5. Just too good to be true

KARL

Enfilant un manteau, je quitte le bâtiment dans lequel ma dernière réunion s'est déroulée. Ce fut éprouvant, mais je suis à peu près certain que j'obtiendrai le partenariat que je veux pour la société. Étant donnés nos chiffres, je pourrais laisser les choses se faire naturellement, la croissance venir d'elle-même. Mais j'avoue que, à la tête de tout ça, j'aurais vraiment l'impression d'être inutile, un CEO postiche... Alors j'accélère les choses, je la place en sponsor, je trouve de quoi m'occuper... Et jusqu'ici, ça porte ses fruits. A ce rythme, l'idée de l'ouverture d'un pôle asiatique semble de plus en plus plausible.

Arrivant chez moi après une bonne demi-heure de marche au rythme d'American Idiot, je monte les marches de l'escalier de l'immeuble trois à trois pour atteindre mon appartement, dont je referme rapidement la porte, avant de me jeter sur le canapé et de sortir mon portable, appelant immédiatement Tyler. Elle me manque terriblement, et l'idée qu'elle ait du retourner travailler directement après la fashion week et qu'on ait pas eu le temps de faire ce voyage dont on parle depuis des semaines me troue le bide. Si seulement elle habitait ici, à Londres, avec moi... Mais huit heures de vol nous séparent.

Après plusieurs sonneries, pendant lesquelles mon écran ne me renvoie que mon propre reflet, visiblement fatigué, elle répond, et son la vue de son visage est comme une bouffée d'oxygène.

- Tu me maaaaanques ! s'écrie-t-elle avant même que j'ai le temps de dire quoique ce soit.

Je ris, secouant la tête.

- Je peux pas exprimer à quel point c'est réciproque, si tu savais... je murmure presque...

Ma voix tremble un peu, je la sens s'étrangler dans ma gorge. Mes yeux s'humidifient, et je passe une main sur mon visage. Merde, je suis quoi ? Un gamin de 13 ans sous l'emprise de ses hormones ? Je la vois écarquiller les yeux en face de moi.

- Oh non, te mets pas dans cet état, Karl...

- T'inquiète pas, je suis juste content de te parler.

- T'en as l'air, ouais !

- T'es con, je soupire, avec un nouveau rire, alors qu'elle m'adresse un large sourire.

Heureusement que je l'ai dans ma vie. A chaque fois que je vois, je me demande comment j'ai fait pour avancer dans le noir toutes ces années, incapable d'affirmer quoique ce soit face à qui que ce soit... Plus je passe de temps avec elle, et plus j'ai l'impression qu'elle m'a sauvée. Quand je pense qu'en retour, elle a perdu tellement. Parfois, je me dis que je ne la mérite pas. Elle a changé ma vie, mais la sienne serait sans doute plus facile sans moi.

Secouant la tête, je tente de chasser ces pensées invasives. Décidément, dès qu'elle est loin, mes vieux démons se réveillent...

- Alors, comment s'est passé ton rend- Henrik, arrête, t'es ridicule, je raccrocherai pas !

Je fronce les sourcils. Henrik ? Elle est avec mon frère ? Mais qu'est-ce qu'il fout avec elle ? A croire qu'il a plus de temps à lui accorder qu'à sa carrière politique à la con. Ah non, j'oubliais, Monsieur a laissé ça de côté pour s'occuper des affaires du paternel...

- Karl, tu vas finir par te péter les dents, à force de serrer la mâchoire comme ça...

- Mon frère est avec toi ? Je demande, sans prendre sa remarque en compte.

- Ouiii, et ça se comprend, puisque je travaille pour une de ses boîtes, au cas où ça t'aurais échapper...

- Ce qui m'échappe, c'est qu'il prenne le temps de venir s'occuper des mannequins qui figurent dans ses pubs. C'est pas le rôle de l'équipe marketing, ce genre de choses ?

Haussant un sourcil, elle penche la tête, alors que j'entends la voix d'Henrik répliquer quelque chose d'incompréhensible au loin.

- Quand t'auras fini de me faire une crise de jalousie parce que je passe du temps avec un ami, tu me rappelleras.

- Tyler, c'est-

Mais elle a déjà raccroché. Mon sang bat contre mes tempes, je suis sur le point d'exploser. Elle ne comprend pas, il ne la voit pas que comme une amie, c'est impossible, il ne prendrait pas autant de temps pour elle !

- Merde, quel con !

Balançant mon portable, qui se trouvait malheureusement toujours dans ma main, contre le mur, je passe mes mains dans mes cheveux, tentant de me calmer.

- ... Faut vraiment que j'arrête de jeter les choses comme ça.

TYLER

Les nerfs à vif, je reste silencieuse et les bras croisés, à l'arrière de la voiture de Henrik. Je commence vraiment à détester instagram.

- Tu comptes faire la gueule tout le trajet ?

- Tu te rends compte qu'avant, pour créer des scandales, les paparazzis étaient obligés d'attendre la publication de leurs journaux à la con ? Je commence, sans répondre à sa question. Eh puis on ne parlait pas de la vie de tout le monde, le papier était réservé aux vrais « people » ! Maintenant, tes photos sont directement publiées sur insta, repostées par tous les emmerdeurs du monde, et bim, les gens t'insultent !

- C'est pas si grave, tu sais, c'est-

- C'est une putain d'accumulation, Henrik ! Tu réalises que depuis que je suis avec Karl, je m'en prends plein la gueule tous les jours, juste en ouvrant mon portable ? Et je ne te parle pas de toutes les personnes qui commentent des « elle est vraiment fake cette fille », comme s'ils me connaissaient personnellement, ou même des comptes « confessions », où des anonymes expliquent à quel point je ne suis pas qualifiée pour les défilés et en quoi je devrais juste continuer à faire des placements de produit sur mon compte ! Je l'ai fait une fois, Henrik, une fois, et c'était pour une marque de glaces !

J'ai l'impression que je vais exploser. Le fait d'avoir tous ces regards scrutant mes moindres faits et gestes est déjà assez angoissant, mais si en plus je dois supporter chacun de leur commentaire...

- Pourquoi tu lis ce qu'ils écrivent, si ça te fait autant de mal ? Demande-t-il alors, comme si la chose semblait évidente.

- C'est plus fort que moi...

J'en ai un peu honte, mais c'est vrai : je ne peux pas m'en empêcher.

- Donne-moi ton portable.

- Quoi ?

Il ne prend pas la peine de répéter, tendant simplement la main vers moi pour que j'y dépose le dit portable. Après un moment d'hésitation, je le lui tends finalement. Il le prend, le range dans sa mallette, et en sort un autre. J'ai du mal à réaliser... Est-ce qu'il est vraiment en train de me tendre un clip-clap ?

- Tu te moques de moi ?

- Pas du tout, c'est mon deuxième portable, prends le pour l'instant, j'en ai pas besoin.

- Pourquoi tu utilises cette... Chose, en premier lieu ?

- Parce que c'est beaucoup moins facile à hacker qu'un smartphone, et ça ne se trace pas.

- Tu t'es pris pour le président des Etats-Unis ou... ?

- Arrête de faire du sarcasme et prends-le, ça t'évitera de voir toutes ces conneries...

- Et je suis censée retrouver mes contacts comment... ?

Levant les yeux au ciel, il sort la carte SIM de mon propre téléphone et me la tend.

- Comme ça ?

Je souris, me sentant un peu stupide, et le prends dans mes bras.

- Merci. T'es un peu bizarre, mais je peux compter sur toi. C'est important, pour moi.

Il me rend mon étreinte, avant de me repousser un peu, lui aussi souriant. Ce qui n'arrive pas vraiment tous les jours, il faut l'avouer.

- Allez, sors, on est arrivés et tu vas être en retard !

Effectivement, la voiture est à l'arrêt. Je n'avais même pas remarqué. On est arrivés à l'aéroport.

Une douzaine d'heures plus tard

Le taxi me dépose devant l'immeuble où vit Karl, et j'en sors après l'avoir payé, jetant un coup d'œil à mon « nouveau » portable au passage, avant de récupérer ma valise. J'ai plusieurs appels manqués, dont beaucoup de Karl. Mais je n'ai pas eu envie de le rappeler, ça lui apprendra.

Après avoir monté les escaliers, je tourne la clé dans la serrure de la porte d'entrée, et rentre enfin. J'ai beau être un peu agacée par le comportement de Karl plus tôt, je crève d'envie de le revoir depuis l'instant où mon avion pour New York a décollé, il y a une semaine. Alors, avec un grand sourire aux lèvres, je me précipite vers le salon.

Mais je m'arrête immédiatement devant le spectacle qui m'attend. Karl est assis là, dans la pénombre, au milieu d'un beau bordel. J'allume la lumière, et observe la scène. Les débris d'une lampe cassée recouvrent le sol, et une bouteille déjà bien entamée se trouve sur la table basse. Du scotch... ? La dernière fois qu'il en a bu, c'était la première fois qu'il m'avait embrassée. Je me souviens encore du goût d'alcool sur ses lèvres. Mais il n'a pas recommencé, depuis. Du moins, pas jusqu'à aujourd'hui...

- T'es là, finalement ? Finit-il par demander, sa voix rauque et un peu pâteuse me faisant presque sursauter. Je croyais pas que tu viendrais, t'as pas daigné me répondre, ni me rappeler... Je suppose que t'étais trop occupée pour ça.

- Qu'est-ce qu'il se passe, Karl ?

Il relève la tête, posant son regard sur moi. Il semble glacial, pourtant j'ai l'impression qu'il me brûle, me transperce. Ses cheveux, toujours relevés en arrière d'habitude, lui tombent sur le front, complètement décoiffé. Un sourire vient étirer ses lèvres, et m'arrache un frisson. Si je n'étais pas dans la plus total incompréhension, et plutôt effrayée par son comportement, je le trouverais sans doute purement sexy.

- J'ai toujours cru que c'était un truc de mec, d'avoir une femme dans chaque port, comme on dit... Mais apparemment, t'es pas en reste non plus, je me trompe ?

Je fronce les sourcils. Il recommence avec ça ? C'est ridicule...

- C'est quoi ton problème, on travaille juste ensemble, tu devrais le savoir, c'est-

- Tyler, j'ai vu les photos.

- Les « quoi » ?

Il lève les yeux au ciel dans une mimique franchement agacée et franchement agaçante, et tourne l'écran de son ordinateur vers moi, sur lequel je découvre en effet plusieurs clichés. Sur le premier, on peut voir deux personnes enlacées à l'arrière d'une Mercedes, mais les vitres teintées ne permettent pas de les distinguer clairement ; ça ne fait rien, je sais de qui il s'agit. Puis la seconde photo me montre en train de sortir de la voiture. Pas besoin d'en voir plus.

- Tu penses vraiment que... ? je demande, aussi blessée qu'insultée.

- Ce que je pense ? Est-ce que ça compte vraiment ? Au début, non, je ne pensais pas que tu m'avais trompé. Mais faut croire qu'une bouteille de scotch et une dizaine d'appels ignorés changent un homme, pas vrai ?

Il se lève, et je ne parviens pas à retenir un mouvement de recul. Haussant un sourcil, il rit un peu.

- T'as peur de moi, maintenant ?

- Karl, j'ai rien fait, je-

- Tu me diras, je comprendrais, c'est vrai que je ne te mérite pas... Mais avec Henrik, vraiment ?

- J'AI RIEN FAIT !

J'ai mal à la tête, je suis épuisée par le voyage, et ses paroles me font l'effet d'un couteau chauffé à blanc qu'on m'enfoncerait dans le ventre. Je ne comprends rien, j'ai envie de vomir.

- Arrête de me mentir ! s'exclame-t-il, élevant lui aussi la voix.

- Mais pourquoi tu ne me fais pas confiance ?! S'il y en a un qui a déjà été infidèle, c'est certainement pas moi !

KARL

Mes sens s'échauffent, et j'ai la tête qui tourne. J'aimerais la croire, vraiment, mais une rage inexplicable m'envahit. Ce serait tout à fait logique qu'elle m'ait trompé, après tout... Je sais que ses mots devraient m'atteindre, mais tout ce que j'entends, c'est les pensées qui m'ont pris depuis l'instant-même où j'ai su qu'elle était avec Henrik.

- J'arrive pas à croire que tu m'accuses comme ça ! Tu devrais être de mon côté, contre tous ces connards ! Tu sais pas ce que c'est, toi, personne te traite de salope au moindre faux pas !

- Peut-être que si tu passais pas ta vie à faire je ne sais quoi avec le frère de ton fiancé, t'aurais pas ce genre de problème !

Elle sembla se glacer devant moi, écarquillant les yeux. Dîtes-moi que j'ai pas dit ça...

- Dis-moi que t'as pas dit ça...

Elle reste là, face à moi, et je ne sais pas comment réagir. Mais finalement, elle se tourne, prête à repartir, et je réagis enfin. Me précipitant vers elle, j'attrape son bras, et la plaque contre le mur le plus proche. Elle pousse un cri, mais je l'ignore.

- Tyler, je suis désolé, je-

- Non, tu sais quoi, t'as raison, je devrais les écouter ! Peut-être que toutes ces conneries, c'est une façon de nous dire qu'on devrait se séparer tout de suite, avant de faire plus de dégâts, crache-t-elle, véhémente. Alors c'est ça, qui se cache sous le costume de Prince Charmant ? T'es juste un enfoiré violent, jaloux et trop porté sur la bouteille ?!

Des larmes coulent sur ses joues, alors qu'elle me crie dessus. Mais qu'est-ce que j'ai encore foutu ? Pourquoi j'ai bu ? Je m'étais promis de ne plus jamais le faire, pas avec elle...

Elle est sur le point de reprendre, mais je pose mes lèvres sur les siennes, mes mains venant trouver ses joues. Les mots ne suffisent pas, je ne veux pas la laisser parler plus longtemps, je ne veux pas répondre quelque chose d'encore plus horrible que ce que je viens de lui balancer.

La brune ne me rejette pas. Au contraire, ses lèvres au goût salé possèdent les miennes avec hargne, alors qu'elle saute dans mes bras, enroulant ses jambes autour de mon bassin. Une de ses mains vient agripper ma chemise et l'autre se glisse dans mes cheveux, alors que j'ai l'impression de complètement planer sous ses baisers.

- Non !

Elle me repousse soudain, me lâchant immédiatement. Le souffle court, haletant, les joues et yeux rouges, les lèvres gonflées, elle me fixe un instant, immobile.

- T'as raison, tu me mérites pas, putain.

Cette fois, sa voix, ses mots m'atteignent, me faisant l'effet d'une balle tirée à bout portant.

Elle se précipite vers la porte et, sans prendre le temps de récupérer sa valise, laissant en plein milieu du chemin, quitte l'appartement en courant.

- Tyler !

Je m'en veux, je me déteste. Je déteste cette violence que je peine tant à contrôler. Et elle aussi, maintenant. Sans plus attendre, je m'élance à sa poursuite.

Sortant de l'appartement, je la vois partir vers la droite, et m'apprête à la suivre. Mais une voix, un mot, m'interpelle.

- Karl ?

Je me tourne. Je n'ai pas vraiment besoin de ça pour reconnaître la personne qui vient de m'appeler. Il est là, devant moi.

- Oh, mon dieu, c'est vraiment toi !

- Viktor ?

.  .  .  .  .

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