Loin de toute cette agitation et des doutes qui tourmentaient les élèves de Gryffondor autant que ceux de Serpentard, la jeune femme dont il était question venait de mettre ses enfants au lit et finissait sans bruit de déballer sa malle : livres, vêtements, un ou deux bijoux, un cadre avec un photo représentant sa famille.

Derrière la vitre du cadre, son mari Yannick, l'homme à l'allure parfaitement décontractée vêtu d'un jean Baggy, d'un tee-shirt jaune poussin et d'un gilet à bandes multicolores, trônait au milieu, ses deux enfants dans les bras et la jeune femme étouffa un soupir chagriné en posant le cadre sur la commode.

À part Gilda, personne ne l'aurait qualifié de beau, il avait des cheveux châtains-roux bouclés dont la coupe complètement défraîchie faisait un peu penser à Bozzo le clown. Fort heureusement, il s'était rasé pour l'occasion à part son traditionnel bouc qu'il laissait pousser. De taille moyenne et un peu trop large d'épaules, il avait une allure un peu trapue et les mauvaises langues le qualifiaient de « gorille ».

Sur la photo, Moon avait tout juste trois mois mais ses cheveux rappelaient déjà ceux de son père. Sebastian avait encore ses grosses joues potelées de tout petit garçon rieur et Gilda paraissait dix ans de moins.

Elle caressa doucement le verre du cadre en le posant, avant de se détourner pour finir le déballage des affaires qu'elle avait emportées.

Alors qu'elle finissait de ranger les habits de Moon dans une commode, on frappa trois coups secs à la porte. Bien qu'un peu étonnée, Gilda posa la robe vert pomme de la fillette dans le tiroir prévu à cet effet et alla ouvrir.

Bien qu'elle s'y attende, elle dut se faire violence pour ne pas sursauter, car Dolores Ombrage se tenait dans l'encadrement.

Gilda lui lança un regard interrogateur et murmura un « bonsoir » poli à l'adresse de la sous-secrétaire d'état, tout en lui faisant signe de ne pas parler trop fort.

- Bonsoir Gilda, répondit la femme d'une voix perçante, sans se soucier le moins du monde de cet avertissement, et même en l'ignorant délibérément.

Décidément, cette foutue harpie n'avait pas changé le moins du monde depuis sa prime jeunesse, toujours aussi indélicate. Aussi Gilda sortit rapidement de ses appartements en fermant la porte derrière elle et demanda :

- En quoi puis-je vous être utile Dolores? Demanda t-elle d'une voix qu'elle-même sentit profondément agacée.

- J'aimerais savoir si vous avez bien reçu le nouveau programme d'enseignement en Histoire de la Magie... Car sachez que dans l'intérêt de la qualité de l'enseignement dispensé aux élèves, j'ai pour habitude d'inspecter régulièrement les professeurs.

- J'ai en effet reçu votre parchemin, répondit Gilda. C'est tout-de-même un sacré concours de circonstances que le programme ait subitement changé. Dans l'intérêt de la qualité de l'enseignement dispensé aux élèves, je pensais que de tels ajustements devraient attendre les vacances en temps normal... Heureusement, j'ai un peu d'avance grâce à ma banque de documents et cela devrait aller. En tout cas la porte de ma salle vous est ouverte à tout moment, bien entendu. Autre chose?

- Non, c'était tout Gilda.

Dolorès Ombrage n'avait pas l'air contente, toutefois elle ne fit aucune remarque acerbe et prit congé. Gilda put rentrer dans son appartement et finir de ranger les affaires. Puis elle s'attaqua à ses cours pour le lendemain en regardant le programme prescrit par le Ministère.

Voici ce que la circulaire indiquait:

Programme d'enseignement de l'histoire de la magie à l'usage

des sorciers et sorcières de premier cycle:

Première année: Histoire de la Sorcellerie ancienne:

- La magie des temps de la Préhistoire.

Il est recommandé au professeur de se concentrer sur les temps mégalithiques et la séparation progressive entre sorciers et moldus.

« Quelle séparation ? » Se demanda Gilda à voix haute.

- L'Égypte ancienne, un état divisé entre sorciers/prêtres et moldus en situation d'infériorité.

-L'essor de la divination et des pratiques magiques chez les Grecs et les Romains.

-La naissance du chamanisme.

-La magie druidique et les légendes celtes.

-L'usurpation gobeline, du VIII° siècle avant notre ère jusqu'à Merlin.

« Je me demande si les Gobelins ont connaissance de ce que le Ministère compte enseigner aux élèves de Poudlard sur leur compte. » Murmura Gilda pour elle-même. « En tout cas, s'ils étaient mis au courant, nul doute que les relations se tendraient soudainement... »

Elle poursuivit sa lecture et marmonna moins d'une minute plus tard, accablée :

- Quant-aux programmes de seconde et troisième années, c'est de la mythologie en grande partie... Et ils ne semblent faire aucune mention des phénomènes d'invasions durant le Haut Moyen Age, pas plus que de l'imbrication des pouvoirs sorciers et moldus à l'époque... Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire avec cela ?

En effet, sur ces deux années s'étalaient l'étude du Moyen Age et de la Renaissance. Mais l'auteur du programme semblait avoir voulu en expulser les moldus au maximum, au mépris de toute vérité historique. Gilda relut une seconde fois pour vérifier qu'elle n'avait pas mal compris :

Seconde année: Histoire de la Sorcellerie Médiévale

- Les luttes entre moldus et sorciers au début du Moyen-Age, l'illusion de la trêve de la table ronde.

- Le royaume de l'hiver et la formation des plus grandes familles sorcières.

- La dégénérescence des elfes, en germe depuis la Basse Antiquité, asservissement de l'espèce à la fin du cinquième siècle.

- Domination sorcière et révoltes gobelines du Haut Moyen Age.

- La fondation de Poudlard et l'unité sorcière.

- Les sorciers face à l'intolérance moldue au Moyen Age.

Troisième Année: Histoire de la sorcellerie aux quinzième et seizième siècles:

- Les débuts de l'alchimie.

- La cinquième révolte gobeline.

- La réussite de Nicolas Flamel.

- Le premier Tournoi des trois sorciers: une institution barbare et primitive.

- La séparation définitive entre moldus et sorciers, entrée dans l'ère moderne pour les uns et clandestinité totale pour les autres.

- La sixième révolte gobeline et la tyrannie de Will Betcher, un général aux traits de mage noir.

- Non, non, murmura Gilda encore plus démoralisée par sa seconde lecture. C'est même pire que je ne le pensais... Passons à la suite.

Quatrième année: Les huit révoltes gobelines de 1600 à 1900, renforcement de l'assise naturelle des sorciers.

- Celui-là au moins n'est pas très précis, dit-elle à peine rassurée. A croire que la personne qui a fait cela n'y connaît rien... Et le programme de cinquième année n'a pas été trop durement touché à ce que je vois.

En effet, il était pratiquement identique à celui qu'elle avait étudié et c'était presque un soulagement.

Cinquième année: Histoire thématique de la magie

- Les progrès des potions et de la médicomagie tout au long de l'histoire sorcière.

- Introduction à la géopolitique sorcière.

- Les mages noirs de l'antiquité à nos jours.

- Introduction à l'histoire de la sorcellerie africaine.

- Histoire de la sorcellerie amérindienne.

- éducation aux lois ministérielles pour la protection des sorciers.

En revanche, elle faillit s'étrangler sur la lecture du programme de l'année suivante :

Sixième année: Histoire contemporaine de la magie

- Les mages noirs de l'époque contemporaine, le mythe de Grindelwald.

- L'évolution des grandes lignées de sorciers jusqu'à nos jours. La création du registre des vingt-huit sacrés

- Poussées idéologiques, réactions et dérives, étude de cas: Celui dont on ne doit pas prononcer le nom, une histoire amplifiée à des fins de pouvoir.

- Mythe ?! Souffla t-elle. Histoire amplifiée ?! Mais quelle bande de... Ils ont repris la thèse négationniste... Je n'arrive pas à croire que je vais vraiment devoir enseigner cela... Bon, la suite...

Septième année: Préparation aux aspics:

- Les grands aspects de la civilisation sorcière.

- Les rapports avec les gobelins et les elfes au cours des siècles.

- Les rapports entre sorciers et moldus, vers une rupture inévitable.

- Histoire de la pratique de la magie noire et ses dangers.

- éducation aux lois ministérielles pour la protection des sorciers.

- Pour finir par de jolies synthèses... Murmura t-elle outrée.

Ce programme totalement bâclé, aussi orienté que versé sur la propagande donnait la nausée à Gilda qui étudiait à présent le moyen de le contourner, afin d'éviter d'apprendre de grosses idioties à ses élèves. Elle finit par décider de faire mener des recherches aux élèves eux mêmes sous forme de devoirs, afin d'éviter de trop se mettre en porte-à-faux avec les directives, tout en glissant des noms d'ouvrages et d'auteur auxquels se référer.

Beaucoup de méthodologie donc, et assez peu de magistral, mais elle ne voyait pas comment s'en sortir autrement. Autant dire qu'elle allait avoir énormément de travail, qu'il lui faudrait constamment marcher sur des œufs et soigneusement travailler ses barèmes.

Par chance, elle savait que Dolorès Ombrage était une ignare, donc qu'elle pourrait la tromper si elle jouait un peu finement. Était-ce elle-même d'ailleurs qui avait rédigé ce programme ? L'orientation semblait l'indiquer en tout cas et elle frémit à la pensée du pouvoir que cette femme détenait.

Alors qu'elle travaillait, un bruit l'arracha soudain à ces réflexions douloureuses. Gilda se retourna et aperçut son fils debout. Un regard sur la pendule lui indiqua qu'il était minuit et vingt-sept, pas une heure pour un petit garçon.

Mais Sebastian avait l'air anxieux et effrayé, aussi elle lui lança un regard interrogateur et il vint se jeter dans ses bras, la serrant à l'en étouffer. La jeune femme souleva son fils et l'installa sur ses genoux en lui caressant les cheveux:

- C'est vraiment l'heure de dormir canard, murmura t-elle.

Elle voulut le remettre dans son lit, mais l'enfant s'agrippa si fort que cela se révéla impossible. C'était vraiment étonnant car jamais il n'avait fait cela auparavant. Mais peut-être après-tout arriver dans ce monde tout nouveau le mettait-il en soucis.

Gilda dut se résoudre à le ramener avec elle dans le salon pour pouvoir finir de travailler. Et si elle espérait qu'il s'endormirait dans ses bras, ce fut peine perdue car il ne cessait de lui montrer la porte d'un air effrayé. La jeune femme eut beau la verrouiller soigneusement, rien n'y fit.

- Tu as vu quelqu'un ? Lui demanda t-elle.

Il secoua la tête et montra son oreille.

- Tu as entendu quelqu'un ?

Cette fois-ci, Sebastian hocha la tête à l'affirmative et Gilda réprima un frisson :

- C'est sûrement Dolores Ombrage qui m'espionne mais ne t'en fais pas, répondit-elle. La porte est fermée

Elle se garda bien de mentionner la cheminée et poursuivit son travail après avoir autorisé Sebastian à s'allonger sur le canapé à côté d'elle, enroulé dans sa couverture.

Enfin elle se coucha épuisée à trois heure du matin après avoir réussi à mettre Sebastian au lit, dans le sien en fait car il refusait de la lâcher et Gilda n'avait vraiment pas le cœur à élever la voix ce soir là. Elle même s'endormit assez rapidement après avoir enfilé un pyjamas mais en revanche, le petit garçon resta éveillé de nombreuses heures et ne s'endormit que peu avant le lever du jour.

Moon, elle, avait parfaitement dormi et se manifesta avant même que sept heure ait sonné à la pendule, aussi Gilda se leva silencieusement pour ne pas réveiller son fils qui dormait d'un sommeil agité et alla lever la petite fille dans la chambre Lavoisine. Elle la doucha, l'habilla et coiffa ses boucles châtain-roux en deux petites couettes hautes.

Sebastian dormait toujours, Gilda saisit un morceau de parchemin et griffonna un mot qu'elle posa sur la table de nuit à l'adresse du petit garçon:

« Sebastian, je suis allée faire déjeuner Moon dans la Grande Salle afin qu'elle te laisse dormir. Si tu te réveilles pendant mon absence tu peux attendre que je vienne te chercher ou nous rejoindre, comme tu veux. Je n'en ai pas pour très longtemps.

Maman. »

Fort heureusement, elle n'avait pas cours avant neuf heure ce matin-là.