Chapitre 5 : Les étrangers du soleil éternel ✔️
Après avoir aidé à installer des couches temporaires autour du foyer et préparé un léger repas, Anya observa ses invités imprévus pendant qu'ils inspectaient leur nourriture d'un air incertain. De toute évidence, ils n'avaient jamais mangé de madore séché. En revanche, ils semblaient apprécier le pain, malgré son manque de fraîcheur.
Le regard d'Anya s'attarda sur celle que l'étranger appelait Élizabeth. Ses cheveux blond clair ne semblaient pas avoir été lavés depuis très longtemps. Ils étaient attachés sur sa nuque en une queue de cheval. Ses yeux noisette, bien que fatigués, laissaient transparaître une vivacité d'esprit et une détermination.
En les guidant dans la forêt un peu plus tôt, Anya avait été surprise par sa petite taille. Elle s'était même demandé un instant si ce n'était pas une enfant, mais son visage lui indiquait le contraire. Elle avait sans doute le même âge qu'elle.
Pour ce qui était du voyageur avec qui elle avait échangé en premier, il ne s'était pas encore présenté. Elle avait cependant entendu la femme l'appeler Maxim. Un peu plus grand qu'elle, il avait les yeux bruns, presque noirs et un regard honnête. Avec son front haut, son nez long et mince, il aurait pu être séduisant, n'eût été sa barbe mal entretenue, ses cheveux longs et gras et son visage amaigri. Il paraissait perdu et se massait constamment les tempes, comme si une douleur l'incommodait.
Le troisième voyageur, un grand homme aux cheveux noirs, était toujours étendu dans son lit, inconscient.
— C'est très bon, remarqua Élizabeth, mettant fin à ses observations.
L'étrangère mangeait maintenant sa viande avec appétit.
— Merci.
Un silence gêné emplit la pièce. Anya était peu habituée à avoir de la compagnie, hormis peut-être celle d'Arkadi qui venait la voir parfois. Elle n'avait jamais été confortable entourée de gens, encore moins avec des étrangers. Terriblement maladroite lorsqu'elle devait prendre la parole, elle ne savait jamais quoi dire durant une conversation. Elle préférait de loin la tranquillité que lui offrait la nature. Elle fournit tout de même un effort pour alimenter un peu la conversation.
— Votre ami... quelle est la nature de ses blessures ?
— Sa jambe est cassée, répondit la femme. Sa vie est hors de danger, mais il aura besoin de récupérer pendant un certain temps.
Anya hocha la tête, ne sachant pas ce qu'elle pouvait ajouter d'autre. Elle décida de se concentrer sur sa nourriture. Elle avait fait un effort pour converser, c'était à eux de continuer. D'autant plus qu'elle ne leur faisait pas confiance. Ils ressemblaient bel et bien à des voyageurs d'une autre région. De l'ouest peut-être ? Toutefois, il était rare que des Proximiens s'éloignent de leur ville natale.
Le plus troublant était le fait qu'elle soit incapable d'identifier à quelle classe ils appartenaient. Peut-être des Déclassés, vu leur connaissance de la langue des Anciens. Dans le pire des cas, ils étaient des Exclus dont elle devait se méfier. C'était l'œil ouvert qu'elle dormirait cette lune si elle ne voulait pas revivre le même drame que ses parents.
Mais une chose était certaine : ennemis ou amis, ils étaient en piteux état. Ils avaient besoin d'aide et elle était incapable de la leur refuser.
Une fois le repas terminé, Anya se leva de table et s'adressa à celui qui semblait le plus inoffensif.
— La lune s'est levée. J'ai besoin d'aide afin d'apporter plus de bois pour le feu. Il nous gardera au chaud cette nuit.
— Je serai heureux de t'aider, répondit l'homme avant de se lever afin de l'accompagner à l'extérieur.
***
En sortant de la cabane avec Anya, Maxim fut surpris de constater que la lumière du jour était encore présente. À l'intérieur, Anya avait fermé les volets et seul le feu les éclairait. Il avait eu l'impression qu'il faisait déjà noir à l'extérieur.
Un regard dans le ciel lui permit de constater que le soleil de Proxima n'avait toujours pas bougé, malgré l'heure qui s'était écoulée depuis leur arrivée au campement. Il était légèrement au-dessus de l'horizon, figé dans cette lumière chaude et rougeâtre propres aux couchers de soleil.
En revanche, la lune, elle, s'était déplacée. Pleine et deux fois plus grosse que le soleil, elle devait sans doute se situer plus près de sa planète que la lune terrienne.
La luminosité intensifiant son mal de tête, il finit par détourner les yeux du ciel.
— Je croyais qu'il faisait nuit ? remarqua-t-il.
Anya, qui s'était déplacée jusqu'à la corde de bois près de la cabane, se tourna vers lui les sourcils relevés.
— Nuit ? Nous sommes trop à l'est pour voir la nuit.
— Donc si je comprends bien, dit-il tout en la rejoignant, le soleil ne se couche jamais à cet endroit de la planète ?
— Non jamais. La lumière faiblit un peu durant les jours d'hiver, mais je n'ai jamais connu de nuit. Je sais en revanche que plus loin, à l'ouest, les habitants connaissent le jour et la nuit et encore plus loin, seulement la nuit. Tu dois venir de l'ouest pour n'avoir jamais connu de jours éternels ?
— En fait, Anya, je vais être honnête avec toi... Nous venons de beaucoup plus loin.
Aussitôt, la surprise envahit le visage d'Anya, mais d'une manière inattendue. Ses iris, si bleus il y a quelques secondes, passèrent à l'orange vif. La même couleur qu'il avait cru apercevoir à l'intérieur, près du feu.
— Tu veux dire que vous venez de l'anneau occidental ? J'ai déjà entendu des rumeurs qui parlent d'Exclus qui se seraient installés là, mais je n'arrive pas à croire que certains ont pu franchir la barrière de glace ou même le désert !
Maxim était totalement désorienté, ne comprenant pas la moitié des termes qu'elle utilisait, en plus d'être déconcentré par ses yeux qui changeaient sans cesse de couleur.
— Attends, attends ! l'arrêta-t-il les mains devant lui. J'ai de la difficulté à comprendre tout ce que tu dis. Et puis je n'arrive pas à me concentrer ; j'ai l'impression que tes yeux changent de couleur à tout instant ! Ça, ou c'est ma commotion qui me joue des tours...
Sans réfléchir, il se frotta les tempes. Peut-être arriverait-il à faire partir ses visions.
Anya haussa les épaules, comme si c'était tout à fait normal. Au même moment, ses yeux redevinrent bleus.
— Oh... C'est ma variation. Pas très utile, selon les Anciens, mais ça m'a permis d'être libre. Contrairement à d'autres.
— Ta variation ?
— Grande lune ! s'exclama-t-elle sur un ton impatient. Il n'y a pas de variations en Occident ?
— Nous ne venons pas de l'Occident...
Anya le scruta de haut en bas, tentant sans doute de comprendre qui était l'homme devant elle.
— Rentrons le bois, proposa Maxim. Élizabeth et moi allons tout t'expliquer.
***
Une fois réunis autour de la table, Maxim et Élizabeth racontèrent à leur hôte leur histoire. Elle les écouta en silence, sans réagir. Du moins, en apparence, car Maxim ne put s'empêcher de remarquer la couleur de ses yeux durant le récit. Ceux-ci passèrent du bleu, à l'orange. Il eut même l'impression à certains moments qu'ils étaient complètement noirs.
— J'avoue qu'en visant Proxima B, nous nous attendions à périr par manque d'oxygène ou à tout simplement mourir de vieillesse après avoir passé notre vie sur une planète stérile, expliqua Maxim. Disons que c'était notre dernière chance de ne pas errer sans fin dans le froid de l'espace. Jamais nous n'aurions cru rencontrer un être vivant qui pourrait communiquer avec nous comme tu le fais et qui, de surcroît, nous ressemble.
Un lourd silence s'installa dans la petite cabane avant qu'Anya ne prenne la parole.
— Je comprends maintenant pourquoi vous sembliez si perdus.
Elle hésita un instant avant de continuer.
— Il s'avère que je suis humaine, tout comme vous. Nous avons des ancêtres communs, bien que nos peuples se soient séparés il y a plus de deux cents ans.
Élizabeth ouvrit la bouche, puis la referma alors que Maxim tenta de comprendre ce qu'elle venait de dire, mais n'était pas certain d'y parvenir.
— Les Anciens les plus âgés pourront vous en dire davantage, continua Anya, ainsi que les écrits à la grande bibliothèque. Ce qu'on m'a appris dans mon enfance c'est que les fondateurs, c'est-à-dire mes ancêtres, sont arrivés ici il y a de cela dix générations. On raconte qu'ils venaient de la Terre, dans le système solaire, tout comme vous. Ils ont dû s'adapter à ce nouvel environnement et survivre. Ils étaient douze au départ. Nous sommes maintenant beaucoup plus et serions tous des descendants de ces Terriens venus sur Proxima.
— Comment est-ce possible ? s'écria Élizabeth. Jamais je n'ai entendu parler d'expéditions hors du système solaire ! Nous avons tenté à plusieurs reprises de coloniser Mars et même Titan, mais jamais nous n'avons envoyé d'expédition plus loin que Pluton !
— Effectivement, les livres d'histoire ne le mentionnent pas, ajouta Maxim, toujours perdu dans ses pensées. Mais ce ne serait pas la première fois que des dirigeants ou de grandes corporations nous cachent certains faits.
— Certains faits ?! Ce sont plus que des faits ! tempêta Élizabeth. Savoir que cette planète est viable et qu'il est possible de l'atteindre pourrait résoudre tous les problèmes actuels de l'humanité ! Notre Terre se meurt, Maxim ! Petit à petit, ses ressources s'épuisent. Son écosystème est complètement bousillé ! Comment est-ce possible qu'on ait réussi à cacher au reste de l'humanité qu'une solution existe ?
— Je n'en sais rien, Élizabeth et je ne pense pas qu'on puisse répondre à toutes ces questions ce soir... ou plutôt cette lune. Ou du moins maintenant.
Maxim se frotta les tempes, son mal de tête devenait de plus en plus douloureux.
— Un peu de repos nous fera le plus grand bien, poursuivit-il. Je sens que nous aurons besoin d'avoir les idées claires demain pour décider ce que nous devons faire maintenant que nous sommes ici.
Élizabeth émit un rire méprisant.
— Parce que tu penses réussir à dormir toi ? On est sur une foutue planète inconnue, dans la cabane d'une similie humaine qui a des putains d'yeux caméléons !
Le cœur de Maxim bondit dans sa poitrine. Il tourna la tête vers Anya. Comme il le craignait, celle-ci fronça les sourcils. Les lèvres pincées, ses iris changèrent pour le rouge. Un rire grinçant s'échappa de sa bouche.
— Je pourrais dire la même chose de vous ! Vous pourriez être des fous qui délirent en prétendant venir d'une autre planète ou des Exclus avec une imagination fertile qui veulent me voler pendant mon sommeil ! Soyez très à l'aise de partir avec votre ami qui occupe MON lit !
Un lourd silence s'abattit dans la pièce. Élizabeth et Anya se défiaient du regard, toutes les deux sur le bout de leur chaise.
Maxim devait reprendre le contrôle de la situation et calmer les choses.
— Je suis désolé, Anya. De toute évidence nous sommes tous à cran et avons de la difficulté à digérer tout ceci.
Anya tourna ses yeux rouges vers lui. Ceux-ci reprirent peu à peu une teinte bleutée. Il continua :
— Tu es très aimable de nous offrir un abri pour la nuit et nous aider à nous retrouver dans ce nouvel environnement. Nous ne voulons pas te manquer de respect, s'excusa-t-il tout en lançant un regard d'avertissement à Élizabeth. Nous sommes simplement épuisés et renversés par la situation.
Anya parut hésiter un instant, mais finit par hocher la tête en signe de compréhension.
Elle se leva et se dirigea vers le feu pour le nourrir, leur indiquant par le fait même qu'il n'y aurait plus d'autres discussions pour le moment.
Maxim lança un dernier regard à Élizabeth avant de lui aussi se lever et s'approcher du lit où Tom dormait toujours. Il s'assit par terre, le dos appuyé au mur. Élizabeth et lui s'étaient concertés avant le repas pour se relayer au chevet de leur ami et garder un œil sur leur hôte durant la nuit. Maxim s'était porté volontaire pour la première moitié de la nuit.
Élizabeth s'installa à son tour dans sa couche de fourrure, à terre près du foyer.
Il ne fut pas difficile pour Maxim de rester éveillé. Une tempête de questionnements se bousculait dans sa tête. Les révélations apprises plus tôt de la bouche d'Anya l'intriguaient. Il aurait aimé en savoir plus sur les premiers terriens arrivés sur Proxima et comment ils avaient réussi à survivre dans ce nouvel environnement.
Tout à ses réflexions, il jetait à l'occasion un coup d'œil vers Anya qui s'était installée dans le coin opposé de la pièce, enroulée dans une fourrure. Son dos et sa tête étaient appuyés contre le mur, ses yeux fermés. Son arc reposait à côté d'elle, à portée de main.
Il étudia son visage, éclairé par la faible lumière orangée du foyer. Quelques cheveux rebelles s'étaient échappés de sa tresse et l'encadraient. Elle avait les joues hautes et un nez légèrement retroussé. Une de ses oreilles était percée de haut en bas et l'autre était intacte. Sur ses lèvres roses et invitantes reposait l'ébauche d'un sourire. À quoi pouvait bien rêver une femme de Proxima?
C'est alors qu'elle ouvrit ses paupières. Il croisa son regard perçant ; un regard vert émeraude. Une onde de chaleur inattendue et intense envahit son bas ventre.
Aussitôt, il détourna les yeux.
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