Chapitre 82 : Taehyung - 86%
Lorsque le dîner s'acheva, Taehyung ne put s'empêcher de jeter un œil en direction de Jungkook. Pas une fois il ne lui avait adressé ni le moindre regard ni le moindre sourire. Il ne lui avait qu'à peine parlé en fixant son assiette. Par conséquent, prenant son courage à deux mains, le chanteur décida de discuter avec le maknae. Peut-être y avait-il des choses qu'il désirait mettre à plat. Se libérer de ce qui le hantait pourrait lui permettre de se sentir mieux en sa présence.
Ainsi, alors que tous avaient quitté la cuisine et étaient repartis à leurs activités, le jeune garçon se dirigea sans hésiter vers le studio que Jungkook lui-même rejoignait. Il venait à peine d'en passer la porte quand cette dernière fut poussée par Taehyung. Jungkook, surpris par le bruit, se retourna pour découvrir son aîné.
Il déglutit.
« T'as besoin de quelque chose ? s'enquit-il.
— J'espérais juste qu'on... puisse discuter, révéla Taehyung après un regard à son poignet qui lui confirma qu'ils ne se trouvaient pas en direct.
— Discuter de quoi ?
— Est-ce que tu m'évites ?
— Hein ? s'étonna Jungkook – sa stupéfaction paraissait sincère.
— Au dîner, t'étais si distant... ça m'a blessé.
— Je suis désolé. »
Sa voix était tout à coup devenue si basse, si triste. Taehyung en fut touché.
« Est-ce que je peux faire quelque chose ? demanda-t-il. J'imagine que t'as besoin de temps. »
Or, du temps, ils n'en avaient plus beaucoup.
« Je sais pas, souffla Jungkook avec l'impression que ses mots l'étranglaient. J'ai besoin d'oublier.
— Moi aussi, j'aimerais pouvoir oublier. Mais... Kook, j'aurais tellement aimé qu'on essaie d'oublier ensemble, qu'on surmonte ça ensemble.
— Je peux pas. »
Taehyung tenta un pas vers lui, mais Jungkook recula. L'aîné se mordit l'intérieur de la joue.
« Jungkook, j'ai besoin de toi, de l'amitié qu'on avait tissée. C'est si précieux pour moi.
— Ça l'était pour moi aussi.
— Je t'en prie, Kook-ah...
— Je suis désolé, hyung, je peux pas. »
Et lorsque les prunelles de son cadet s'humidifièrent, Taehyung comprit. Il comprit qu'il avait couru après des chimères, naïf qu'il était : Jungkook ne pourrait pas surmonter ça à ses côtés, et même sans lui il ne pourrait pas surmonter ce traumatisme avant longtemps. Quelle que soit l'issue des Rookie Games... c'en était désormais fini de leur amitié.
À son tour Taehyung sentit les larmes lui monter aux yeux.
« T'as été le seul capable de me comprendre, de me tendre les bras, déclara-t-il la gorge serrée. J'ai jamais éprouvé l'impression d'être si proche de quelqu'un avant toi. J'ai toujours été si seul... ça fait tellement mal. Je sais que c'est égoïste, mais... par pitié, Jungkook...
— Je suis désolé.
— J'aurais juste voulu quelqu'un q-qui accepte de me prendre dans ses bras, avoua finalement Taehyung dans un premier sanglot. Jungkook, j'en peux plus d'être toujours rejeté ! Je suis fatigué, et ça rend la douleur tellement plus difficile ! J'ai pas envie de te forcer à me sourire, ni même à me regarder, mais j'ai l'impression que tout est redevenu si noir depuis ce jour ! Je n'en peux plus de faire semblant d'aller bien quand chaque minute mon âme se fait bouffer par le remords et la peine ! Jamais je pourrai exprimer à quel point je suis désolé, mais j'y suis pour rien non plus ! On a été tous les deux forcés, et on en souffre tous les deux... mais si on a été forcés, pourquoi je dois supporter le poids d'une telle culpabilité ?
— Je sais que j'ai fini par donner mon accord, opina Jungkook en dépit de ses propres larmes et de sa voix vacillante, je sais que t'as jamais voulu ça. Mais j'arrête pas d'y penser depuis. Quand t'es vers moi... j-je me sens sale. E-Et quand tu m-me regardes, j'ai l'impression q-que tu peux me revoir ce soir-là. C-C'était juste... si humiliant.
— On était dans le noir et... et sous la couette, j'ai rien vu.
— T-Tes mains sur moi. »
Il avait senti la forme de son corps, la chaleur de sa peau ; ça revenait à le voir, pour Jungkook.
« J'ai besoin de toi, Jungkook, susurra encore son aîné.
— Laisse-moi du temps. Laisse-moi oublier.
— On sait tous les deux qu'on manque de temps.
— Me force pas... »
Et ces mots... ils heurtèrent Taehyung avec une violence pareille à celle d'un train lancé à pleine vitesse. Cette supplique que lui avait adressée Jungkook mille fois ce soir-là, cette supplique qu'il n'avait pas pu entendre s'ils voulaient rester en vie. Cette fois, il pouvait respecter la volonté de Jungkook, mais par égoïsme et du fait de sa souffrance, Taehyung essayait encore de le convaincre d'agir contre son gré.
Désespéré, le jeune garçon s'effondra dans de bruyants sanglots, agenouillé sur le sol, le visage caché par ses deux grandes mains. Quoi qu'il fasse, il perdait cet ami qui lui était si cher, mais... il pouvait le perdre sans le blesser davantage. Il pouvait lui permettre de sentir que sa voix avait été entendue. Il suffisait pour ça qu'il accepte de le laisser s'éloigner.
« Excuse-moi, mon Kookie, pleura-t-il, je suis désolé ! M'en veux pas, j'étais juste... si triste ! M-Mais si tu veux, c'est d'accord : je ne t'approcherai plus, je te le promets. »
Malgré une sensation de soulagement, Jungkook ne put se réjouir de cette décision : lui aussi n'avait découvert l'affection que très récemment et grâce aux bras de son ami autour de lui chaque nuit. Ces étreintes lui manquaient, mais jamais plus il ne pourrait les apprécier à leur juste valeur. Ces bras jadis si accueillants le terrorisaient, et le simple fait de regarder son aîné lui rappelait de si mauvais souvenirs qu'il lui arrivait d'en avoir la nausée.
Il ne pouvait pas continuer de feindre que tout s'arrangerait : il était brisé, anéanti, et il était devenu inenvisageable pour lui de conserver le moindre lien avec Taehyung, effrayé à l'idée que l'engrenage ne les mène une fois de plus à une limite qu'ils ne pourraient plus franchir. L'angoisse étouffait le maknae dès lors que son ami s'approchait : s'il désirait rester en vie, il lui fallait se tenir à distance.
Taehyung se redressa, le dos voûté sous le poids de la peine, et recula.
« J-Je voulais j-juste te dire q-que t'as été l-le seul vrai ami q-que j'aie jamais eu, » déclara-t-il.
Il voulait en dire plus, il voulait aussi le rassurer et lui dire d'arrêter de pleurer. Or, ses sanglots l'en empêchaient, si bien qu'il décida de tourner les talons et de quitter la pièce.
Le visage maculé de larmes, il songea un instant à aller se consoler en allant voir Jimin danser... puis il songea qu'au contraire, ça risquait de l'amener à se sentir plus mal – plus seul – encore. Il lui semblait ne plus avoir aucun ami, et la solitude lui brûlait les entrailles.
Il alla se coucher, tremblant, et se roula en boule sous sa couverture. Il éprouvait l'ardent besoin de se recroqueviller, de disparaître, de n'être plus rien.
Comme il aimerait rejoindre Seokjin...
Semaine 3 – Jour 4.
Taehyung ouvrit les yeux sur une nouvelle journée paisible. Il alla d'un pas lent à la cuisine où il ne trouva pas Namjoon, détail qui le surprit puisque le rappeur n'était pas non plus dans son lit, où ne dormait que Jungkook. Tout à coup désireux de lui parler, Taehyung se rendit aux studios : deux étaient occupés. L'un, depuis le début il avait été implicitement attribué à Yoongi qui y passait toutes ses nuits. L'autre, le chanteur en poussa la porte après avoir frappé deux coups.
Taehyung avait vu juste : Namjoon était assis à l'ordinateur, un casque audio sur les oreilles. Le garçon craignit d'abord de gêner son aîné, mais se décida malgré tout à approcher et poser une main sur son épaule. Namjoon sursauta et tourna sur lui un regard effrayé qui se radoucit aussitôt qu'il reconnut son ami.
« Tae, tu voulais quoi ? s'enquit-il en stoppant la piste qu'il écoutait.
— Rien, admit l'autre d'un ton embarrassé, juste... t'étais pas à la cuisine, alors... je suis venu voir si tout allait bien.
— Je ne suis plus qu'à cinquante-six pour cent. Alors j'essaie de terminer ma mixtape le plus vite possible. À ton avis, comment je vais ?
— M-Mais... hier, tu...
— C'est drôle, sourit Namjoon d'un air mélancolique. Dès qu'on se demande pourquoi on baisse brutalement en popularité, il suffit d'aller sur le forum pour comprendre.
— T'as fait quelque chose de mal ?
— Je dors avec Jungkook. Le groupe qui s'était donné pour mission d'inonder le forum avec cette mission immonde pour Jungkook et toi, il a décidé que je devenais sa prochaine cible à abattre. Soit disant parce que j'amène Jungkook à s'éloigner de toi et que je brise votre idylle. Tu te rends compte à quel point je suis un vilain garçon, Tae ? J'essaie de vous faire rompre. »
Le venin de la voix de son ami crispa Taehyung qui afficha un sourire gêné.
« Hyung, sois pas si sévère avec eux, allons.
— Tae, pas besoin de faire semblant pour me protéger : moi aussi j'ai vu que nos bracelets étaient allumés, mais tu sais quoi ? J'en ai strictement plus rien à foutre. Si j'écris des putains de chansons depuis bientôt six ans, c'est pour dénoncer, et ça me fout la mort d'arriver ici en me disant que je pourrais faire entendre ma voix alors qu'en fait, la pression causée par ces bracelets me rend muet. Je vais bientôt crever, à quoi bon faire preuve de tact ? Ils me buteront de sang-froid, puis ils se dédouaneront en prétendant que si untel et untel avaient pas voté contre moi, ce ne serait pas leur vote qui m'aurait tué.
« Sauf que si. Chaque hater, même en ne votant qu'une fois, ajoute sa pierre à l'édifice. Mais ils sont trop cons pour s'en rendre compte, ces abrutis qui ne savent pas réfléchir. Chaque hater est individuellement coupable. Que l'effet de groupe les convainque ou non du contraire, ils sont coupables. Ils sont des assassins, des saloperies de meurtriers sans âme.
« Ces merdes s'attaquent à moi probablement à cause de leur vie minable qui les frustre. Ils ont besoin de déverser leur violence sur quelqu'un, et la prod leur offre sept types sur un plateau d'argent. Toi, t'as signé pour venir à l'émission, moi en revanche j'ai signé pour ne pas mourir dès que j'ai reçu ces menaces à peine voilées du gouvernement. Ils ne... »
Namjoon cessa de parler lorsque son bracelet s'éteignit, preuve sans doute que la production ne souhaitait pas le laisser s'exprimer plus longtemps.
Taehyung avait écarquillé les yeux, choqué par les propos de son aîné qu'il n'aurait jamais cru entendre de sa bouche – ces mots crus lui rappelaient plus le langage vulgaire du rap de Yoongi que celui, travaillé, de Namjoon.
Une chose néanmoins était certaine : avec ce qu'il venait de déclarer, il ne survivrait pas à cette journée. Insulter même une petite partie du public constituait un acte de provocation qu'un idol digne de ce nom ne pouvait pas commettre. C'était pareil à un crime.
Un crime pour lequel ses haters se feraient un plaisir de le condamner.
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