La photo de classe * (nouvelle)
La photo de classe type.
Au premier rang, une petite fille sage avec des ballerines et des chaussettes montantes, les cheveux séparés d'une raie nette en deux tresses : celle qu'on traitera d'intello toute sa scolarité, alors que ça ne veut rien dire. De préférence avec des lunettes qui lui donnent un air strict et la vieillissent beaucoup trop. Et en même temps, elle paraît si petite, dans sa belle robe à collerette blanche ! Les mains crispées sur ses genoux, elle affiche un petit sourire timide.
Ce que la photo ne montre pas, c'est la plaie béante au fond de son cœur. Elle a été désignée comme souffre-douleur de la classe dès le premier jour, elle qui n'a rien contre personne, elle qui rends ses parents si fiers. C'est son seul soleil dans la semaine : le sourire de sa maman quand elle a réussi une dictée ou obtenu une bonne note. Ses professeurs la disent intelligente ; elle n'en tire aucune satisfaction. Tout ce qu'elle veut, c'est avoir elle aussi son petit groupe d'amis, et elle ne comprends pas ce qu'elle a fait de mal pour qu'on la repousse et qu'on se moque d'elle.
Ah ! Si elle savait... Elle qui pleure tous les soirs, si elle savait que seules ses tresses et ses ballerines la condamnent à être pointée du doigt... elle couperait probablement ses longs cheveux. Sa maman la gronderait, mais elle serait sûre de se faire accepter le lendemain. Seulement une fois que les étiquettes sont collées, elle sont difficiles à détacher.
Non loin d'elle, les deux pipelettes, ces deux amies que même la mort ne peut séparer. Elles aussi sont moquées, mais elles sont deux et elles n'y prêtent aucune attention. Toujours ensemble, pour le meilleur et pour le pire.
Car oui, le pire existe aussi pour ces âmes sœurs. Leurs sourires cachent une tristesse profonde : l'une va bientôt déménager. Elle ne s'intégrera jamais dans son nouveau collège, et sa moitié, esseulée, tentera en vain de se faire une place en se maquillant et en s'immisçant dans un groupe d'amis qui ne fera que la rejeter.
Passons maintenant au deuxième rang. Sur celui-ci, on peut trouver l'artiste, ce jeune homme discret et tête en l'air. Photographe, peintre ou écrivain, il déborde d'imagination et ne rêve que d'une chose : libérer toute sa créativité. D'un naturel solitaire, il dégage pourtant un charme qui lui attire la sympathie des autres sans qu'il n'ait rien fait pour cela.
Cependant lui non plus n'est pas heureux. Sa mère, musicienne à la carrière prometteuse, est partie de la maison quand il était enfant. Son père, qui ne s'en est jamais remis, a déclaré la guerre à l'art et par conséquent à son fils. Il déchire ses dessins, brûle ses poèmes et ne cesse de le rabaisser dans le but de le décourager. Bien sûr, il l'aime, mais à chacun de ses sourires, c'est elle qu'il revoit...
Son fils, pourtant, ne renonce pas, et s'accroche désespérément aux cinq ans, trois mois et sept jours qu'il lui reste avant sa majorité. Et en secret, il est amoureux...
Mais si, vous voyez bien, elle est là, deux personnes à côté de lui ! Elle ne sourit pas. De sa mèche rouge à ses Doc Martens abîmées en passant par son pendentif en argent et ses jeans déchirés, tout la désigne comme "la gothique".
Derrière son large T-shirt se cache aussi une histoire : celle d'une jeune fille au passé douloureux. Elle a été adoptée à onze ans après l'incendie dans lequel elle a vu mourir son petit frère. Lorsque la maison est partie en fumée, son père, oubliant la foule qui était présente, s'est mis à lui beugler que tout était de sa faute. C'était vrai, elle le savait : c'était elle qui avait laissé le gaz ouvert quand elle avait retiré la casserole. Un pompier a écarté son père et a appelé la police ; il avait beaucoup trop d'alcool dans le sang. Il a écopé de quelques mois de prison et la jeune fille a été retirée de la garde de sa mère qu'ils ont qualifiée de "psychologiquement instable". Après un an dans un foyer, elle a été accueillie dans une famille.
Et au troisième et dernier rang, il y a les populaires, les rois de la classe. Le plus important, le "chef de la meute" est grand et beau. Avec sa coupe de footballeur et ses fringues de marque, il a tout l'air du faux rebelle à l'enfance parfaite... Détrompez-vous.
Son sweat trop grand cache une panoplie de bleus. Après la rupture de ses parents, sa mère aurait voulu se débarrasser de lui mais il a été décidé qu'il resterait avec elle. Elle lui fait bien sentir que sa présence n'est pas souhaitée et le frappe quand il a des mauvaises notes. Certes sa maison est grande et belle mais il n'y est nulle part en sécurité. Il n'invite jamais personne chez lui et sors en cachette pour retrouver ses amis, ce qui lui vaut à chaque fois de nouvelles marques.
Il n'est pas le seul de la bande à être malheureux ! Regardez celle-là, à côté de lui.
Sa mère est actrice, ce qui lui vaut sa place dans le groupe. Elle a hérité d'elle une grande beauté mais aussi un besoin irrépressible de plaire. Ayant été élevée seule par une mère souvent absente, elle est constamment en manque d'amour. Oui elle est aussi une peste. Oui elle est possessive et volage. Mais elle a besoin d'affection. Elle ne veut pas être abandonnée. Elle l'a déjà trop été, par un père qui refuse de se montrer, une mère partie à l'autre bout du monde ou un copain qui ne l'aimait plus. Alors non, elle ne laissera pas les choses se reproduire.
Je pourrais continuer encore des heures, avec l'autiste toujours moqué, le réfugié à la nombreuse fratrie, la fille qui ne veut plus en être une, le roux a qui on demande si il a une âme... Chacun a une faiblesse, un point sensible, une raison d'être moqué.
Personne n'a besoin d'être plaint, mais tout le monde a besoin d'être compris. Il y a une autre fin à cette histoire : l'"intello" devient la confidente de la "gothique", laquelle sors avec l'"artiste". La "pipelette" désormais seule depuis que son amie a déménagée se rapproche de la "peste" qui renonce à son groupe qui ne fait que la juger. La seconde "pipelette" vient rendre visite à sa meilleure amie tout les samedis et peu à peu s'intègre à un groupe. Le "populaire", quand a lui, par vivre chez son père à l'autre bout du pays où tout se passera mieux.
Mais pour ça, ils ont besoins d'être écoutés. Tous. Chacun porte un poids en lui, enfermé à double tour dans un jardin secret. Souvenez-vous en, quand vous observerez une photo de classe, à l'avenir. Maintenant vous savez ce que cachent leurs sourires.
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