1 | Ce jour-là

[CHAPITRE RÉÉCRIT]

And maybe one day I can forget the past and
Be one of those girls of honey and glass

L e n a

Je me souviens de ce jour-là, j'ai tout de suite cru que ce serait le pire de ma vie, alors que, maintenant que j'y pense, c'était sûrement ce qu'il pouvait m'arriver de mieux.

Il faisait beau, on sentait la fin mai et l'approche des vacances d'été. Les arbres délaissaient petit à petit leur armure terne afin d'opter pour une jolie verdure estivale qui me mettait systématiquement de bonne humeur. Pour moi, « été » rimait avec « bonheur », peut-être parce que je pouvais échapper brièvement au lycée et à tout le stress qu'il engendrait.

Ce matin-là, j'ai pris mon petit déjeuner rapidement – une barre de céréales suffisait généralement à me faire tenir jusqu'au déjeuner, puis suis allée au lycée en voiture (conduite par mon père, quand bien même j'avais seize ans), comme presque tous les jours.

Cette journée s'annonçait des plus banales.

J'habitais à Blue Springs, dans l'état du Mississippi. Le genre de village qui n'accueille aucun touriste – il n'était composé que de quatre-cent-cinquante habitants au maximum –  et que les quatre-vingt-dix-neuf pourcent de la population américaine oublient totalement.

J'aimais bien notre village. Souvent, je me promenais là-bas. Il avait une belle odeur bien caractéristique, et ce à n'importe quelle période de l'année. Un mélange de pin parasol, de soleil et de pluie. L'été s'ajoutait l'odeur des grillades faites par les Bridgerton, nos voisins – qui habitaient à plusieurs dizaines de mètres de chez nous. L'hiver, Blue Springs sentait l'humus.

À Blue Springs, le principal problème, c'était qu'il ne se passait quasiment jamais rien. Tout le monde, ou presque, se connaissait dans les quartiers, et les nouvelles (mariages, divorces, naissance, décès, déménagement) passaient de bouche à oreille plus vite que la peste. C'est ainsi que, quand je suis arrivée avec mes parents, à l'âge de quatre ans, j'ai tout de suite tapé à l'œil. 

Et je me suis tout de suite attirée les foudres de la plupart de mes chers camarades de classe, et bien évidemment de leurs géniteurs. 

L'erreur à ne pas commettre, aux États-Unis, c'est d'arriver dans un petit village typiquement américain (parce que tes parents sont dans leur phase « America » depuis qu'ils ont vu Twilight pour la millième fois) sans connaître un seul mot de l'anglais américain. Eh oui, à mon grand dam, j'ai pu remarquer que les anglais et les américains n'ont pas les mêmes façons de parler, et encore moins les mêmes accents.

Sauf que, évidemment, mes parents ont fait cette erreur et j'en ai bavé jusqu'au lycée. « La british », « L'intello », ils avaient trouvé tellement de surnoms plus insultants les uns que les autres. J'avais essayé de me convaincre qu'ils étaient simplement jaloux de ma classe sautée, et de mon QI supérieur à la moyenne, en vain. J'étais bien trop différente et, surtout, bien plus mature qu'eux. Ils ne m'aimaient pas, c'était réciproque, et c'était en quelque sorte de ma faute.

Mais revenons-en à cette fameuse journée. 

Je suis donc sortie de la maison, comme à mon habitude.

Mon père m'attendait dehors. Il a ouvert la portière qui donnait sur le siège passager, comme tous les jours, et je suis entrée dans l'habitacle, dont la familière odeur de renfermé et de vieux neuf m'a étreinte. Il s'est passé quelques secondes avant qu'il n'ouvre le battant donnant sur son siège et s'installe dans la voiture. Le moteur a fait son bruit caractéristique et le véhicule a démarré.

Je suis arrivée au lycée pile à l'heure (c'était ma technique très efficace, ni trop tôt, ni trop tard, pour ne pas attirer l'attention).

Je n'ai jamais eu beaucoup d'amis. Les seules personnes qui ont tenté de nouer quelconque lien avec moi ont du faire face à une statue de marbre qui se cache derrière ses cheveux roux pour dissimuler ses rougeur excessives – dues à un afflux de sang trop important sur les joues – et ses tâches de rousseur horriblement présentes, qui s'étalaient de mon cou à mon front, en passant par mon décolleté et mes oreilles. Seulement une personne avait réussi à briser la carapace que je m'étais volontairement ou pas forgée. Elle s'appelait Heaven et elle portait bien son nom*. Elle était mon paradis, celle qui m'avait toujours soutenue. Ma meilleure et seule amie.

Elle est arrivée, sa chevelure teintée en brun volant au vent – je n'ai jamais compris pourquoi elle s'obstinait à teindre ses cheveux blonds pourtant sublimes –, ses yeux d'un bleu clair magnifique sondant le hall à la recherche d'une personne – moi.

Heaven avait un style vestimentaire un peu spécial. Elle n'avait pas de look particulier, mais avait un faible pour le rose et tout ce qui touchait de près ou de loin aux animaux mignons et aux fleurs. Elle était une lectrice assidue de romans à l'eau de rose, si bien qu'elle ne pouvait pas s'empêcher de faire mille et une comparaisons à ses lectures lorsqu'elle s'adressait à quelqu'un. Mais, malgré les apparences, c'était une vraie battante, bien plus forte mentalement que moi, et physiquement également puisqu'elle pratiquait la boxe depuis des années. C'était une femme de vingt-deux ans coincée dans le corps d'une fille de dix-sept ans, et elle m'impressionnait, d'une certaine façon. Peut-être que j'aurais aimé être comme elle, moi aussi.

— Coucou Len ! Comment vas-tu en cette magnifique journée ? a-t-elle fait avec enthousiasme.

Heaven était tout le temps enthousiaste, surtout quand elle était amoureuse. Je l'ai surprise à chercher du regard quelqu'un dans la masse d'élèves qui s'entassaient dans le hall attendant que les escaliers qui menaient aux salles de classe se libèrent. Je lui ai jeté un regard suspicieux, elle y a répondu avec une petit sourire mystérieux.

— Ça va, et toi ?  ai-je finalement répondu, comprenant qu'elle ne m'expliquerait pas tout de suite.

Elle a hoché la tête et m'a tirée par le bras pour que l'on rejoigne notre salle. Il n'y avait plus beaucoup de terminale en cette fin d'année, le soleil doré qui perçait à travers les stores et les baies vitrées du lycée suffisait à convaincre les moins investis dans les cours de passer la journée en maillot de bain sous les pins parasols, au bord de la rivière. J'avais entendu dire qu'une soirée était organisée le soir-même. Mais je n'en étais pas sûre. Si Heaven y était toujours conviée, ce n'était pas mon cas. Et cela me convenait très bien : de toute manière, jamais je n'aurais eu le droit de m'y rendre. Mes parents mettaient un point d'honneur à m'interdire tout ce qui aurait pu rendre mes journées moins répétitives. Et puis, de toute façon, les examens s'approchaient à grands pas, il ne restait plus qu'un mois à tenir et je pourrais quitter cet endroit.

Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de vous raconter en détails toute ma journée, étant donné que je crois que vous pouvez très bien vous la figurer sans mon aide. Elle s'est déroulée très lentement, comme d'habitude. Étant bonne élève, on aurait pu croire que j'aimais aller en cours, écouter les profs répéter inlassablement la même chose pour les personnes qui n'avaient pas écouté. Ce qui, forcément, était faux. Les clichés sur les intellos sont tellement faux... Si vous saviez à quel point. Peut-être que je faisais de mon cas et de celui des deux ou trois autres personnes à Blue Springs étant appelées comme tel une généralité, mais je peux vous garantir qu'un « intello » n'était pas du tout ce que vous pouvez imaginer.

Mais trêve de bavardages, il me semble important de revenir à cette journée qui, disons-le clairement, ne fut pas banale. Vraiment pas banale. Et pourtant, c'est peut-être ce que j'aurais souhaité. Rester dans l'ombre était devenu mon domaine de prédilection. Me cacher, me faire oublier, ne pas faire de vague au cas où on me remarque. Personne ne devait connaître la vérité, personne ne devait me connaître. Je détestais être le centre de l'attention et encore plus celui d'un lycée comme celui-ci. Qui se nourrissait de rumeurs et de faux-semblants, comme les personnes que fréquentaient mes parents. Peut-être que c'était mon monde, au fond. Dans ce cas, je le détestais. J'étais timide, et bien décidée à le rester car c'était plus simple que d'être confrontée à la réalité.

J'étais incapable de m'exprimer.

Mais ce jour-là, je ne savais pas encore que ma vie était en train de prendre un tournant très inattendu, et je venais à peine de finir mon déjeuner. Il était onze heures et demi. Je finissais à quatorze heures, ensuite suivraient les cours d'athlétisme auxquels j'avais été forcée à m'inscrire.

Et de midi à quatorze heures, j'aurais littérature. Généralement, c'était la matière que je préférais pour sa richesse et sa complexité. J'aimais réfléchir à des choses comme la littérature et les arts. Prendre exemple sur des héroïnes des livres que j'ai toujours lus et qui m'ont marquée, sur des autrices que j'admire encore aujourd'hui. Les sœurs Brontë, Jane Austen,... Elles me permettaient de mettre ma vie en pause et d'apprécier l'instant présent. 

Sauf que voilà, cette année, chaque lundi, je redoutais ce cours au point d'en avoir la boule au ventre.

Tout simplement parce que Charlie Wheeler était présent.

*Heaven signifie paradis en anglais.

~Plagiat interdit~

≈1500 mots.

Publication le 16/04/23

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