7. Du sang neuf

Gaëtane était semblable aux souvenirs qu'en avait Gwen : une fille assez fine avec de longs cheveux foncés qui descendaient sur une jolie paire de fesses que mettait en valeur son bikini rose. Il ne se rappelait néanmoins pas de la pointe de tristesse qui perçait dans son regard, mais il avait reconnu le large sourire dont elle l'avait affublé quand il l'avait rencontrée pour la première fois, il y a quelques années de ça. Restait donc à la faire sourire, voire rire, si possible en maillot de bain. Et pour ça, il pouvait compter sur la chaleur et le Oa. Pas qu'il voulait absolument vérifier le dicton « femme qui rit à moitié dans ton lit », mais pour se remettre d'une rupture, quoi de mieux qu'un peu d'amour ?

Et au pire, elle l'aiderait dans les tâches ménagères de la pension et, pourquoi pas, à réduire la longue liste des travaux à faire dans ce jardin qui se transformait trop vite en friche. Il avait vite vu qu'elle ne rechignait pas à la tâche et ça lui plaisait. Il en avait vu passer des bénévoles qui, dans leur description sur internet, avaient un long vécu de travailleur, savaient faire de la maçonnerie, de la plomberie, de l'électricité, de la cuisine, du jardinage, de la couture même, pour un peu, ils étaient ingénieurs électriciens en charge du réacteur d'une centrale nucléaire, meilleurs pâtissiers de France ou jardiniers personnels du Président de la République, alors qu'une fois confrontés au tournevis, à la gazinière ou au râteau, ils excellaient plutôt dans l'art de l'escapade dans le lagon ou tout simplement de la glandouille, affalés bien tranquillement dans un fauteuil, à l'ombre sous le faré.

Gaëtane, elle, n'était spécialiste de rien, mais tous les matins, dès le réveil, elle se couvrait d'un vieux chapeau en feuilles de coco laissé par des touristes, enfilait un petit panier autour de son cou et cueillait les fleurs de tiaré. Avant de préparer le petit déjeuner. « Il fait moins chaud à cette heure-là », disait-elle. Bon c'est vrai que Gwen avait trouvé quelques pédoncules, ces petites tiges garnies de micro-feuilles, dans ses récoltes, ce qui avait le don de l'énerver, lui, le puriste, parce la confiture se faisait exclusivement avec les fleurs, mais la voir dans son petit short sous ce chapeau qui lui allait à merveille lui faisait commencer la journée du bon pied.

Il se voyait bien passer tout l'hiver (européen) à ses côtés. Mais elle avait déjà émis quelques réserves à propos du lagon : pas de plage de sable, peu de coraux sous l'eau, donc peu de poissons et une eau crayeuse, loin d'être translucide. Il avait beau expliquer que l'étoile de mer tueuse de corail avait, ici aussi, colonisé le lagon et que son prédateur, le poux de mer, continuait malheureusement à être pêché par les locaux qui vendaient sa magnifique conque aux touristes et savouraient sa chair en marinade citron-lait coco, il avait beau argumenter, il sentait bien qu'elle n'était pas époustouflée par son île, au contraire de tous les gens qui étaient passés dans sa pension. Etaient-ce les effets secondaires de sa déprime, un état d'esprit finalement morose ou les souvenirs de tous les coins du monde qu'elle avait vus (il avait abdiqué au bout de cinq minutes quand elle avait pointé du doigts sur la mappemonde tous les pays dans lesquels elle avait traîné ses guêtres, voire ses palmes) ? Ou était-ce simplement la comparaison avec son île à elle, la Corse, cette montagne verte et rose posée sur une mer transparente bordée de sable fin ? Et encore, il n'avait pas entendu la description qu'elle m'avait faite de Rangiroa au bout de quelques jours seulement :

- C'est beau vu d'avion, c'est beau en foulant le tarmac, c'est beau en sortant de l'aéroport, ça embaume le tiaré un peu partout, c'est beau sur le prospectus, mais en y regardant de plus près, il faut compter avec les maisons faites de bric et de broc, les jardins négligés, les baignades dans une eau pas très claire, les paysages terriblement plats et composés exclusivement de cocotiers, la chaleur de midi qui t'accable, les ragots sur les uns et les autres dans cette petite communauté où tout se sait - encore pire qu'au village, tu vois le genre ? - et les prix ahurissants pratiqués dans les magasins minuscules qui te vendent un choix très restreint de légumes, tous dans un état patibulaire (mais presque), par des vendeuses qui ne prennent même pas la peine de dire bonjour.

- Mais tu t'y plais quand même ?, j'avais demandé, un peu inquiète au bout du fil.

- Ouais, c'est vraiment sympa ici à la pension, et Gwen est super ...

- Mais ?

- Ecoute, je ne resterai pas ici. Si je dois quitter la Corse, m'exiler pour un temps ou pour toujours, ce ne sera pas ici. Peut-être ailleurs en Polynésie, mais pas dans les Tuamotu.

- Tu veux déjà repartir ?

- Ah non, pas du tout ! Et pour aller où d'abord ? Pour me retrouver devant ma soupe à discuter du temps qu'il fait avec Réglisse ? Non merci ! Je vais profiter à fond de cette escale que m'offre Gwen. M'enivrer du positif de cet atoll, c'est pas ce qu'il faut faire ? Une façon comme une autre de recharger les batteries, tu ne trouves pas ?

- Et après ?

- Chaque chose en son temps. Après, on verra plus tard !

Alors pour ne pas qu'elle parte trop vite, Gwen avait réfléchi à des tâches pas trop pénibles pour elle : puisqu'il avait essuyé une remarque assez désagréable d'un client qui se plaignait que sa pension n'avait aucun charme au regard du prix de la chambre, Gaëtane pourrait s'occuper de la déco. Une fille, c'était sensible à ça, non ? Et dans tous les cas, les volontaires italiens ayant prévu de partir, ils ne seraient que tous les deux pendant un temps, trop peu nombreux pour entamer de plus gros travaux et gérer la pension.

Mais avant de commencer, il lui avait réservé un traitement de faveur : il l'avait incité à se joindre à la sortie plongée qu'avaient prévue les Italiens. Faire connaissance avec le mur de requins de la célèbre passe de Tiputa ne pouvait que l'enivrer de positif, surtout avec le bien-être de l'ivresse des profondeurs.

Et pour qu'elle change d'avis sur Rangiroa, il lui avait proposé d'accompagner ensuite de nouveaux clients qui avaient réservé l'excursion « Escapade sauvage » (trois jours de robinsonnade sur un motu au bout du lagon, apéritif de bienvenue, snorkeling, excursion à l'île aux oiseaux et aux sables roses, chasse nocturne au kaveu, découverte des traditions culinaires polynésiennes et nuits sous la voie lactée). Elle aiderait les organisateurs en cuisine et superviserait le confort des touristes.

- Mais je ne connais pas le site !, s'était-elle étonnée.

- T'es pas obligée de leur dire.

- Je ne sais même pas ce qu'est un cavéou.

- Le kaveu ? C'est le crabe de cocotiers.

- Ah ouais, le gros crabe bleu gigantesque qui se balade sur les troncs la nuit et qui fait un nombre incalculable de trous dans le sol des cocoteraies ? Vachement bon avec un petit filet de citron.

- Ben tu vois, tu maîtrises déjà !

Et devant sa moue dubitative, il avait ajouté :

- Trois jours de promenade au bout du lagon tous frais payés, c'est si terrible que ça ? Tu veux quoi de plus : 100 balles et un mars ?

- T'es con ! », avait-elle répondu de son rire cristallin qui illuminait son visage.

Femme qui rit ...


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