Chapitre 25


Xichen était resté longtemps immobile et pensif, au centre de cette chambre vide, tandis que le jour achevait de se lever. Nul n'avait osé le déranger. Il avait finalement serré les poings, avant d'inspirer profondément et de redresser la tête pour sortir. Les cultivants qu'il croisait écarquillaient les yeux et rasaient les murs sur son passage, mais il ne se soucia nullement de l'aura de danger qu'il pouvait dégager à cet instant.

Il rejoignit la chambre de Jin Ling et, sans aucune considération pour l'autorité des cultivants Jin qui se trouvaient là, prit sur lui de tripler la garde du jeune chef de clan et d'ordonner au médecin de ne pas quitter son chevet. Selon les dires du praticien, l'état de Jin Ling n'empirait pas, mais il était déjà si grave qu'il ne laissait aucun espoir de guérison. L'homme parla de jours, voire d'heures, et le visage de Xichen se ferma davantage encore.

Ceux qui le virent dans les heures suivantes arpenter les lieux, à la recherche du moindre indice, et houspiller chaque serviteur dans sa tâche, en venaient presque à regretter l'aimable tempérament de Jiang Cheng. Personne n'osa de nouveau émettre ses doutes à haute voix, et ceux qui l'envisagèrent se virent réduits au silence d'un regard ou d'un sort bien placé.

Par acquis de conscience, il inspecta également la pièce secrète, et son humeur devint plus sombre encore quand il s'avéra indéniable que rien n'avait été volé et qu'on lui avait fait perdre un temps précieux à cette activité qui, en plus du reste, sonnait dans sa poitrine comme une trahison envers A-Yao. Un aveu détestable de suspicion.

En l'absence d'indices, il exigea sans y mettre la moindre diplomatie que chaque personne présente à JinlinTai soit amenée vers le grand escalier. Celui-ci fut bientôt occupé par des dizaines de cultivants fébriles, lançant autour d'eux des regards étonnés, voire inquiets. Xichen se plaça à son sommet, à l'exact endroit qu'A-Yao avait tant détesté... et tant occupé également. Il les balaya tous du regard.

— Jin Rulan est mourant ! asséna-t-il, provoquant des hoquets et des cris de détresse, tandis qu'il détaillait chaque visage, chaque infime regard.

Par les astres, comme il aurait voulu que Wei Wuxian soit à ses côtés ! Épaulé par sa sagacité légendaire, il aurait eu tôt fait de débusquer les coupables.

— Jin GuangYao a été enlevé.

Il foudroya du regard le cultivant Jin, qui avait remis en doute son jugement le matin même dans la chambre, le mettant au défi de prononcer le moindre mot, la main sur la garde de son épée. Nul ne rata cet échange silencieux, et Xichen était conscient que bon nombre de cultivants trouvaient son attitude déplacée, lui qui prenait ainsi les commandes sans avoir aucun lien avec leur secte. Ce qu'ils toléraient de l'oncle de leur chef de clan, ils n'étaient pas prêts à l'accepter d'un autre, fût-il l'illustre Zewu-Jun.

Mais Xichen avait passé sept années à maudire son manque d'implication, sa retenue, son respect des convenances... S'il devait se fourvoyer aujourd'hui, ce ne serait pas par les mêmes biais.

— Ces deux événements sont liés, j'en suis convaincu. Je sais vos doutes et votre irritation. Jin Ling, reprit-il en utilisant volontairement ce terme familier et en élevant la voix, est peut-être votre chef de clan, mais il est pour moi un ami précieux. Un enfant que j'ai vu grandir et devenir un homme, un cultivant que j'estime et qui a partagé son deuil avec moi, et moi seul !

Sa voix portait maintenant fortement au-dessus des visages graves et silencieux. Chacun s'était figé : tout le monde connaissait Zewu-Jun et le savait redoutable. Rares étaient les cultivants qui n'éprouvaient pas de respect pour lui, et encore moins pouvaient se vanter de l'avoir vu élever la voix et, de manière certaine, aucun de ceux qui se trouvaient là.

— Je ne le laisserai pas mourir, comme tant d'autres sont morts par le passé, par la faute de la défiance de quelques-uns !

Il engloba les cultivants devant lui d'un geste large.

— Alors regardez, et dites-moi : qui n'est pas là ?

Des regards interrogatifs furent échangés, on sembla douter quelque peu de sa stabilité mentale, aussi développa-t-il :

— Jin GuangYao a été atteint par quelqu'un qui connaissait les lieux et pouvait s'y déplacer. Quelqu'un qui avait la possibilité d'introduire des étrangers sans être interrogé.

La lumière sembla se faire dans les esprits des cultivants, et Xichen perçut que plusieurs des hommes présents inspectaient désormais avec sérieux les visages autour d'eux. Du haut de l'immense escalier, Xichen les observait également, essayant d'analyser leur attitude, mais leur nombre et l'immensité des lieux n'était pas un atout. Finalement, un homme vêtu de l'uniforme propre à la garde fit un pas en avant, en levant une main hésitante. Le malheureux était livide, et Xichen descendit quelques marches pour aller à sa rencontre.

— Parle, si tes soupçons sont infondés, il ne te sera fait aucun reproche ni aucun tort à ceux que tu suspectes.

Le garde hocha la tête et sembla retrouver le courage de sa fonction.

— Zhang Min n'est pas là. Li Xiuying non plus.

L'homme fit preuve d'intelligence et de diligence, en anticipant les interrogations de Xichen.

— Zhang Min supervise une équipe de sept gardes, dont je fais partie. Li Xiuying a été introduit dans la secte il y a quelques mois, et il a intégré notre équipe il y a peu de temps. Ils semblent entretenir une certaine... amitié ?

Le garde était mal à l'aise, mais Xichen ne le lâcha pas du regard, pas même quand le cultivant Jin qui paraissait vouloir tout scruter par-dessus son épaule s'approcha à son tour.

— Soupçonnes-tu qu'ils puissent être amants, interrogea Xichen qui en avait vu d'autres, et que cela pourrait expliquer leur absence ?

Le garde se liquéfia sur place, et tous ceux autour d'eux firent un pas en arrière au risque de chuter, comme si le malaise pouvait retomber sur eux.

— Non ! réfuta l'homme dans un glapissement. C'est juste... Ils semblaient être sur la même longueur d'ondes, Zhang Min a rapidement donné à Li Xiuying des responsabilités, que beaucoup estimaient imméritées. Cela a provoqué quelques tensions dans notre groupe. Et pourtant, ils ne semblaient pas non plus s'apprécier plus que cela...

Xichen se tourna vers le cultivant Jin et le toisa.

— Qu'en dites-vous ?

L'homme était blême et son regard balayait l'assemblée, comptant et recoupant les informations qu'il possédait avec ce qu'il venait d'entendre.

— J'en dis que Zhang Min a longuement étudié les arts obscurs, à une époque où il prétendait vouloir aider Jiang Cheng à retrouver son frère supposément défunt... et que Li Xiuying a vécu dans la province dépendant de la secte Moling Su.

Le sang de Xichen se figea dans ses veines, et ses oreilles se mirent à bourdonner furieusement, tandis que l'homme s'inclinait devant lui.

— J'en dis surtout que je vous dois des excuses, Zewu-Jun.

Xichen contempla la nuque de l'homme incliné devant lui. Tout une vie de bonne éducation le retint de lui suggérer de se placer ses excuses là où elles ne pourraient voir le jour.

À l'instant où le cultivant se redressait, un papillon de papier plié lui fit lever les yeux. Sa célérité provoquait un léger sifflement typique, et Xichen leva une main sans même y réfléchir. Le message percuta sa paume dans un claquement sec, et il s'empressa de l'ouvrir pour le lire.

Le peu de sang-froid qu'il tentait encore de maintenir le déserta, et il remonta les marches en toute hâte, après avoir abandonné le billet au cultivant interloqué... Derrière lui, l'homme recommanda à chacun de retourner à ses occupations, et de ne quitter la cité sous aucun prétexte.

Xichen entreprit de faire une rapide réponse à son frère mais se figea en la rédigeant, se demandant quelle était la prochaine étape pour espérer sauver Jin Ling et A-Yao. À n'en point douter, le but de ces comploteurs se trouvait bien au tombeau, là où devaient également se tenir Wei Wuxian et Huaisang à présent. À moins que Maître Wei n'ait eu vent de la disparition d'A-Yao et que, pris d'une soudaine inquiétude pour son neveu, il ait rebroussé chemin, laissant alors le champ libre à leurs ennemis...

Zewu-Jun voulait croire en la clarté d'esprit du Patriarche Yiling, mais il savait mieux que quiconque combien la raison peut faillir, lorsque le cœur souffre et s'inquiète. Cependant, il comptait sur Huaisang pour insister à maintenir leur cap vers la tombe et ce qu'elle contenait. Un frisson parcourut sa nuque, et il prit soudain peur. Cette sensation d'être piégé lui fut extrêmement pénible alors qu'il réalisait que si ces deux-là rebroussaient chemin, les vies de Jin Ling et A-Yao étaient vraisemblablement perdues.

Mais, s'ils persistaient à garder le tombeau, combien de leurs ennemis s'en prendraient à eux ? Dépourvu de son noyau d'or, Wei Wuxian n'était plus le guerrier qu'il avait été dans sa jeunesse, même s'il pouvait encore en remontrer à nombre de cultivants. Ferait-il le poids face à on ne savait combien d'enragés, seulement soutenu par Huaisang et leur groupe de cultivants, ainsi que les hommes présents ?

Toutes ces années, le tombeau avait été surveillé pour prémunir le monde de ce qui pourrait en émerger, avec le succès que l'on connaissait à présent. Mais ses gardiens n'étaient certainement pas formés à effectuer cette mission en essuyant des attaques extérieures.

Xichen modifia alors son destinataire et envoya d'urgence un message à son beau-frère, l'avertissant d'un piège. Il ne sut quoi lui conseiller, et s'abstint, laissant Wei Wuxian seul juge des décisions à prendre. Partir ou rester, rien ne semblait convenir... Il informa ensuite de la même manière son cadet que Meng Yao avait bien été enlevé, et qu'il se rendait séance tenante sur place.

Il se munit rapidement de talismans et ressortit pour entamer son voyage. Alors qu'il montait sur son épée, il se contenta de lancer derrière lui :

— Envoyez le plus d'hommes possible vers le tombeau, mais maintenez une surveillance étroite sur Jin Rulan. S'ils se voient piégés, nos ennemis pourraient s'en prendre à lui directement, en espérant que cela détournera une grande partie des guerriers de leur chemin, une fois la possibilité de le sauver envolée.

Les cultivants présents approuvèrent vigoureusement, et il s'éleva dans les airs, filant sans plus tarder vers le tombeau. Son cœur battait contre ses côtes, rendant sa concentration et donc sa progression difficile. Il refusait d'envisager ce que ces hommes comptaient faire d'A-Yao, mais son intelligence ne lui permettait guère de simplement reporter à plus tard les horribles conclusions qui tyrannisaient son esprit.

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