Chapitre 19 - Silence (partie 2/2)


Gaston marchait rapidement à travers les nombreux couloirs. Ses gardes essayaient de le rattraper, mais il leur ordonna de retourner auprès des autres. Il détestait être constamment suivi, constamment protéger. Jamais il n'avait eu le droit à un seul moment de répit depuis qu'il était devenu roi et en y réfléchissant bien, il n'en avait jamais eu tout court.

Sa vie n'avait jamais été facile malgré les apparences. Il vivait dans un château, mangeait à sa faim et portait de beaux vêtements, mais cette cage dorée n'était rien de plus qu'une prison. Un endroit sans amour où il demeurait toujours seul, surtout depuis la mort de sa mère. Son père n'avait jamais été quelqu'un de bien, surtout avec lui. Le jeune homme se sentait constamment abandonné et entouré en même temps.

Pourtant, depuis l'arrivée de cette sorcière et l'utilisation de ces lunettes magiques, tout avait changé. Il avait encore ces images de Lilith dans un coin de sa tête, comme lorsque l'on rêve et qu'au réveil on se demande si tout s'est réellement passé, mais malgré ça, jamais il ne s'était senti si vivant. Il était investi d'une mission, avait un objectif clair et précis. Il devait sauver son peuple. Sauver les peuples.

Le sentiment de solitude semblait s'apaiser, davantage avec la venue de la reine souterraine qui le soutenait et le comprenait. Mais tout ça n'était pas comparable aux moments qu'il passaient en tête à tête avec lui.

En tournant à un angle, il trouva le démon adosser contre un mur, la tête dans les mains.

— Gabriel, tenta-t-il ?

L'homme se redressa, et le regarda s'asseoir à ses côtés. Se poser avec lui et effleurait sa peau fit frissonner le jeune souverain.

Aussitôt, le rouge des yeux du démon se dissipa, devenant d'un blanc nacré aux iris noisette.

— Tu sais, tu n'es pas obligé de te cacher avec moi, expliqua doucement le roi.

— Je.. Je sais. Mais je déteste ce regard. Il me rappelle beaucoup trop celui de ma mère.

— Est-ce que ça va ?

Gaston ne savait pas trop pourquoi, mais depuis qu'il l'avait rencontré, il ne cessait de penser à lui, comme si une mystérieuse magie agissait sur son coeur. Jamais encore il ne s'était entiché de quelqu'un aussi soudainement, mais à chaque fois qu'il se trouvait en sa compagnie, il se sentait libre. Libre d'être plus qu'un fils, qu'un prince ou maintenant, un roi. Libre d'être lui.

— Oui, ça va, mentit le démon, le regardant droit dans les yeux.

— Je ne peux peut-être pas comprendre la relation que tu as avec ta mère, la mienne est morte quand j'étais jeune, mais mon père n'était vraiment pas terrible non plus.

— Il t'a déjà enfermé pendant des siècles dans une poupée qui te fait subir les pires atrocités tout ça parce que tu étais différent et que tu ne lui obéissais pas ?

— Non, effectivement. Niveau parent autoritaire et cruel, je te décerne la médaille d'or.

Tous deux se mirent à rire. Un rire sincère où tous deux ne se quittèrent pas des yeux une seule seconde.

— En tout cas, crois-moi, tu ne fais absolument pas ton âge.

— Merci.

— Je dirais que tu fais peut-être cinq ou six cent cycles, mais pas mille, ça c'est sûr.

L'homme lui donna un coup de coude, souria et ajouta :

— Les démons naissent avec une apparence qu'ils gardent jusqu'à leur mort. Le vieillissement n'existe pas chez nous.

— Vous en avez de la chance.

L'idée d'être presque immortel traversa l'esprit du jeune roi quand son compagnon se décida à ouvrir son cœur :

— Je voulais cette vengeance plus que tout. Lui faire payer tout ce qu'elle m'a fait subir depuis que je suis venu au monde.

Sans vraiment y réfléchir, Gaston lui attrapa la main et la serra contre lui. Sa peau était soyeuse et la chaleur qui s'y dégageait était des plus agréables.

— Je suis désolé pour toi. Tu ne peux donc rien changer ?

— Personne n'échappe à son destin, répondit-il, plongeant son regard dans celui du jeune homme. Personne.

Il approcha son visage près du sien, leur nez se frôlant à peine. Il pouvait sentir le souffle frais de son partenaire sur lui, entendre son cœur battre. Mais ce qu'il voyait était encore plus beau.

Une aura rose l'enveloppait, rare et douce à la fois. Elle définissait le jeune roi comme un être sensible et romantique, mais aussi très intelligent et créatif. Cette aura lui procura un sentiment de réconfort et d'apaisement.

Pourtant, d'horribles images venaient chasser ce magnifique qui enveloppait le jeune homme. Gabriel le voyait se vider de son sang, froidement assassiné par un démon.

Dès le premier jour où il l'avait vu, il le savait condamné. Mourir dans cette guerre était son destin et comme Gabriel aimait à dire, personne ne pouvait y échapper. Il n'avait pas voulu s'attacher à lui, sachant qu'une telle relation était vouée à une fin précoce. Mais la gentillesse et l'humour du prince avait su le combler.

— Beaucoup de monde va mourir pendant cette bataille, dit-il sans en dévoiler davantage. Je le vois quand je regarde tous ceux autour de moi. Et je ne peux sauver personne parce que si je change quoi que ce soit, même le plus infime des détails, tout risque d'être bouleversé. Des personne qui devait vivre périront, Lilith pourrait l'emporter sur nous. Je me sens si impuissant.

— Cela doit être un lourd fardeau à porter.

— Tu n'as pas idée, répondit Gabriel, chassant les images du roi se vidant de son sang, seul et abandonnée de tous.

— Et, est-ce que je pourrais t'aider ? Faire quelque chose pour te soulager ? susurra-t-il enfin.

Le baiser qui s'ensuivit fut d'une incroyable douceur et remplit de sincérité, autant pour l'un que pour l'autre. Remplit d'une certaine liberté à laquelle tous les deux aspirait.

Gaston recula un instant, mais Gabriel lui attrapa la tête pour la ramener à lui, désirant que ce moment ne s'arrête jamais.

***

Luba et Charlie prenaient le thé en compagnie des sœurs de la sagesse quand Helja arriva. Lixy, la jeune aslev, était allongée sous la table, ravie d'avoir retrouvé sa maîtresse.

La sorcière fit reculer la petite fille pour s'asseoir sur la banquette et regarda Nemiz se contenter de remuer le contenu verdâtre de sa tasse du bout du doigt. L'air frais de la soirée restait pour l'heure encore supportable. Il n'y avait pas grand monde mis à part quelques gardes qui passaient pour rejoindre l'entrée du château.

— Alors, que s'est-il dit ? interrogea Luba, qui eut un haut-le-corps en buvant une gorgée.

— La reine va nous demander de localiser Lilith, mais pour la suite, ils n'ont toujours aucune idée de la marche à suivre.

— Intéressant, se réjouit Glir, déglutissant bruyamment.

— Il y a autre chose, continua la sorcière. Gabriel vient d'avouer que c'était moi qui tuerai Lilith.

— Parce que tu en doutais ? sourit l'aveugle. J'ai toujours su que ce serait toi. Tu es la plus forte d'entre nous.

— Imaginez que je n'y arrive pas. Je crois en mes capacités, ce n'est pas le problème, mais comment peut-il en être si sûr ? Et si je vous perds en chemin ? Si vous mourez pendant cette guerre ?

— Le plus important, répondit Luba en lui attrapant la main, c'est que Lilith soit détruite à jamais. Cette guerre est bien plus cruciale que toi ou moi. Que nous tous. Sans Lilith, les démons ne seront plus jamais aussi forts et ce monde sera enfin en sécurité.

— Sera-t-il un jour vraiment en sécurité ? rétorqua-t-elle.

— Écoute ma petite, intervint Slekor, nous sommes toutes les trois très vieilles et nous avons vu beaucoup de choses, enfin mes sœurs plus que moi, mais tu comprends ce que je veux dire. Nous avons connu un pays dévasté par une guerre puis envahi par un autre peuple qui a divisé les deux espèces. Mais aujourd'hui, ce que vous avez accompli toutes les trois est incroyable. Réunir ainsi les êtres magiques et les humains, jamais nous n'aurions cru cela possible. C'est pour ça que nous sommes là. Quand nous avons entendu l'appel des gardes de Pontes, nous avons décidé de nous joindre à eux.

— Lilith n'a qu'à bien se tenir, ajouta la sourde, car nous avons avec nous la tueuse de la mère des démons. Les filles, vous êtes prêtes ?

Elles se tapèrent toutes les trois dans les mains et formulèrent :

Vefur Alkolg !

Aussitôt, six chopes se matérialisèrent sur la table, remplies d'une liqueur à l'odeur redoutable.

— Servez-vous, ce sont vos copines les sorcières qui régalent.

Chacune attrapa le verre face à elle, méfiante. Elles trinquèrent puis, quand elles portèrent le breuvage à leurs lèvres, le liquide leur brûla la peau. Comme d'habitude, la sœur à la bouche cousue se contenta de le regarder tournoyer sous ses yeux.

— Et sinon, où est le chat qui vous accompagnait ? demanda l'aveugle.

Le silence qui s'ensuivit fut des plus terrible.

Après avoir passé une partie de la soirée avec les sœurs de la sagesse, elles retournèrent au château où les attendaient leur chambre habituelle. Gabriel patientait devant la porte et présenta ses excuses.

— Je n'avais pas à m'emporter comme ça, ajouta-t-il. Je le reconnais. Mais tu ne sais pas à qu'elle point je tiens à ma vengeance et savoir que jamais je n'y aurai le droit. Ça c'est vraiment..

— Ce n'est pas grave, coupa Helja. Je sais à quel point la vengeance peut paraître importante, crois-moi, mais elle n'est jamais bonne. Je l'ai appris à mes dépens.

— Je vais rejoindre le roi et la reine, ils sont avec celles qui essaient de localiser Lilith. Je vous préviendrai si nous avons des nouvelles. En attendant, reposez-vous bien !

Il partit et disparut au tournant d'un couloir.

Dans leur chambre, Charlie alla dans la salle de bain pour se laver tandis que Luba s'enroulait déjà dans les couvertures. Helja décala le vase de mimosa et s'installa devant l'imposante fenêtre qui donnait sur la place de la capitale, là ou un grand nombre de gardes, de soldats, de miliciens et d'êtres magiques effectuaient leur ronde. Elle aperçut également la sorcière du clan qui marchait doucement, l'air pensif. Sa ressemblance avec Médée la déroutait toujours autant. Comment pouvait-elle être encore en vie après avoir eu tous les os du corps brisé ? Elle devait être plus redoutable qu'elle ne le laissait paraître.

Harda passa, accompagnée d'une troupe de femmes, dont Hestia faisait partie. Toutes entrèrent dans un bâtiment qui ferma aussitôt ses volets. Elle distingua aussi Ergonde, reconnaissable de loin grâce à sa peau entièrement rouge. Il avançait sereinement au côté de la reine Missélia. Après un rapide coup d'œil pour vérifier qu'ils étaient bien seuls, l'homme l'embrassa tendrement avant qu'elle ne le quitte pour rejoindre l'intérieur du château.

— Tu n'es pas fatiguée ? demanda Luba.

En se retournant, elle aperçut la jeune femme qui la dévisageait avec intérêt. Elle alla alors s'allonger dans son lit, se blottissant contre elle. Être en sa compagnie lui procurait toujours un sentiment de plénitude. Elle se sentait plus heureuse et plus forte. Pourtant, depuis qu'elles s'étaient toutes deux retrouvées, elles n'avaient jamais eu l'occasion de poser des mots sur leur relation. Mais le devaient-elles vraiment ?

La sorcière contempla son amante et comprit à quel point elle était belle. Une beauté naturelle, à la fois simple et évidente, qui lui donnait des frissons à chaque fois qu'elle plongeait son regard dans le sien.

— Je t'aime ! avoua-t-elle, lui caressant la joue du bout des doigts.

— Tu dis ça parce que tu as peur de ne pas avoir le temps d'admettre tes sentiments avant ? Je ne compte pas mourir pendant cette bataille tu sais.

— Je sais, je voulais seulement te le dire. Te dire ce que je ressens.

Luba l'embrassa et ajouta :

— Je t'aime aussi Helja. Je n'ai jamais cessé de t'aimer dès l'instant où je t'ai vue pour la première fois.

Après un nouveau baiser, la sorcière attrapa la jeune femme et la serra tout contre elle. Son odeur enivrante lui chatouillait les narines et le contact peau contre peau la rassurait. Elle allait s'endormir heureuse et amoureuse, quand Charlie cria dans la pièce d'à côté.

Aussitôt sur pieds, elles entrèrent et découvrirent la petite debout au milieu de la pièce, une serviette enroulée autour de son corps. De grosses larmes roulaient sur ses joues. Et alors qu'elles baissèrent les yeux, elles virent les lignes de sang couler sur ses cuisses.

— Qu'est-ce qui se passe ? vociférait-elle. Je perds du sang, mais je ne me suis pas blessée. Helja, je suis en train de mourir ! Je le sens ! C'est sûrement à cause de Lilith. Le lien qui s'est rompu ! Je... Aidez-moi !

Helja et Luba se regardèrent, toutes deux comprenant ce qui était en train d'arriver. La métamorphe sortit rapidement de la salle de bain alors que la sorcière invitait la fillette à s'asseoir sur le rebord de la baignoire. Elle lui caressa les cheveux et tenta de la rassurer :

— Tu n'es pas en train de mourir Charlie, ne t'inquiète pas.

— Mais je perds du sang. Je... Qu'est-ce qui se passe ?

— Il se passe que tu viens d'avoir tes premières règles.

— Qu.. Quoi ? Mais qu'est-ce que c'est ? demanda Charlie, regardant les gouttes de sang sur le carrelage.

— Ton père ne te l'a pas expliqué ?

Elle secoua la tête, l'air attristée.

Helja réfléchit un instant. Jamais elle ne s'était imaginée devoir enseigner ce phénomène à quelqu'un. Elle était quelque peu terrifiée et paniquée, mais en même temps, elle se sentait fière de pouvoir aider son amie.

— Au moment de la puberté, commença-t-elle, le corps change et évolue. Et l'une de ses nombreuses évolutions, c'est l'apparition des règles. À chaque période, tu vas avoir ces quelques jours où tu ne te sentiras pas très bien, où tu auras parfois des maux de ventre et où tu perdras du sang.

La fillette écarquilla les yeux.

— Mais il ne faut surtout pas que tu t'affoles, c'est tout à fait normal. Cela nous arrive aussi à Luba et à moi, depuis plusieurs cycles maintenant.

— Pourquoi ? Je n'arrive pas à comprendre.

— C'est comme un signe pour nous prévenir que notre corps peut désormais accueillir la vie, répondit Luba qui revenait les mains pleines.

Elle déposa un linge blanc sur les épaules de Charlie puis lui donna une tasse d'eau trouble.

— Une boisson chaude avec quelques herbes d'Ardha, avec ça, tu te sentiras mieux.

Elle but une longue gorgée puis :

— Vous voulez dire que, chaque période, je vais être comme ça ?
Les deux femmes se mirent à rire.

— He oui, rétorqua Helja. Mais tu verras, on s'y fait.

— Mais je ne veux pas d'enfant moi. Je suis trop jeune et, je n'y ai même jamais songé.

— Ce n'est pas parce que tu as tes règles que tu dois tomber enceinte Charlie, expliqua Luba. Si un jour, tu désires un enfant, alors tu pourras, mais ne te sens jamais obligée d'en avoir. C'est ton corps, ton choix et tu as toute ta vie pour le faire.

Les trois femmes se prirent dans les bras. Chacune pouvait sentir la chaleur des deux autres et toutes pensaient que, en cet instant, elles ne pouvaient être en meilleure compagnie.

— Je te pris de m'excuser Charlie, pour ce que je t'ai dis l'autre nuit. Je n'en pensé pas un mot. Ce n'est pas de ta faute si Janus et Tiguil sont mort. Tu n'est responsable de rien.

La jeune fille ne répondit pas tout de suite. Enfin, elle serra la main de la sorcière.

— Je sais. Je sais.

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