1. La Grande Vallée

« Mince ! » s'écria Ryder.

La lampe torche qu'il venait d'échapper rebondit sur la dalle de béton du garage et l'écho de l'impact fila dans les couloirs du sous-sol obscur.

Il soupira et s'agenouilla pour récupérer sa source de lumière. Qu'est-ce qui lui avait pris de descendre dans cette cave sordide ? Certes, son quad était en panne, et il espérait trouver dans tout ce bazar la pièce qui lui manquait. Pourtant, il devait bien se rendre à l'évidence que le carpharnaüm entassé par feu ses parents se résumait à un inextricable tas de ferrailles, un bric-à-brac poussiéreux sans queue ni tête, dont il ne tirerait jamais rien d'utile.

Il aurait dû rester tranquillement dans ses appartements au sommet de la tour de contrôle, à jouer sur l'écran géant ou boire un chocolat sur la terrasse. Après tout, les finances dont il avait hérité après la disparition de ses parents lui permettaient de vivre confortablement et sans rien devoir à personne. De plus, il s'accommodait assez bien de la solitude. C'est vrai, pensa-t-il. Qui a besoin de compagnie, quand tout ce que l'on sait faire dans la vie se résume à bricoler ?

« Aïe ! »

Son genou venait de heurter un tiroir entrouvert. Il pointa son faisceau lumineux sur l'armoire en fer. Il allait détourner le regard, bien décidé à quitter ce sordide local, quand un éclat métallique attira son attention.

Il ouvrit un peu plus grand le tiroir rouillé, et ne put retenir une exclamation d'étonnement.

Un beau blouson aux couleurs originales y était rangé. Lorsqu'il le déplia pour en apprécier la taille, il remarqua l'étrange écusson cousu sur le torse. Et tout au fond, un badge au motif similaire, en acier brillant.

***

Au même instant, devant le large portail rouge et rutilant d'une caserne, un chien blanc taché de noir suppliait :

« Allez, chef ! Laissez-moi aider. Je peux être un vrai pompier. Et puis toute caserne digne de ce nom se doit d'avoir un dalmatien. »

L'homme moustachu en uniforme secoua la tête.

« Hors de question, Marcus. Tu n'as fait que te mettre dans nos pattes, toute la journée. Du vent, on a du travail. »

Marcus baissa la tête et gémit, puis se détourna, l'air penaud. Il s'éloigna, la queue basse, tandis que le chef de la caserne retournait à ses occupations. Mais soudain il releva le museau, car une idée lui était venue.

« Peut-être que si je montre à tout le monde qu'ils peuvent compter sur moi, le chef me laissera travailler. » murmura-t-il, plein d'espoir.

Il vit un tuyau mal enroulé qui traînait au milieu du hangar.

« C'est ma chance ! » s'écria-t-il.

Il s'élança pour ranger le désordre avant que quelqu'un se blesse, malheureusement ...

« Wohowoooooo ! » laissa-t-il échapper quand il se prit les pattes dans le tuyau. Il partit en roulé boulé en travers de la salle et vint heurter une rangée de casiers qui s'ouvrirent et déversèrent leur contenu en avalanche sur sa tête.

Alerté par le vacarme, le chef et ses hommes trouvèrent le chien ligoté sous une montagne de bottes et de casques.

La tête encore retournée, le pauvre dalmatien les quatre fers en l'air ne put que balbutier « Oups, désolé. »

Le visage du chef s'empourpra et gonfla tant qu'il parut sur le point d'exploser.

« Ce chien ne fait rien que mettre la pagaille partout où il passe. Débarrasse le plancher, sale cabot ! »

***

La piste semblait prometteuse. Quelqu'un, ou quelque chose, était passé par là, et s'était faufilé sous les buissons du parc. Si le flair de Chase ne le trompait pas, le voleur qui avait chipé le marqueur de M. Porter ne pouvait plus lui échapper. Alors bien sûr, l'épicier de la Grande Vallée ne lui avait pas vraiment demandé de se charger de l'affaire du crayon disparu, pas plus que Chase ne bénéficiait du statut d'enquêteur officiel, toutefois même un berger allemand de sa trempe devait se bâtir une réputation pour espérer s'imposer en protecteur de la loi dans une petite ville comme la Grande Vallée.

Et le travail ne manquait pas. Partout où son regard se posait, le pauvre chiot ne constatait que mépris pour les loi et ignorance des règles les plus élémentaires de politesse et de sécurité. Ses oreilles captaient à chaque coin de rue les exclamations de désarroi des citoyens face à des incivilités diverses et variées.

« Mais qui a pris mon cornet de glace ? »

« Madame, vous êtes garée sur ma pelouse. »

« Hey, il faut faire la queue pour monter sur le toboggan. »

Chase secoua le tête. Mais que faisait donc la police ? Oh, il le savait bien. Le shérif Bangers mangeait certainement un donut à son bureau de l'autre côté de la rue, tandis que l'adjoint Mash roupillait sur la banquette de sa voiture garée dans une ruelle. Cette seule pensée révoltait Chase à tel point qu'il sentit son poil se hérisser. Allez, il fallait se concentrer sur l'affaire en cours.

Il commença à se frayer un passage sous la haie, et regretta de ne pouvoir davantage creuser pour élargir l'ouverture. La piste était fraîche, elle l'avait mené depuis l'étal de M. Porter jusqu'ici. Il touchait certainement au but. Soudain, il se sentit un peu trop à l'étroit, et ne parvint plus à avancer. Surpris, il tenta de reculer pour se dégager, mais c'était peine perdue. Les branches serrées du buisson l'enserraient si fort qu'il avait de la peine à respirer. Désemparé, il haleta un inaudible « Quelqu'un pourrait m'aider ? » Évidemment, aucune réponse ne lui parvint. C'est alors qu'il remarqua un objet de couleur vive pris dans les feuilles de la haie, à une petite dizaine de centimètres de sa truffe. Il huma l'odeur de la boule rose.

« Ah...Ah...Atchoum ! »

L'éternuement le projeta vers l'arrière et le libéra du piège de la haie. Il se retrouva assis sur le trottoir, la tête engourdie. Pourtant, ses idées restaient claires. Son allergie aux poils de chat avait encore frappé. Il sentit sa truffe enfler sous l'effet de la réaction. Il pouvait dire adieu à son flair pour un bon moment. Monsieur Porter n'était pas prêt de retrouver son marqueur.

***

Le vent se levait.

Assis sur le sable, Zouma gardait les yeux fermés pour rester concentré sur sa médiation. Le bruit des vagues l'apaisait, d'ordinaire. Cependant, aujourd'hui, il trouvait l'agitation de la plage difficile à supporter. Non que le bruit l'incommodât outre mesure, il s'agissait surtout de la nature de ce qu'il entendait. Un groupe d'enfants se défiaient à qui jetterait des poignées de sable le plus haut. Une mère de famille bavardait au téléphone, tandis que ses deux filles nageaient dans l'eau près des bouées. Un jeune sortait une tortue de l'eau et invitait les autres baigneurs à venir prendre des photos de l'animal. Le petit Dany venait de mettre à l'eau sa planche à voile.

Et le vent se levait.

Oh, il avait essayé de raisonner les gens. Il ne manquait jamais de rappeler à l'ordre les baigneurs. On ne doit pas toucher aux animaux sauvages, qu'ils soient marins ou terrestres. Il faut toujours garder un œil sur les enfants dans l'eau, si possible il vaut mieux les accompagner. On ne nage pas au-delà des bouées. Il y a un terrain de volleyball pour ceux qui souhaitent jouer au ballon. Et on ne sort pas en planche à voile en fin de journée quand la mer est agitée. Et que le vent se lève.

Le sourcil tremblotant, Zouma ne put plus se contenir, et s'élança vers le bord de l'eau.

« Dany ! » appela-t-il.

Il fut soudain percuté et eut le souffle coupé. Il n'eut pas le temps de reprendre ses esprits qu'une grosse voix le réprimanda.

« Oh, mais fais donc attention.

— Désolé, monsieur. Tenez, votre chapeau.

— Un labrador comme toi devrait se trouver une occupation, au lieu d'importuner les gens. Décidément, cette ville est un taudis, comparée à Foggy Bottom. Venez, les chatons, on rentre. »

Le gros monsieur coiffé de son haut de forme à la couleur étrange s'éloigna d'un pas indigné, suivi par ses six chats en file indienne. Zouma les observa d'un œil perplexe, et s'aperçut que le petit Dany s'éloignait sur les eaux, sous le pont suspendu qui enjambait la baie.

« Le monsieur a raison, tu sais. » l'apostropha soudain une grosse dame depuis sa serviette. « À quoi tu sers, toi ? »

***

« Ce truc-là ne sert à rien, constata Rocky. Mais je vais le garder, on ne sait jamais. »

Il passa la vieille chambre à air crevée autour de son cou et continua sa fouille méthodique des poubelles à l'arrière de l'hôtel de ville. La recherche se révélait légèrement salissante, car toutes sortes de déchets s'entassaient sans distinction dans des conteneurs dont seule la couleur du couvercle différait. Au milieu des restes de gâteaux au chocolat et de hot dogs abondamment garnis de ketchup dégoulinant, il n'était pas rare de dénicher des trésors comme des plaques de tôle, du ruban adhésif, voire encore, trouvaille suprême, des outils. Entre marteaux, tourne-vis, clés de toutes tailles et autres spatules, il en avait presque rempli une trousse complète. Enfin, il lui manquait toujours...

« Excuse-moi... »

Rocky redressa la tête, à la recherche de l'origine de la voix aiguë qui l'apostrophait ainsi.

« Oui ? Qui est là ? hasarda-t-il

— Par ici ! »

Il repéra une dame au volant de sa voiture, et qui avait baissé sa vitre pour lui parler.

« Je peux vous renseigner, madame ?

— Oh mais que tu es un chien serviable ! » s'écria la conductrice à la voix perchée. « Est-ce que je suis bien à la mairie de la Grande Vallée ?

— Oui, mais l'entrée est de l'autre côté.

— Merci beaucoup. Comment t'appelles-tu ?

— Rocky. Enchanté, madame, euh...

— Goodway.

— Dites, la mairie est fermée depuis plusieurs mois. Je ne sais pas si vous arriverez à rentrer.

— Ne t'en fais pas pour moi, j'ai la clé. »

La dame exhiba fièrement une grosse clé de métal brillant ornée d'un ruban rouge, et envoya un clin d'œil au petit chiot.

« Tu sais, mon grand-père était maire de cette ville, autrefois. »

Rocky s'étonna de cette information. Le teint hâlé de la dame indiquait des origines hispaniques. Il se demandait bien comment son grand-père aurait pu devenir maire d'une bourgade canadienne de petite taille. Bien sûr, il ne laissa rien paraître de ses doutes, car il était de toute manière bien mal placé pour parler pédigrée.

« Bonne soirée, madame, salua-t-il poliment.

— Toi aussi, mon cher petit... oh, mais quelle est donc cette odeur ?

— Ah, s'amusa Rocky, c'est sûrement les ordures dans la ruelle.

— Il faudra régler ça, fit madame Goodway avec une moue de dégoût. Et tu devrais aller prendre un bain pour te débarrasser de cette puanteur.

— Un bain ? s'exclama Rocky, horrifié. Euh... l'odeur n'est pas si terrible.

— Si tu le dis. Bonne soirée, Rocky. »

Sitôt ces mots prononcés, elle s'empressa de remonter la vitre de sa portière et démarra en trombe.

Rocky se trouva de nouveau seul dans l'allée. Il frémit à l'idée du bain forcé que la dame avait évoqué. Être mouillé jusqu'aux os... Brrrr. Quelle horreur.

C'est alors qu'une goutte s'écrasa sur son museau. Et comme pour faire écho au désastre qui s'annonçait, un grand fracas retentit à l'autre bout de la ruelle. Il se retourna, sachant déjà quoi attendre. Cela ne l'empêcha pas de pousser un long soupir de désolation. Son abri. Celui qu'il avait mis des jours à construire. Il venait de s'écrouler.

Le tonnerre gronda, secouant son échine d'une funeste prémonition. Cette nuit, il allait être trempé.

***

La pluie martelait la fenêtre à une cadence de machine à écrire. Assise au chaud dans son panier, la petite chienne gardait les pattes contre la vitre et scrutait le ciel noir et chargé de sombres nuages, dans l'espoir d'entrapercevoir, à la faveur d'une éclaircie, la douce lumière des étoiles.

« Allons, Stella, réprimanda la voix de sa maîtresse depuis la pièce voisine. Il faut dormir, maintenant. Nous devrons nous réveiller tôt demain matin, pour aller au concours. »

Elle roula les yeux et s'obstina à coller son museau à la vitre couverte de buée. Elle avait du mal à cacher son absence totale d'enthousiasme pour cette compétition du plus beau chihuahua. Ce n'était pas tant l'idée de défiler qui la rebutait, mais davantage les longues heures d'attente à ne rien faire en attendant son tour, et surtout l'interminable toilettage qu'elle devrait subir des mains peu délicates de sa maîtresse. La brosse qui arrachait les poils. Le peigne qui griffait la peau. Le shampooing qui brûlait les yeux. Encore et encore, jusqu'à ce qu'elle n'en puisse plus de se débattre. Si encore elle pouvait être confiée aux soins de la gentille Katie, l'expérience en serait quelque peu adoucie. 

Sa propriétaire lui répétait sans cesse qu'il faut souffrir pour être belle. Certes, elle voulait bien le concéder, mais personne ne lui avait demandé si elle avait envie qu'on la trouve belle. Les accessoires roses, les petits nœuds entre les oreilles, tout cela était bien mignon, mais son ambition allait plus loin que de jouer les potiches. Si elle n'avait rien contre l'idée de susciter l'admiration, elle trouvait autrement plus noble de le faire par ses actes, plutôt que par une robe irréprochablement lustrée. Et ce que Stella trouvait le plus admirable au monde, c'était de côtoyer les étoiles. Voler haut dans le ciel, et devenir la plus intrépide des pilotes, voilà à quoi elle aspirait, car au fond de son cœur elle demeurait convaincue que rien n'est impossible, peu importe si l'on est un grand monsieur ou une petite chienne, quelle que soit sa taille, quel que soit son âge. Dans ces moments où elle pensait à ce que sa vie pourrait être, elle s'imaginait voler en tandem avec son idole, Astrid Sorensen. Cette jeune fille suscitait toute son admiration, tant elle avait su devenir une vraie pilote si jeune, et dans un milieu si masculin. Elle démontrait une telle adresse et un tel talent au manche de son avion, et réalisait des acrobaties si audacieuses, que tout le monde s'accordait à parler d'elle comme du plus grand prodige de tous les temps. Mais c'était compter sans Stella. Un jour, elle en était certaine, elle surpasserait son idole. 

Juste à cet instant, les lourds nuages noirs s'écartèrent et la petite tête d'épingle d'une étoile perça dans la nuit. Le destin envoyait à la petite chihuahua un message d'une clarté évidente. 

Oui, elle volerait. Plus haut que quiconque n'était jamais allé.

La maîtresse de Stella ouvrit la porte de la chambre pour éteindre la lumière, prête à déverser une litanie de reproches sur sa petite bête à concours. Le torrent s'étrangla dans sa gorge quand elle constata que la fenêtre était ouverte, l'échelle de l'escalier de secours baissée. Les rideaux claquaient dans le vent, comme un défi lancé au monde.

***

Ryder marchait dans la rue déserte, son nouveau blouson resserré sur ses épaules. Derrière lui, de l'autre côté du pont suspendu, les lumières de la tour de contrôle constellaient la nuit. Une tour de contrôle au sommet d'un colline, sans piste d'atterrissage. À quoi ses parents pensaient-ils lorsqu'ils avaient bâti ce nid d'oiseau ? Son douzième anniversaire approchait, et il était temps qu'il se prenne en main. Il envisageait sérieusement de vendre tout ce fatras et de recommencer ailleurs, pour laisser ce poids mort derrière lui, et mettre un terme à la solitude qui hantait la tour, depuis sa plate-forme exposée aux quatre vents, jusqu'aux entrailles insondables de ses fondations, qu'il n'osait même pas explorer, de peur d'y découvrir quelque sombre secret. 

Oui, tout vendre et s'en aller. 

Il se détourna pour abréger sa promenade nocturne, quand tout à coup une explosion d'étincelles jaillit d'un transformateur électrique. Le poteau s'effondra et le câble à haute tension tomba en travers de la route, grésillant tel un serpent de feu.

Décidément, il y avait un souci dans la Grande Vallée.

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Prochainement, dans Paw Patrol Begins...

« Capitaine, vous ne pouvez pas abandonner le phare, s'écria Zouma. 

— Je n'ai pas le choix. » rétorqua le marin à lunettes dont la barbe envahissait le visage tout entier. « Les monstres ne connaissent pas le langage des humains, pas plus que celui des animaux sauvages. »

Chapitre 2 : Capitaine Turbot et le monstre du phare

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