Chapitre 1

Pour @vALeRiE292 . J'ai l'impression que tu me suis depuis mes débuts sur wattpad ahah, je voulais te remercier pour ça et pour m'avoir toujours laissé des commentaires adorables et encourageants ! Ce premier chapitre est pour toi. ♡

« ON MEURT DE FAIM. On meurt de soif. On meurt d'ennui. On meurt de rire. On meurt d'envie. On meurt de peur. On meurt à la guerre bien entendu. On meurt de maladie. On meurt de vieillesse. On meurt tous les jours. »

-Ionesco, Journal en miettes






J'éteins la lumière.

Il fait froid dans la pièce. Le chauffage ne fonctionne plus depuis des mois. Mes vêtements tombent sur le vieux tapis, un à un, dans un bruit flou. Je me mets à nu sans me voir. Mon ventre se couvre de frissons qui glissent jusqu'au long de mes cuisses.

Je reste debout, immobile. J'écoute le bruit assourdissant de ma respiration dans le noir. Je fais ce truc du théâtre, où l'on se balance légèrement d'avant en arrière en essayant de ressentir le plus fort possible le poids du corps dans les chevilles et la plante des pieds et puis de ne plus penser qu'à ça, à cette force invisibles dans les muscles. Mon corps s'étend autour de moi, c'est comme si je ne pensais plus à rien d'autre qu'à lui et sa façon de respirer. Il y a une profondeur en moi, qui m'est inconnue et dans laquelle j'aimerais pouvoir me plonger. Je me sens à la fois infini et enfermé, l'obscurité autour de moi est une prison d'immensité. Englouti. Un minuscule cœur battant au milieu des bras étendus du monde.

Je voudrais dire que j'existe, mais je n'arrive pas à parler. Les mots parfois restent coincés dans ma gorge, et les cris aussi, et tout ça descend dans mon ventre et m'empêche de respirer correctement, ou d'avoir faim de vivre.

Je tends le bras. Ma main rencontre la surface froide du miroir du meuble. Mes yeux grands ouverts ne voient que les contours mal dessinés de mon corps, sa blancheur, les os tranchants des hanches et des coudes, les cheveux trop longs sur les épaules. Je ne sais pas si c'est parce que c'est le mien, mais je pense que ce corps là a déjà trop vécu, et que la façon dont il est abimé est irréversible. Il ne reste plus rien à en sauver. Je me sens très calme et déterminé, presque apaisé.

Je fais un pas. Ma main glisse le long du mur, jusqu'à toucher l'interrupteur et l'enclencher. La lumière revient, je cligne des yeux. La dureté de mon corps nu dans le reflet du miroir me heurte, mais je n'ai pas mal au cœur ni au ventre.

Pour la première fois depuis des années, je m'observe, et je me trouve beau. Une beauté morte et éclatante, qui part de mes épaules et vient s'épuiser dans mes mollets. Il y a quelque chose de moi, dans cette pièce vide et silencieuse, qui rayonne.

Je me souris dans la glace.

Je suis bancal et raturé, et ce qui subsiste à l'intérieur de mon être, de fort et lumineux, je vais le tuer ce soir, en l'étouffant entre mes mains.

Je brise le verre.

Un coup de poing.

Il se casse en mille morceaux, à mes pieds.

Je ne sais pas si ça me fait du bien ou juste mal, parce que mes phalanges saignent un peu. Derrière le miroir, il n'y avait que la couleur délavée du meuble de salle de bain, pas de trou noir vers Narnia ou l'espace.

Tant pis.

Je marche entre les éclats, et je fais couler l'eau du lavabo. Je lave minutieusement ma main et ça me pique mais je ne tique pas. Cette douleur là, je connais. Je l'ai gravé entre les cuisses.

Ensuite, je nettoie la pièce, mettant les bouts de verre à la poubelle. Je ne sais même pas pourquoi je fais ça, si ça a un sens ou si c'est juste parce que je ne supporte pas de laisser des choses inachevées derrière moi, comme si quelqu'un allait y faire attention.

Je mets l'eau du bain à couler. Le chauffe-eau gronde comme une machine à vapeur et je l'écoute un moment, par peur qu'il ne s'arrête brutalement. Mais non. Il se met à ronronner plus doucement et le bain se remplit avec un petit nuage de vapeur. Logique. Il marche pour tout l'immeuble normalement.

Je retourne dans le salon. J'ai laissé mon sac sur le vieux canapé. Je sors mon carnet et un livre, mon préféré, à la couverture gondolée tellement je l'ai lu, et puis les boîtes de médicaments, volés dans la pharmacie de mes parents, depuis des mois. Je m'assois sur le tapis. J'ai envie de faire quelque chose pour rendre ça plus réel mais je ne sais pas quoi alors je me contente d'arracher une page de mon carnet et j'écris :

« J'avais l'impression de ne plus savoir respirer. »

Je coince la feuille sous une tasse de café et je me relève, mes affaires dans les mains. Une lettre d'adieu, ça me fait trop peur.

Dans la salle d'eau, le bain est presque en train de déborder et je coupe l'eau qui est devenue froide.

Je me glisse dans la baignoire. Il y a une éternité que je n'avais pas pris de bain et je soupire d'un je ne sais quoi qui me fait du bien. L'eau rend mon corps plus léger, lui qui me semble si lourd à porter habituellement. J'étire mes jambes. Je les regarde en transparence, mouvantes et floues.

Est-ce que mourir veut dire quelque chose ? Je ne crois pas. Ca ne me fait pas vraiment peur et je n'ai pas non plus l'impression que ce que je m'apprête à faire à de l'importance. Mourir, c'est entre soi et soi-même, et moi j'en ai envie. C'est tout. Je veux que ça s'arrête. Le froid dans les os, la douleur lancinante, le sommeil qui ne vient pas, la pluie sur les carreaux, l'amour comme un miel chaud qui n'arrive pas à réparer.

Je prends mon livre et je me gave de mots jusqu'à n'en plus pouvoir. Mes yeux me brûlent un peu. Les pages de mon livre trempent dans l'eau de temps en temps, quand mes mains glissent. Je vais jusqu'à la dernière page. L'histoire remue en moi des petites vagues lentes. Je regarde la couverture un moment, je la caresse du bout des doigts et puis je me penche, et j'attrape mon carnet. Avec le livre, je le plonge dans l'eau. Elle devient d'un bleu livide, l'encre remonte par petites tâches, s'étale autour de moi. Mon corps aussi, a la couleur des mots, les miens et ceux d'un autre, c'est pareil. Des mots.

Je vais mourir comme ça, avec l'eau froide et l'encre bleue marine qui me fait comme une deuxième peau, et soudain j'ai envie de pleurer parce que je suis misérable et seul et que le silence me fait mal à la tête.

J'ai peur mais ça ne fait rien. Si je ne le fais pas là je n'y arriverais plus.

Ma main tremble.

Prendre les médicaments.

Avaler.

La tête sous l'eau.

Je ferme les yeux.

J'ai mal en travers de la gorge.

J'attends.

Le livre et le carnet entre les jambes, comme deux poids qui me retiennent de remonter à la surface.

Je pensais qu'en mourant, j'aurais une pensée éclairante ou au moins une image, celle du moment où j'aurais été le plus heureux ou je ne sais pas... quelque chose de spécial. Mais la seule chose qui me vient à l'esprit c'est que j'ai affreusement mal au ventre et envie de vomir. Je m'agrippe à la paroi de la baignoire, de toute mes forces. Mes doigts me font mal. Je lutte pour ne pas remonter. Le médicament fait lentement son effet, et je me sens sombrer de plus en plus, dans l'eau qui devient froide. Un matelas de coton dur m'attend. Mes doigts se décrochent, se mettent à flotter. Mon corps sombre tout à fait. J'ai les yeux grand ouverts. Je vois le plafond pourri au dessus de moi. La peinture qui s'écaille et la moisissure dans les coins. Tout devient flou.

Je ne pense plus à rien.

Juste à mon cœur qui bat de plus en plus lentement.

Qui s'éteint.

Et.

La lumière aussi, aveuglante.

Et puis.

plus rien

du tout

du tout

du tout

.
.
.

.
.
.

Je vomis.

Trois fois.

Un poing appuie sur mon ventre, une main sur ma nuque, qui me pousse en avant.

J'ai les cheveux dans les yeux et je ne vois rien et j'ai tellement mal au cœur que je suffoque en crachant et en pleurant.

Je suis allongé par terre.

Le sol est froid.

Quelqu'un pose ses mains sur moi et me frotte avec une serviette.

Je suis un bébé.

J'ai mal à la tête.

Et encore au ventre.

Je suis allongé sur un canapé qui sent fort le cuir.

Il fait sombre.

Je me rendors, comme assommé.

Il y a une odeur de cigarette.

Je bouge un peu.

J'ai une douleur affreuse au niveau du sternum, et mon ventre toujours barbouillé.

J'essaye de parler mais ma voix gargouille seulement. Quelqu'un s'approche quand même. Une main sur mon front. Je n'arrive pas à ouvrir les paupières mais une voix me demande si ça va alors je secoue la tête. Et puis j'ai un haut de cœur.

La personne me tire en avant et je vomis. Dans une bassine je crois.

Je me sens tellement mal.

On me donne à boire et puis je me rallonge sur le canapé à l'odeur de cuir. Je pleure un peu, et puis ensuite beaucoup. Je vomis encore une fois et après mon ventre me fait mal de vide.

-T'es réveillé ?

Je suis toujours dans l'appartement abandonné du quatrième. Sur le canapé. Je ne sais plus très bien quelle heure il est, mais devant moi il y a ce garçon. Je le connais. Je n'arrive pas à me souvenir de son prénom mais son visage m'est familier. Il habite l'immeuble. Je le fixe sans rien dire. Je ne sais pas si je suis en colère ou terriblement lasse. Je ne sais pas si j'ai envie de tout casser ou de m'endormir pendant des heures et de ne plus dire un mot de ma vie. J'ai mal dans les poumons.

-Je suis venu par hasard. J'ai vu ton mot sur la table.

J'attends qu'il rajoute « Tu as eu de la chance, je t'ai sauvé la vie. » ou une connerie comme ça qui me donnerait encore envie de gerber mais il ne le fait pas. Il se tait. Il fume.

-Je ne voulais pas qu'on m'arrête pour non assistance à personne en danger.

Il se lève. Je le vois traverser la pièce, mais je suis encore trop dans le brouillard pour discerner totalement ses gestes. Je l'entends ranger des trucs, déchirer un emballage. Il y a une odeur de chocolat. Ça m'écœure, le chocolat, mais là j'ai très envie d'en manger. Sauf que je n'arrive pas à parler.

-Je crois que tu as tout vomi mais il vaudrait peut-être mieux que tu ailles à l'hôpital. Ils te feront un lavage d'estomac et puis ils te donneront des trucs pour te remettre sur pied. Tu pourrais aller voir un psy aussi, si tu veux.

Je n'ai pas envie. Mais je crois qu'il le sait pertinemment parce qu'il ajoute immédiatement :

-Si tu préfères je te ramène direct chez toi. Tu dors, et demain matin on en parle plus.

C'est tellement dur des mots comme ça. Est-ce que c'est ce que je voulais entendre ? Je n'ai pas envie qu'il me serre dans ses bras en me disant que la vie il faut savoir attendre pour qu'elle devienne belle, mais je n'ai pas non plus envie de la vérité coupante qu'il me fout en travers de la gorge. Je veux juste... je ne sais pas. Qu'il s'approche, qu'il me tienne la main. Qu'il me fasse écouter son cœur qui bat, et que je l'entende respirer. Qu'il se taise, mais qu'il soit vivant.

Il s'assoit sur la table basse, et il croque dans sa barre chocolatée. J'ouvre davantage les yeux, pour le regarder. Je me souviens de son prénom, à la couleur de ses yeux. C'est Louis. Ça résonne comme de la pluie, et c'est parce que ses pupilles sont d'une eau bleue et trouble. Ses joues sont comme les miennes, un peu creuses, mais lui je crois que c'est à cause d'autre chose que de la faim qui tord l'estomac. Il dit :

-Je pensais que personne ne savait que cet appartement était encore ouvert.

Moi non plus. Sinon je ne serais pas venu ici.

-C'est marrant qu'on ne se soit jamais croisé, d'ailleurs.

Il finit son chocolat et puis il se relève.

-Pousse-toi.

Je me mets dans le fond du canapé, et il s'allonge près de moi. J'ai ma bouche contre son épaule. Il me prend les mains et il les met dans la grande poche avant de son sweat, entremêlées aux siennes. Je me rends compte à son contact qu'elles étaient toutes froides.

Je ne comprends pas pourquoi il fait ça. On ne se connait pas. On ne se doit rien. Il aurait très bien pu aller chercher mes parents ou appeler les pompiers. C'est dangereux je crois, ce qu'il fait. S'occuper de moi sans savoir si je vais vraiment mieux, si je ne vais pas perdre connaissance subitement et faire un arrêt cardiaque à cause de ce que j'ai avalé. Ce n'est pas normal. Mais je suis content. Je suis content qu'il m'ait tiré hors du bain juste à temps, qu'il m'ait fait vomir les médicaments, qu'il m'ait réchauffé et allongé sur le canapé. Je suis content qu'il soit allongé contre moi et qu'il ne parle plus, mais qu'il me caresse doucement le dos de la main avec son pouce. Je suis content que ce soit lui parce que ses yeux m'ont toujours paru être des morceaux de bitume qui font mal aux genoux quand on tombe dessus.

Je suis content alors je m'accroche à ses mains le plus fort possible, et ce qui me noue la gorge se détache peu à peu.

Un morceau de moi est mort dans la baignoire, j'ai perdu quelque chose en ne me noyant pas, mais je crois qu'on peut vivre en étant totalement bancal, tant qu'une main s'agrippe à la nôtre.

Il suffit de ne pas la lâcher.

- - -

Voilà, le premier chapitre est posté. C'est un des plus courts de la fiction je crois ! (Les autres font le double en gros) Je suis... Très très contente de commencer cette histoire avec vous. Merci d'avoir lu et j'espère vous retrouver au chapitre 2. <3

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