Chapitre 25 › Dis-moi ce que je sais
J'ai retrouvé ma place de solitaire sur ma serviette de plage, loin de toute activité sportive pouvant potentiellement me blesser. Après tant d'émotions en une matinée, je ressens le besoin de m'octroyer une pause.
Mon livre est ouvert sur mes yeux et me sert à me protéger du soleil. La température est assommante, je me sens transpirer au fur et à mesure que les secondes passent. Ça me rappelle mon enfance. Je me revois en Italie, en compagnie d'Adeline, cuisant durant des heures sur le sable, jouant dans l'eau de Santa Severa. Ces souvenirs me décrochent un rictus.
Je n'ai jamais rien connu de plus agréable que la chaleur de l'été qui s'étend sur ma peau.
Quoique... peut-être les étreintes de Vincent...
Mes sourcils se froncent. Je chasse cette image en me concentrant uniquement sur le bruit des vagues qui se heurtent contre les rochers.
La mer... Oui, voilà ! La mer qui chante à mes oreilles et... ses baisers mouillés dans mon cou...
Mes mains agrippent le sable sur lequel elles reposent tandis qu'un grognement de contrariété m'échappe. J'invite mon esprit à visualiser ce qui m'entoure : les grains chauds qui se dispersent sous mes doigts, les goélands dans le ciel, le vent qui caresse mes cheveux...
Et les épaules de Vincent luisant sous le soleil...
J'appuie mon livre contre mon visage à l'aide de mes paumes, j'aimerais qu'il m'étouffe afin de faire disparaître les déviations de ma tête à l'égard de Vincent.
— Rha, mais ce n'est pas vrai ! râlé-je. Quel sorcier, celui-là !
— Qui ça ?
La voix qui vient de poser cette question attrape mon livre et le dégage de mes yeux d'un geste précipité. La lumière aveuglante me force à les plisser et j'aperçois le visage de Vincent qui, vu d'en bas, se mêle au ciel bleu.
C'est bien ce que je dis, foutu sorcier !
Il arque un sourcil.
Il ne semble pas vraiment comprendre pourquoi je m'énerve tout seul et je ne compte pas le lui expliquer. Je me redresse en tailleur pendant qu'il s'assied à mes côtés. Je me sens coupable d'avoir une telle attirance envers lui, alors que je tais ce qu'il s'est produit avec Camille.
Je devrais peut-être lui en parler.
Avec hésitation, j'annonce péniblement :
— Il faut que je te parle de quelque chose.
— Ah ! Tu vas enfin m'expliquer pourquoi tu as supprimé ta photo Instagram ?
Mon corps se tétanise et mon cerveau se bloque.
Mes théories sur le fait que Vincent puisse m'espionner depuis un moment se bousculent dans ma tête. Je cherche la faille que je n'ai pas su voir, la peur au ventre que tout ça ne soit qu'un nouveau coup monté.
Tout est si confus que mes mots ne s'alignent plus, ils laissent place à un bégaiement face au petit air satisfait qui se dessine sur le visage de mon interlocuteur :
— Je... Mais... Co... comment sais-tu ça ? Mon compte est en privé !
Il pouffe, mais je continue :
— J'ai un mot de passe sur mon téléphone. Tu l'as vu avec le compte de Roxanne ? En fait, t'es doué en informatique et tu m'as piraté, c'est ça ?
Je l'assourdis de questions, car j'ai horreur de ne pas comprendre une situation, j'ai besoin de réponses immédiates. Mais il rit, tandis que ma poitrine s'opprime de plus en plus. Mes yeux ne savent même plus où se poser, j'ai l'impression d'avoir été berné et de lui avoir été infidèle. Les larmes montent instantanément dès que les lèvres de Camille embrassant ma peau me reviennent en mémoire.
Est-il au courant de cette nuit-là également ?
— Eh, Allan... Pourquoi tu te mets dans cet état ?
Je pince mes lèvres entre elles, préférant observer l'horizon que d'affronter son regard. Je me recroqueville sur moi-même en rapprochant mes genoux de mon torse. Stressé, je n'arrive pas à lui expliquer ce que je ressens. La suite de notre conversation m'effraie, je ne suis pas prêt à le perdre. Ni maintenant ni jamais.
D'une manière discrète, j'inspire longuement pour me calmer, puis je reprends d'une voix morne :
— Mon compte est privé, comment t'as fait ?
— Il ne l'était pas lorsque je m'y suis abonné. Je m'en souviens encore, c'était le dix-neuf février précisément, m'avoue-t-il enfin.
Les expressions de mon visage se ferment, j'essaie de me remémorer cette période de ma vie sans réellement réaliser qu'en fait, le garçon dont ne cessait de me parler ma meilleure amie s'intéressait déjà à moi.
Qu'est-ce que je faisais en février ?
À l'exception de mes cours et de mon séjour dans le nord, chez la sœur d'Adeline, je vivais mon train-train quotidien d'angoissé et de petit persécuté par ses harceleurs...
Le dix-neuf février...
Un souvenir me revient comme une gifle et contracte mon cœur si fort que j'en ai le souffle coupé. Cette date correspond au jour où l'un de mes oppresseurs a plongé ma tête dans une toilette du lycée dans laquelle il avait uriné.
C'est comme si mon cerveau avait totalement effacé ce passage de ma vie. Ils n'avaient jamais été aussi loin dans l'humiliation, dans leurs violences physiques... Ce soir-là, si Roxanne n'était pas venue jusqu'à chez-moi pour me supplier de l'accompagner à une fête, je ne serais sans doute pas sur cette plage.
— Allan, ça va ?
Sous l'influence de mes réminiscences, le revers de ma main tape brusquement la sienne qui s'approchait de mon visage. Mon geste me sort du brouillard noir qui a accaparé ma tête et découvre l'expression perplexe de Vincent face à mon rejet.
— Tu pleures..., s'enquiert-il.
— Ce n'est rien, achevé-je en m'empressant d'essuyer les larmes que je n'avais pas senti couler. Bref, je ne comprends pas comment tu as pu trouver mon compte...
Il relâche un léger soupir, puis il plie une jambe sous celle qu'il garde relevée, s'en servant comme support pour son bras qui laisse pendre sa main dans le vide.
— Je vais t'expliquer, entame-t-il. Ce soir-là, j'étais présent à l'anniversaire d'Elias et Lucas. C'est là-bas que j'ai rencontré Roxanne.
— Je m'en souviens, l'interromps-je. Elle m'a soulé à parler de toi durant des jours, après ça.
Il ne peut réprimer le rictus qui naît au coin de sa bouche.
— On parlait banalités, reprend-il, alors je lui ai demandé si elle était venue seule ou avec des amis et elle t'a pointé du doigt, pour me montrer que tu l'accompagnais. C'est la première fois que je t'ai vu.
Je l'écoute attentivement, retraçant le schéma de cette soirée dans ma tête. Elle fut un supplice pour moi. Je me revois encore avec mon verre à la main, incapable d'effacer de ma mémoire que, quelques heures plus tôt, j'avais pris la décision de me suicider.
Au même moment, nous prononçons à l'unisson des mots quasiment identiques.
— J'étais appuyé contre le mur du hall d'entrée.
— T'étais contre le mur de l'entrée.
Je suis resté près de la porte d'entrée durant des heures avec l'envie de m'évader. Torturé par mes crises, que je gardais pour moi. Je n'ai pas levé le nez de mon verre ce soir-là ni même de mon téléphone qui me faisait fuir la réalité. J'ai fait acte de présence afin de protéger mon secret, mais en rien je n'ai vécu ce moment, je l'ai subi jusqu'à retrouver mon lit.
Je fronce légèrement le nez pour marquer la douleur que je refoule et m'arme de courage pour approfondir le sujet :
— Et ensuite ? Je ne comprends toujours pas pourquoi tu t'es intéressé à moi au point d'aller me trouver sur les réseaux sociaux.
Il hausse les épaules, puis pince ses lèvres entre elles.
— Je sais pas, c'était un peu bizarre. Avec Roxanne, on a fini par s'échanger nos comptes Instagram et j'avoue que j'ai pas pu m'empêcher de te chercher sur ses réseaux, ce qui n'était pas bien compliqué.
Plus il m'explique son comportement, moins je le comprends.
— Mais, pourquoi as-tu fait ça ? Ça n'a pas de sens, Vincent !
— J'en sais rien ! peste-t-il. J'ai pas dit que tout ça avait du sens, c'est juste que tu quittais pas ma tête.
— Mais pourquoi ?
Son ton devient soudainement plus abrupt :
— Tout n'a pas d'explications, Allan. Je sais pas quoi te dire, c'était ta façon de boire timidement dans ton verre, de t'adosser contre le mur ou encore de voûter tes épaules quand quelqu'un passait à côté de toi... Tout ça te rendait un peu... dreamboat* à mes yeux.
Le regard perdu vers la mer, je repense à sa première remarque sur mes chaussettes, à nos excursions, et à tout ce qu'il a pu me dire depuis en pensant qu'il me devinait.
La réalité est telle qu'il avait une opinion déjà toute faite sur moi, en plus de connaître mon secret. Je croyais que nous étions faits pour nous rencontrer, que tout s'emboitait à la perfection, car l'univers l'avait décidé.
J'avais tort. Tout ça, c'est lui qui l'a provoqué.
Cloîtré dans mes peurs, j'ai du mal à avaler ma salive par ma gorge qui se resserre.
— En résumé, tu as eu pitié de moi, l'accusé-je.
— Quoi ? Non, ce n'est pas ce que j'ai ressenti ni ce que j'ai dit.
Je n'en peux plus, j'ai tant d'épines dans le cœur, et plus ça me pique, plus ça m'écœure. Mes émotions débordent, elles deviennent un volcan en éruption qui me fait subitement réagir par l'agressivité :
— Arrête de te payer ma tête ! C'est clairement ce que tu viens de me faire comprendre.
— Non, je refus..., tente-t-il d'articuler avant que je le coupe.
Le langage de son corps est une expression de sa confusion, comme s'il n'avait pas envisagé que je puisse réagir de la sorte.
— Tu veux que je te dise, Vincent ? Je pense qu'en me voyant, tu as trouvé quelqu'un de plus blessé que toi et que ça t'a rassuré. Tu vois, je pensais que toi et moi, ce n'était pas dû au hasard. Mais, grâce à mes réseaux et mon secret, tu avais une assez bonne perspective pour pouvoir m'approcher. Ce qui fait que tout ce truc qui se passe entre nous est erroné !
— Ce truc ?
Il fait claquer sa langue contre son palet pour marquer son agacement. Son visage se détourne vers l'horizon et les traits de son visage qui se crispent me font comprendre que sa patience a bientôt atteint sa limite.
Manipulé par des peurs qui m'empêchent d'agir raisonnablement, je l'attaque une fois de plus :
— Tu dois être content, tu as eu ce que tu voulais en m'embrassant.
Il m'arrête en prenant mes poignets qu'il resserre fermement entre ses doigts et pour la première fois, il hausse le ton envers moi :
— Ça suffit, Allan. Tu me prends pour qui ? Ce truc, c'est ainsi que tu nous décris ? Tu es vraiment sûr de ton coup, là ? Je n'ai jamais eu pitié de toi. Lorsque Roxanne m'a invité à venir ici, je ne savais même pas que tu ferais partie du voyage.
— Alors pourquoi es-tu venu, Vincent ? m'emporté-je à mon tour.
Sa réponse fuse, mais sa voix se brise :
— Parce que j'espérais que tu sois là ! C'était l'occasion ou jamais de pouvoir te connaître sans que ce soit étrange que le crush de ta meilleure pote vienne te parler. J'ai tenté ma chance !
Mon cœur fait de la balançoire dans ma poitrine devant son regard qui ne daigne pas se détourner du mien. Je ne peux résister à la lueur que reflète la couleur cognac de ses iris.
— Tu me le promets ? Tu me promets que tu n'as jamais eu pitié de moi ?
— Oui, je te le promets, Allan. Je n'ai jamais pensé que tu étais faible, au contraire. C'est parce que tu ne vois pas à quel point tu es courageux que cela te rend attirant. J'ai peut-être tout essayé pour me rapprocher de toi, mais ce qu'il se passe entre nous, je ne l'avais pas prévu. Je ne pensais même pas que c'était possible.
Il vient aussitôt poser son front contre le mien tandis que le bout de nos nez se câlinent. Là, je retrouve l'apaisement par le biais d'un baiser furtif qu'il vient me voler.
Vincent est le risque que je veux prendre.
— Je devais te parler de quelque chose, amorcé-je.
Mon intonation est pacifique, je souhaite esquiver notre conversation principale. Ses doigts glissent en un effleurement jusqu'à l'un de mes mollets qu'il se met à caresser. J'étends légèrement ma jambe afin de lui montrer que tout va bien entre nous, ce qui lui provoque un sourire qui semble rassuré :
— Je suis tout ouïe.
— OK, prépare-toi, parce que je vais être direct. Hier soir, j'ai surpris Camille et Gabriel en train de s'embrasser.
Lâcher cette bombe me rend nerveux. Contrairement à Vincent, qui lui m'observe d'un air attendri. Je reste perplexe, je m'attendais à ce qu'il soit ébahi, moi qui suis encore perturbé par cette histoire.
— Dis quelque chose, bon sang ! grommelé-je.
Il pouffe.
— Désolé, mais tu es beaucoup trop sweet pour que je puisse m'attarder sur autre chose.
Il retient un rire en pinçant ses lèvres et je reste bouche bée face à son comportement qui me dépasse.
Je lui apprends l'improbabilité de ce millénaire et cet idiot reste planté là, avec son sourire béat !
Ma déception flagrante le fait flancher : sa bouche dépose un baiser furtif sur mon épaule rougie, me faisant frissonner, non seulement par la sensibilité du contact envers cette partie abîmée de mon corps, mais aussi par le simple fait que cela vienne de lui.
Dans le doute, je me répète :
— Tu as entendu ce que je viens de te dire ? Camille et Gabriel se sont embrassés !
— J'avais déjà entendu la première fois, tu sais. Seulement, tu ne m'apprends rien. Je le sais depuis longtemps, m'avoue-t-il. Gabi flippe de faire son coming out et Camille est... disons qu'il est un peu... curieux.
Mes yeux s'arrondissent de surprise.
— Et tu ne m'as pas mis dans la confidence ? lui reproché-je. Tu n'as rien dit alors que Gabriel m'emmerdait avec ses propos homophobes !
— Je sais garder des secrets, je n'ai rien dit pour le tien non plus. Et je te rappelle que je t'ai défendu plus d'une fois.
C'est le moment où jamais de me libérer du poids de Camille.
Sans plan ni pensées cohérentes, je confesse :
— À la dernière soirée feu de camp, celle où tu as sorti le coquillage du sable... Ce soir-là, Camille est resté avec moi et... il m'a embrassé dans le cou plusieurs fois.
Vincent baisse les yeux et je regrette aussitôt d'avoir abordé le sujet.
— Je sais, finit-il par dire en soupirant. J'ai été de corvée de réapprovisionnement de bières, puisque Camille ne revenait pas. Je me doutais qu'un truc clochait, alors je suis passé par la terrasse et je vous ai vu. C'est aussi pour cette raison que, le lendemain, j'ai décidé de te faire comprendre que tu me plaisais.
Je tombe des nues. Je comprends mieux pourquoi il s'était levé tôt et s'était attardé dans la salle de bains pendant que je prenais ma douche.
— Donc, rien ne t'échappe, c'est ça ?
Il lève le menton, pas peu fier.
— Je te l'ai dit, je vois tout.
— Tu fais flipper, Vincent.
Le bond que font ses sourcils et son sourire prétentieux me font rouler des yeux, je suis dépité à l'idée de m'être fait autant de mouron pour si peu. Mon coude vient s'appuyer contre mon genou et mon menton se repose dans ma paume.
La mine boudeuse, je reprends d'un ton solennel :
— Dis-moi plutôt quelque chose que tu ne sais pas, on ira plus vite.
— OK, ça me va ! Tu m'aimes ?
Mon cœur trébuche. Je ne m'attendais pas à une telle question, je ne me l'étais d'ailleurs jamais posée.
Malgré la panique qu'il vient d'engendrer dans ma tête, je demeure impassible, priant pour que je paraisse le plus naturel possible alors que je me sens rougir de plus belle :
— Tout bien réfléchi, continue de me dire des choses que tu sais.
Vincent s'esclaffe, sa main tenant son ventre.
Je n'ose pas le regarder, mes pommettes doivent être aussi écarlates que la couleur de la brûlure de mon épaule. Sa question tourne en boucle dans ma tête et une seule réponse se présente dans mon esprit.
Animae subtiliter conexae.
Ce qui signifie que nous sommes des âmes intimement liées.
✦
* Une personne vraiment attirante. L'équivalent en France d'un « avion de chasse ».
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