32 : Tu es là, maintenant

J'en étais désormais presque convaincue : je n'avais vraiment aucune raison de redouter la soirée. Après m'être remise de mes émotions, nous étions retournés en bas où régnait déjà une ambiance de folie. Les gens parlaient, mangeaient, et même Zoé semblait détendue. Anna et Alban était ensemble, en compagnie de gens que je ne connaissais que de vue. Je vis Zoé et Anna rirent ensemble, ce qui me soulagea : peu importe l'"erreur", leur amitié perdurerait. C'était le minimum que méritait Zoé.

Farah discutait avec Matth et Olenka et je ne tardai pas à les rejoindre, alors que Sam allait saluer Amir et son groupe d'amis.

"Ça va, vous deux ? demandai-je avec un grand sourire."

Olenka me le retourna, ce qui me mit du baume au cœur. L'inimitié qu'elle éprouvait pour moi semblait enfin être révolue.

"Super, répondit Matth en guettant la réaction d'Olenka, qui acquiesça."

Avant que je n'aie le temps de comprendre ce qu'il se passait, Matth embrassa Olenka sous mes yeux. Qu'est-ce-que...

"Euh, fis-je, mal à l'aise, j'vais vous laisser.
- Ne pars pas ! m'apostropha Matth. C'est juste qu'Olenka avait besoin que je lui montre qu'il n'y avait qu'elle. Elle est jalouse de toi.
- Euh...
- N'importe quoi ! pesta Olenka. Enfin, ce n'est peut-être pas tout à fait faux, mais je ne t'ai jamais dit de m'embrasser devant elle pour me le prouver !"

Olenka feignit d'être vexée et alla au buffet. J'en profitai pour glisser un mot à Matth, un peu perdue par ce retournement de situation :

"Vous êtes en couple ?
- Oui, sourit-il.
- Mais... elle t'a pardonné ?
- Pardonné de quoi ? demanda t-il en fronçant soudainement les sourcils.
- Tu l'as trompée !"

Matth tira une gueule qui me ramena brutalement à la réalité : il n'était pas au courant ! que j'étais au courant ! Merde. J'espérais que cela ne porterait pas de préjudices à Olenka...

"Qui t'a dit ça ?
- Ce n'est pas le propos, détournai-je. Comment... pourquoi tu as fait ça ?"

Matth fermai les yeux, le visage empreint de regrets. Il commença d'une voix douce, bercée de tristesse :

"L'année dernière, je suis tombé amoureux d'Olenka. Complètement amoureux. Nous sommes restés ensemble trois mois, mais un jour..."

Il déglutit difficilement.

"Lili m'avait invité à une de ses soirées pour son anniversaire. À cette époque, elle était avec Sam alors je ne voyais pas le soucis. Sam a quitté la maison à minuit..."

Non. Non, non. Je n'étais plus certaine de vouloir savoir. Matth n'avait quand même pas couché avec Lili dans le dos de Sam ? Mes poings se contractèrent.

"Après ça, Lili a commencé à me coller. J'te jure, je la repoussais, au début ! Je n'avais d'yeux que pour Olenka. Nous nous étions disputés quand je lui avais dit que j'allais à la soirée de Lili. Elle m'a dit qu'elle ne lui faisait pas confiance. Assez paradoxal, puisqu'elles étaient amies... je crois que c'était par rapport à Sam, un truc que Lili lui avait fait et qu'Olenka rejetait."

Mon cerveau réfléchissait à toute allure. Sam m'avait dit qu'il avait quitté Lili parce qu'elle l'avait trompé. Mais si il y avait autre chose de plus ? À en croire Matth, Lili avait déjà fait du mal à Sam avant la soirée...

La suite du récit de Matth me tira de mes pensées :

"Bref. J'avais beaucoup, beaucoup bu à cette soirée. J'étais dans un état minable. À un moment, Lili m'a proposé d'aller dans sa chambre..."

Je fermai les yeux et il m'imita. Je savais ce qu'il allait me dire.

"Vraiment, je ne sais pas ce qu'il m'a pris. Voilà, elle m'a proposé de coucher avec elle... Je n'avais pas les idées en place, j'étais complètement paumé, elle me disait que je n'avais qu'à imaginer être avec Olenka - nous n'avions jamais sauté le pas, tu comprends... et comme un con : j'ai accepté. J'ai trompé la fille que j'aimais avec une de ses amies qui ne me faisait pas le moindre effet."

Je remarquai qu'il avait les larmes aux yeux. Quoiqu'il ait fait, il avait toujours profondément aimé Olenka et avait dû se mordre les doigts de son erreur. Mais je ne pouvais pas avoir pitié de lui. Pas en imaginait la peine qu'avait pue ressentir Olenka.

"Olenka n'aurait jamais dû le découvrir... murmura t-il.
- Pardon ?! m'étranglai-je. Tu lui aurais égoïstement menti, juste pour pouvoir la garder ?
- Je veux dire, elle n'aurait pas dû l'apprendre comme ça. Un jour, Sam a découvert le vrai visage de Lili et l'a quittée... sur la colère, elle lui a balancé qu'elle l'avait trompé et Sam est allé prévenir Olenka.
- Attends... tu es en train de me dire que Sam n'a pas quitté Lili parce qu'elle l'avait trompé, mais pour autre chose ? Qu'est-ce-qu'elle lui a fait ?"

Matth hésita.

"Ce n'est pas à moi de te le dire, Thylane..."

Je savais ce qu'il me restait à faire. Alors que les gens commençaient à danser, je fouillai la pièce du regard pour repérer Sam. Une fois chose faite, j'allai vers lui en adressant une ultime parole à Matth :

"J'espère pour toi que tu as retenu la leçon, en tout cas."

J'aurais aimé en savoir plus, mais ce n'était pas mes affaires. En rejoignant Sam, je passai devant Olenka, appuyée sur le buffet.

"Y'a trop de choix, se plaignait-elle.
- On ne va pas s'en plaindre ! dis-je en tentant de faire bonne figure mais mon cœur se serrait."

J'avais tellement de peine pour Olenka... je comprenais bien mieux la haine qu'elle éprouvait pour moi avant. Elle était tout simplement jalouse de l'attention que m'accordait celui qu'elle aimait désespérément et qui l'avait trompée.

Un peu plus loin, Sam se servait à boire, et je lui chuchotai :

"On peut parler ?
- Je le sens pas... dit-il d'un ton léger, sans se douter qu'il visait juste."

Devais-je vraiment ramener le sujet de son passé le soir du nouvel An ? Oui. Cela lui fera du bien de se livrer et je parviendrai peut-être à mieux comprendre son comportement... n'est-ce-pas ?

Nous nous isolions dans le jardin malgré le froid et je commençai :

"Sam... je ne veux pas te froisser ou que tu te braques, et je suis désolée de ramener le sujet sur le tapis mais... j'ai besoin de savoir : pourquoi as-tu quitté Lili ?
- Elle m'a trompé, débita t-il machinalement, mais une étincelle de méfiance fit briller ses yeux.
- Non. Je ne te crois pas."

Sam sortit de ses gonds.

"Quoi ?! Tu ne me crois pas ?! Tu soutiens cette connasse, maintenant ?!
- Pas du tout ! m'écriai-je aussitôt, furieuse contre moi-même de manquer autant de délicatesse. Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je pense simplement que tu ne me dis pas
tout.
- Tu veux l'endroit, la date, tout ces détails inutiles ? me railla t-il."

Un peu gênée, je me dandinai sur place.

"J'ai juste l'impression de ne connaître de toi qu'une façade.
- Tu es bien placée pour me dire ça, dis donc ! Qu'est-ce-que je sais sur toi, au juste ?"

Mon visage se ferma automatiquement. Il avait raison, je le savais, il le savait, mais je ne l'avouerai jamais.

"Tu changes de sujet, insistai-je.
- Ce n'est pas pour rien. Moi aussi, j'ai besoin que tu te livres à moi avant que je ne t'avoue mes failles."

Quelles failles ?

"Qu'est-ce-que tu veux savoir ? débitai-je mécaniquement en préparant un mensonge pour qu'il m'explique tout à son tour.
- Pourquoi as-tu été scolarisée à domicile ?"

Aoutch. Aussi anodine que pouvait paraître cette question, le retour aux origines qu'elle entraînait me donnait déjà envie de vomir. Mon visage s'assombrit. J'ouvrais la bouche pour répondre une connerie quand il me stoppa :

"Ne me mens pas. S'il-te-plaît."

Le pire, c'était que j'en aurais été incapable. Devais-je vraiment lui dire ?Son doux regard compréhensif posé sur moi me donna un peu de force.

Il a le droit de savoir.

Au moins une partie.

Pas trop sûre de moi, je soufflai brutalement :

"Mes parents sont morts dans un accident de voiture quand j'avais seize ans, pendant mon année de seconde. Mais tu le sais déjà, ça, je crois..."

Je me surpris à lui avouer cela avec détachement. D'habitude, les larmes montaient et la voix tremblait. Pourtant, là, comme si sa présence m'apaisait et me promettait que tout irait bien, je me sentais presque... calme. Il ferma les yeux et m'encouragea à poursuivre.

"Suite à ça, je n'en pouvais plus. C'était la goutte d'eau qui a fait déborder le vase - et crois-moi, il était déjà rempli. J'étais seule, je n'avais pas d'amis, ma famille ne voulait pas m'accueillir... et je me suis retrouvée chez les Garcia. Apparemment, c'était ce que mes parents avaient voulu. J'haussai les épaules, le regard fuyant. J'étais beaucoup trop dans ma propre bulle pour me préoccuper de ce qu'il se passait, du pourquoi du comment. Je ne vivais plus, me contentant de laisser la vie faire ce qu'elle voulait de moi. J'ai donc déménagé à Toulouse, et les Garcia ont toujours été très aimables avec moi. Enfin, surtout Agathe ; Stéphane m'a toujours fuie comme la peste. Une fois de plus, je ne m'en préoccupais pas. J'étais complément déconnectée de tout et littéralement insupportable. J'avais constamment des écouteurs, ne parlais pas... je mangeais n'importe quoi, à n'importe quelle heure, m'empiffrant de toutes les saloperies additives qui me permettraient de penser à autre chose qu'à ma misérable existence. Cela a duré six mois. Six mois, putain. Pendant six mois, je n'ai été qu'une ombre, un fantôme vide. Un avant-goût des brasiers de la mort. Je frissonnai, les yeux clos. Mais un jour, j'ai eu un déclic."

Cette fois-ci, un semblant de sourire se dessina sur mes lèvres.

"Agathe m'a ramenée un cahier. Mon ancien "journal de bord", que je tenais régulièrement au début de ma seconde. Selon elle, puisque mes démons me bouffaient de l'intérieur, je devais les apposer sur papier. Alors j'ai commencé à dessiner. C'était une véritable addiction : je dessinais des formes, abstraites ou non, des paysages, ou parfois je me contentais simplement de colorier des feuilles. Je dessinais mes pensées, mes sentiments, mon âme, mon être, moi. Cela me donnait l'impression que, l'espace d'un instant, j'étais libre.

Puis j'ai commencé à écrire. Au début, je m'inventais des histoires pour échapper à la mienne. Mais ce pansement était temporaire, alors j'ai commencé à écrire sur moi... j'écrivais tout ce que je ressentais, que je vivais, et, peu à peu, ce que j'avais vécu. Ce simple carnet est rapidement devenu le miroir de ma personne, et m'a forcée à me confronter à moi-même.

Et je me relisais, inlassablement. Je faisais face à mes propres démons et j'avais l'impression de guérir. Un peu plus tard, j'ai essayé de mettre des mots sur ce qu'il m'était arrivé. Et c'est là que les cauchemars sont revenus."

Je déglutis. Je n'avais plus l'impression de parler à Sam, mais à moi-même. D'écrire dans le journal.

"Ils étaient toujours plus longs, plus nombreux, plus terribles, et, par-dessus tout, réalistes. La nuit, quand je me réveillais en sursaut, je les racontais sur papier, les dessinais, tout pour les enlever de ma tête. J'en venais à avoir peur de m'endormir. Les dessins ne suffisaient plus à m'évader, je me retrouvais prisonnière. Prisonnière de moi-même. J'avais besoin d'une nouvelle occupation, et vite.

C'est là que le sujet de l'école est revenu sur le tapis. Alors qu'Agathe ne l'avait pas évoqué pendant plus de six mois, sans doute pour que je me remette de mes traumatismes, j'ai eu envie de retourner au lycée. J'étais persuadée que cela me permettrait de mettre définitivement une croix sur mon passé et de m'en échapper, car mon esprit serait alors accaparé par les cours. Alors, pendant six mois, j'ai rattrapé un an de retard, les cours de seconde et de première littéraire - filière que j'avais toujours voulue faire. Au début, des profs particuliers venaient à la maison, mais je travaillais surtout de mon côté, en lisant, faisant des recherches sur internet, etc,... Je ne faisais plus de cauchemars. Je m'obligeais à ne penser qu'à travailler pour mettre de côté les sombres pensées. Et ça a marché, ajoutai-je avec un brin de fierté. Voilà comment j'en suis arrivée là."

Le regard d'émeraude que posa Sam sur moi me chamboula. Je voyais qu'il comprenait comme ces confessions, aussi minimes soient-elles, étaient un grand pas et avaient été éprouvantes.

"Oh, mon amour... si tu savais comme je regrette de ne pas avoir été là avant... il saisit ma tête entre ses mains pour me forcer à la regarder avant de murmurer : je donnerai ma vie pour panser tes blessures et te voir heureuse."

Ces mots me mirent les larmes aux yeux. Moi aussi, je regrette que tu n'aies pas été là avant. Mais tu es là, maintenant, à mes côtés, et c'est tout ce qui compte.

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