~17~

 (Johan )

Plus personne au bout du fil. J'éclate de rire tant je suis surpris. Une chose est sûre, nous n’avons pas les mêmes codes. Est-ce que cela me fait peur ? Pas le moins du monde. La vie avec mes parents était une longue suite de règles en tous genres qu'il fallait suivre ou rejeter selon la situation. J’avais, au grand dam de mon père, d’énormes difficultés à m’y plier. En réponse, aucune modification de celles-ci, non. Ils avaient choisi l’exclusion purement et simplement, sans hésitations. 

Nos codes de vie ne seront pas forcément les mêmes. Doivent-ils l’être pour que nous puissions nous entendre ? Je ne le pense pas. Sa maladie et ce qu’elle implique dans nos interactions peut entraîner des situations compliquées. Il me semble primordial qu'il m’en dise un peu plus afin que mes mots, mes actes ne le blessent en rien. 

Mes pensées sont stoppées par le son strident de l'interphone.

— Je suis devant la porte.

— J’arrive, l’ouverture automatique déconne. 

Je dévale les deux étages et déverrouille la porte. 

— Bonjour, dis-je avec un grand sourire. J’ai encore oublié d’appeler la boîte pour qu'il répare. Suis-moi. Deux étages à monter, cela ne doit pas te faire peur.

J’entends juste un rire étouffé comme je l'espérais. J’entre dans la pièce avant lui, le palier est ridiculement petit. Même réaction que Hervé sans le sifflet. 

— C’est l’appartement que mon oncle a mis à ma disposition.

— Tu ne t’y perds pas ?

— Moque-toi, ne te gêne pas. J’ai condamné quelques pièces.

— Tu ne voulais pas y faire le ménage ? dit-il amusé.

Ma grimace le fait éclater de rire, j’aime cet humour. 

— Il est un peu tôt pour aller au mcdo. Tu veux un café ? Autre chose ? 

— Non merci. Est-ce que cela te pose un problème si on se le fait livrer ? Ou que nous passons juste pour récupérer la commande ? Je...ne suis pas...très à l’aise

— Avec les lieux clos et bondés ? 

— Tu as bossé sur le sujet ? 

— Même pas. J’ai juste cogité un peu. Je ne connais rien des symptômes de ta maladie. Il ne serait peut-être pas inutile que je puisse repérer le début d'une crise et comment la gérer de la meilleure façon possible.

— Je les sens monter bien avant. Ne te tracasse pas.

— Et bien, justement pour ne pas être “ tracassé “ je dois me sentir en capacité de prendre le contrôle. 

— Je ressens l’arrivée mais je ne suis pas certain d’être en capacité de te décrire mes symptômes. Je ne sais même pas si ce sont toujours les mêmes. Elles ne sont pas fréquentes, et je sais comment les apaiser.

— C’est déjà une info rassurante et qui peut m’être utile. Tu peux m’en parler ? 

— Mon esprit semble perdre pied. Je n’ai jamais eu de crises violentes qui nécessitent une piqûre ou quoi que ce soit de ce  genre. C’est plutôt comme une surcharge. Sans explosion. Je dois reprendre le contrôle en remettant,  en quelque sorte, de l’ordre. Alors je range.

— Tu veux dire...du ménage ?

— Oui. Dans ma tête. La méthode la plus efficace pour le moment qui réussit à 90%, c’est le coloriage.

C’est stupide, je le sais mais mon esprit ne peut s’ empêcher de visualiser l’action. Colin surprend mon sourire et j’en rougis, honteux.

— Tu n’es pas le seul à en rire ! L’image du mec balaise qui colorie fait réagir ainsi. J’en ai même eu honte au tout début. Pourtant, m’asseoir me calme. Sortir le coloriage et les crayons m'apaisent. Mon esprit se recentre sur le geste et me permet d’occulter l’angoisse. 

— Je comprends le cheminement mais cela ne résout pas le problème. 

— Non. Mais cela m’apaise. Mes peurs sont souvent dues à un regard, une remarque déplaisante. J’apprends à ne pas en tenir compte.

— Et cela passe vite ? 

— Pas à chaque fois. 

— T’es tu retrouvé dans cette situation au travail ?

— Non. Guillaume comme Jean sont vigilants. Ils repèrent ,parfois avant moi, certains signes. Si je ne réagis pas, ils m’alertent.

— Donc là, ce n’est pas dû à des moqueries ? 

— Les tâches trop répétitives endorment mon esprit. Il s’égare plus facilement. Il me suffit de changer d’activités pour reprendre le contrôle. C’est pour cette raison que je voulais démissionner. Je ne suis pas dangereux mais moins productif qu'un ouvrier lambda. Je doute que ton oncle désire ce genre d’employé.

— Si ta présence causait des dysfonctionnements, Guillaume me l’aurait signalé.

— Cela peut te valoir des réprimandes de sa part. 

— Que Guillaume t’aie parlé des projets de mon oncle est une preuve supplémentaire. Ils n’ont aucun doute sur tes capacités. Ils en tiennent juste compte. Cela ne nuira ni à moi, ni à l’entreprise. Il se pourrait même que tu sois un atout de taille. T’imposer sans aucune discussion avait pour but de me déstabiliser. Cela n’a pas fonctionné car je connais une grande partie de sa façon de faire. Il adore me mettre dans des positions délicates afin de me voir m’en débrouiller. Sans le savoir, tu me donnes l’occasion de marquer des points dans un secteur dont il ne se doute pas un instant.

— J'aimerais bien avoir l’info afin de ne pas tout gâcher si possible.

— Il adore être montré en exemple. Être celui qui…

— Je suis le seul handicapé ? 

— Exactement. Il a toujours refusé leur embauche afin d’éviter tout problème. 

—Tu n'es pas obligé de me mettre la pression. 

—Je ne le fais pas. Il s’amuse depuis le début à me challenger. C’est un jeu pour lui. Que je trouve, pour être honnête, motivant. Lui prouver que je peux faire mieux que lui serait une belle victoire.

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