliés. Ensuite,
Mes hanches, pour tourner mes jambes et effectuer des levés aussi haut que possible. J'enchaîne avec des mouvements et étirements dynamiques pour mes abdominaux afin de garder une belle position droite et enfin mes muscles de l'épaule, de l'omoplate, et des cervicales pour effectuer des portés, et garder une stabilité dans le haut de mon corps.

Tout ceci me prend pas moins de dix minutes. Autour de moi, rien n'a changé et Dohän, qui était absent jusque-là, est arrivé entre temps. Lorsque mes yeux le trouvent, les siens sont déjà en train de me fixer avec sérieux. Le fait d'avoir en quelque sorte attiré son attention dès le premier jour me met mal à l'aise, car j'ai l'habitude de me fondre dans la masse, d'essayer d'être invisible parmi les autres.

Cette situation est d'autant plus stressante, car les enjeux sont importants pour moi. J'ai tout plaqué à Paris pour tout recommencer ici, à New-York et tenter ma chance dans un casting aussi prestigieux que celui-ci. Un casting avec un énorme enjeu à la fin, c'est ce que j'attendais depuis longtemps. Alors il ne faut pas que je me loupe et Dohän m'attend au tournant, certainement bien plus que Delly.

Dans ma tête, je me répète sans cesse qu'il ne faut pas que je défaille, que je lâche la rampe, je suis plutôt bien parti, alors je dois tout donner pour plaire aux deux juges. Il faut à tout prix que je les convainc de me garder aujourd'hui.

Comme dans tous les domaines, tout est permis pour obtenir le précieux sésame. La concurrence est rude et je sais que je ne suis pas au niveau de toutes celles qui se trouvent autour de moi, mais je dois réussir à aller au-delà de moi-même.

Devant le regard morne de Dohän, je me détourne lorsque Delly prend la parole d'un ton sec et énervé :

– C'est fini la basse-cour ?

Face à son intervention, un silence sépulcral envahit la pièce. Jetant un œil à son voisin, je le soupçonne de retenir un fou-rire, car celui-ci baisse la tête tout en essayant de dissimuler son sourire derrière sa main.

Curieuse, et beaucoup trop observatrice, je ne le lâche pas des yeux. Je loupe donc les consignes de la journée et par la même occasion, Delly m'interpelle pour mon manque d'intérêt.

– Si vous n'êtes pas intéressée par les propos, vous pouvez d'ores et déjà prendre votre sac et quitter cette salle.

La honte prend possession de tout mon corps. Des dizaines de paires d'yeux me fixent comme si j'étais la paria. Je tente de ravaler les larmes de faiblesse et de fatigue qui me montent aux yeux, mais ils sont déjà sur le point de glisser le long de mes joues.

Je déglutis avec difficulté afin de faire passer ce mal-être, alors qu'autour de moi, il y a du mouvement.

De conserve, je me lève et rejoins les filles au centre du parquet, prête pour la chorégraphie que nous allons apprendre.

Pourquoi cette femme m'a-t-elle parlé avec autant de haine ? Je pense n'avoir rien fait de mal.

– Ne te laisse pas impressionner, murmure une voix d'homme à mes oreilles, montre lui que tu es plus forte qu'elle ne le pense.

Figée, je regarde ce corps qui s'éloigne de moi.

Dohän. Pourquoi s'acharne-t-il à me conseiller ? Je ne l'ai jamais vu parler avec les autres participantes, cela me semble étrange.

D'ailleurs, en parlants d'elles, je remarque que certaines me fusillent du regard depuis que Dohän m'a adressé la parole.

Tout est fait pour me déstabiliser aujourd'hui...