Chapitre 3 - Astuce contre le vomi & accessoirement la gueule de bois.
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Astuces contre le vomi et accessoirement la gueule de bois.
Le vrombissement de l'objet du diable fait vibrer toute la table en verre. Emmitouflée dans mes draps, je sursaute et tâte à ma gauche dans le but de récupérer mon téléphone. Mes yeux peinent à s'ouvrir, la lumière vive de l'écran m'aveugle, ma vue se floute et après quelques secondes, j'arrive enfin à lire le nom qui s'affiche : Agathe.
— Il est deux heures douze, tu veux quoi ? demandé-je la voix enrouée de fatigue.
— Casssiiie ! J'suis en train d'baigner dans m'vomi. Ramène-toi qu'j'te partage la bonnooooodeur d'mes fringues, quémande la blonde au bout du fil.
Agathe n'est-elle pas censée avoir trente-trois ans ?
Je me lève en râlant, enfile un jogging, me pare d'un manteau molletonné et prends la voiture direction le bar « Le Calienté ». Je sors de mon véhicule stationné en double file, warnings activés et fonce vers l'entrée d'un pas décidé, prête à mettre une branlée à ma colocataire. Un homme me stoppe dans mon élan m'interdisant l'entrée de l'espace dansant.
— Vous n'entrez pas ! tonne l'homme dont le crâne me fait penser à un œuf à la coque.
— Pourquoi donc ?
Ses yeux parcourent alors mon corps de haut en bas avant de tourner sa tête de gauche à droite en soufflant.
Oh OK. J'ai saisi. Le look « je me suis levée du lit parce que ma copine est en train de vomir dans vos chiottes » ne passe pas, mais vraiment pas du tout pour ce genre d'endroit. Trois choix s'offrent alors à moi. Je peux castrer Hulk en lui balançant mon pied droit dans ses grelots de Noël et rentrer de force, ou bien partir et laisser Agathe nager dans les restes de son dîner tout en imaginant qu'elle se trouve dans la piscine d'un hôtel cinq étoiles ou encore... je souffle, hausse les épaules et décide de jouer la carte de la vérité.
— Bon, Wilfred (merci le badge) mon amie m'a appelée parce qu'elle n'est pas très bien. Elle m'a demandé de venir la récupérer pour rentrer. Est-ce que je peux juste aller la chercher ? Venez avec moi, si vous voulez. J'aurai sûrement besoin d'aide pour sortir son corps et le jeter dans mon corbillard là-bas au bout de la rue.
Wilfred jette un œil à ma voiture que je vise d'un doigt. Il me toise encore une fois, et, après une tape sur l'épaule de son collègue pour se faire relayer dans le filtrage d'entrée, se tourne et me demande de le suivre. Je remercie le grand dadais et l'enjoins dans le bar. Les corps bougent, dansent, se poussent et se touchent. Les nouveaux couples s'embrassent, mélangeant leur langue et leur salive au goût de whisky et de rhum. Je peine à avancer, les lumières rouges et jaunes m'aveuglent, la fumée pique mes yeux et je me retrouve rapidement embarquée sur la piste à cause d'un idiot qui a attrapé ma main en me lançant un « Tu danses meuf ? ».
— WILFRED ! m'époumoné-je.
L'agent de sécurité se poste devant moi et attrape mon avant-bras, puis me tire en direction des toilettes. Avant d'entrer dans le couloir, je vois au loin le profil d'un homme qui ne m'est pas inconnu. Mes yeux s'écarquillent quand il se retourne pour rire avec une belle blonde.
Mister Connard !
Je file à toute vitesse dans le long couloir sombre à la recherche d'Agathe tout en espérant avoir été assez invisible pour ne pas me faire remarquer par mon nouveau patron.
Crâne d'œuf m'ouvre la porte et j'aperçois Agathe en train de dégobiller, les cheveux maintenus par une nana que je ne connais pas. De son autre main, elle pianote sur son téléphone en attendant que ma copine ait fini sa petite affaire. Je m'approche, remercie la jeune femme et fais part à Agathe de ma présence. Je passe ma tête sous son bras, la maintiens par la hanche et me dirige vers l'extérieur.
— Soirée filles ? riote la voix de mon boss.
Je m'arrête une seconde, l'épaule déjà fatiguée de porter Agathe, pour observer les traits virils de son visage, où dansent avec grâce les lumières de la boîte.
— Soirée, « ce que nous faisons hors de notre lieu de travail, ne vous regarde pas boss », grimacé-je sans me retourner.
— Avez-vous besoin d'aide pour tracter le poids mort ?
— Non merci, grincé-je en reprenant mes pas en direction de la sortie.
Ma copine trébuche toutes les trois secondes, rigole, se tord la cheville, se coince le talon dans une bouche d'égout et continue de jurer en se marrant comme une otarie.
J'ouvre avec difficulté la portière arrière et pousse la blonde sur les sièges. Ses fringues sont couvertes de morceaux de son repas du soir - j'arrive à distinguer quelques bouts de frites qu'elle n'a pas eu le temps de digérer. Puis elle s'effondre en collant sa poitrine contre le tissu de ma banquette arrière.
« Astuce n° 1 : Pour nettoyer le vomi sur vos sièges en tissu ou en vinyle, mélanger une dose de vinaigre blanc, une dose d'eau et huit doses d'eau bouillante. Ensuite, ajouter une cuillère à café de liquide vaisselle, puis laisser environ quinze minutes le temps que ça fasse effet. »
— Agathe ! T'es sérieuse ? C'est dégoûtant, m'exclamé-je en poussant ses pieds dans l'habitacle.
Je monte à l'avant, allume le moteur et commence à rouler à travers la ville endormie. La belle blonde se positionne sur ses fesses, fait jaillir un paquet de biscuits au chocolat de son sac et commence à en enfourner plusieurs.
« Astuce n° 2 : Allongez-vous un peu ou marchez à l'extérieur tout en respirant à fond et rapidement une dizaine de fois à la suite. L'envie de régurgiter peut s'atténuer, voire disparaître. Après avoir vomi, ménagez votre estomac ; n'absorbez rien pendant quelques heures. »
— Lâche les gâteaux ! Arrête !
L'alcoolique du jour termine d'engouffrer ses trois dernières friandises, déchire soigneusement l'emballage et tapote le haut de sa robe comme si c'était un mouchoir. De mon côté, je couvre ma bouche à l'aide de la manche de mon sweat bien trop grand. Il sent encore la lessive et c'est ce qui me permet de ne pas poser une galette de pâtes pendant ma course folle. Une fois arrivées à la maison, je bouscule la comateuse afin de la forcer à se lever, tire sur ses bras, lui tape malencontreusement le front contre la portière, mais celle-ci ne réagit pas.
Enfin debout, elle couine, se laisse traîner et galère à lever ses pieds pour monter les quatre petites marches de l'entrée.
— I love you Cassie. I LOOOOOVE YOU BABY, gueule Agathe, en s'accrochant à moi de toutes ses forces jusqu'à la salle de bain.
— Oui, moi aussi, mais j'aime pas ton vomi, alors tu vas vite aller sous la douche.
« Astuce n° 3 : Éviter de secouer la personne alcoolisée afin de ne pas provoquer une nouvelle vague de gerbe. Et si ça vous démange, préférez la douche glacée. »
Je tourne le mitigeur, amène la blonde sous le jet et lave son corps entier encore vêtu. Elle pleure, se met à rire, et crie qu'elle est chatouilleuse avant d'accepter de se laisser faire et retire ses vêtements avec mon aide. Elle pose ses fesses sur le carrelage glacé et me fixe de ses yeux panda. Je prélève une noisette de gel douche et frictionne la peau de ma colocataire.
— Tu ne bois plus jamais comme ça ! lui ordonné-je.
— Ouais, pardon. J'ai craqué ce soir, mais si tu sortais un peu plus avec moi, tu aurais pu m'arrêter avant.
— Tu sais que c'est pas mon truc d'aller boire des canons et de danser dans une pièce remplie d'inconnus, soufflé-je.
— Oui, tu préfères lire tes bouquins à la con et rêver au prince charmant en te lamentant sur ton connard d'ex qui est parti voir ailleurs.
— Ne sois pas aussi dure avec moi. Nous sommes juste très différentes.
Elle me fixe, pousse mes shampoings rangés par ordre de grandeur et attend ma réaction. Elle sait que je déteste que l'on touche à mes affaires et encore plus si c'est pour déranger mes habitudes. Je souffle, la soulève et passe une serviette autour de son corps. Elle tient à peine debout, mais je m'accorde tout de même deux secondes pour replacer correctement mes produits avant de m'occuper d'elle à nouveau.
— Allez, on va se coucher.
De retour dans le salon, Agathe se laisse tomber sur mon canapé-lit, la serviette encore enroulée autour de sa peau nue. Je pose un plaid sur elle : elle grelotte. Je me dirige ensuite vers la cuisine. Là, j'attrape du bicarbonate et du vinaigre afin de désinfecter mon auto. Non je n'attendrai pas demain pour le faire et oui, elle devra me faire un sacré cadeau parce que nettoyer ma voiture à cette heure-ci est un crime contre le sommeil. Six heures et dix minutes plus tard, me voilà déjà debout à taper sur mon vieil ordinateur les prémices d'une nouvelle liste de choses à faire afin d'éviter d'aller étrangler David qui m'a envoyé une dizaine de SMS, tous plus cochons les uns que les autres. Ils sont bien évidemment restés sans réponse de ma part.
— Si ce lutin de grrrr, de casse-noisettes de crotte de renne avait été capable de garder sa petite bite de sucre d'orge loin du cul de sa Mère Noël, je...
— Ohhh, mais zut Cassie, tu peux éviter ta crise d'hystérie et ton déballage de gros mots aussi tôt le matin ? J'aimerais dormir !
Agathe se retourne et enfouit son visage dans mon oreiller. Après tout, elle avait qu'à ne pas se bourrer la gueule hier.
« Astuce n° 4 : Je vous épargne tout le speech sur le travail du foie et sur le fait qu'il peut s'écouler jusqu'à vingt-quatre heures pour que le corps transforme l'acétaldéhyde en acétate. Ça donne mal à la tête et on ne comprend rien à tous ces mots ennuyants. Mais oui, la gueule de bois c'est une douleur au crâne affreuse, des nausées et de la fatigue. Alors, demandez à votre entourage de chuchoter le plus possible. »
Je monte à l'étage de la petite maison, retire mes lunettes et détache mes cheveux. J'enlève mon tee-shirt enfantin, à l'effigie de ratatouille, fais descendre sur mes pieds mon short et ma culotte avant d'entrer dans la douche. Après avoir vidé le cumulus d'eau chaude - Agathe ainsi que ses amis les écolos vont me faire la peau - je retourne dans la cuisine préparer un jus à base de banane et beurre de cacahuète sans me soucier un seul instant du cadavre, complètement nu, étalé sur le canapé. J'actionne le mixeur.
— OK j'ai compris Cassie. Tu m'en veux !
La blonde essuie la bave qui a coulé sur son menton, étire son corps athlétique qui pourrait rendre lesbienne n'importe quelle hétéro et se lève enfin, cachant sa nudité si parfaite sous le gros plaid jaune moutard. J'avance vers elle, dépose un thé à la menthe, un verre avec un médicament et un œuf poché dans une petite assiette.
« Astuce n° 5 : L'œuf poché, un aliment qui se digère très facilement, dès que vous vous en sentez capable. Vous pouvez également manger un bouillon de légumes et mélanger du miel ou du sirop d'érable dans une tisane à base de menthe ou de camomille. »
— J'ai des choses à faire ! Alors, arrête de traîner comme une vieille huître au fond de sa coquille parce que sinon je vais te mettre des coups de fourchette sur les fesses.
Agathe se met à rire à ma remarque, censée être une remontrance.
— Quelque chose te turlupine ?
Je m'étale de tout mon long sur le plan de travail de la cuisine ouverte et fais mine de pleurer. Une vraie scène théâtrale !
— Je suis dans la merde ! David me fait clairement du rentre-dedans et je ne sais pas encore si je dois lui dire d'aller fourrer sa dinde ou si je craque et lui donne une seconde chance. J'ai encore des sentiments pour lui et ça me bouffe...
Agathe caresse mes cheveux châtains et tente une approche.
— Eh ma belle, c'est normal, ça ne fait pas longtemps que vous avez rompu. Tu l'aimes encore parce que vous êtes quand même restés un sacré bout de temps ensemble. Je comprends... Mais ne craque pas et si tu veux, on peut baiser. Ça te fera penser à autre chose... tente-t-elle.
— Agathe !
— Je plaisante, tu sais que je ne couche ni avec mes collègues ni avec mes amies et toi, tu entres dans les deux catégories !
— Je vois que tu as retrouvé la forme. Je vais sortir un peu, j'ai besoin de m'aérer la tête.
Agathe s'effondre dans le canapé avant de me demander de fermer les volets et d'éteindre son téléphone. Elle ne veut être dérangée pour rien au monde.
« Astuce n° 6 : Tamisez les lumières et fuyez le bruit. Reposez-vous, vous ferez mieux
demain. »
Je m'enrobe comme une papillote dans son papier brillant, enfile des bottes et sors sous un vent presque glacial. Je m'installe sur un banc dans le parc en face de notre maison typiquement bostonienne. J'admire la beauté de l'automne qui couvre le sol de feuilles de toutes les couleurs. J'aime ce camaïeu de rouge, les petites flaques dans lesquelles j'adorais, enfant, sauter à pieds joints, mais également l'odeur du bois humide. Les passants ont ouvert leur parapluie pour se protéger de la pluie fine qui commence à tomber. Quant à moi, je rabats la capuche sur ma tête et sors de mon sac mon carnet afin de cocher la liste des choses à faire dans le week-end.
1- Insulter David, c'est fait et ça mérite d'être souligné en rouge pétasse !
Je retire le capuchon de mon marqueur et laisse grincer la pointe sur le papier blanc. La fin du bruit annonce que la tâche a été effectuée et c'est jouissif.
2 - Appeler maman avant quatorze heures, heure française.
Je baisse mon visage sur ma montre et réalise que je suis légèrement en retard.
Je cherche mon téléphone, caché au fond de mon sac qui est rempli de tout un tas de cochonneries (penser à faire le tri là-dedans), puis trouve l'objet convoité.
— Cassie !
— Maman, comment vas-tu ?
Elle me raconte que son week-end a été très chargé à la crèche où elle travaille. Entre la gastro, la grippe et les poux, les enfants lui ont donné du fil à retordre.
— Tu viens toujours pour Noël ?
— Oui rassure-toi ! Cette année c'est la bonne.
— Je suis contente. J'ai pris un petit cadeau pour David ! m'informe-t-elle joyeusement.
Oh crotte de lutin ! J'ai oublié de lui dire qu'il m'a quitté
Je vais garder ça encore secret jusqu'au lendemain de Noël. Peut-être que je trouverai le courage de lui avouer que je suis célibataire et en profiter pour lui glisser au passage que je ne suis pas journaliste. Maman a eu du mal à me laisser partir à l'autre bout de la planète. Mais si elle savait que c'était juste pour être assistante, elle aurait sûrement crevé les pneus de ma voiture ou brûlé mon billet d'avion pour éviter que je ne vienne vivre ici. Je me demande souvent ce à quoi aurait ressemblé ma vie si j'étais restée en France.
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