La montre (7)

Je n'arrive pas à dormir.

Cette rencontre avec la montre m'empêche clairement de fermer l'oeil. Je suis inquiète. S'il décidait pour se venger, d'attaquer ma famille ? S'il me torturait ?

Alors, tournant, et tournant encore, je m'inquiète.

Il faut que j'en parle à quelqu'un, ou je n'arriverai jamais à m'endormir.

Je me lève, ne me souciant absolument pas du fait qu'il soit plus de minuit. Oscar saura m'écouter. Et au pire, je lui promettrai un gâteau pour le petit déjeuner et il me pardonnera aisément de l'avoir réveillé. Je sors prudemment de ma chambre, et viens toquer légèrement à la sienne.

Si aucune réponse ne me parvient, je peux tout de même observer la lumière qui s'est allumée dans sa chambre.

Il a le sommeil plutôt léger.

Je retoque, avant d'entrer, sans attendre de réponse. Oscar est assis sur son lit, avec l'oeil hagard de quelqu'un qui vient de se réveiller.

-Qu'est-ce que tu fous là, questionne-t-il, hargneusement, plus comme un sermon qu'une réelle question.

-Je suis désolée, j'avais besoin de parler.

Prenant mes aises, je viens m'asseoir à côté de lui, et lui explique la situation et mon angoisse. Il m'écoute, aussi sérieusement que je ne l'attendais de lui, et lorsque j'ai finis, contre toute attente, il me rit au nez.

-Naëlle, tu peux te méfier de tout, mais cet homme est un simple vieillard, ce n'est pas la montre enfin !

-Alors comment tu expliques sa dernière phrase, dans ce cas là ! Rétorqué-je, vexée qu'il ne me donne pas plus de crédit.

Oscar se penche en arrière, s'allongeant sur le dos et les yeux orientés vers le plafond, pensif.

-Il s'est sans doute dit qu'il était drôle de rentrer dans ton jeu, et de...

-"Pour ce monde" Oscar ! C'était une menace de mort à peine voilée. Je baisse les yeux et fixe mes chaussures. S'il s'attaque à ma famille parce que j'ai été imprudente, je ne me le pardonnerai jamais.

L'adolescent se relève, et attrape mes épaules.

-Il n'attaquera personne puisque je te le répète, ce n'est pas la montre, martèle-t-il. Je refuse de croire que celui qui terrorise tout le monde soit un grand père.

-Moi, ça ne m'étonne même pas...

Il s'allonge, de nouveaux, et je fais de même. Un silence tranquille s'installe entre nous deux, agréable. Nous avons simplement besoin de silence pour réfléchir.

-De toute manière, même si c'était lui, il pourrait se balader n'importe où sans que l'on ai quoi que ce soit à dire. Il est chez lui.

Je tourne la tête vers Oscar.

-C'est vrai, mais ça ne te frustre pas de ne pas savoir qui est ton ennemi ? On est là, et pourtant, on ne sait même pas pourquoi. Si je dois mourir, j'aimerais au moins savoir dans quel but.

-Bien sûr que si, ça me dérange, quelle question ! Je trouve juste ça "trop gros" que ce soit un grand père.

-Et pourquoi pas ? Après tout, la montre est ici depuis plus de trente ans. Ce serait normal qu'il ait vieilli.

Bouche bée, Oscar me fixe, les yeux ronds. Durant quelques secondes, il ne bouge absolument pas.  Puis, il s'alarme et me grille presque l'ouie en hurlant à côté de mon oreille:

-Oh putain ! Tu as raison ! Mais qu'est-ce que je suis con. Oh merde, merde, merde.

Il ferme les yeux quelques secondes avant de reprendre:

-Tu es vraiment plus perspicace que moi. Déjà avec les illusions, et maintenant. Non mais franchement, j'ai été aussi con que Cody ! Tu imagines ?

L'air dégouté de son visage me fait rire de bon coeur et il se joint rapidement à moi. Nos rires me font plus de bien que je ne l'aurais espéré, et je lui souris à pleine dents, heureuse de partager ce moment avec lui. Nous nous calmons finalement, et il propose:

-Est-ce que tu veux dormir ici ?

Ne pouvant cacher ma surprise, il semble lui aussi se rendre compte de ses paroles. Ses yeux s'écarquillent et il bredouille, semblable à un enfant prit en faute. Je ris légèrement, plus détendue que tout à l'heure grâce à
cette discussion, et le regarde galérer avec délectation. Son offre est plutôt surprenante, et pas déplaisante, aussi, je souris:

-Ok... Il sursaute, ne s'attendant visiblement pas à cette réponse. En réalité, je pense en avoir plus le besoin que l'envie. Bien sûr, j'apprécie Oscar, nous sommes plutôt semblables et nous entendons parfaitement, mais je ne ressens aucune attirance pour lui. Il n'est pas moche, mais dans la situation où nous sommes, flirter n'est certainement pas ma priorité. Je vais manger un bout à la cuisine, et ensuite je reviendrai ici, d'accord ?

Semblant incapable de parler, il se contente de hocher la tête. J'embrasse sa joue, puis quitte la pièce.

Ouvrant le frigo, je me sers le nécessaire afin de préparer un sandwich: fromage et jambon, puis vais chercher le pain de mie dans le placard. Alors que j'allais m'installer dans la cuisine, je me décide finalement pour le canapé du salon.

Je rentre dans la pièce, et fais soudain face à la montre. Surprise, je bégaille, prise au dépourvu.

-Qu'est ce que vous faites là ?

-Je viens toujours voir au moins une fois les gens que j'enlève. Mais ils ne comprennent jamais qui je suis réellement. Comment est ce que toi, tu as compris ? Questionne-t-il de but en blanc.

Je mâche, et avale ma gorgée, l'air faussement tranquille.

-Ca semblait faux. Je hausse les épaules. En réalité, je n'en étais pas sûre, mais ça m'a semblé si évident que je n'ai pu que croire mon intuition.

-C'est pour ça que je t'ai appelé à moi, et non, par exemple, ton frère. Un groupe n'est rien sans un bon leader. Tu n'en a peut être pas conscience, mais ton instinct est excellent, de même que les gens respectent ton intelligence. Cody est un antidépresseur, Sohan est extrêmement fort et Oscar un manipulateur né. Ils ont des personnalités totalement différentes, et pourtant, vous vous entendez bien. Je pense que c'est en grande partie grâce à toi.

-Pour Cody, rien n'est moins sûr, murmuré-je. Il est réellement insupportable.

Il m'ignore et je remarque soudain la tasse de café entre ses mains. Il en boit une gorgée, et m'invite à le rejoindre. Réticente, j'obéis néanmoins.

-Vous m'en voulez pour tout à l'heure ? Questionné-je d'une petite voix.

Il ricane et je crois percevoir une lueur de détresse dans son regard. Elle s'efface néanmoins bien vite et il s'exclame, d'une voix joyeuse:

-Oh, non ! C'est plutôt amusant de savoir que quelqu'un est assez intelligent pour avoir compris. J'avais quelque peu perdu foi en l'humanité ces dernières années.

Je hausse les épaules.

-Alors, maintenant que je suis ici, as-tu des questions à me poser ?

Et soudain, je comprends. Je comprends pourquoi il ne m'en veut pas. Ce n'est pas parce qu'il est tolérant, ou aimable, non... Loin de là. La réalité, c'est qu'il se sent seul, il peut sortir à visage découvert mais il ne connait réellement personne. Il n'est qu'une personne âgée, qui n'a aucune compagnie. Et qui en a cruellement besoin.

Aussi, parce que mes parents m'ont bien éduquée, je réfléchis quelques secondes.

-Pourquoi choisir de s'appeler comme ça ? Demandé-je au vieil homme.

Les yeux perçants, il me fixe, allongé sur le canapé, et soupire:

-La montre symbolise bien des choses: le temps qu'il nous reste à vivre sur cette terre et le temps qui passe et nous emmène inexorablement vers la vieillesse. Et puis, aussi ironique que cela puisse paraître, le temps qu'il restait aux quatre joueurs à vivre.

Sans pouvoir m'en empêcher, je ris nerveusement.

La montre n'est finalement qu'un homme comme les autres, il a peur de mourir et a choisi ce nom pour se rappeler que le temps ne cesse de défiler. C'est plutôt poétique.

-Je sais, j'ai un humour spécial, s'exclame-t-il, l'œil rieur.

-Comment vous appelez vous en réalité ?

Penaud, il marmonne:

-André.

J'acquiesce. Il pourrait parfaitement me mentir, mais j'ai conscience qu'il ne le ferait pas.

Il a trop besoin de compagnie pour prendre le risque que l'on s'éloigne de lui.

J'ai conscience jouer un double jeu, à faire ami-ami avec lui, alors qu'en réalité, je ne souhaite que rentrer chez moi. Mais le manipuler et le mettre dans ma poche n'est pas mon but premier. Mon but, c'est qu'il se sente mieux. Malgré l'horrible personne qu'il est.

En effet, par an, en tuant deux fois quatre adolescents, il supprime huit vies. Le calcul sur plus de trente ans n'est pas compliqué à faire pour voir qu'il a un nombre faramineux de morts sur la conscience.

-C'est quoi, votre projet?

L'ambiance presque bon enfant se ternit rapidement, et je comprends que j'ai gaffé. André se referme comme une huître, et quelques secondes plus tard, sans une autre réponse à ma question que de l'ignorance, exprime son souhait de partir. Je le salue, et après être restée quelques minutes à réfléchir tout en terminant mon sandwich, je remonte dans la chambre de mon ami.

-Tu as mis longtemps, chuchote Oscar alors que je m'allonge à ses côtés.

Gardant une certaines distance, je n'ose pas réellement l'approcher. J'ai déjà dormi avec d'autres personnes, mais jamais quelqu'un que je connaissais à peine. Des inquiétudes puériles me viennent en tête: et si jamais il ronfle ? Et si jamais JE ronfle ? Ou qu'il prend toute la couverture ?

Il s'approche et me saisit naturellement par la taille tandis que je frissonne, peu habituée à ce genre de contact, surtout par un garçon de mon âge. Je le saisis pourtant de la même façon qu'il ne l'a fait, et enfouis la tête contre son torse en fermant les yeux, faisant fi de mes inquiétudes.

Au pire, il me reprochera les ronflements, s'il y en a, plus tard, mais ce soir, j'ai besoin de compagnie.

-J'ai mangé plusieurs sandwich, et j'ai traîné un peu, marmonné-je.

S'il sait que je mens, il n'en fait aucune remarque, et me serre légèrement plus fort.

-À un moment, je me suis dis que tu avais changé d'avis et que tu n'allais pas revenir.

-Au contraire, rétorqué-je sans préambule. Je pense que j'avais réellement besoin de compagnie, dormir seule aurait été compliqué.

Il embrasse doucement mon front, et plutôt apaisée par ce contact, je finis par m'endormir, l'esprit étonnement serein à propos du vieillard.

_____
Coucou !

J'espère que vous allez bien ?

Je ne m'attarde pas ce soir, je suis crevée 😂
Byzzz

Écrit le: 20-25-29/05/2021
Publié le: 12/06/2021

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