Royce
Salut tout le monde ! Petit message pour vous prévenir que ce chapitre comporte des scènes de violence. Je préfère donc vous avertir dès le départ. Si vous ne le sentez pas, vous pouvez sauter cette partie (il s'agit d'une analepse donc ça n'entravera pas votre compréhension de l'histoire). Sur ce, bonne lecture !
9 ans plus tôt...
Je baise avec la mort.
C'est exactement ce que je suis en train de faire.
Je me la tape comme le plan cul du siècle. Elle peut plus se passer de moi, cette chienne. Faut dire qu'elle me fouette le sang comme aucune meuf peut le faire, de loin ma partenaire la plus bandante. Je la sens m'asphyxier au moment où les feux avants d'une Chevrolet me poignardent les rétines à distance. Ses doigts resserrent leur prise autour de ma gorge et je plane.
L'action qui suit est bouclée en deux secondes, mais c'est comme si elle en durait cent.
J'étrangle le réservoir de ma Ducati entre mes cuisses. Les vibrations de la moto se répercutent jusque dans mes os. En face, le vieux tacot avale les mètres à toute allure. J'anticipe la collision, je me la joue en pensée pour m'allumer un peu. Un choc du tonnerre, des crissements de pneus aigus, le bruit de la taule qui part en lambeaux, le métal qui plie, ce que j'imagine comme une douleur aveuglante, mais brève...
Cette salope de faucheuse m'agrippe comme une de ces meufs collantes qui comprennent pas la définition du "coup d'un soir". Il fait nuit noire et j'ai fait l'impasse sur le casque, du coup elle a reniflé le gibier. J'attends un peu pour la repousser.
À la toute dernière seconde, celle qui précède le carnage, je donne un coup de guidon pour me rabattre sur l'autre voie et la Chevy me contourne en sifflant. Un shot d'adrénaline me gicle dans les veines comme un antidote quand les jantes bombées de la caisse me frôlent le genou.
Putain, c'est le pied !
C'est la partie du circuit que je préfère : les quelques kilomètres à contresens. Je me suis tapé ce parcours tellement de fois que la prochaine, je me le fais les yeux bandés. J'y laisserais sûrement ma peau, mais ça pimentera un peu les choses.
Je reprends ma position au centre de la route, mes roues gonflées à bloc accrochent la bande blanche écaillée qui marque l'asphalte. Sur mon tableau de bord, l'aiguille panique entre le cent-cinquante et le cent-soixante kilomètre-heure. Ça fait un bail que j'ai dépassé la limite autorisée, la signalisation routière m'a jamais concerné.
À cette vitesse, l'air fait office d'obstacle. Le vent me hurle aux oreilles à m'en faire péter les tympans. Je le pénètre à coups de gaz en me couchant sur ma machine italienne. Ses courbes de carbone ont été dessinées pour une aérodynamique optimale, elle est gaulée comme une déesse du porno. J'ai bien fait de la chourer à son proprio.
Je parie qu'il avait aucune idée de ce qu'elle a dans le bide, il devait la faire vrombir une fois par mois pour exciter les poules. Le reste du temps, ce sac à merde la laissait moisir sur son trottoir. C'est comme ça qu'elle m'a tapé dans l'œil. Quand ça m'arrive, je me sers. De toute façon, ce type méritait clairement pas de poser les doigts dessus. Les motos, c'est comme les meufs, si tu sais pas les piloter, tu passes ton tour.
J'incline encore plus le buste. Le Colt 45 que j'ai coincé dans ma ceinture me rentre dans la cuisse.
Je monte à cent-quatre-vingt.
Devant, les feux de positions des bagnoles qui s'amènent en sens inverse me déglinguent la vue. Les lampes crachent leur lumière sur le bitume. Ça donne à la route un teint jaunâtre, maladif. Je m'interdis de cligner des yeux. Les grondements des moteurs et le risque m'électrisent, étouffent un peu ma démence. Les voitures s'écartent à la hâte de mon chemin comme si j'étais un putain de prophète. Ça me filerait presque la gaule.
Une Buick bas de gamme finit par me niquer mon délire en me klaxonnant à la tronche. En mode vénère. Je sais pas ce qu'ils ont branlé avec ses avertisseurs, mais elle a de la voix, l'emmerdeuse. Je me décale d'un pouce sur la gauche et lui fauche un rétro. Vas-y, ouvre ta gueule, maintenant.
La bifurcation est plus très loin. Je ralentis pas pour me la manger, c'est la dernière chose à faire. Je connais ce virage comme ma sale gueule, je le prends en cassant sèchement la trajectoire pour exploser mon chrono.
Je cale mon genou extérieur sur le réservoir pour maintenir ma prise et je me décale sur la selle en faisant basculer mon poids dans l'autre direction. Mon menton vient frôler mon poignet droit. Mes adducteurs se mettent à brûler quand je force dessus. Ma jambe est à un doigt de râper contre la chaussée.
C'est bon.
Je maintiens le déhanché encore une poignée de secondes. Je termine l'angle en donnant un petit coup de gaz dans le vide et redresse pour m'engager sur une nouvelle route. Dans le bon sens, le même que les véhicules. C'est la partie chiante du jeu.
En plus ça bouchonne. Casse les couilles. On a largement dépassé l'heure de pointe, pourtant. Je suis forcé de repasser en quatrième pour pas emboutir la Twingo qui vient de s'arrêter à l'orange. Ma dernière paye que c'est une meuf au volant. Y a qu'une porteuse de chatte pour freiner devant un feu orange.
Je perds encore de la vitesse et double cette petite conne en sentant l'irritation grimper. Je slalome du mieux que je peux entre les bagnoles coincées au point mort, mais j'ai déjà trop ralenti. Dans mon dos, des pétarades de moteur mal nourri me signalent l'approche d'un autre coureur.
Ok.
Je vais m'amuser un peu.
Au lieu de lâcher les chevaux direct pour distancier le gus, j'attends, je le laisse y croire. Mes doigts taquinent la poignée de gaz, mais je continue de traîner pour laisser l'autre me coller au cul sur son immondice à roulettes. Il accélère, j'accélère. Il essaye de me doubler, je lui barre la route. Je regarde même pas par-dessus mon épaule pour évaluer la "concurrence".
La vérité, c'est qu'y a pas de concurrence qui tienne.
Je vais gagner. Zéro suspens.
Je vais l'emporter et les autres vont perdre, comme d'hab. Ils peuvent avoir la toute dernière Kawasaki ou un permis moto vieux de vingt piges, ça les empêchera pas de se faire éclater. Ils ont trop peur pour empocher la victoire. Ils flippent de rayer leur carrosserie toute neuve, de se faire jeter dans le décor, de finir à l'hosto ou de crever et de plus jamais revoir leurs rejetons.
Ça les rend faible et facilement battable. Les faibles, moi, je leur roule dessus. Ceux qui ont été assez cons pour parier contre moi peuvent direct mettre leur bécane au clou parce que leur portefeuille va saigner comme un porc d'ici quinze minutes.
L'autre connard manque d'embrasser ma roue arrière. C'est bon, ça m'a saoulé.
Je me décale pour le laisser passer. Il porte un casque, ce bouffon. Quand il arrive à mon niveau, je crispe les mains sur le guidon et j'accueille le type d'un coup de pied qui le met hors course. Ma semelle rencontre salement sa cuisse. J'ai pas fait semblant. Sa bécane bascule et j'ai qu'un jouissif quart de seconde pour le regarder s'éclater contre la portière d'une Toyota.
Ça part en gueulades et concerts de klaxons, mais je suis déjà loin. Je repasse les vitesses à la volée. J'ai un shifter alors j'ai pas à me coltiner le temps mort de la prise d'embrayage.
Cent-quatre-vingt-dix kilomètres-heure et des poussières.
Je laisse les lumières du centre-ville derrière moi et la nuit me retombe sec dessus. Son ombre noire me bouffe dès que je rejoins la zone désaffectée qui boucle le circuit. Elle a un truc rassurant. La nuit fait bon vivre pour les créatures de mon espèce. Les mômes pioncent, les keufs font la bringue, se saoulent la gueule et la pénombre dissimule nos crimes comme une vieille pote.
Dernière ligne droite.
Deux-cent-dix kilomètres-heure.
Je suis propulsé dans une autre réalité. Un jeu vidéo grandeur nature. Les vieux bâtiments en miettes, les trottoirs défoncés, la mousse et les fougères qui tapent l'incruste partout dans ce paradis de la désolation... tout défile si vite que j'ai le temps de rien voir. C'est tant mieux parce que je connais assez le coin pour savoir que c'est à gerber.
C'est moche comme tout le Nord. Ici, c'est le summum de la mocheté. Les immeubles sont pourris jusque dans leurs fondations. Les gens sont dégueulasses, puants et mal fringués. Les mômes sont encore plus chieurs qu'ailleurs. Les chiens sont galleux et claudiquent comme des vieillards. Les putes sont... des putes.
Oublies pas ton âme, mec. Ça pour être moche, c'est moche.
Mhm. C'est sûr que si j'en ai encore une, elle aussi doit être crade et pas regardable. Le genre qui chlingue et qui dégouline, je visualise comiquement avant d'accélérer encore.
Deux-cent-trente kilomètre-heure.
Plus je fonce, plus l'air qui me fouette devient glacé. Il me congèle les poumons dès qu'il y pénètre. C'est comme de se baigner à poil en plein hiver. Je crois. Je me baigne pas à poil. Je me baigne pas. Je sais pas si y a un stade pire que la mort, mais à cette allure, si je me ramasse, le décès est un terme trop faible pour définir ce qui m'attend. Ce serait genre... la mort puissance mille, je délire avec un petit sourire que le vent cinglant me force à ravaler.
Deux-cent cinquante kilomètres-heure.
Y a plus que moi. Moi et la vitesse démente qui me refroidit les entrailles. Là, je me sens presque ok. Je suis presque en vie. J'oublie presque que j'ai rien pris depuis vingt-quatre heures, que je suis méchamment en manque et que, dès que je mettrai pied à terre, je redeviendrai ce cauchemar sur pattes qui me fait remonter la bile.
J'entends la "ligne d'arrivée" plusieurs minutes avant de la repérer. Plus j'avance, plus les sons de la teuf qui doit déjà avoir démarré deviennent violents. Une saleté de bruit de fond enragé qui va en enflant à mesure que je me rapproche de la fin : une musique du diable qui fait vibrer les molécules d'air à un kilomètre à la ronde, les cris hystéros de types défoncés, des explosions répétées de pétards ou de bouteilles en verre.
Ils sont chauds, on a pigé. Pas la peine de s'agiter, putain.
Je finis par apercevoir la cohue. Une foule de merdeux qui ont au moins eu l'intelligence de s'écarter de la "piste". Droit devant, une vielle usine de montage fermée depuis trois plombes se dresse comme un putain de défi. Des fissures et de quelques fenêtres condamnées, fusent un son électro et les flashs déchaînés d'une Rave Party bien entamée. La ligne d'arrivée est tracée quelques mètres avant la façade délavée du bâtiment.
C'est fait exprès. Ça oblige les coureurs à décélérer avant de fouler le damier imaginaire, sous peine d'aller s'encastrer dans le mur. Du coin de l'œil, brouillé par la vitesse, je capte vaguement les fumigènes sanglants que ces attardés agitent comme des banderoles. J'enregistre les étincelles démoniaques qui s'éjectent des barils auxquels ils ont foutu le feu.
Ça gueule, ça crache, ça boit, ça s'excite.
Ça s'excite à mort. Surtout quand ça voit que je ralentis pas. Je ralentis pas ? Je devrais déjà avoir rétrogradé, mais ça m'effleure à peine l'esprit. Docile, indifférente aux risques, ma bécane décharge toute sa puissance entre mes jambes. Elle est à deux doigts de chier des flammes.
La façade de l'usine grossit et se rapproche vite. Un peu trop. Une exaltation visqueuse me choppe aux tripes, très proche de ce qu'on peut attendre d'un comprimé d'Ecsta. Mon palpitant dérape, ma carotide se met à pomper plus fort, mais ma tête reste froide comme un congélo.
Plus qu'une centaine de mètres.
Dans ma périphérie, ça se met à hurler si fort que j'entends plus rien. Ma boîte crânienne est liquidée de toute pensée cohérente alors que la mort revient m'allumer. La mort, je l'imagine brune avec un corps de folie, des cuissardes et rien d'autre. Quel gars peut résister à ça ?
Pendant ce morceau d'instant qui dure à peine le temps d'un coup de fusil, je me concentre à fond, je me démène comme un dingue pour... j'en sais rien... sentir.
Sentir un truc. N'importe quoi. De la peur. De l'angoisse. Du stress. Je me souviens à peine à quoi ça ressemble.
Ça marche pas. Je sens rien. Que dalle.
À part cette euphorie un peu décalée que m'impose l'adrénaline, comme une langue de feu qui me troue le bide. J'ai du mal à croire qu'une connerie de mur puisse avoir raison de moi. Je demande à voir. Je traverserais probablement les briques pour me retrouver de l'autre côté avec deux, trois égratignures. Mais au tout dernier moment, celui qui piétine le point de non retour, je suis plus trop emballé par le défi.
Merde.
Mes oreilles grésillent comme une antenne radio des années soixante quand je braque le guidon en donnant un putain de coup de frein. Je déloge ma godasse du cale pied, sors la jambe pour redonner ce que je peux d'adhérence à la roue arrière et abaisser le centre de gravité. La semelle de ma rangers crisse contre le goudron. C'est déjà quasi trop tard. J'ai posé un système ABS, donc ma roue avant bloque pas, mais je dérape quand même dans une pluie de gravier, baisé par la vitesse. L'arrière-train de la Ducati vire de bord et s'écrase comme de la merde contre la façade de l'usine, ma jambe en sandwich entre les deux.
Sa mère !
Mon coude se mange aussi le mur. Je serre les molaires en sentant le crépi me déchirer la peau. Clairement déçue, cette salope en cuissardes s'éloigne en ondulant des hanches après m'avoir coulé un dernier regard meurtrier. Ma pompe à sang met plusieurs secondes avant de renoncer à me défoncer les côtes pour me donner un break. Le boucan revient me déchirer les tympans avec la brutalité d'une déflagration.
Je descends de mon italienne au milieu du chaos. Les badauds s'agitent comme des chimpanzés en cage, ils sifflent entre leurs doigts, cognent avec des pièces de monnaies contre un vieux store métallique pour faire grimper le niveau sonore déjà terrible.
J'ai à peine quitté la selle, mes deux godasses ont à peine rejoint la terre ferme, que mon fardeau revient appuyer sur mes épaules comme deux mains de plomb qui voudraient m'enfoncer dans le sol. Comme si je pouvais descendre plus bas.
Je me sens lourd, j'ai l'impression de peser trois tonnes. Je sais très bien ce que c'est. Je suis en plein crash. Mes poumons infirmes rament comme des cons et chaque inspiration se transforme en corvée. La fournaise me rattrape et je me demande s'il faut blâmer la canicule ou si c'est juste la chaleur que dégagent tous ces connards en gesticulant.
Les grondements de moteurs de plus en plus sourds des perdants qui se rapprochent me décident à bouger. J'agrippe ma partenaire de carbone par le guidon et la traîne hors de la "piste". Un coup d'œil à son flanc gauche m'arrache une faible grimace. Je l'ai pas loupée. Le cadre est complètement niqué. Putain.
J'ai le bras en sang et la rotule que j'ai écrasée contre le mur m'élance vachement. Je douille comme de la merde, mais rien dans ma démarche ou dans mon attitude ne peut le laisser deviner. De dehors, je suis en pierre. Je suis un tank. Un char d'assaut blindé indestructible prêt à piétiner tout ce qui se dresse sur sa route. Personne a besoin de savoir que je suis sur le bûcher, que je me disloque de l'intérieur comme une connerie en pâte à sel.
Je suis un cadavre ambulant. Un cadavre ambulant en feu.
Je hisse un regard trouble et à peine intéressé vers la foule déchaînée. Elle scande mon nom comme si j'étais une espèce de star de cinoche. Ça fait juste grimper ma tension artérielle. J'ai des envies de meurtre. Fermez-là, bordel ! Un inconnu me tend un poing fermé, comme si j'allais cogner le mien dessus, et l'envie de lui sauter à la gorge me tenaille une seconde. Son sourire d'enculé heureux est un appel à la violence, ses incisives ne demandent qu'à se faire exploser. Je serre mes doigts tremblants sur le guidon de ma moto et me détourne.
Putain !
J'ai envie... merde... J'ai besoin d'une ligne. J'en veux une tout de suite, bordel ! J'en veux si fort que ça me donne la nausée. Sauf que je suis complètement à sec. Je renifle et tire sur le col de mon T-shirt trempé que je coince deux secondes entre mes dents pour garder le tissu loin de mon corps en feu.
Je finis par lever la tête après un moment à mater le vide.
Manque de pot, au milieu de la masse humaine, je tombe pile sur la tronche que j'aurais préféré esquiver. Diego se tient figé au milieu de la foule en délire, raide comme un de poteau électrique. Putain, il est blanc comme un cul. Son teint d'hispano s'est fait la malle et il me fixe comme si je venais de me taper sa mère à la sauvette. Le choc ou je ne sais quoi d'autre rend ses yeux encore plus sombres que d'habitude et il a cette expression... celle qui dit qu'il va vite venir me casser les burnes.
Je me détourne en haussant une épaule et file dans la direction opposée. Après avoir cadenassé ma bécane défigurée, je trace jusqu'à la faille béante qui s'ouvre comme une gueule de fauve dans le mur de l'usine. Je m'engouffre dans le night-club improvisé qui, de l'extérieur, ne laisse qu'un très vague aperçu du délire.
La fête a transformé la fabrique désaffectée en une espèce d'organe palpitant. Je cille même pas devant la marée humaine bordélique qui pollue l'endroit, ni quand les tonalités électro éjectées par des baffles boostées m'explosent à la gueule comme une putain de bombe A. Le tempo saccadé et machinique est fait pour donner l'impression de suffoquer, la rythmique syncopée est censée faire mijoter le sang. Le mien se tient à carreau.
Un DJ complètement allumé chauffe le monde en gueulant dans son micro. Les lasers clignotent, déconnent avec l'obscurité, éclairent vite fait le bâtiment insalubre et les tags qui bavent sur ses murs, pour s'éteindre la nanoseconde d'après.
Ils ont choisi du carmin, pour la lumière.
J'imagine que c'est censé créer une ambiance érotique. Un truc charnel. Moi, tout ce que ça m'évoque, c'est un massacre à la tronçonneuse. Dès que les éclairs rouges fissurent l'air - à peu près toute les demi-secondes -, les corps sont noyés dans une mare d'hémoglobine. Ils remuent comme des torturés au supplice et je distingue plus qu'une masse de chair sanguinolente et gesticulante.
De la vermine.
Indiffèrent, je m'insère dans l'anarchie, déglinguant les épaules des gars trop confiants qui tardent à me céder le passage. Je longe la façade sans chercher à me mélanger à la populace. Mes doigts jouent distraitement avec mon briquet essence. Un sale tic que j'ai développé. D'un œil aiguisé, je scanne la clientèle potentielle qui s'étale à perte de vue comme un océan déchainé.
Les meufs sont à moitié à poil, ça les rend plus faciles à trier. Y a beaucoup de déchets. Les mecs ont viré leurs hauts pour exposer leurs tattoos ringards et leurs musculatures mal-développées. Couvrez-moi ça, putain. Les miens de tatouages deviendront aussi ringards à un moment, mais à ce moment-là, je serais sûrement déjà six pieds sous terre à servir de casse-croûte aux lombrics.
Ça jette les bras en l'air, ça sue et ça s'agite comme du bétail qui se dirige docilement vers l'abattoir. Ils font presque pitié. Y a rien de plus pathétique qu'un humain qui fait la bringue. Ça empeste la détresse, le désespoir d'exister, mais ça fait mon affaire.
Ils sont chauds. C'est bien. On va s'en mettre plein les poches. L'odeur imaginaire du dollar me tire un vague frisson d'anticipation. Je lève le poignet pour consulter ma montre. Les stocks vont plus tarder à arriver.
Et je pourrais taper dedans.
En attendant...
Je chope le poignet de la première meuf potable qui piétine mon espace vital. Une brunette en forme de sablier. La vingtaine, je dirais. Elle a rien de fou, mais sa bouche est sexy, ça peut faire le job. Je la connais pas. Elle, par contre, doit me remettre si je me fie à son regard mi flippé, mi emballé. J'ouvre ses doigts et colle sa main sur ma braguette pour mettre fin au suspens. Elle sourit très vite, comme si elle était flattée. Y a vraiment pas de quoi.
Elle reste figée à me regarder dans le blanc des yeux. Je lève un sourcil. Bon c'est oui ou c'est non ? J'ai pas toute la nuit. Elle hoche vivement le menton. Ok. Je l'entraîne à l'écart derrière la sono en vérifiant encore une fois ma montre. Ça le fait.
- Je vais pas te faire jouir, je préviens quand même en approchant ma bouche de son oreille sans la toucher.
Pas le temps, pas de capotes. Elle hausse les épaules.
- T'es pas une pute ? je vérifie.
Elle secoue la tête en me reluquant des cheveux aux bottes, l'air intimidée. Joues pas les timides, ça prend pas avec moi. Elle a perdu sa langue ? Tant mieux, je les préfère muettes. J'appuie sur ses épaules pour la mettre à genoux et colle le dos à un poteau décoloré.
Je ferme pas les yeux, même quand elle défait la boucle de ma ceinture et tire sur le zipper. Même quand elle me prend dans sa bouche et que les premiers pics de plaisirs me scient les reins, je continue de surveiller la foule comme un berger garde un œil sur ses bêtes.
Jusqu'à ce qu'un visage furax tape l'incruste dans mon champ de vision, à dix centimètres de ma tronche.
- C'était quoi, ce cirque, joder de mierda ? tonne Diego pour couvrir la cacophonie de scies sauteuses qu'ils appellent musique.
Il a repris des couleurs. Maintenant, il est rouge comme les néons. Entre mes jambes, la fille sursaute et s'écarte en vitesse. Mon orgasme se casse la gueule à mi-chemin. Putain.
- Tu veux quoi ? je cingle l'emmerdeur en claquant des doigts sous le nez de la meuf pour lui faire signe de terminer le taf.
Elle se remet à me pomper après une brève hésitation et je pose une main dans ses cheveux pour la dissuader de me laisser en plan. Diego lui prête aucune attention, trop occupé à me trucider du regard. Ça me ferait presque rire.
- Tu jouais à quoi ? il s'emporte.
- Je sais pas de quoi tu parles. Bouge, tu vois pas que je suis occupé ?
- Tu sais très bien de quoi je parle, coño de su madre ! T'as foutu quoi sur la ligne d'arrivée ? Hein ? C'est quoi ? Tu veux mourir, maintenant ? ¿ Eso es ?
Je plisse les yeux et réprime un sifflement de plaisir. J'ai du mal à me concentrer sur ce qu'il raconte avec la bouche de la meuf sur mon chibre.
- J'ai l'air mort, tu trouves ? je parviens quand même à répliquer, mon rictus de connard scotché aux lèvres.
- Va te faire foutre, il crache.
- J'essaye. Si tu pouvais fermer ta gueule deux minutes, tu m'empêches de venir.
Il croise les bras et serre les lèvres, en mode vénère. Il me fait comprendre qu'on en a pas terminé, mais consens à la boucler jusqu'à ce que je termine. J'ai à peine écarté la brune pour remonter ma fermeture éclair qu'il revient à la charge.
- Pourquoi t'as fait ça ? Por qué ?
Je l'écarte vivement de mon chemin sans poser les yeux sur lui, mais il me colle au cul.
- L'effet dramatique, je suggère en étirant froidement les coins de mes lèvres craquelées.
Je check encore ma montre. Les chiffres fluorescents trouent la pénombre ensanglantée de la Rave. Vingt-et-une heure et quelques. Ils devraient plus tarder.
- L'effet dramatique ? répète l'autre comme un abruti alors que je lui passe devant pour trouver la sortie.
C'est ce que je viens de dire, non ?
- Donc ce petit show, c'était prévu ? il insiste, sceptique, en lorgnant les ruisseaux de sang séché sur mon avant-bras. Tu comptais t'arrêter dès le départ ?
- Ouais.
Il soupire et tire sur les boucles de femmelette qu'il laisse pousser comme de la mauvaise herbe sur son front.
- Mec...
Je fais rouler mon épaule quand il pose sa patte dessus et lui décoche un regard mauvais. Garde tes mains dans tes poches. Dehors, la course est bouclée. Les bécanes sont éparpillées un peu partout. La foule s'est vaguement dispersée, ils ont ouvert les glacières et font circuler les canettes.
Diego scotché à mes basques, je contourne le bâtiment vibrant. L'arrière est quasi désert. Bien. C'est probablement là qu'ils vont stationner. Ils devraient déjà être ici. Ils branlent quoi ? Je serre et desserre les poings pour contrôler les tremblements qui me secouent les doigts. Si Diego les voit...
- Je te cause, putain, il râle.
Cause.
J'ai la peau qui brûle et une envie pressante de faire les cent pas comme un vieux con. Je me retiens. Au lieu de ça, je sors mon paquet de clopes et m'en colle deux entre les lèvres pour m'occuper. La flamme bleuâtre qui prend vie en haut de mon briquet me chauffe le visage quand je l'approche de ma bouche.
- Recommence plus jamais ça, je plaisante pas. ¡ Nunca ! T'entends ?
- Quoi, tu t'es inquiété ? C'est ça ? je me fous de sa gueule.
Je le vois serrer les dents. Je sais pas comment il fait pour me supporter. Moi-même, je peux plus me blairer.
- Va te faire mettre.
- Tu l'as déjà dit.
- T'es pas un Dieu ! il s'emporte brutalement. Tu peux crever ! Mets toi ça dans la cabeza une bonne fois pour toutes, mierda !
Je tire sur les deux cigarettes en même temps. Il bronche pas quand je me retourne pour lui cracher un bloc de fumée à la figure, ni quand je lui décoche un autre exemplaire de mon sourire d'enfoiré. Non, je suis pas un Dieu. Je suis pire.
Diego est forcé de laisser couler quand Michael débarque, suivi de près par notre dernier jouet en date. Le blondinet porte une casquette de baseball à l'envers et une chaînette en toc de très mauvais goût pend sur son débardeur souillé de traînées rouges. De la sauce tomate ou bolo, certainement pas du sang.
Boulet.
Il tient pas en place, on dirait un môme sous amphet. Il a un côté canin, je trouve. On reste quand même plus proche du bâtard infesté de puces qui pisse sur tes pneus que du Doberman. Ça fait deux mois qu'il nous suit à la trace. Depuis que j'ai causé la fermeture du bahut en faisant sauter la cantine, je crois.
Son prénom m'échappe toujours. Carter ? Gunter ? Faudrait qu'il investisse dans un collier avec son blaze marqué dessus. S'il pouvait prendre la laisse qui va avec, ça m'arrangerait. Le blanc se plante près de moi, les traits aussi fermés qu'une vierge. Il s'est fait la boule à zéro récemment, pour cacher sa gueule d'albinos. Mais il a déjà une armada de poils blêmes qui lui repoussent sur le caillou et il peut rien faire contre ses sourcils incolores. Je salue quand même l'initiative.
Il agite sous mon nez une liasse de billets de vingt serrés par un élastique en précisant :
- Ta prime. Pour la course.
Je range le cash, le laisse dépasser de ma poche arrière. L'idée que quelqu'un puisse tenter de me le rafler m'amuse. Je greffe l'arrière de mon crâne au mur crado de l'usine et continue de cloper. Michael s'en grille une et fait la même, tendu, mais aussi muet que toujours. C'est vraiment l'un des types les moins emmerdants que j'ai pu rencontrer. Ce qui est tout vu, c'est qu'il l'est déjà quinze fois moins que Diego.
Je balaye d'un œil narquois son T-shirt Alexander McQueen. La thune qu'il claque dans ses fringues me débecte. Je m'y fais pas. On a compris, c'est dur de passer du palace à la Street. Mais à un moment, faut tourner la page.
- Y a de la meuf à l'intérieur, si t'as envie de décompresser, je l'informe d'une voix neutre en forçant un rictus moqueur.
Je connais déjà sa réponse.
- Nan, c'est bon. J'ai déjà pris mon pied.
Il baise jamais en public, je l'ai jamais vu non plus se faire sucer, ni rien de ce genre. Il pourrait être puceau, pour ce que j'en sais. Ou alors, il est juste pudique. C'est chelou, mais ça m'emmerde pas. Il peut avoir un putain de balai dans le fiak, j'en ai rien à battre du moment qu'il continue de m'obéir et de faire son job.
- Au fait, mec ! C'que t'as fait tout à l'heure sur ta bécane... Putain, c'était dingue ! Un truc de ouf ! J'ai vraiment cru que t'allais t'éclater sur la façade !
Je glisse un coup d'œil réfrigérant au petit nouveau qui me gueule dans les oreilles. Je me souviens pas de l'avoir autorisé à m'adresser la parole. Il a l'air à deux doigts de me demander un autographe. Je suis sûr que si je l'exigeais, il s'agenouillerait et me taillerait une pipe. L'image me tire un frisson écœuré et je m'écarte après avoir échangé un coup d'œil entendu avec Michael. Il a pas l'air enchanté de se coltiner le moutard. Ça doit faire des heures qu'il se le traîne. Respect.
Tous les deux, on a parié sur le temps que ce petit con tiendrait avant de claquer. Michael lui donne encore deux mois supplémentaires. Moi, je mise sur trois semaines grand max. C'est déjà un miracle que cette demi-portion se soit pas encore fait descendre, vu notre business.
Il est presque aussi fluet que Michael, mais contrairement au dépigmenté, il a zéro vice et pas le moindre talent de manipulation. Il est du genre... sympa. Dans le coin, ça équivaut à une condamnation à mort. Ce gars est autant à sa place parmi nous qu'une kalash dans un berceau.
Ça fait un bail que j'aurais pu le réexpédier chez ses vieux, c'est ce que veut Diego. Je me le garde quand même sous le coude. Au pire, il pourra toujours servir de chair à canon.
- Franchement bro, je déconne pas, c'était trop badass ! J'aimerais trop pouvoir faire ça aussi !
Chair à canon.
Je l'ignore, continue de tirer sur mes clopes en fixant le vieux parking désert, et il enchaîne.
- Vous attendez quoi, les gars ? Une livraison ? Parce que si c'est ça, je peux vous aider ! J'ai carrément le sens du business !
Diego secoue la tête, Michael soupire, clairement las, et je cale mon regard sur la version Wish d'Eminem.
- Gunter, c'est ça ? je l'interpelle.
Il écarquille les yeux, comme à chaque fois que je lui adresse la parole.
- Hunter, mais tu peux aussi m'appeler Hunt, il me corrige pour la centième fois avec un énorme sourire de cartoon.
Ferme-moi ça, bordel.
J'ai envie de m'amuser un peu. Faut surtout que je m'occupe pour pas me remettre à trembler comme la merde de cocaïnomane que je suis.
- Tu veux nous aider ? je lâche en écrasant la pointe d'un de mes mégots pour étouffer les dernières braises et virer la cendre.
- Oui !
Pauvre con.
Je le fixe, impassible.
- Qu'est-ce qui me dit que t'es de taille ?
Il gonfle les poumons pour essayer de se donner du volume. C'est mal barré.
- Je le suis ! J'te jure !
- T'es prêt à faire quoi pour le prouver ?
- Tout ce que tu veux ! il s'écrie d'une voix de fausset en écartant les deux bras.
- Ok. Mange ça, j'ordonne en lui tendant le mégot que je viens d'éteindre.
Sous les sourcils arqués, les deux billes du blond s'arrondissent. Michael se fend discrètement la poire.
- Arrête tes conneries, putain, grogne Diego en essayant de repousser mon poignet. Eh, bouffe pas cette merde, chico.
- Mon offre expire dans dix secondes, je précise tranquillement en continuant de tirer sur la cigarette qu'il me reste.
- Tu joues à quoi, cabron ? Il va finir à l'hosto ! Arrête, bordel...
Le regard de Gunter fait des aller-retours craintifs entre le Colombien et moi. Une seconde avant que je jette le mégot par terre pour l'écraser sous ma botte, il me l'arrache des mains et le gobe avec une grimace déterminée. Putain, je suis mort. Diego jure, Michael continue de se marrer et moi je regarde le débile mâcher, les yeux plissés et les dents exposées par ses babines retroussées.
- Si tu le gerbes, ça compte pas, le prévient l'albinos.
Mais ce couillon dégueule pas. Il fait descendre cette merde dans un bruit de salive et je suis le parcours de la chique au niveau de sa gorge.
Ok. Je prolonge son espérance de vie d'un mois, tout compte fait. Il est teubé, mais il en a un peu dans le froc. Maintenant, ce trouduc me fixe avec des yeux de cocker. Il veut aider ? Il va aider. Je hoche sèchement le menton avant de passer à autre chose.
Il est la demi passée, putain. Ils foutent quoi ? Je perds mon calme. Je maltraite les mèches courtes à l'arrière de ma tête et piétine sur place. Je commence à avoir la nuque poisseuse. Je sens que je vais casser de l'homme, ce soir.
C'est comme s'ils avaient perçu la menace, parce qu'ils débarquent pile à ce moment dans un festival de vrombissements superflus. Ils se ramènent en grappe sur leurs vieilles bécanes décoratives de frimeurs qui doivent sûrement tomber en ruine tous les quatre matins.
Comme si le mercure débordait pas du thermomètre pour taper les quarante degrés, ils ont tous enfilé leurs blousons déchiquetés de rockers. Ça fait la paire avec leurs tatouages répugnants. De la vermine. Toujours de la vermine. Ces gars ont beau être à moi, des fois, j'ai envie de leur rouler dessus. En marche avant et marche arrière.
Par réflexe, je sors mon poing américain de ma poche et case les doigts dedans. Après, je me focalise sur la fourgonnette blindée qu'ils escortent en mode cortège. Je me décolle du mur et fonce vers mon salut. J'attends même pas que le véhicule soit garé pour tirer sur la portière et m'engouffrer dans le coffre. Il fait sombre. Pas assez pour m'empêcher de distinguer les caissons empilés. Je ramasse le pied de biche posé en évidence et fait sauter les couvercles à l'arrache.
Y en a pour tous les goûts. Héroïne, comprimés d'Ecsta, barrettes de shit pour les timides, cristaux de Speed, cachets de LSD...
Sachets de Crack.
- Le boss est en route, m'informe le chauffeur sans quitter son siège.
Je hoche vaguement la tête en raflant trois sachets de poudre. J'ai le cœur qui tape. Je suis bouillant.
- Oh ! Tu fous quoi ? m'agresse Nolan en faisant coulisser plus grand la portière, inondant l'arrière de la fourgonnette de rayons de lune cyniques.
Je fais comme si j'avais rien entendu, ça vaut mieux. Pour lui.
- D'où tu tapes dans le stock comme ça ? il force.
Je vais le niquer.
Ce mec fait partie de la liste très allongée des gens dont je fantasme la mort. Lui, je me vois l'aplatir sur un caniveau et le cogner sans m'arrêter jusqu'à ce que je sois en sueur et que sa face se résume plus qu'un tas d'os émiettés. Bousillés. Il pourrait même plus avaler sa propre salive. J'imagine les petits bruits de gorge qu'il ferait en agonisant et ça chatouille la chose endormie dans mes entrailles.
Il a posé les deux mains sur le toit du véhicule et me toise avec sévérité, comme un putain de prof. Et encore, un prof qui me materait de cette façon se mangerait sûrement un pied de chaise. Parce qu'il s'est fait éjecter de la chatte de sa mère quelques années avant que je naisse, il s'imagine qu'il a du pouvoir. Qu'il en a plus que moi. Qu'il en a sur moi.
Je le vire de mon chemin sans relever et bouscule son épaule de la mienne en sortant du coffre, mes sachets en poche.
- Je te cause, gamin !
Traversé par un élan de stupidité, il m'empoigne par la nuque. C'est comme si je m'étais pris un coup de jus. Du deux-cent-vingt Volt. Je réagis au quart de tour, tellement vite qu'une caméra capterait pas bien l'action. Je plie le bras et le détends en un temps record. Mon poing fermé s'abat sur son œil gauche comme un rocher. Le jouet métallique que j'ai enfilé lui scie l'arcade sourcilière. Très vite, il pisse le sang et éclabousse le bitume de son jus.
Je m'écarte avant qu'il me salisse et crache un gros mollard sur ses pompes.
- Reste à ta place, je siffle sans arriver à gommer ma grimace de fureur.
Je m'éloigne. Je fais pas gaffe au troupeau de Scorpions éparpillés qui attendent les instructions comme des mômes égarés. En rejoignant la Bentley teintée que Nolan a dû garer lui-même sur le parking, je sors un des sachets d'une main vibrante. Je l'ouvre avec les dents au moment où Diego, Michael et Gunter viennent se caler dans mon périmètre.
Ils la ferment et me laissent faire mon truc.
Je verse deux traits de neige sur le toit de la bagnole et arrange la ligne avec la lame wharncliffe de mon canif. Je dézingue la came d'un œil noir, un incendie dans le gosier. Je suis à elle, je lui appartiens tout entier. Ça me dégoute. Je me clame invincible, je rabâche que je dois rien à personne, sauf que je suis comme un putain d'esclave aux pieds de mon poison. Ça aussi, ça me file la nausée.
J'ai le palpitant au bord des lèvres en tirant sur ma liasse de billets pour en détacher une feuille. Je roule les vingt dollars pour improviser une paille et, en levant un peu la tête, je me ramasse sur le regard du Colombien.
Merde.
Maintenant, c'est mon cœur qui me baise. Il me défonce si fort que j'ai la sensation que mes côtes vont se craqueler comme des biscuits moisis. Hunter me dévisage d'un air fasciné, à croire que je m'apprête à faire un numéro de claquettes, et Michael reluque le gravier, l'œil vide et indifférent. Diego ferait bien de l'imiter au lieu de me balancer sa désapprobation et son dégoût silencieux à la tronche.
Comme si je me sentais pas déjà assez merdique. Comme si je me faisais pas assez horreur comme ça.
Il s'imagine quoi ? Que ça me plait ? C'est bon, j'ai ma dose, maintenant go danser la Gigue ? C'est ça ?
J'ai envie de l'étrangler pour effacer le jugement de sa tronche.
Non, j'en ai pas envie. Mais je veux quand même qu'il regarde ailleurs.
Mes doigts se remettent à flageoler sur le toit de la caisse. Mes dents s'emboîtent violemment, décidées à se fissurer.
- T'as un truc à dire ? je crache.
Il l'ouvre même pas. Il continue de me fixer avec son expression crispée qui me donne l'impression de dégringoler d'une falaise. Mais je dégringole pas. Je suis déjà en bas, disloqué. Et je remonterais jamais.
- Fous lui la paix, t'es pas sa vieille, soupire Michael en sortant une seconde de sa léthargie permanente.
Diego plisse le nez en le toisant avec froideur, mais il finit par se détourner. Je fais pas semblant d'hésiter. Ça brûle, je suis incapable de résister. Je suis juste trop faible. Autant en finir. Je me penche sur la Bentley, rentre le billet roulé dans ma narine gauche en bouchant la droite et siffle les deux lignes comme un verre de jus de pomme. La poudre me crame les muqueuses. Je laisse pas de rab.
Ensuite, je pose une fesse sur le capot et j'attends le high.
Ça prend même pas dix minutes. Je les compte dans ma tête, les minutes. À la neuvième, un souffle de vie me traverse, comme un coup de vent qui fait claquer les portes d'une vieille ruine à l'abandon. Je me sens moins mort. À la douzième, l'euphorie m'éclabousse, impropre, artificielle, mais libératrice et carrément trippante. À la quatorzième, le déchet de seize piges cède la place à un surhomme.
Je saute sur mes pieds à la quinzième minute.
Les sons me transpercent le crâne, mais ça m'emmerde même pas. J'entends tout. Et je vois tout en 4k... du 3840 x 2160 pixels ! La moindre brise m'érafle la peau. La chaleur ambiante pose plus de problèmes, comparée à moi, elle est fraîche. C'est moi qui fais grimper la température, là. Je suis chaud ! Je pourrais casser un mur avec mon crâne. Je pourrais soulever un camion deux tonnes à mains nues !
Je suis un enculé de Demi-Dieu.
J'arrive pas à croire que j'ai pensé, même une nanoseconde, à me priver de ça !
Jamais, putain !
Fouetté par une giclée d'énergie, je grimpe sur le capot luisant de la Bentley. Je siffle entre mes doigts pour rameuter les chiens. Les Bikers rappliquent dare-dare, comme si j'allais distribuer des croquettes. J'écarte ceux qui me collent d'un peu trop près en pressant ma semelle sur leurs torses gonflés.
Je balance les ordres d'une voix forte, toujours debout sur la caisse de luxe. Je prends un plaisir dingue à regarder ces insectes de haut.
- Vous avez jusqu'à quatre heures pour m'écouler ces stocks. Vous quittez pas la zone tant que les caisses sont pas vides, je jette avant d'ajouter devant leurs sale tronches de déterrés. Pourquoi vous êtes encore là, putain ?
Ça se disperse dans la seconde comme des cafards quand t'allumes la lumière. Je quitte mon perchoir d'un bond maîtrisé en regardant tous les Scorpions s'activer autour de la fourgonnette. Pas tous, je remarque. Y en a un qui traînasse. Les mains fourrées profond dans les poches de son futal, l'échine cassée et l'œil sournois, il me scrute par en dessous.
Petit bâtard.
Je scanne sa tignasse plus graisseuse qu'une barquette de wings, son bouc de minable et le tatouage encore très foncé qui noircit son cou. Je lui donne la petite vingtaine. Je l'ai jamais vu, ça doit être une nouvelle recrue. Ceux-là sont les plus marrants, ils savent pas encore à qui ils ont affaire. Je me fais un plaisir de les mater.
Je suis à deux doigts de me frotter les mains.
- Vous foutez quoi, les gars ? C'est qui ce gamin, bordel ? il se met à gueuler d'une voix mollassonne. D'où il croit qu'il peut nous causer comme as ?
Y en a un qui a abusé de la beuverie.
- Les mecs ? Il insiste. Qu'est-ce vous branlez ? J'vais pas m'agenouiller devant un môme ! C'est mort !
Son petit gang le snob sévère, la plupart des bikers s'écartent de lui en vitesse comme s'il avait la galle. C'est top, je commençais à m'emmerder. Michael ricane, Diego remonte ses manches après avoir capté mon signal et je m'approche du petit rigolo en m'étirant.
Il est un peu plus grand que moi, mais il a pas l'occasion de me regarder de haut. L'hispano s'est glissé derrière lui et le colle à genoux et près lui avoir balancé un coup dans la cuisse. Il y met tellement d'entrain que je suis surpris que le mec se soit pas éclaté les rotules.
Je m'approche en traînant et croise son regard haineux pendant que Diego le maîtrise.
- Comment tu t'appelles ? je demande calmement.
Il crache par terre, mais rate ma rangers d'un centimètre. J'agrippe sa tignasse huileuse et tire son crâne en arrière. Comme ça, s'il lui reprend l'envie de postillonner, ça lui nettoiera la figure.
- Crève, il grogne.
Mauvaise réponse.
C'est un foufou, celui-là. J'étire les lèvres.
- C'est pas très sympa, ça. Tu trouves ça sympa, toi ? je demande à Gunter qui assiste à la scène avec un regard émerveillé.
- Non, du tout, confirme le blond dans un sourire.
Même Michael ramène son pif pour tromper l'ennui. Clope en bouche, il s'incruste dans le spectacle, une poussière d'intérêt au fond de ses deux bourgeons vides. J'avance la main vers lui dans une intention évidente et il me laisse lui chourer son reste de cigarette.
- Tu veux toujours pas me dire ton blaze ?
Le scorpion néophyte secoue la tête.
Ça marche.
Je resserre ma prise sur ses tifs pour l'empêcher de bouger et lui colle le côté rougeoyant de la clope sous l'oreille. De la fumée s'échappe du point de jonction et le type se met à japper. Ses "copains" font la sourde oreille, ils se démènent avec les caisses en silence. On se croirait dans une fourmilière.
- Riley ! Riley ! J'm'appelle Riley, putain ! Pas la peine de t'énerver, mec !
Je lui présente mes dents dans un sourire. Pas le genre de sourire piège-à-meuf qui t'aide à pécho, celui-là, je l'ai jamais maîtrisé. Moi, quand je suis bien stone, j'ai l'autre type de sourire... le type "je pourrais te bouffer le foie si tu restes pas tranquille". Je pourrais pas, en vrai - la viande crue, c'est pas trop ma came - mais le "Riley" a pas besoin de le savoir.
- Mais là, je suis pas énervé, je le "rassure". Ouvre la bouche.
- Hein ?
Je le vois galérer à avaler sa salive et son regard flippé se pose une seconde sur ma braguette.
Nan, t'inquiètes vieux, j'ai pas besoin de toi pour ça.
- Ouvre ou je te casse les dents.
Il s'est à peine exécuté que je tire mon semi-automatique de mon jean et lui colle le canon sur la langue. Il essaie aussitôt de refermer sa gueule, mais ses dents raclent contre le métal du gun. Complètement allumé, le petit blond applaudit à tout rompre. À croire que je donne un spectacle de magie.
Je fais de mon mieux pour l'ignorer.
- Tu sais ce qui se passe si je tire, Riley ? je chuchote en accompagnant son petit nom d'une moue ironique. Tu veux que je te montre ?
Il secoue la tête très lentement. Ses yeux ont viré au rouge. Des vaisseaux sanguins ont pété dans ses globes oculaires et ça fait des toiles d'araignées sanglantes sur la partie blanche.
- Tu vas mieux te comporter, maintenant ?
Il baisse un peu le menton pour acquiescer, complètement tétanisé. Aucune résistance. Je préfère.
- Tu vois, quand tu veux.
Je retire mon flingue que j'essuie contre son T-shirt. Avant de le libérer, je lève sèchement un genou et lui démonte la mâchoire. C'est pour la forme. Il s'effondre comme une masse dès que je le lâche et reste là, prostré sur le goudron à se tenir la bouche.
- Putain ! C'était ma-lade ! Respect, mec ! scande Gunter en levant une main aplatie devant mon visage.
Il fout quoi, là ?
Je le contourne.
Nolan me barre la route, la paupière en compote et la moitié de la tronche repeinte en mauve.
- Je me tire, il annonce froidement. Le sachet de donuts est dans le coffre de la bagnole. T'es de corvée nettoyage alors tu te charges de décharger.
- Mets de la glace sur ton œil, je le raille.
- Enculé.
- Avec la gueule qu'il a, pas sûr que sa meuf veuille le baiser ce soir, se marre Diego en me décochant un sourire.
- Nique ta mère, répartit Nolan qui tourne déjà les talons, un doigt d'honneur hissé au-dessus de son épaule.
- La tienne est plus chaude ! ¡Puta madre!
- ¡Puta madre! répète joyeusement Gunter avec un accent à vomir.
- Toi, je l'appelle en pliant l'index pour l'inciter à approcher.
- Moi ?
- C'est le moment de voir ce que t'as dans le bide. Amène-toi.
Je lui tourne le dos et contourne la Bentley. C'est tout juste s'il me suit pas en sautillant. Je pose la main sur le coffre en scrutant le parking désert. Les motards sont partis infiltrer la Rave. On est seuls. Je glisse un coup d'œil au petit con.
Je pige pas ce qu'il cherche. Si on fait l'impasse sur son look douteux qui balance entre rappeur du Bronx ou bouffon du skate-park, il m'a l'air du genre à faire ses devoirs, manger ses légumes et pondre une connerie pour la fête des mères. C'est quoi le délire, il a vu un film de gangsters et il s'est dit "pourquoi pas" ?
Impec. S'il a envie de se vautrer dans le trash, si ça l'excite, je suis qui pour lui casser son délire ?
- J'ai besoin que tu décharges cette bagnole, je lâche. Tu peux faire ça ?
- Oui chef !
Il me fait un salut militaire. J'ai envie de lui en coller une.
- Mais... euh... y' a quoi, dedans ?
- Des donuts, je raille en ouvrant le coffre.
Michael et Diego se plantent derrière nous, sûrement curieux de capter la réaction du blond. Ça rate pas. Une seconde il sourit tellement large que les coins de sa bouche vont taper contre ses oreilles, celle d'après toutes ses couleurs décampent en même temps que son sourire. Ça rend toujours mieux que ses pommettes roses d'écolière.
Je le regarde prendre une brusque inspiration et je me demande s'il va pas se mettre à chialer. Il a pas intérêt, sinon ça va très vite dégager.
- Il... il est mort ? il chuchote.
- Non, il fait une sieste, je réponds en posant finalement les yeux sur le macchabée.
Ah ouais.
Ils l'ont pas loupé. Il serait pas vraiment en meilleur état s'il était passé dans une déchiqueteuse. Je sais pas ce qu'il avait fait celui-là, mais ça devait être moche. Heureusement qu'ils ont foutu une bâche dessous parce qu'il fuit de partout. Ça pue la mort.
À côté de moi, le blond commence à avoir la tremblote. Sans dec'.
Je me penche en avant et chope le seul bras encore en place de la dépouille. Je le lève en tirant sur le poignet et l'approche de Gunter. Le gosse me bigle avec de grands yeux. Je monte un sourcil et agite un peu le membre raide.
- Je crois qu'il essaye de te saluer. T'as envie de lui serrer la main ?
Plié en deux, Michael rit à se taper le cul par terre. Diego secoue la tête et le blond se mord la lèvre.
- Tu peux te tirer, je lui dis, mais tu reviens plus. C'est ce que tu veux ?
- Non, il fait d'un timbre de fillette.
- J'entends pas.
- Non !
- Alors serre-lui la pince, c'est le protocole, je mens en me mordant la joue, à deux doigts de me taper une barre.
Mais je garde mon sérieux, même quand Blondie attrape la main du cadavre et l'agite timidement. Quand c'est fait, je tire plus fort sur le bras jusqu'à ce que le corps roule hors du coffre et s'effondre sur ses baskets. Il lâche un couinement strident qui me lacère le tympan droit et je le détruis du regard.
- Tu t'en charges. Débarrasse-t-en et y a interêt à ce que personne le retrouve, sinon on te colle le meurtre sur le dos, je débite froidement devant son air terrorisé.
Je bluffe. Jamais de la vie je laisse cet abruti fini gérer une merde aussi importante, surtout maintenant que j'ai foutu mes empreintes sur les restes. Il serait fichu de me balancer ça dans un fossé en plein centre-ville comme le pire des novices.
Il reste tétanisé et je finis par l'écarter d'un geste brusque. Je l'attire à l'écart pendant que Michael et Diego ramassent mes conneries et recouchent le macchabé dans la berline.
- Je te le dirais qu'une fois, j'avertis le blond en le coinçant contre un poteau électrique, après tu gères, c'est plus mon problème.
Il tire nerveusement sur le dollar en plastoc qui pendouille au bout de son collier, mais il m'écoute.
- Rentre chez toi. Va bosser tes maths, tape-toi une collégienne et grille-toi un joint en scred si t'es d'humeur à faire un truc fou, mais remets plus les pieds ici. T'as compris ?
Il pince les lèvres comme une saleté de môme à deux doigts de faire un caprice.
Je rêve.
Il redresse le menton.
- Y a un truc que je peux faire pour que tu me prennes au sérieux ? il rouspète.
J'ai un rictus cynique et je le scanne de haut en bas en réprimant une grimace écœurée devant le baggy qu'il porte bas sur les hanches en mode sagger.
- T'as la carrure d'une meuf de treize piges. Donc non, y'a rien que tu puisses faire.
Je le plante là parce qu'il m'a assez pompé de temps et que la voiture que j'attendais plus ou moins vient de s'engouffrer sur le parking sans ralentir. Une Lincoln Town Car de quatrième génération. Trop canon pour son propriétaire. Si un pigeon se décidait à chier sur le pare brise teinté, ça ferait ma soirée. Peut-être même mon année.
Les pneus chouinent un peu quand le carrosse pile et la bagnole reste plantée là. Personne n'en sort, aucune portière ne s'ouvre. Il aime bien qu'on se déplace pour lui. Une minute, je songe vraiment à faire comme si je l'avais pas remarqué et me tailler, juste pour le fun. Pour le plaisir de l'imaginer enrager comme un con dans son auto.
Sauf que ce fou enrage pas, c'est une perte de temps. Quand on le contrarie, il se met pas en colère. Il tue. Simplement. Il fait tomber les pions qui l'emmerdent un par un, d'une pichenette. Du coup, je me bouge le cul.
Je coince les mains au fond de mes poches et me traîne tranquillement jusqu'à sa caisse. Je m'arrête du côté passager, colle une épaule à la carrosserie et attends qu'il baisse sa vitre opaque.
Il prend tout son temps pour la faire descendre et je pianote sèchement sur la toiture de sa bagnole en essayant de contenir mon agacement. Il appuie le bras sur la portière et je me contente de son profil pendant qu'il garde les yeux braqués devant lui.
Il hait qu'on le fasse attendre, les retards le foutent dans une rage sanglante, mais quand il s'agit de laisser les autres mijoter, c'est un pro. Je suis sûr qu'au fond, il est fier de ses petits effets dramatiques. Il se prend pour une sorte de messie. Le messie de la came.
Je le toise en silence, satisfait de pouvoir le regarder de haut puisqu'il est toujours assis. Sa tronche a un aspect squelettique, comme si on avait chopé un cadavre aux trois quarts décomposé pour lui recoller de la chair et des bouts d'âme.
Des tout petits bouts. Des lambeaux.
Il continue de m'ignorer. Je me mords la langue pour retenir une connerie qui me coûterait cher. L'emmerde, c'est que je dois tout à ce type. Je lui dois mes maigres restes de santé mentale, je lui dois cette position qui me permet de marcher sur tout le monde, un statut que je vénère plus que ma vie... et probablement que je la lui dois aussi, ma vie.
C'est pour ça qu'un jour, je le tuerai. Contrairement aux autres, ceux de la liste, mais aussi toutes les petites enflures qui chatouillent mes instincts les moins charitables, je le ferai sans plaisir. Je le ferai parce que je le dois, c'est tout. Je peux juste pas laisser quelqu'un qui a autant d'ascendant sur moi respirer.
Alors je le tuerai. Mais pas tout de suite.
Il est toujours en train d'épier son parebrise comme si j'étais un tronc d'arbre. Quand son cirque commence à me saouler, je cogne sèchement du plat de la main contre le toit de sa Lincoln. Un sourire tord ses lèvres trop pleines et il finit par pivoter sur son siège pour m'accorder son attention.
- Où est le service de distribution ? il demande d'une voix sucrée.
Genre sucré-dégueux. Le sucré l'est toujours, de toute façon. L'accent soviétique de ce type est pas le plus bizarre, quand il cause. C'est son ton qui cloche. Il est beaucoup trop poli pour un mec qui a plus d'hémoglobine sur les mains que dans les vaisseaux.
- À l'intérieur.
Il hoche le menton, appréciateur.
- Bien.
Son bras sort par la vitre ouverte et je grince des dents quand il pose la main sur ma tête. Ses doigts se referment sur mon crâne comme les serres d'un putain de rapace. Il resserre sa prise pour m'empêcher de me dégager et me forcer à le regarder.
Le moindre de mes muscles se bande à l'extrême et mes cellules se mettent à enfler et à brûler pour contrer l'intrusion. Mon corps se crispe à s'en disloquer, prêt à se rebeller, mais je resserre la laisse comme je peux. J'enfonce mes ongles dans mes paumes pour m'empêcher d'aller les lui planter dans la gorge. De percer la peau qui palpite à cet endroit... de lacérer, de déchirer...
T'es rien sans lui. Rien. Reste tranquille.
J'avale des litres de salive pour garder sous contrôle la chose qui vit dans mes tripes. Ces derniers temps, elle m'échappe de plus en plus facilement. Elle devient trop puissante et quand elle prend les rênes, j'existe plus. La Coke aide pas.
Les yeux incolores du Russe se ruent dans les miens. Je sais très bien ce qu'il cherche et ce qu'il trouve. Mes pupilles salement dilatées. Il scanne mon regard de toxico pendant un temps fou et je m'interdis de le détourner. J'ai rien à cacher.
Les coins de sa bouche se remettent à tressaillir.
- Je vois qu'on s'est servi, il raille sans s'offusquer avant de me relâcher.
Je m'écarte en vitesse et hausse une épaule.
Qu'est-ce tu vas faire, hein ?
- J'ai assisté à la course, il déclare comme si j'en avais quelque chose à battre.
- Quoi, t'es venu jusqu'ici pour m'encourager ? j'ironise.
- Sacré dérapage sur la ligne d'arrivée.
Son humeur m'échappe. Cette conversation m'emmerde.
- Et ?
- Ton côté casse-cou me plait, tu le sais et quand tu la mets à mon service, ta... témérité se révèle très utile.
Les compliments me coulent dessus comme de l'eau à peine tiède. Ça me fait que dalle. Y a deux ans, j'aurais pu me tailler les veines pour un regard de sa part, comme un clébard qui attend que le maître lui balance un os.
J'ai très vite capté son attention : les gosses déglingués comme moi, ça court pas les rues, même dans le Nord. Maintenant que je l'ai, elle m'ennuie plus qu'autre chose. Mais qu'il ose l'accorder à quelqu'un d'autre - Nolan, par exemple - et je fais sauter sa prochaine cargaison. Je le jure.
Il a marqué une pause. Des sillons de contrariété se creusent autour de sa bouche. Je me tais le temps qu'il crache le morceau.
Viens-en aux faits, putain.
- J'ai toujours pris le fait que tu n'aies peur de rien, que tu ne craignes que toi-même, pour un atout. Mais je ne veux pas d'un adolescent suicidaire. C'est clair ?
Je crois que mes narines frémissent. Je déteste quand il me parle sur ce ton. Je déteste qu'on me donne des ordres. Et je déteste qu'il m'appelle "adolescent". Il le sait très bien. Il le fait exprès pour me remettre à ma place, comme à chaque fois qu'il sent que je lui échappe. J'ai seize ans, et alors ? J'ai fait des trucs qui feraient gerber des gars de trente balais, qui leur fileraient des cauchemars ! J'ai plus rien à prouver !
Au lieu de passer pour un couillon en relevant ce détail supposément insignifiant, je jette entre mes dents :
- Si je voulais mourir, je serais mort.
- Alors qu'est-ce que tu veux ?
- Je veux ce que veulent tous les "adolescents", j'ironise en tirant de force sur le coin de mes lèvres.
- Mais encore ?
- M'éclater.
Il fait très lentement monter un sourcil, clairement sceptique, mais il essaye pas de me contredire :
- Du moment que ça reste au sens figuré, je n'y vois pas d'inconvénient.
Le sujet est laissé là. Sans épiloguer, Vadim plonge la main dans une de ses poches et me tend un morceau de papier arraché à la va-vite. Je ne cille pas. C'est sa façon de procéder. Je me retiens de soupirer en lui arrachant le débris de feuille. Un air blasé se plaque sur ma face pendant que je déchiffre l'écriture presque féminine du "boss".
Jason Medford.
Le nom me dit vaguement quelque chose. Je l'ai entendu où, déjà ? Je crois que le type a bossé quelques mois avec nous, mais je le remets plus trop. Y en a tellement qui vont et qui viennent. Mais quand ils "vont", c'est jamais très loin. Je les rattrape toujours.
Au début, je trouvais ça plus trippant. La traque, l'adrénaline, les shots de violence qu'on m'offre sur un plateau de cristal, comme un antidote passager à... mon problème.
Une espèce d'exutoire.
J'imagine que c'est comme tous les jobs, ce qui paraît très fun au départ se transforme progressivement en routine emmerdante.
- Il a fait quoi ? je cherche vaguement à savoir en froissant le billet pour le coincer sous mon bracelet de montre.
- Rien de très original. Il a vendu des informations à la concurrence, mais je veux savoir lesquelles. Maintenant, ce sont eux qui assurent sa protection.
Eux.
Il a insisté sur le mot, l'a expulsé avec une moue narquoise, comme s'il devinait très bien la réaction que je manquerais pas d'avoir. Dans le mille. Je me retrouve congelé dans un bloc de glace. Mes tendons s'étirent, à deux doigts de claquer. Entre mes côtes, c'est volcanique. Je crame, je bous si fort à l'intérieur, que ma peau me parait gelée comme la mort.
Des flashs sombres explosent sous mon crâne dans un bruit de déflagration, ça m'aveugle une seconde. Des images sanglantes, presque noires, de chair qu'on arrache, de membres taillés en pièces, et de flammes boulimiques se mettent à me clignoter sous les yeux. Entre mes deux oreilles, c'est un champ d'obus.
Très vite, l'excitation s'en mêle. Elle me ravage en même temps que le reste. Les pulsions me terrassaient, je suis plus que ça. Des pulsions.
Vadim sourit. Il sait comment me "déclencher". Je suis le jouet et il a la télécommande avec la touche "play". Je sais qu'il se prend pour un genre de Frankenstein, qu'il s'imagine qu'il a créé la créature. Il a tout faux. Elle était déjà là avant. Lui, il l'a juste engraissée.
- Tu veux que je fasse quoi ? lâche une voix qui ressemble même plus à la mienne.
- Williams vient d'ouvrir un hôtel en ville. Ils ont un dîner d'inauguration en ce moment-même. Tu vas leur rendre une petite visite.
À reculons, mes jambes m'éloignent lentement de la voiture, je peux rien faire d'autre que hocher la tête à répétition, la cervelle sur pause.
- Royce, il me rappelle une dernière fois alors que sa vitre se referme déjà. Sors masqué.
* * *
L'hôtel est à l'image de son propriétaire. Guindé. Arrogant. Carrément too much.
Comme l'armoire à glace que Williams a collée à l'entrée pour garder la forteresse. Posté sur le trottoir, à dix mètres, j'attends qu'on me neutralise le malabar. Forcément, je doute d'être sur la liste des invités. De loin, je regarde deux scorpions le flanquer par terre après l'avoir assommé d'un coup de batte. J'ai une petite douzaine de ces arachnides sous le coude. Ça peut toujours servir.
Un coup d'œil aux masques tête-de-mort qu'ils enfilent à chaque fois comme des putains de chiards un soir d'Halloween et j'ai envie de me tirer une balle. Bordel, mais qui m'a foutu des boulets pareil ? J'ai du mal à réprimer une grimace écœurée en tirant la cagoule noire qui pend de ma poche arrière pour enfiler le bout de tissu.
Je supporte pas de me trimballer avec cette merde, mais Vadim y tient. Comme c'est lui qui se charge de me sauver le cul quand j'atterris en garde-à-vue - environ un week-end sur deux -, je ferme ma gueule sur ce coup-là.
Surtout qu'avec du recul, j'ai jamais été inquiété pour aucun de mes crimes depuis que je taffe pour le soviétique. Et si clamser me pose pas plus de problème que de sécher les cours, je suis carrément moins tenté par un séjour en cabane...
Quand je m'incruste dans le bâtiment par la grande porte principale, je suis calme. Pour le moment, je suis en mode pilote automatique. Mon cœur décélère. Mes nerfs tapent leur meilleure sieste, comme anesthésiés. J'imagine qu'ils s'économisent. Je me sens encore plus vide qu'en temps normal. Une enveloppe inoccupée, une espèce d'assemblage de chair et d'ossements que viennent traverser quelques pensées décousues.
C'est juste passager. Cette torpeur... Je me connais assez pour savoir comment ça marche. Je m'endors progressivement parce qu'elle s'apprête à me rafler le contrôle. La... la chose.
Ma bête.
Planté dans le grand hall, je profite d'avoir encore les idées assez claires pour chercher le restau de l'hôtel.
Y a assez de monde pour que je me fasse pas cramer d'emblée, mais la réceptionniste va pas tarder à se rendre compte qu'y a un gars cagoulé qui slalome entre les clients. Je vois déjà des types en costume se retourner sur mon passage. En mode double take, les yeux exorbités.
Je vais pas tarder à être repéré. Dès que ça sera le cas, quelqu'un va se dépêcher d'appeler les keufs et si je suis encore là à ce moment, ça tournera en pugilat. Ça me laisse une trentaine de minutes pour faire un carnage.
On pose les questions d'abord, on tire après. T'entends ?
Mhm.
L'endroit pue le fric à plein nez. Une infection, ça me file des boutons. Partout où je pose les yeux, le dollar scintille pour te faire courber l'échine. Je regretterais presque d'avoir percé des trous dans la cagoule. Je préfère encore marcher à tâtons que de voir cette merde. Le sol est un putain de miroir qui me renvoie à la gueule ma silhouette sombre. C'est doré de partout. Trop grand. Trop haut. Trop propre. Ça me donne envie de tout saccager.
Je plaque les paumes sur la double porte qui termine un couloir et envoie les battants défoncer le mur. Direct, les discussions et bruits de couverts m'engloutissent et me digèrent. Bingo. C'est blanc. Décoloré du sol au plafond, en passant par les nappes, les sièges rembourrés pour cette horde de culs pincés et les lustres à mille balles.
Je suis le seul point noir au milieu de ce délire. Je fais tache comme un rat dans un gâteau de mariage. Scannant les tables en vitesse, je mets pas deux secondes à les localiser. En plein milieu de la salle... tellement prévisibles.
Mes poils de bras se mettent en garde-à-vous. Un liquide froid me dégouline le long de la nuque, franchit la barrière de mes pores pour me refroidir l'intérieur. Je crépite. Une putain d'ampoule glauque et défraichie. Avant que la salope de bourge en robe rouge qui vient de me remarquer vire hystéro et nique mon entrée, je tire mon gun de ma ceinture, vise et presse la détente deux fois.
Les bouteilles de champagne que j'ai ciblées éclatent en même temps que les coups de feu et les hurlements. Le mousseux gicle et bave sur le sol. Les chaises raclent, basculent. Des verres se cassent la gueule. Les gens hurlent. Ils se rentrent les uns dans les autres comme des auto-tamponneuses et cherchent la sortie à l'aveuglette.
Ils remarquent même pas que j'ai rangé le flingue. À s'agiter comme ça, malaxés par la terreur, ils sont à peine humains. C'est comme si les deux balles que j'ai déchargées leur avaient fait sauter les neurones. Y a pas plus rapide pour faire le vide. J'aurais aussi pu déclencher l'alarme incendie, mais c'est moins marrant.
Là, c'est moi. Ce chaos, c'est le mien. C'est la manifestation vivante et réelle de ma colère. Je sirote son énergie sans bouger. Figé au milieu d'un bordel flou de cris, de portes qui claquent et de talons aiguilles qui grincent, je garde mon attention braquée sur eux.
Ils bougent pas non plus. Ils restent tranquillement cloués à leurs chaises, je suis même pas sûr qu'ils aient stoppé leur discussion. Leur petit cinéma me fout en rogne. J'ai mal aux doigts tellement je serre les poings.
Mon regard roule au sol et cherche les débris des deux bouteilles que j'ai fait sauter. Y en a une qui est plus qu'un tas de verre, mais la base de l'autre est restée intacte si on omet la couronne tranchante. L'œil rivé dessus, j'alimente mon délire.
Je me vois ramasser le tesson, courir le lui enfoncer dans la gorge - profond, plus profond - pour ensuite mater les brisures lui déchiqueter les tissus et guetter le moment où sa chienne de vie sera arrachée de ses pupilles de monstre.
Je tords le cou et tire sur mon col pour rester à la surface au moment où l'onde de violence me terrasse.
Garde la tête froide, mec.
Ouais.
Ça veut jouer les indifférents ?
Ça marche.
Les invités ont fini de déguerpir et la sécu est en train de rappliquer. Je lève pas le petit doigt. Mes yeux restent braqués sur ma cible comme deux semi-automatiques, même quand les Scorpions infiltrent la salle en bande pour mettre les gardes hors jeu.
Je prête pas attention aux bruits de castagne qui prolifèrent dans mon dos, ni à la chorégraphie qui va avec. Les effets du high se sont dissipés et je me retrouve seul avec ma chose. Je me bats contre elle pour la garder encore un peu en cage. De toute façon, elle va gagner. Elle gagne à chaque fois.
Mes pieds me portent lentement jusqu'au centre du restaurant, là où leur table est encore intacte, écrasée par une colline de bouffe. La pièce est immense. C'est débile, j'ai l'impression de marcher trois bornes avant d'atteindre mon but.
En chemin, j'arrache ma cagoule et la fout par terre. Ma rangers la piétine. Je me fous de ce que Vadim peut dire, je me cacherais pas derrière ce bout de tissu comme la dernière des lavettes. Pas avec eux. Pas avec lui.
Je tourne autour de leur table pendant qu'ils continuent de nous ignorer, moi et la mélodie de baston qui résonne dans leurs dos. Ce soir, ils sont six.
Bruce Parker a regagné le continent y a deux ans en embarquant sa meuf et ses mômes. Je comprends, quand un type louche tape régulièrement l'incruste chez toi pour foutre le feu à tes bagnoles et faire exploser ton garage, tu fais mieux de boucler tes valises. Ou alors c'est le sang de porc avec lequel j'ai repeint sa piaule qui lui a foutu les jetons. Je saurais jamais.
Ça fait quelques mois que Warren Marshall s'est évaporé. Il a pas du kiffer de voir sa fille chérie se faire enfiler comme une traînée à vingt dollars. C'est drôle parce que cette petite garce a bien profité de l'expérience, elle.
Ça fait deux noms rayés sur la liste.
Plus que sept.
Je sais pas où est passé Aaron, il fait profil bas, ces derniers temps.
Restent Bobby Sharpe, Nicolaï Kotova, Chris Williams, Joe Tadlock, Leroy Bates... et Isaiah.
Il continue de taper la causette avec ses dogues, d'alimenter la conversation comme si de rien était.
- ... non, j'ai un homme sur place qui me tient informé des avancées. Tant que le procureur n'aura pas rendu sa décision, il est intouchable. Nick, des nouvelles de Franck ?
Sa voix me fait l'effet d'une secte de bestioles qui se balade sur mon épiderme. Mon palpitant fait une embardée. La réponse de "Nick" se perd dans le violent bourdonnement qui fait vrombir mes tympans.
Je regarde leurs bouches s'agiter sans interrompre mes cercles. J'ai jeté un froid sur leur table. Les autres essayent d'imiter leur "chef", mais ils sont plutôt merdiques à ce jeu.
Le gros Bobby multiplie les coups d'œil anxieux en direction des gars de la sécu qui se font démolir par mes hommes. Tadlock fixe son assiette comme s'il rêvait de prendre la place du poulet mort qui gît dans la sauce et le sourcil gauche de Bates convulse dans un tique flippé. Il s'est toujours pas remis du jour où j'ai cloué sa main à une table avec un poignard.
Pour être honnête, c'était même pas mon intention. Il m'avait bien gonflé et je comptais le piquer avec le bout de la lame. J'avais juste pas anticipé qu'une paume puisse être aussi facile à forer.
Quand ce spectacle de fausse nonchalance commence à me casser les couilles, je fais une halte derrière Nicolaï.
Un jour, cet enculé m'a traîné dans une boucherie. Il a trouvé ça fun de me suspendre par les pieds à un crochet au milieu des gigots. Dans cette position, au bout de quelques heures, le sang te gicle dans la tronche, les veines temporales gonflent à en exploser, les poumons s'affaissent et te font crever d'asphyxie à petit feu.
L'éclate.
J'avais prévu de buter son frangin en représailles, mais... ça c'est goupillé autrement. J'ai changé mon fusil d'épaule, je dirais. Je pose une main sur le dossier de sa chaise pendant que l'autre fouille dans ma poche. Du coin de l'œil, je capte Isaiah qui lui fait signe de garder son calme.
Voilà, garde bien ton calme, Nicky.
Le russe inspire et fait de son mieux pour m'ignorer. Quand j'active mon briquet à deux centimètres de son cou, une larme de sueur dégringole sur sa tempe. Il se tient tranquille. Pourtant il doit bien sentir la chaleur de la flamme lui lécher la peau. J'agite un peu mon jouet qui gribouille des lueurs incandescentes sur sa nuque. Toujours rien.
Ok.
Il se raidit quand j'empoigne le col de sa chemise, son corps se crispe en protestation. Sauf que le maître a dit "Assis. Pas bouger", alors il bouge pas. Je fous le feu au vêtement. Je me demande combien peut coûter une pièce de ce genre. Sûrement plusieurs centaines de dollars.
- Pizdets !
Il saute sur ses pieds. Bobby se lève pour asperger d'eau ses fringues fumantes. Bates écarte sa chaise en lorgnant la sortie avec envie, prêt à détaler la queue entre les jambes. Tadlock agrippe son couteau à beurre comme s'il s'imaginait que cette connerie le protégerait contre moi - au pire, ça me chatouillerait.
C'est le gros bordel.
Les seuls encore installés sont Williams, qui fixe son verre, l'air peu concerné par la situation, et lui. Lui, un peu avachi contre son dossier, un bras passé sur celui de la chaise voisine abandonnée, ses lèvres fendues d'une moue moqueuse que je voudrais lui faire ravaler à coups de pioche.
Son regard froid me descend tranquillement, me rappelle que je suis rien - encore moins que rien - et la chose se met à palpiter à l'intérieur de mon corps en surchauffe. Avant que ce soit trop tard, avant que les débris de conscience qui me restent se fassent complètement la malle, je lance :
- Jason Medford. Filez-moi sa planque et je me casse en laissant cet hôtel debout.
Après tout, c'est pour ça que je suis là.
Williams dit rien, il continue de contempler la table. C'est louche, l'hôtel est quand même à lui. Il a même pas l'air là. Les étés le ramollissent. C'est un truc que j'ai remarqué. Dès que le mois de juin montre son pif, le blond se dégonfle. Le temps de cette saison, les grilles de sa propriété se ferment et, en général, il disparaît simplement du réseau pendant des semaines pour se ramener en force début Septembre.
J'ai jamais forcé ses serrures, contrairement à celles des autres. Même si Diego me l'avait pas interdit et que son père était pas le larbin des Williams, j'aurais pas pu. Y a pas moyen, c'est blindé. En apparence, le domaine fait propre et bien rangé avec un pack "piscine de trois kilomètres, poney-club intégré et cocotiers".
Mais de ce que je sais, chacun des employés masculins qui triment dans cette baraque, du jardinier au maréchal ferrant, est entraîné à mort au combat. Des bêtes déguisées, en gros. Ça la foutrait mal de sauter ses clôtures pour me retrouver braqué en moins de deux par un maçon en salopette ou un garçon d'écurie.
Je reviens aux autres, j'attends que l'un de ces chiens ait l'intelligence de cracher le morceau avant que ça dégénère.
Niet.
Impec. Ça me va aussi comme ça. Je glisse deux doigts dans ma bouche et siffle.
J'ai pas besoin de tourner la tête pour regarder le Scorpion qui s'amène. Je tends simplement la patte pour lui arracher le bidon d'essence. Je calcule pas non plus le petit groupe en inondant leur table du liquide hautement inflammable.
J'en fous partout, je joue pas les radins. Je noie les plats de bouffe, sauce la salade, remplis les verres, asperge les genoux de ceux qui sont encore assis. L'odeur chimique du carburant intoxique l'air et me crame les sens. C'est le fumet de la victoire. J'en boirais presque un shot.
Vas-y, cul sec.
Quand je lève mon briquet et dégaine la flamme, ils ont l'air à deux doigts de se pisser dessus. Pour une fois, l'argent peut plus rien pour eux. L'argent peut rien contre un fou. Agiter leurs millions maintenant leur serait d'aucun secours, comme de dresser un mur en kleenex pour ralentir un rhinocéros à la charge.
Du coup, ils paniquent.
Bates est le premier à protester.
- Putain, Is' ! Mais arrête-le !
Ouais "Is", arrête-moi.
- Fais quelque chose ! Tu vois pas qu'il va nous faire sauter ? gueule le gros Bobby.
Son crâne d'œuf est luisant. Il a raison de baliser. La graisse, c'est méga inflammable. Il fondrait comme du plastoc. À la fin, il serait plus qu'une flaque huileuse et puante.
- Moi, je m'en vais, j'en ai assez vu, marmonne Tadlock en faisant grincer sa chaise.
- Assis ! se réveille le pacha.
Ceux qui espéraient se tailler reposent leurs culs aussi sec en poussant des soupirs lamentables.
- Blyat' ! T'aurais dû lui coller du plomb dans la cervelle avant la puberté, commente Nicolaï en réajustant les lambeaux noircis de sa chemise. La mauvaise herbe, faut l'arracher sans tarder, sinon ça fait des lianes et ça te pourrit la vie.
- Il est jamais trop tard pour bien faire, remarque Bobby, méprisant.
- Ouais, descend-le, Is'. T'as bien vu ce qui s'est passé avec Bruce. T'attends quoi, qu'il égorge nos enfants dans leur sommeil ? C'est pas comme si on pouvait encore s'amuser avec, maintenant.
- T'as plus aucun contrôle sur ce gosse. Je sais pas pourquoi tu l'as laissé vivre aussi longtemps, mais c'est un chien enragé. Les chiens enragés, on les abat, théorise Bates en tripotant sa cravate de lopette.
- Allez, c'est pas comme si quelqu'un allait le réclamer, plaide Tadlock. Qui s'en rendrait compte ?
Ils sont tous là, à délibérer sur mon sort comme si j'étais pas dans la pièce, comme si j'avais encore sept piges. Ils se rendent pas compte qu'ils sont en train de la réveiller. C'est trop tard, elle est debout. Elle secoue ses barreaux, elle me ravage. Elle est prête à tout pour m'effacer.
Au moment où le Russe en remet une couche, je suis déjà à moitié battu.
- Il t'appartient même plus, il est à mon frère, maintenant. Tu ne peux plus rien faire de lui.
- Tu te trompes, il tranche brutalement, sur un timbre gelé qui laisse entrevoir sa fureur. Ton frère peut jouer avec et l'affuter autant qu'il veut, il sera toujours à moi.
La fin de sa phrase est bouffée par la chose qui défonce sa cage, au fond de mes entrailles. Un bâton de dynamite vient de péter dans mon thorax, bousillant mes viscères. Une pellicule rouge s'abat sur ma vue comme un couperet. Tout devient sombre et sanguinolent. Mon champ de vision est plus qu'une immense plaie infectée avec une groupe de parasites qui s'agitent au milieu.
Ma carcasse à moitié aveuglée tangue. Les fusibles ont sauté. Je sais plus qui je suis, d'où je viens ni pourquoi je déguste autant. Je suis plus personne. Je suis plus que ma rage, qui sprinte comme une folle dans mon sang et fait sauter le courant.
C'est pas normal. Je le sais. Les gens normaux s'énervent, ils se font pas massacrer par leur colère. La mienne est tellement violente, tellement palpable, que je pourrais la tenir dans le creux de mon poing et l'essorer. J'ai un problème. Je suis malade. C'est pas normal.
Mais même dans le brouillard de ma maladie, je me souviens toujours de lui. Je sais toujours qui il est et, par-dessus le tonnerre qui se déchaîne dans mon crâne, je perçois toujours sa voix. Elle s'implante dans mes veines comme un venin mortel. Elle me déchiquète.
- Au fond, tu es exactement comme ta mère. Une pute. Billie doit être fière de toi. C'est bien ce que t'es, non ? Tu es la pute de Vadim Kotova.
Le feu a pris, l'incendie se répand. J'ai l'impression que mon crâne va éclater, je suis obligé de tenir ma tête à deux mains pour l'empêcher de se rompre. Je me cogne contre un truc et un de mes genoux va méchamment taper le sol.
Il s'arrête pas. Il a allumé la mèche, mais c'est loin de lui suffire. À travers le film ensanglanté qui déforme mon regard, je le vois. Je vois surtout ses yeux de monstre. Je pourrais les lui crever tellement je les hais. Je pourrais les lui arracher des orbites avec mes ongles... Si je les sors en bon état, je me ferai un ping-pong avec.
Ses bras sont croisés sur sa chemise noire, ses doigts se referment autour d'une bouteille de vin intacte, remplissent une coupe vide et la portent à ses lèvres. Ses lèvres qui singent un sourire avant de se remettre à onduler pour me crucifier.
- Qu'est-ce qu'il te demande de faire à part son sale boulot et jouer les pigeons voyageurs ? Hein ? Raconte-nous, est-ce que tu fais d'autres choses pour lui, quand vous êtes en privé ? À quel point est-ce que tu ressembles à ta mère ?
Mes poumons déglingués me lâchent. Je recule en m'étouffant de rage. Un sifflement féroce et atrocement éraillé fuite entre mes lèvres. Ça sort comme une vieille toux de cabossé. Juste après, un boucan épouvantable lacère le silence. Un bruit réel, pas une machination de mon cerveau atteint. Des objets qui se fracassent. Du bois, du marbre, du verre...
Ça me prend une éternité pour comprendre que c'est moi qui suis en train de renverser les tables dans une cascade de couverts et d'assiettes. Je poursuis ma razzia sans reprendre mon souffle. Là, tout de suite, je suis bon qu'à ça. Je ravage. Je balance tout par terre. Je démolis des chaises sur ce putain de sol ultra-lisse en essayant de pas y voir mon reflet.
Et à chaque battement de cil, un carnage fictif s'imprime au fer rouge derrière mes paupières. Dans ma tête, c'est plus cette salle de réception merdique que je détruis, c'est eux. C'est lui.
Je les taille en pièces.
Je le taille en pièces.
Du sang. Des cris. Des morts.
Du sang. Des cris. Des morts.
Du sang. Des cris. Des morts.
Du sang. Des cris. Des morts.
Quelqu'un m'empoigne par l'épaule. Je sais pas qui. Je le taillade. Avec un canif. Ou avec un éclat de verre. Ouais, probablement un éclat de verre parce que ça me déchire aussi la paume. La douleur se noie dans mes pulsions. J'enfouis plus loin dans la chair le débris tranchant.
Il a percé un T-shirt. Un T-shirt, pas une chemise à cinq-cents balles. Le mec va se manger le sol. Il s'effondre comme une masse, face contre terre sur la vaisselle déglinguée. Entre ses deux omoplates, y a marqué "sécurité".
Sé-cu-ri-té.
L'incendie s'éteint en crachotant. Le disjoncteur remonte. Les lumières se rallument.
Je recule et m'essuie la bouche d'un revers de poignet.
J'ai posé une botte sur un reste de cake glacé. Une merde au chocolat. Je déteste le chocolat. Rien que l'odeur me fout le bide à l'envers. Ça va être chiant à nettoyer. J'ai envie d'une ligne. Ou de deux. Je suis crevé, putain.
Y a une minuscule seconde de silence pendant laquelle je les entends armer leurs flingues, dans mon dos.
Clic. Clic. Clic.
Les hommes kiffent ce son par ici, ça leur colle la trique. J'en sais rien, ils se sentent puissants. Ils se prennent pour des cow-boys du Far West. Avec ces clic-clic, ils oublient qu'ils sont vieux, dégarnis et même plus capable de faire jouir leurs femmes aux pieux.
J'écarte mon T-shirt que ma sueur a scotché à mon torse et coince le col déformé entre mes dents. Au moment où je me retourne, quelqu'un taquine la détente... la presse. Le coup de feu part et un courant d'air gelé me souffle dans l'oreille. La balle me frôle le lobe, je suppose. Ça brûle un peu et un jus bouillant me ruisselle dans le cou.
Ils sont trois à me viser. Nicolaï, Bobby et Tadlock. Je me demande lequel a eu les couilles d'aller au bout. En fait, je m'en fous un peu, mais je me demande.
Isaiah est blanc.
- Est-ce que j'ai donné l'ordre de tirer, putain ? il rugit au milieu de sa clique, le timbre frémissant de fureur. Baissez moi ça immédiatement avant que je décide de vous plomber la cervelle !
Je comprends. Il a perdu le contrôle une minute et ça le fout en rogne. Si la situation était inversée, si un autre que moi s'apprêtait à le dézinguer à ma place, ça me foutrait aussi les boules. Les miettes de verre et de porcelaine chouinent sous mes semelles quand je me décale.
Je sais pas où je compte bouger. De toute façon, j'ai le temps d'aller nulle part, sa voix crisse à nouveau :
- Maîtrisez-le.
J'ai à peine tenté un pas qu'un bras de gorille me ceint la gorge. Avec un paquet de veines en vers de terre. Un gars de la sécu, je devine. Voilà ce que ça coûte de s'en remettre à des bikers de merde qui passent plus de temps à chevaucher leurs bécanes de tafioles et se coiffer qu'à se battre.
Par réflexe, je balance la tête en arrière. Violemment. Mon crâne rencontre un truc moyennement rigide. Un nez, je dirais. Un os craque. Je connais ce bruit comme un morceau de rap que t'écoutes en boucle. Je crois. J'écoute pas de rap. Mais le cartilage qui cède, ça, ça donne la pêche.
Le membre qui m'étrangle se ramollit comme une bite de sexagénaire. Je le vire en vitesse au moment où un deuxième type se jette sur moi. Je ramasse la bouteille miraculeusement intacte qui vient de rouler contre ma botte et la pulvérise sur la tête de ce fumier. Il tombe comme une mouche, mais d'autres mains m'empoignent.
Putain, ils s'amènent en meute !
J'envoie ma semelle fracasser la tronche du bolosse qui s'est plié en deux en espérant me ceinturer à la taille en mode plaquage de football. Avant qu'il aille bouffer les restes de dîner répandus par terre, je le rattrape par la tignasse et le bousille avec mon genou.
Un nouveau molosse en profite pour se jeter sur mon dos. Il est vachement lourd. Son poids me fait légèrement vaciller, mais je lui laisse pas le temps de m'étrangler dans les règles, je me penche en avant et le fait basculer. Je me relève aussi sec. Mon poing rencontre un arc de pommette qui me gicle dessus. Quand des doigts se plantent dans mon épaule, c'est mon coude qui part en arrière et cogne.
Ils sont trop nombreux. Dès que j'en mets un KO, deux le remplacent. Vermine. Je décoche des coups dans tous les sens, mais celui que je prends dans la tempe me met hors-circuit plusieurs secondes. Pendant que je chasse les étoiles, on me cloue au sol.
Je résiste pas vraiment. Je vois flou, là.
Le type m'a couché sur les restes d'une carafe éclatée et quand il me colle son genoux sur le sternum en y mettant toute sa masse pour me "maîtriser", les fragments de verre me pénètrent le dos. Ça pique, mais sans plus. Il peut même appuyer plus fort, si ça lui chante. Ce coin-là est déjà foutu, alors un peu plus ou un peu moins...
- C'est bon, laissez. Je m'en charge, décrète sa voix congelée juste avant qu'il s'impose dans mon champ de vision en contre-plongée.
Il a fini par dégainer aussi. Le canon de son Smith & Wesson me salue joyeusement. Un M&P au design badass. Encore mieux que la série Sigma. Ce modèle est réservé à l'armée, il me semble. Je serre les dents quand il pose une de ses pompes cirées sur le devant de mon T-shirt et m'écrase le thorax de son talon. Je peux à peine gonfler les poumons pour avaler de l'air.
Au lieu d'endurer sa sale gueule, je fixe le plafond par-dessus son épaule.
Y a pas grand chose à mater. C'est comme tout le reste dans cette salle de réception à crever d'ennui : lisse, neutre et d'un blanc virginal. Je me suis jamais tapé de vierge. Faudrait que je me fasse ça, un de ces quatre.
Si tu meurs, tu te taperas que dalle.
Pas faux.
J'essaye pas de me dégager. Je mime un sourire en entendant Isaiah virer le cran de sûreté de son flingue à quinze centimètres de ma face.
- Vas-y, tire, je l'encourage. Tire, qu'est-ce t'attends ?
Il reste de marbre en me considérant, mais je sais que je l'agace. Ça le fait rager de plus avoir de prise sur moi. Mon rictus s'étire, gagne du terrain. Je me marre pour de bon, maintenant. Je m'étouffe un peu aussi, parce qu'il est toujours en train de me broyer les poumons, mais ça m'empêche pas de me foutre de sa gueule.
- Quoi ? C'est quoi le problème "Is", je le provoque entre deux quintes de toux. T'es pas capable ?
La plupart des gens paniquent quand ils se retrouvent dans cette situation. Je le sais, je compte plus les connards que j'ai fait baliser avec mes armes de poing. À chaque fois, c'est pareil : ils se changent en loques humaines. Ils implorent, foutent leur amour-propre aux ordures et se ridiculisent. Parfois, ils font même dans leurs frocs.
Je suppose que j'ai de la chance.
Moi, le seul truc qui me traverse la cervelle en fixant l'ouverture du canon, c'est "Est-ce que j'aurais le temps d'apercevoir la cartouche sortir s'il tire ?".
J'ai pas peur.
J'ai peur de rien.
Les mômes disent ça en général, mais ils mythonent. Alors que pour moi, c'est vrai. C'est ce qui me rend plus fort que tout le monde. Plus fort que les Scorpions, plus fort que les autres ratés du Nord, plus fort que mes concurrents des courses...
Plus fort que lui.
Qu'est-ce qu'il peut faire ? J'ai rien à perdre. Pour perdre un truc, faut déjà posséder quelque chose, mais moi, j'ai que dalle. Même ma dignité, cette foutaise que je préserve comme je peux avec les autres, il me l'a confisquée y a des années.
Tout ce que j'ai, c'est moi, et même ça, j'en veux pas. Qu'il le prenne.
Donc quoi qu'il fasse... Je. M'en. Fous.
Je le regarde bien en face. Je fixe ses yeux gris atrocement moches de déglingué mental. Deux bourgeons vides d'un gris ferraille, avec des iris truffés de débris métalliques. Je veux qu'il lise dans les miens qu'il peut plus m'atteindre.
S'il me descend, il doit y avoir assez de témoins dans cet hôtel de merde pour qu'il se fasse coffrer. Il finirait probablement dans une de ces cellules pour millionnaires, mais une prison reste une prison. Avec un peu de chance, il ira ramasser la savonnette avec ses camarades blindés.
Et j'aurais gagné.
Son index frôle la gâchette. Je sais pas s'il hésite où s'il cherche juste à me tirer une réaction. Si c'est ça, il peut toujours crever. Il aura que dalle. Il...
- Royce ! ¡Suéltame, hijo de puta! Lâche-moi, putain ! Royce !
Je me tords le cou et tourne la tête à temps pour voir Diego foutre un coup de boule au garde qui s'acharne à le retenir. Bordel ! Je lui avais interdit de se pointer ! Il me gonfle.
Il déboule comme un dingue dans le restau que j'ai mis à l'envers et ses yeux écarquillés tombent sur moi. Ses traits d'hispano brouillés par la haine, ce con se rue sur nous. Avant qu'il nous atteigne, Bates et Nicolaï plongent sur son chemin et se mettent à deux pour le clouer sur place.
Ça l'empêche pas de se mettre à vociférer, à moitié en anglais, à moitié dans sa langue :
- ¡Coño de su madre! ¡Jódete! Si tu le... Touche-le et je t'encule ! T'entends ? ¿Me oyes? ¡Que te den por culo! il gueule sur Isaiah.
Je suis juste assez callé en espagnol pour comprendre que ça insulte les daronnes et que ça cause sodomie. Diego continue de déblatérer un mélange d'injures et de menaces de mort plus ou moins crédibles et l'autre continue de l'ignorer. Il met tellement de poids dans sa jambe que si j'en réchappe, j'aurais probablement sa pointure 45 imprimée sur les pecs.
- Royce ! Tu fous quoi ? ¡Defiéndete, tío! Défends-toi, bordel !
Je crache un soupir las et me remets à fixer le plafond. Je fais de mon mieux pour ignorer le parasite brun qui me domine de son mètre quatre-vingt-quinze. Quand il pince les lèvres avec son air contrarié, je me remets à rire. J'y peux rien, le voir hésiter comme le vieux con qu'il est, c'est tordant.
- Tu te ramollis, je le nargue.
Le coup part. Il a pas de silencieux, j'ai l'impression que mes tympans se crashent hors de leurs trous tellement la détonation est brutale. Presque autant que la douleur qui atomise mon biceps.
Diego braille quelque part dans la salle pendant que je verrouille les mâchoires pour pas émettre un son. Mes molaires se percutent violemment et un goût de rouille m'asperge la bouche quand je me mord la langue.
Putain, ça fait trop mal !
Putain ! Putain ! Putain !
Je déguste comme jamais.
J'ai l'impression qu'il m'a arraché le bras pour le balancer sur un barbecue ! Bordel de merde, ça brûle à mort ! Le méga-lustre de cristal devient flou au plafond alors que je me répand sur le sol. À ce rythme je vais claquer noyé dans mon propre sang. On peut pas mourir d'une balle dans le bras, si ? Ce serait carrément looser de se tirer comme ça.
Il s'incline sans cesser de me tenir en joue. Sur ma poitrine, sa godasse est remplacée par son genou et cette fois, il me colle son gun au front. La pièce en métal s'imprime sur ma peau. Il attend en me fixant droit dans les yeux. Je sais très bien ce qu'il cherche. Il me fait sniffer la mort d'encore plus près pour voir si je vais flancher, pour que j'implore.
Crève.
Il sait pas que j'ai pas besoin de lui pour l'approcher, cette salope en cuissardes... Je ravale pas mon sourire, je le garde greffé sur mes lèvres malgré la douleur qui me ronge le bras comme une clique de termites. Si je fais pas gaffe, je vais dégueuler.
Bon, il se décide ou pas ?
L'hispano est instoppable. Il continue d'épuiser son stock d'insultes comme s'il avait l'intention de toutes les caser ce soir, mais j'entends à peine ce qu'il dit. Un genre de purée auditive. Quand je tourne la tête pour lui ordonner de la mettre en veilleuse, il est coincé par Bobby. Il se débat comme un diable qu'on fout de force dans une baignoire d'eau bénite et...
Putain, il fout quoi, là ? Il chiale ou quoi ? Je rêve ! Mais non, en plein milieu de son visage déformé par la rage ou l'impuissance, il fuit des yeux comme une maternelle. Bordel, j'arrive pas à croire qu'il me foute la honte comme ça ! C'est moi qui ai pris la balle, pas lui !
Je lève les yeux au ciel en essayant d'ignorer le sang et la souffrance qui palpitent de plus en plus fort dans mon membre troué. Quand Williams s'introduit dans mon champ de vision brouillé, juste derrière son épaule, je souffle par le nez.
Le blond me jette un regard illisible avant de se concentrer sur son "chef".
- Laisse-le s'en aller, il conseille sur un ton neutre, à deux doigts de checker la Rolex plaquée or qui m'aveugle à son poignet. Tu crois pas qu'on a assez de problèmes comme ça ?
Isaiah le calcule pas vraiment, le canon de son révolver reste soudé à mon front. Williams insiste :
- Allez, tu vas vraiment tous nous mettre dans la merde pour... quoi ? Un môme un peu insolent qui veut jouer les gros durs ? Je vais pas risquer ma carrière pour que t'aies ta vengeance sur la petite racaille que t'as laissée pousser entre tes murs.
Je vais le niquer.
Je. Vais. Le. Niquer.
Pas là, maintenant, parce que j'ai quelques orteils dans la tombe et que je sais même pas si mon bras est toujours accroché à mon épaule ou non, mais à cet instant, je le hais presque autant que son maître. Les miettes d'énergie qui s'attardent dans mon corps me permettent juste de m'étouffer de colère. Je meurs d'envie de lui cracher dessus ou de lui foutre ma Rangers dans la gueule.
Je pourrais. Mon biceps est déglingué et Isaiah est assis sur mon torse, mais mes jambes sont libres de leurs mouvements. Pas sûr que j'atteigne la tronche du blond, mais je peux toujours lui déboiter une rotule si j'y mets du mien.
Mon plan tombe à l'eau quand les doubles portes du restau de l'hôtel se rouvrent à la volée. En glissant un coup d'œil blasé vers l'entrée, je suis quasi sûr de trouver les flics. Mais non. C'est juste Michael. Il amène sa tronche d'albinos dans la salle en trainant avec lui un gamin de huit ou neuf ans en pleurs.
Il a fumé quoi ? Pourquoi il ramène ça ici ? Le moutard s'est foutu de la morve partout en chialant. Dans son poing, il serre les restes d'un cornet de glace qui lui a dégouliné sur la main et les pompes.
Gerbant.
À part les bruitages dégueu que fait le petit en sanglotant et en s'étouffant avec ses larmes, on entend plus rien. Diego s'est tû, les six aussi. Y a quoi ? Je mets un moment à cramer que le genou qui me défonçait le sternum s'est allégé et que le canon de flingue soudé à mon front s'est mis à trembler.
- Éloigne ton gun et vire-toi de là où je lui tranche la gorge. J'hésiterais pas, décoche froidement Michael.
Sa voix traînante résonne à fond dans ce silence barré. En parlant, il empoigne le garçon par le col de son polo et joue avec son canif rétractable près de sa joue. Je cligne des yeux pour virer la pellicule de sueur qui m'obstrue la vue et scrute le môme avec plus d'attention.
Brun, des cheveux trop bien coiffés, des iris verdâtres... R.A.S. Sa gueule me dit pas grand chose. Par contre, ses fringues de gosse schlinguent la thune à plein nez. Il est de qui ?
Je crois halluciner quand son poids déserte ma cage thoracique alors qu'il se relève très lentement. Je gonfle direct mes poumons atrophiés d'un putain de bol d'air et me redresse péniblement en position assise.
Sa mère, la...
Ma vision se dégrade. La souffrance explose dans mon épaule et je retiens de justesse le sifflement qui se précipite contre mes dents. Mon bras répond plus, il pendouille comme un spaghetti près de mon flanc et un filet d'hémoglobine tiède continue sa course pour s'égoutter au bout de mes doigts.
J'y fais pas tellement gaffe, trop focalisé sur la réaction d'Isaiah. Il a rangé son arme et présente ses deux paumes au dépigmenté en signe de paix. Aussi blême que les murs, il avance lentement vers le translucide. Je plisse les yeux, à moitié sonné. Il se passe quoi, là ?
Je le saurais si cette raclure avait pondu des petits ? Non ?
Je retourne fixer le gamin. Il se met à chouiner plus fort. J'ai horreur de ce bruit. Michael aussi visiblement parce qu'il roule des yeux et colle une trempe derrière la tête de la demi-portion. Les yeux révulsés de terreur, le môme bégaye des trucs incohérents avec sa voix pleine de morve. Au milieu de cette bouillie verbale, je capte deux mots qui me clouent au sol.
- ... oncle Isaiah...
Je suis scotché. Alors comme ça, c'est Aaron qui a engendré ce gnome. Il cache bien son jeu, ce bâtard. Comment il a fait pour planquer cette... donnée toutes ces années ?
- C'est bon Matty, ça va aller. Ces garçons veulent juste te faire une blague, il lance d'une voix rassurante qui me débecte avant de récupérer son timbre écorchant naturel pour s'adresser à l'albinos. T'as eu ce que tu voulais. Maintenant, lâche-le.
Il a traversé la salle, l'air de rien. Il est plus qu'à trois mètres de distance de son but.
Michael m'interroge du regard. J'utilise mon bras valide pour me relever, l'autre continue de jouer les pendus. Je suis à peine debout, que les dalles me la font à l'envers et ondulent sous mes semelles. Ça la foutrait mal que je me gamelle maintenant.
Je feins la nonchalance en traversant la salle alors que je galère juste à garder l'équilibre. Mes bottes chuintent à chacun de mes pas et tracent un chemin sanglant jusqu'à lui sous les yeux terrorisés de son... neveu.
Je me plante face à lui, comme un obstacle entre sa misérable personne et ce mini merdeux qui inonde toujours le sol de ses larmes. J'envoies chier le mètre de distance règlementaire et me colle sous son nez.
Ça me hérisse les poils de me retrouver aussi près, assez près pour flairer sa répugnante odeur de type pété de thune et fixer ses iris de plomb et de ferraille. Notre différence de taille est plus si flagrante. C'est bien. Bientôt, c'est moi qui le toiserai comme il le fait. Bientôt, je le tuerai.
- Je vais te descendre, je l'informe calmement.
En causant, j'ai vaguement conscience d'une mélodie lointaine et trop familière. Un son à vomir. Le moindre de mes muscles se crispe - excepté celui que la balle a dégommé - et je tends l'oreille par réflexe. Mon corps s'est bandé pour anticiper la fuite. C'est comme ça, mon espèce est conditionnée à détaler aux "pim-pom".
- Putain ! Les keufs ! siffle Michael, visiblement traversé par la même pulsion.
Ok, et ?
J'ignore les sirènes de flics qui piaillent de plus en plus fort et se rapprochent à toute vitesse. Isaiah s'est détourné du petit en réaction à ma promesse. Il me fixe avec cette moue narquoise que je voudrais faire fondre avec mon briquet.
- Je vais te descendre, je répète avant de préciser. Pas tout de suite. Je veux que t'aies bien le temps de renifler ta mort avant. Je veux que chaque putain de jour qui te restent, tu regardes derrière ton épaule en te demandant si ton heure et venue.
Son sourire reste bien calé sur ses lèvres. Dans mon dos, le gamin chiale, Diego et Michael me foutent la pression, pressés de lever le camp. Je les entends même pas. Je termine :
- Et quand j'aurais assez fait durer le suspens, je viendrais t'abattre comme un chien au moment où tu t'y attends pas.
- Et tu passeras le reste de ta vie en cage. Tu devrais t'y faire, non ? Les cages, tu connais.
Ma gorge s'enflamme. Je pourrais cracher du feu. Je pourrais le carboniser comme un nugget de poulet jusqu'à ce qu'il soit plus qu'un tas de cendre moisis. Je foutrais ses résidus aux chiottes et je tirerais la chasse sans dire de prière.
Le jingle des condés devient carrément violent. Leurs bagnoles geignent à s'en faire sauter les cordes vocales. Elles sont sur le parking.
- Royce, putain ! Je m'arrache, moi, siffle l'albinos.
Il met les voiles après m'avoir refourgué son "paquet". J'ai une vague idée de l'image que je renvoie, mais vu le regard d'épouvante que me jette mioche quand je tends le bras vers lui, je crois que je suis encore en dessous de la réalité. Ses yeux verts se transforment en tuyaux d'arrosage quand je le choppe par la nuque.
C'est quoi son petit nom, déjà ? Ah ouais, "Matty".
Ferme-la, "Matty".
Je resserre un peu ma poigne pour faire passer le message et je termine pour son... oncle :
- Je ferais disparaître ton corps. Pendant que tout le monde se demandera si t'es en train de te dorer la pilule aux Bahamas, toi, tu pourriras au fond de l'océan.
Les doigts toujours fichés dans le cou de son chiard, je me penche vers lui, hisse mon rictus de dégénéré et lui crache :
- Pas de corps, pas de preuve.
Je jette le gosse dans sa direction et il se dépêche de le soulever dans ses bras pour l'éloigner.
- ¡Vamos! On bouge, mec! ¡Ahora mismo!
Diego agrippe mon bras valide et tente de me traîner vers l'issue de secours. Je résiste.
Les renforts viennent de pénétrer le bâtiment. Je capte le bruit de leurs bottes qu'ils s'amusent à taper contre les dalles pour faire croire à une armée. Ils font un tapage monstre, ces tocards, comme pour prévenir de leur arrivée. Dans une minute top chrono, ils pousseront les doubles portes et débarqueront avec leurs costumes ridicules et leurs boucliers en plastoc à se tordre de rire.
C'est probablement le plomb que j'ai dans le corps qui m'a déglingué l'esprit, mais je bouge pas. Je peux plus m'arrêter de le fixer, lui et le morpion qu'il enlace comme s'il avait rien de plus cher. Un truc gelé pousse dans ma poitrine, pile entre mes côtes. Comme une forêt de dagues de glace qui me perforent les organes et me démontent les os.
Mes narines frémissent et ma main prend la décision à ma place, en un quart de seconde. Elle plonge dans la poche de mon jean, fouille, trouve mon briquet essence, le hisse à la hauteur de mes yeux et l'active. La flamme me réchauffe l'âme avec un genre de tendresse que je voudrais recevoir de personne d'autre.
Je connais rien de plus sexy que ça : une miette de feu piégée au creux de mon poing, prête à exaucer mes vœux les plus fous comme un bon petit soldat. Sa chorégraphie est encore plus captivante qu'une stripteaseuse qui s'excite sur une barre de pole dance. Elle déforme l'atmosphère et broute mon chant de vision.
J'ai l'impression qu'elle rince un peu ma rage, comme si elle tapait dans mon stock pour enfler. Ce que je kifferais, c'est être elle. Savoir ce que ça fait d'être l'arme au lieu du type qui l'empoigne. D'être le souffle destructeur plutôt que celui qui le déclenche. Je voudrais être celui qui dévore au lieu du spectateur.
Les cris se mélangent en un fourbi sans intérêt au moment où je plie le coude pour me donner l'élan nécessaire :
- Il va foutre le feu, bordel !
- Courez !
- Royce ! Royce ! Joder de mierda!
- À terre !
Les paupières à demi-closes, je cherche l'une des rares tables encore debout, celle que j'ai badigeonnée d'essence. À l'instant où les forces armées défoncent les portes déjà ouvertes, je vise. Je lance.
Dans le mille.
Y a pas vraiment d'explosion, à part le carburant que j'ai versé, y a rien de très inflammable dans la salle. C'est quand même spectaculaire.
Une rafale brûlante secoue l'air comme une bâche et le rend quasiment visible. Le son paraît se couper, ou alors, c'est juste les tympans qui se font un break. La flammèche prend instantanément et se reproduit à la chaîne. L'incendie se fait pas désirer longtemps. Mon regard s'enflamme devant le brasier infernal qui remplace les braises.
C'est comme une bouche géante et autonome. Elle postillonne des étincelles brûlantes et crache des ombres dans tous les sens. Les murs trop blancs sont repeints en un rouge lumineux carrément plus fun. La fournaise s'étale à toute vitesse, le monstre flotte et dégouline à la fois. C'est dingue ! On dirait de la lave.
La vision me colle la fièvre.
La fumée se répand et s'invite dans mes voies respiratoires. Ça me grille aussi les yeux, mais je les garde ouverts. Quand une main m'empoigne fermement pour me remorquer ailleurs, je vérifie même pas l'identité de son propriétaire, je me dévisse la tête pour pouvoir contempler le carnage jusqu'au bout.
C'est sûrement un keuf qui m'embarque, je porte même plus ma cagoule. Je suis fait. À ce stade, même Vadim peut plus rien pour moi. Je m'en cogne.
Le bûcher a disparu avec ses ondes destructrices et apaisantes. À la place, je suis englouti par l'haleine moite de l'île. Instinctivement, ma main agrippe mon bras impotent, comme pour l'empêcher de se détacher du reste. J'ai même plus l'impression qu'il soit à moi, il est infesté de fourmis.
Je titube comme un ivrogne sur un sol irrégulier. La pointe de ma botte cogne contre un pavé et je manque de me ramasser. Je suis dans une rue pavée et hyper passante. Il fait nuit, pourquoi y a autant de monde, putain ? Il est genre... je sais pas... tard. Et pourquoi les flics m'auraient sorti du bâtiment ? Ils sont cons ces mecs, c'est pas possible...
Au temps pour moi.
Pas les flics... Diego.
Il se tient à ma droite et il m'examine, le visage bouffé par les ombres. Les gens nous contournent large et nous éclaboussent de coups d'œil choqués. Des darons chopent leurs progénitures et foutent le camp, pressés de s'éloigner des deux racailles qui souillent leur rue de sang et de suie.
Les discussions me tambourinent sur le crâne, les lumières des commerces me scient les pupilles et la foule écrase mes poumons enfumés. Diego m'agrippe toujours par le T-shirt. Il est pas con. Les poulets nous chercheront pas au milieu de cette cohue.
Il nous fait bifurquer dans une ruelle plus étriquée et moins fréquentée. Je m'arrête entre un marchand de glace et un vendeur de disques en faillite. Je vois plus très net alors je me pose là. En me collant au mur pour me laisser coulisser jusqu'au sol, je rigole. Je sais même pas pourquoi.
Je suis crevé, bordel.
Je compte fermer les yeux juste deux minutes, mais j'ai à peine détendu les paupières qu'un éclair de douleur me fauche la respiration.
Putain !
- Putain ! T'es pas bien ? je grogne en essayant de dégager la main de Diego qu'il utilise comme outil de torture sur mon bras troué.
Il a posé la paume sur mon biceps et appuie cash sur ma plaie.
- C'est de la compression. Pour pas que tu te vides de ton sang, connard.
- T'as un doctorat en médecine et je suis pas au courant ? je raille pour oublier que je morfle à fond.
- J'ai vu ça à la télé, tonto. Por dios, ça pisse le sang !
Il se recule un peu pour accrocher l'ourlet de son T-shirt et le passer par-dessus sa tête, ça me laisse un répit de trente secondes.
- Pourquoi tu te dessapes, bordel ? je râle.
Il se contente de me trucider du regard. Il froisse son haut et me le colle sur l'épaule avant de se remettre à me martyriser le bras. Je grince des dents. Ça lui fait plaisir, je suis sûr.
- Ça te fait plaisir, avoue.
Ses mâchoires se serrent et il plisse méchamment les yeux.
- Ferme-la, ça vaut mieux, coño. Je suis pas d'humeur.
J'étends ma jambe sur le sol et compte mes respirations pour plus penser à la balle qui me charcute le muscle. Diego presse plus fort son T-shirt contre la plaie et un râle m'échappe. Il se pince les lèvres. Pour donner le change, je lui rappelle salement :
- T'as chialé.
Je me mords la joue pour retenir un ricanement qui sort quand même. Son regard brun me poignarde. Il a pas l'air de kiffer mon humour.
- J'ai pas chialé.
- Je t'ai vu, t'as chialé comme une petite merde. Ça faisait pitié.
Il se redresse en mode furie et, comme je suis affalé contre le mur, il me regarde de haut. Ça me donne envie de le frapper :
- Va te faire foutre ! Tu veux savoir ce qui fait pitié ? Toi ! Tu fais grave pitié à le laisser t'écraser sans lutter comme si t'avais encore ocho años ! Tu fais pitié avec ta coke de mierda ! Tu fais pitié quand tu vas t'encastrer dans les murs à moto en jouant tu vida à pile ou face ! Tu fais pitié tout le temps !
Mon cœur dérape et tressaute de fureur, il se contrefout total de ma fatigue. Je balance un coup de pieds qui atteint le latino à la cuisse. Ça le fait à peine vaciller, mais moi, je recommence à saigner. Merde ! J'ai envie de me remettre debout aussi pour lui en coller une, mais j'ai pas la force.
Et lui, il embraye avec une grimace... de... je sais même pas. J'hésite entre haine et dégoût. Je me mords violemment la langue. Alors comme ça, il me hait, lui aussi ? Tant mieux, j'ai pas besoin de lui. J'ai besoin de personne !
- T'as envie de mourir ? il s'emporte en montant le volume. Ben meurs, mais crève loin de moi parce que je vais pas me battre pour quelqu'un qui en a plus rien à foutre ! T'es pas tout seul, tontucio ! Tu peux... joder ! Tu crois que ça m'amuse de venir checker ton pouls pendant que tu pionces pour voir si tu t'es pas éteint en dormant ou si la came t'a pas terminé pour de bon ? Ça me plait de me réveiller le matin en me disant "encore une journée de merde à essayer de garder ce dégénéré en vie" ? Tu crois que j'ai envie d'être coincé avec toi ?
J'ai du mal à respirer.
Il l'a dit.
Ça fait des années que j'attends qu'il le dise. Ben c'est fait.
- Alors casse-toi ! je gueule encore plus fort parce que c'est tout ce que je trouve à dire. Vas-y, barre-toi, je t'ai rien demandé !
Je me prends un coup de pompe dans la cheville et un feulement indigné se propulse hors de mes lèvres.
- Mais je peux pas, espèce d'enculé ! T'es comme mon...
Je hisse des yeux meurtriers vers lui. S'il dit "frère", balle ou pas balle, je le démonte.
- ... t'es comme un membre qui a la gangrène et qui pourrit. Tu sais qu'il va finir par te tuer, mais tu seras jamais capable de te l'amputer. T'es mon bras qui a la gangrène, il conclut dans un soupir écœuré.
Ok.
- J'espère que c'est pas celui avec lequel tu te branles, je commente simplement.
Son visage se détend une seconde, vidé de toute expression. Ensuite, il rit.
- Tu fais chier, putain.
Il retombe à genoux pour maîtriser ma plaie par balle et je repose le dos de mon crâne contre le crépi. J'ai plus vraiment mal. J'ai trop sommeil pour ça. Au-dessus de nos têtes, des coups de feu tonnent. Quoi encore ? Quand je me décide à lever les yeux, le ciel noir est bombardé de couleurs. C'est moche.
- Pourquoi y a des feux d'artifices ? je marmonne d'une voix pâteuse.
Diego hausse les épaules :
- C'est le 4 Juillet.
Ah.
Je continue de fixer les éclaboussures de lumière. Elles deviennent de moins en moins nettes et finalement, tout s'éteint.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top