Elle se trouvait juste à côté de moi, se cachant à demi sous sa chevelure rousse. Elle était honteuse.
Comme d'habitude nous étions avachis sur une chaise à taper du pied en rythme avec la musique, à regarder les autres danser, ondulant et gigotant selon une chorégraphie ébouriffée.
Nous venions ici tous les vendredis pour faire des rencontres, pour sortir entre amis puisque c'est ce que font les jeunes. Je crois qu'au final nous venions surtout maquiller notre ennui, estomper la nuit.
Nous passions la soirée à observer la masse dansante sans piper mot, comme tenus par un pacte silencieux de solitude partagée. Ainsi, nous empruntions un raccourci à la nuit tout en coupant court à l'angoisse de la solitude. C'était une habitude qui se voulait cotonneuse et salvatrice pour nous deux. Puis lorsque le cadrant lumineux de nos téléphones affichait deux heures et que le sommeil nous guettait, nous rentrions. Tout simplement.

Pourtant ce soir, l'ambiance était différente, pesante. Lorsque j'osais lui lancer un regard et que je remarquais ses yeux fuyants à mon contact, j'avais la sensation d'étouffer sous le poids des non-dits. En effet, ce qui s'était passé le vendredi précédent avait tout changé. Plus j'y repensais et plus j'avais de remords. Si seulement j'avais pu maîtriser mon geste. Je pensais pourtant que nous avions trouvé un équilibre, qu'il aurait fallu un raz-de-marée pour l'ébranler. Mais cette fois une minuscule goutte d'eau suffit à changer la donne.

Il y a une semaine, je voyais cette fille comme un océan : tranquille en surface, d'apparence calme et flegmatique mais cachant une personnalité si riche et si dense qu'une expédition tout au fond en serait effrayante. Vous savez, comme quand, assis sur un rocher, on laisse ses yeux voguer sur la surface de l'eau. Parfois il est possible de distinguer la forme fugace d'un poisson, parfois le dessin des vagues nous en empêche.

Ce soir-là, je m'étais un peu trop penché sur la surface et ce me fut fatal. Si l'on narrait l'histoire de cette soirée, cette fille aurait incarné une sirène, dangereuse pour moi, le plongeur s'aventurant sans comprendre dans des eaux sombres.