Chapitre 13 : Atterrissage Douloureux
Pour ce que Marie en savait, les Vertus et les Pécheresses avaient vu le jour au même moment. Élus du Créateur, ils s'étaient retrouvés affublés de caractéristiques inattendues, et pas toujours agréables. Le seul souci ? Tous les Péchés étaient incarnés par des femmes, mal vues par l'Église, et toutes les Vertus étaient des hommes.
Comment le crétin du dessus avait-il fait pour ne pas voir les problèmes misogynes que cela allait entrainer !?
Marie avait toujours été pourchassée par les Vertus. Il fallait dire que le temps qu'elle maitrise la Colère, il y avait eu un nombre incalculable de morts. Elle n'en était pas fière, mais elle considérait également que son époque de création comportait déjà son lot de guerres et de décès. À époque violente, vie violente.
Néanmoins, en dépit du contentieux entre les deux factions, ils étaient parvenus à un statu quo où l'ignorance était la meilleure des techniques. Tout le monde avait respecté cela... jusqu'à présent.
Se retournant sur son cheval, Marie eut pour la énième fois l'impression d'être suivie. Paupières plissées, elle avisa son environnement, avant de continuer sa route. Elle se trouvait dans une forêt épaisse, à trois jours en canasson de Rome. Elle ne savait pas quelle route avait prise Madeleine, mais elle préférait ne pas le savoir. Si elle se retrouvait en mauvaise posture, elle ne pourrait ainsi pas trahir son amie.
Reprenant ses reines, la sorcière émit un grognement de douleur.
Sacrelote, qu'il fallait être cloche pour saisir une épée à pleine main ! Et en plus, elle était la seule sorcière à ne pas maitriser le moindre sort de soin ! Furieuse contre elle-même, elle se dit pour la énième fois de sa vie que se laisser dominer par la Colère, ce n'était pas une bonne chose.
Fermant brièvement les yeux, elle se dit également qu'elle devrait dormir un peu. Cela faisait déjà deux jours sans sommeil, non ? Sortie des sentiers pour éviter d'être repérée, elle avait besoin de toute sa concentration pour éviter les pièges de la forêt.
Néanmoins, là, elle devait se reposer.
Trouvant un petit coin au bord d'une rivière, elle laissa son cheval libre, mais harnaché, avant d'aller s'allonger. Aussitôt installée, aussitôt elle ronflait.
Ce qui la réveilla, moins d'une heure plus tard, ce fut le brusque silence. Les yeux grands ouverts, elle s'assit, l'oreille aux aguets. La main sur la garde de son épée, elle retint sous souffle.
-Bonjour, Marie.
La lame de son arme se planta dans l'arbre, manquant de peu le crâne de Caïus le vampire. Un mauvais sourire aux lèvres, le suceur de sang revint s'installer sur l'une des racines de l'imposant chêne, tout en la considérant de ses yeux rouges. Lui, il avait les crocs.
-Qu'est-ce que tu fous là, Caïus ?
-Je suis curieux de savoir comment tu t'es retrouvée à coucher avec un ange.
Avec un grognement, Marie se laissa aller contre le tronc de l'arbre. Nullement détendue, elle délogea son épée de sa main valide, tout en répondant :
-On ne couche pas ensemble.
-Vraiment ? Pourtant, des rumeurs que j'ai perçu dans les thermes, il est un homme qui saurait te satisfaire...
-Tu ne vas pas me faire croire que cette unique question t'a fait me suivre depuis Rome. Qu'est-ce que tu veux ?
Le vampire haussa les épaules.
-Que tu couches avec cet ange ou non, tu as mis tout le monde en colère. L'Église entière veut ta peau.
-Sans déconner ? Ils se sont souvenus que j'existai, et d'un coup ils décident que je suis une menace pour l'humanité ?
-Gagné. D'un autre côté, tu as tué deux Vertus en une seule fois. Ils ont beau être immortels, ils détestent la mort.
-Ça fait mal de mourir, je sais de quoi je parle. Et toi, qu'est-ce que tu viens faire là-dedans, Caïus ?
Un fin sourire machiavélique étira les lèvres pleines du vampire. Marie se souvint, un instant, qu'il lui avait appris beaucoup de choses, il fut un temps. Et qu'il avait été son amant. Néanmoins, tout cela, c'était bien avant qu'il sache pour son côté Pécheresse.
-Je te propose un marché.
Allons bon. Avec un soupir, Marie ferma les yeux.
-Dit toujours.
-Je te donne les informations que tu veux sur le trésor, et je t'aide à t'enfuir face aux quatre-vingts soldats de la Foi qui arrivent...
Quatre-vingts !?
Elle se redressa, sourcils froncés.
-Et en échange, tu me laisses faire mes expériences sur toi.
-Je t'ai déjà dit non, il me semble.
Sautant sur son cheval, elle grimaça légèrement à l'élancement de sa main. Caïus la considéra, toujours assis sur la racine de l'arbre.
-Pourtant, cela permettrait de lever les scellés que Métatron a posés sur toi.
Au nom de l'archange, Marie baissa un regard glacial sur le vampire.
-Tu n'en sais rien, Caïus. Cesse donc de me prendre pour un cobaye sans cervelle et va rejoindre les quatre-vingts soldats que tu as lancés à mes trousses.
-Qu'est-ce qui te fait dire que je suis à l'origine de cette attaque ?
Le regard de Marie se fit plus dur.
-Je t'ai dit, gronda-t-elle, cesse de me prendre pour une imbécile.
-Dommage... Si seulement tu avais accepté de te laisser faire... Saisissez-vous d'elle.
Les quatre-vingts morpions de la Foi sortirent d'entre les arbres. Les yeux rouges. Les canines sorties.
-Soldat de la Foi, mon cul ! rugit Marie.
C'étaient des saloperies de vampires !
Lançant son cheval au galop, elle posa sa main blessée sur sa nuque épaisse. Le sort d'apaisement s'écoula entre ses doigts, soulageant l'animal de la peur panique qui l'avait saisi à l'apparition des suceurs de sang.
Concentrée, la sorcière traça des symboles complexes dans l'air de l'autre main. Trois cercles de runes se déployèrent autour de son avant-bras, juste avant qu'un troupeau de sangliers ne charge l'ennemi. Les vampires, pris au dépourvu, se firent faucher de plein fouet, piétiner et trainer sur plusieurs mètres.
Se baissant sur l'encolure de son cheval, Marie fonça dans la brèche ainsi formée. Serrant les reines dans sa main blessée, elle forma de nouvelles runes. Se retournant sur sa selle, elle leva le bras cerné de pentacles vers le ciel.
Les vampires qui l'avaient pris en chasse se retrouvèrent bloqués par une haie de ronces, dans lesquels certains tombèrent tête la première. Laissant sa monture au galop, Marie resta dos à la route, afin de lancer une boule incandescente dans les plantes apparues. Elles flambèrent d'un coup, brulant les suceurs de sang tombés entre leurs épines.
Malheureusement, tourner le dos à la route n'était jamais bon. Le cheval s'arrêta net, si violemment qu'elle fut désarçonnée. Tombant rudement au sol, elle se démit l'épaule. Avec un juron bien senti, elle se mit à genoux. Seul son instinct lui permit de se jeter en arrière.
L'épée de Caïus se planta dans le sol, juste à côté de son pied.
Les dents serrées, furieuse, Marie recula... Et comprit pourquoi le cheval s'était arrêté.
Une falaise.
Elle se trouvait au bord d'une putain de falaise !
Des centaines de mètres plus bas, une rivière. Et à côté d'elle, un vampire qui lui décocha sa plus grosse droite depuis des années.
Jetée au sol, elle sentit le gout du sang envahir sa bouche. Et merde... Le sourire de Caïus apparut au-dessus d'elle. Salopard... Il leva haut son épée, afin de l'immobiliser d'une lame plantée de son ventre.
Le bord d'une falaise, hein ?
Plaquant sa paume encore utilisable sur l'herbe fraiche, elle décocha un sourire carnassier à Caïus. La seconde suivante, le sol se détacha de la falaise sous elle, l'emportant vers les profondeurs du ravin. Elle aurait bien ricané à la face du vampire resté en haut, mais elle n'en eut pas l'occasion.
Car là, tout de suite, elle allait s'éclater plusieurs centaines de mètres plus bas !
Face au ciel d'un bleu éclatant, elle se dit qu'elle n'avait que peu de temps pour trouver une solution. Mais un autre problème planait dans les cieux au-dessus d'elle.
L'instant suivant, l'ange fondit sur elle, ses ailes rabattues dans son dos.
Le vent sifflant à ses oreilles, elle réalisa qu'elle chutait inexorablement le long de la falaise. Le sol se rapprochait à toute vitesse. Il était si proche... Avec un juron, elle se ressaisit. Elle commença à tracer ses runes dans le vide, espérant y arriver à temps... Mais elle n'avait pas le temps, bordel ! Elle ne pouvait pas se débarrasser d'un putain d'ange et survivre à une chute dans la même seconde !
Choisissant ce qu'elle considérait comme un moindre mal, elle projeta une boule de feu sur le salopard ailé, avant de se dire qu'elle aurait mieux fait d'amortir son propre atterrissage.
-C'est pas possible d'être aussi stupide !
Ce cri de rage lui parvint aux oreilles, juste avant l'impact.
Mais elle ne toucha pas le sol aussi rudement qu'elle le pensait. Saisit en plein vol, elle vit les deux ailes blanches s'envelopper autour d'elle, tandis qu'un corps immense la faisait pivoter dans les airs, de façon à ce qu'il se retrouve entre elle et la rivière dans laquelle ils atterrirent.
Le fond de galets craqua sous leur poids, l'eau fut projetée dans le ciel en une gerbe disgracieuse. Mais surtout Marie ressentit le choc au travers du corps qui la protégeait. Si elle s'assomma légèrement sur la clavicule de l'ange, et si son genou fut fracassé contre les pierres, elle n'en pipa mot. À la place, elle se redressa sur son bras valide. On aurait dit que l'impact avait remis son épaule en place.
Les traits crispés par la douleur, Barbatos, lui, laissa retomber ses ailes de côté, avec un soupir.
-Ça n'aurait pas fait si mal si tu ne m'avais pas envoyé cette boule de feu.
-Comment aurais-je pu deviner que c'était toi, abruti !? Tu étais à contrejour !
-Ouais, la prochaine fois, dans l'urgence, je prendrai le temps de choisir mon angle d'arrivée, grogna-t-il en rouvrant ses yeux d'un bleu inhumain. Tu m'emmerdes, Marie.
Elle haussa un sourcil.
-Depuis quand tu parles comme ça, toi ?
-J'ai mal, je fais ce que je veux, râla Barbatos en regardant le haut de la falaise. Bon, on ne traine pas.
Toujours à califourchon sur lui, Marie sentit le monde chavirer autour d'eux. Et soudain, ils se retrouvèrent dans une grotte, elle ne savait où. La saisissant dans ses bras, l'ange se releva, en dépit de ses protestations. Néanmoins, il n'alla pas bien loin. Il se laissa tomber dos contre la paroi de roche, avant d'envelopper ses ailes autour d'elle.
-Barbatos, je...
-Chut... soupira-t-il en formant un cocon de plumes autour d'elle.
Une main dans ses cheveux, il la serra contre lui. Qu'est-ce que... Elle se sentit, contre toute attente, apaisée par son contact.
-Laisse-nous le temps de récupérer, Marie.
Trempés jusqu'aux os, ils restèrent dans les bras l'un de l'autre. La tête sur son torse, elle entendait les battements lents et réguliers de son cœur. S'il avait mal, il n'en pipa plus un mot. Quant à elle... Elle était en moins mauvais état que prévue, donc elle s'estimait heureuse.
Une douce chaleur l'envahit. La somnolence la gagna, en dépit de la violence des derniers instants. Les mains de Barbatos, sur son dos, semblaient diffuser quelque chose d'apaisant. Alors, en dépit de toute sa colère contre lui, de son genou qui lui faisait mal, de sa tête avec une bosse et de sa main douloureuse, elle s'endormit dans ses bras, protégée dans le cocon de ses ailes.
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