Chapitre 10 : Sauveur ?

Le soleil est à son zénith et rien n'est venu perturber notre attente. Aucun démon à l'horizon... Je lâche un énième soupir et consulte ma montre. Trois heures se sont écoulées depuis notre arrivée. Le doute commence à m'assaillir et si la Faucheuse n'était qu'une illusion dont nous sommes tous victimes ? Cela expliquerait le regard dubitatif et inquiet des parents d'Angèle. En fait, cela simplifierait beaucoup de choses. J'aimerais y croire mais je sais que la plupart des éléments de notre situation penchent en faveur de la version réelle de ce monde... Notamment ma mort. Je secoue le tête, éloignant le doute et plaçant ainsi ma confiance entière en la Mort avec le sentiment que cette décision aura un impact immense sur nos vies.

***

J'ai décidé d'opter pour une autre stratégie et nous nous sommes cachés derrière la porte de l'escalier qui mène au toit. Ainsi, les démons ne peuvent pas nous apercevoir puisque nous sommes dans un coin, à l'ombre du soleil.

À l'ombre du soleil... Et si les démons craignaient le soleil, comme la Faucheuse ?

Je fronce les sourcils et me tourne vers Angèle :

- « Tu crois que les démons attendent la nuit pour attaquer ? » lui demandé-je. « Et qu'ils ont peur du jour comme la Faucheuse ? »

Elle hausse les épaules.

- « Je n'en sais rien, » répond-elle. « En tout cas, ils ne sont pas là... »

J'acquiesce, Angèle a raison. Pourtant, mes parents ont été attaqués la nuit, donc ma théorie peut tenir la route. Si ce que je pense est juste, nous allons devoir attendre que le soleil se couche... Le temps risque d'être long. Heureusement, nous avons prévu de quoi subsister.

***

Deux heures plus tard...

Il est 15h00, nous avons mangé et bu et nous nous reposons tranquillement. Ma petite sœur dort dans les bras d'Angèle. Cela me fait sourire... Elles sont adorables, et représentent la seule famille qu'il me reste. Je crains ce qu'il va se passer, je n'ai jamais rencontré de démons et je ne sais pas comment ils réagissent. Malgré mes tentatives pour étouffer ma peur, elle plane au-dessus de moi comme un mauvais présage. Le ciel s'est assombri et une averse nous menace. L'inconnu me fait ce genre d'effet, comme un stress que l'on ne peut éviter, qui nous taraude et occupe la moindre de nos pensées. Il représente ce petit détail qui peut mettre tout un projet en péril...

***

La pluie tombe enfin en un petit crachin. Nous sommes vite trempés jusqu'aux os.

- « Ce n'était pas prévu ça, » marmonné-je.

- « On fait avec, » me répond Angèle. « On n'a pas le choix. »

Je hoche la tête et jette un regard à ma petite sœur. Elle se tient recroquevillée dans le coin, ses bras enserrés autour de ses genoux, elle tremble.

- « Stella ? » appelé-je. « Ça va aller ? »

Elle me fixe intensément, je peux discerner de la peur dans son regard.

Je n'aurais jamais dû l'emmener ici, elle va attraper froid et tomber malade...

Je m'approche d'elle et dépose mon manteau par dessus le sien. Elle me sourit faiblement et cale sa tête sur mon épaule.

- « Tu es courageuse Stella, » murmuré-je.
« Papa et Maman seraient fiers de toi... »

Cette fois, ma petite sœur me lance un véritable sourire. Je l'embrasse sur le front.

J'ai de la chance d'avoir une sœur aussi forte...

- « Ben, » me lance soudain Angèle. « Je ne me sens pas bien... »

Je lève les yeux vers elle et la regarde sans comprendre.

- « Qu'est-ce que tu as ? » lui demandé-je.

- « Je... J'ai une drôle d'impression, » commence-t-elle la voix tremblante. « Comme si... une sorte de force invisible... m'attaquait... de l'intérieur... »

Elle tente de marcher mais ses jambes ne la portent plus.

- « Qu'est-ce que tu racontes ?! » m'étonné-je en me levant pour la soutenir.

- « Je... ne sais pas, » panique-t-elle. « Je... ne comprends pas ! » 

Je lui jette un regard rassurant, mon appréhension ne doit pas transparaître.

- « Ça va aller, » chuchoté-je. « Je ne sais pas d'où ça vient mais je suis là, je ne t'abandonne pas. »

Elle hoche la tête et s'appuie sur moi, je l'aide à s'asseoir contre le mur après avoir consulté le ciel du regard. La pluie a redoublé d'intensité, de plus grosses gouttes s'écrasent sur nos têtes. À côté de moi, Angèle halète et cherche son souffle, son corps est secoué de tremblements.

Seraient-ce les démons qui lui font cet effet ?

À cette pensée, mon cœur se met à battre plus rapidement, de la sueur commence à se former sur mes tempes.

- « Tu te sens mal depuis quand ? » demandé-je à ma petite amie.

- « Je... depuis même pas cinq minutes... » murmure-t-elle. « Qu'est-ce que c'est Ben ? Ça fait mal tellement mal... »

Je tente de lui sourire mais je suis simplement apeuré. Cette situation me stresse car je ne contrôle rien.

- « C'est quoi ça ? » lui dis-je en désignant une tâche sombre sur son t-shirt.

Son regard descend sur sa poitrine et je la sens s'agiter. Elle pose un doigt dessus et relève soudainement son visage vers moi, effarée.

- « Mon Dieu Ben... c'est du SANG ! » crie-t-elle. «JE SAIGNE BEN PUTAIN ! C'est pas possible, je ne veux pas mourir ! »

Je secoue la tête.

NON, non, non ce n'est pas du sang c'est une tâche quelconque...

Je sens mon cœur battre à tout rompre, mon esprit s'agite.

Elle ne peut pas mourir !

Je tends une main hésitante vers elle et effleure son t-shirt. Une substance rouge et visqueuse se colle sur mon doigt.

Du sang...

Angèle a raison. Elle est blessée.

- « Il faut que tu rentres à la maison, » dis-je fébrile. « Tu ne peux pas rester ici. »

- « Mais Ben, je ne peux pas marcher, » panique-t-elle en pleurant. « Je vais mourir Ben, je ne veux pas, aide-moi je t'en supplie ! »

- « Écoute, je vais prendre soin de toi Angèle, » la rassuré-je. « On va trouver une solution mais il faut que tu te calmes... »

Angèle hoche la tête et retient ses cris dans un effort qui semble surhumain. Elle ferme les yeux et penche la tête en arrière, le visage grimaçant. Je me tourne vers Stella, toujours recroquevillée dans le coin, elle demeure immobile.

- « Stella ? » l'appelé-je. « Ça va ? »

Seul le silence me répond. Je m'approche de ma petite sœur en tremblant. Elle ne relève pas la tête à mon arrivée, ce qui m'inquiète.

- « Stella ?? » lancé-je de nouveau. « Tu m'entends ? »

Je pose une main sur son épaule, elle n'a toujours aucune réaction, comme si elle ne me sentait pas... 

Je prends son visage entre mes mains et découvre un teint pâle et des yeux... cernés de noirs.

- « STELLA ! » hurlé-je. « NOOON... »

Je ne perçois pas son pouls sous mes doigts, sa peau possède la froideur de la glace... Je ne peux que me rendre à l'évidence : ma sœur vient de mourir, tuée par des démons...

Les larmes ruissellent sur mes joues, je hurle de désespoir, je ne peux pas vivre sans elle. Comment vais-je trouver la force de sauver ce monde ? Est-ce que je ne devrai pas repartir vers les Enfers pour ne pas avoir protégé ma sœur ? Quel idiot suis-je ? De quelle matière est fait mon cœur ? De pierre ? Je n'en peux plus, ma vision se brouille, mes oreilles sifflent, la pluie continue de tomber. Mon esprit chavire, mon être hurle, ma vie s'échappe. Je meurs moi aussi. Je meurs avec elle, ma sœur, ma tendre Stella, disparue...

Je prends son petit corps dans mes bras et la soulève pour la bercer tout en hurlant ma douleur. J'agis comme si elle était encore là, comme si elle respirait encore, comme si elle vivait... Parce que je ne veux pas y croire. 

Quelle froideur ce sang qui coule de sa poitrine !! Quel tiraillement dans mon être !! Quels sentiments au fond de moi... Je ne suis plus moi, je ne suis plus là, je veux partir avec elle... Je veux mourir à sa place !! Elle n'a pas eu de vie, elle n'a pas vécu l'amour comme Angèle et moi, elle n'a pas connu les joies d'une longue vie.

Stella, ma petite sœur adorée, ta mort sera vengée, je te le promets.

Je dépose délicatement son corps sur le sol et referme ses paupières. Je la regarde, elle semble si calme, si apaisée... Sa poitrine est trouée et saigne abondamment, comme mes parents quelques heures auparavant. Je ferme les yeux un instant, pour ne pas laisser mon désespoir me submerger puis me tourne vers Angèle. Cette dernière ne semble pas se sentir mieux, son t-shirt est trempé de sang et elle sanglote doucement.

Je dépose une main sur le front de ma petite sœur et effectue une rapide prière avant de rejoindre ma petite amie en me traînant. Elle tourne son visage vers moi, son teint pâle m'effraie. Elle tente de sourire mais cela ressemble à une grimace de douleur.

- « Je crois que je suis foutue Ben, » murmure-t-elle. « Je suis désolée. »

Je secoue la tête, la gorge serrée.

- « Ne dis pas ça, tu peux encore t'en sortir, » dis-je la voix rauque. « Stella... déjà... »

- « Ce sont les démons Ben, » me confie-t-elle. « C'est certain. Je ne survivrai pas, tu le sais, alors bat-toi pour nous Ben. S'il te plaît. Ne les laisse pas triompher... »

- « Angèle arrête ! » la supplié-je. « Je ne peux pas vivre sans toi. Et tes parents ? Je vais leur dire quoi ? Non, mon cœur ne pars pas... »

- « On se retrouvera là haut Ben, » lâche-t-elle tandis que des hoquets la secouent. « Je t'aime...»

Du sang s'écoule de sa bouche lorsque sa tête roule sur le côté. Ses yeux vitreux se posent sur moi et leur vide me renvoit violemment le reflet de ma solitude. Mon souffle s'est bloqué dans ma gorge en même temps que le sien, je peine à réaliser, caressant sa joue en grimaçant et en murmurant :

- « Non, non, mon amour ne m'abandonne pas, ne m'abandonne pas... »

À ce moment-là, je suis devenu un être inhabité, vidé, seul, désespéré. Mon être entier hurle de désespoir, cette lueur vacillante qui m'animait vient de s'éteindre. Le chagrin s'échappe par le moindre pore de ma peau. Mon espoir est mort, seul demeure la souffrance, la terreur...

Je me lève d'un bond, le cœur battant, chancelant. Je dois fuir. Je ne peux pas me battre, je n'en n'ai pas la force. Je trébuche sur le sol glissant et m'étale de tout mon long. La douleur ne me dérange même pas, elle n'est rien comparée à celle qui déchire mon cœur. Je frappe le sol de mes poings jusqu'à ce que ma peau éclate et que mon sang se répande à terre. Il se mêle à ceux d'Angèle et de Stella. Je sens la présence froide de leur cadavres autour de moi, de toutes mes forces j'en appelle à leurs âmes, qu'elles reviennent habiter ces enveloppes de chair. Je vois presque leurs corps se relever en vacillant. La Faucheuse m'a parlé, un corps sans cœur peut donc vivre non ? Je veux entendre leurs voix de nouveaux, leurs rires, je veux sentir leur chaleur à mes côtés. J'ai froid seul sur ce toit détrempé par les pleurs du ciel...

Tout à coup, alors que je tente de me relever, une forme sombre apparaît dans mon champ de vision. Cette silhouette ne ressemble pas à celle de la Faucheuse, elle est plus effilée, plus imposante, plus puissante.

Un démon...

Une colère sans nom se réveille au fond de moi. Elle grandit, elle fume, elle tempête et m'assaille de tous côtés. Angèle voulait que je me batte et j'ai promis à Stella de venger sa mort, dans ce cas, je ne peux pas renoncer. Je dois faire face à mon destin. Je dois réussir la mission que la Faucheuse m'a confiée. Je ferme les yeux un instant et rassemble le peu de courage qu'il me reste. Alors, je fourre ma main dans ma poche et saisis la plume noire.

Dévoile-moi tes secrets petite plume, tu es ma dernière chance...

Je m'avance vers la silhouette sombre. Cette dernière me fixe de ses yeux orange, brûlants comme les feux de l'Enfer. La créature est terrifiante, noire comme la nuit et fumante comme la lave d'un volcan. Un brasier semble brûler au fond d'elle avec des crépitements auxquels se mêlent des voix venues d'un monde de ténèbres. Ce que je ressens ne ressemble pas à de la peur. Non, il ne subsiste qu'une colère immense et un désir impérieux de vengeance. C'est mon brasier qui s'est allumé dans mon âme et son feu violent me donne la force de murmurer :

- « Vas-y salaud montre-moi ce que t'as dans le ventre... »

Je brandis la plume devant moi comme une arme quand soudain, une violente rafale de vent me secoue de la tête aux pieds, sans doute une ruse de la part du démon pour me déstabiliser. Je sens mes pieds déraper...

Je tente de me raccrocher à quelque chose...

Et laisse la plume s'échapper...

Elle s'envole au-dessus de ma tête, je tends désespérément la main pour la rattraper mais elle s'élève toujours plus haut. Je cours vers la plume...
Elle tombe dans le vide, s'éloignant définitivement. Le vent s'est calmé mais je cours trop vite, je n'ai rien pour me retenir et le bord du toit se rapproche trop rapidement.  Mon élan m'entraîne, le sol glisse...

Au dernier moment, ma main agrippe une saillie et je sens que mon corps est attiré par le gouffre qui s'ouvre sous moi. De toutes mes forces, je me raccroche au toit. Mes deux bras sont tendus devant moi, je peux voir le démon qui s'approche à pas lents. Il sait qu'il a gagné, que je ne tiendrai pas longtemps, il jubile. Rassemblant mes dernières forces, je crache sur mon ennemi, ce dernier me toise. Il tend le bras vers moi et me pousse vers le vide. Je tente de résister mais il est trop fort, mes larmes coulent, je le supplie de me laisser vivre. Il ne m'entend pas, ou ne me comprend pas. Ses yeux de feu me fixent avec rage et cruauté.

Le désespoir a remplacé ce courage de lion qui m'animait quelques secondes auparavant. J'appelle mentalement la Faucheuse, je pleure, je n'en peux plus. Mes mains me font souffrir, je n'y arrive pas. J'ai échoué.

- « Pardon Stella et Angèle, » chuchoté-je avant de lâcher prise.

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