22.

Harry.

Lorsque la porte s'ouvre, j'ai à peine le temps de réagir que Lili m'attire dans une longue étreinte. Et je ne vais pas mentir, ça me fait énormément de bien. Son parfum à la rose me chatouille les narines, je lui embrasse la joue en me reculant et elle me prend la main pour m'emmener avec elle au salon.

Noé est déjà là, Yanel sort de la cuisine avec un bol et une spatule à la main. Elle vient me faire la bise en souriant et Noé m'écrase dans un énorme câlin qui déclenche mon rire. Nous nous sommes quittés hier après-midi au travail, mais nous avions tous hâte de nous retrouver pour fêter le réveillon de Noël ensemble.

Comme Noé, je passe la nuit à l'appartement des filles ce soir. Je n'avais pas le coeur à faire la fête seul alors quand Lili m'a invité chez elles pour l'occasion, je n'ai pas réfléchi longtemps avant d'accepter. J'en ai besoin. Je ne voulais pas rester seul au studio d'Olivia. Elle est retournée voir ses parents et son frère pour Noël et m'a, plusieurs fois, demandé de profiter de cette pause pour me reposer.

Quand Noé me lâche, je retire mon manteau, mon écharpe et mes chaussures. Lili va les accrocher dans l'entrée et je laisse mon sac avec mes affaires dans le couloir. Je vais mettre les cadeaux sous le sapin, avec les autres, et celui de Louis est aussi dans le lot. Je n'avais pas la patience de l'ouvrir à mon retour demain soir.

Yanel vole un baiser à sa petite amie puis se tourne vers moi.

– Harry, tu veux venir m'aider à faire le dessert ?
– Avec plaisir.

Je la suis en cuisine, et comme elle est ouverte sur le salon j'ai l'occasion de voir Noé et Lili mettre une playlist de Noël à la télévision sur laquelle ils dansent en disposant la table.

– J'ai ramené une bouteille de champagne et quelques trucs à grignoter.
– Merci, elle me sourit, tu peux poser ça là.

Elle me montre le coin du meuble de cuisine, je laisse tout dessus mais range la bouteille au réfrigérateur pour ce soir. Yanel a déjà sortis tous les ingrédients pour le moelleux, je m'attaque à la préparation, je fais ça en silence. Entre deux, j'observe mes amis qui s'amusent comme des enfants au salon et chantent à tue tête sur Last Christmas.

C'est le premier Noël que je fais avec eux. L'année dernière, Lili est allée le fêter dans sa famille avec Yanel, Noé était reparti chez ses parents et moi j'étais seul. Dans la grande maison vide de mon enfance où je n'ai jamais eu le droit à un seul Noël joyeux.

Mais ce n'est rien, parce que des souvenirs heureux je peux m'en faire plein, ici. Entouré de personnes qui tiennent un peu à moi quand même.

– Comment tu vas en ce moment ?

La question de Yanel me prend de court, je ne m'y attendais pas. Mais ça me touche. A chaque fois qu'on se voit, elle me demande toujours comment je vais, elle est calme, douce et réfléchie. Ce n'est pas pour rien qu'on s'est tout de suite bien entendu, on se ressemble un peu. Et elle aime cuisiner aussi.

Ce soir, je n'ai pas envie de mentir.

– Mieux, je pense.

Elle tourne la tête vers moi et hoche la tête, un petit sourire se dessine sur ses lèvres. Yanel est presque plus grande que moi, elle a un regard qui met en confiance et une chaleur humaine unique.

Je mélange la pâte, perdu dans mes pensées, elle coupe les légumes qui vont servir pour le repas de demain midi. Ce soir, ce sera un apéritif dînatoire. Et demain on aura aussi le droit à un délicieux pudding de Noël que je suis en train de préparer.

Au bout d'un court moment, j'ajoute d'une voix plus basse, mais assurée :

– Je commence à voir une lumière, au bout du tunnel.

Yanel me sourit davantage, elle prend une de mes mains dans la sienne et serre affectueusement mes doigts.

Ce n'est pas un mensonge non plus, depuis que mon père a signé les papiers, je me sens moins oppressé. Le processus est extrêmement long, la maison a seulement été mise en vente il y a quelques jours et j'ai juste tellement hâte de ne plus avoir à y penser. Pouvoir commencer ma nouvelle vie.

Puis, il y a eu l'anniversaire de Louis hier, ça m'a redonné des couleurs dans le coeur. Entre nos discussions par messages réguliers et ses visites au salon, je me sens léger. C'est nouveau, ça me terrifie un peu pour être honnête, mais Louis ne me laisse pas le temps de réfléchir à ce qui me fait peur.

Il chasse l'orage dans mon esprit et y laisse entrer sa propre lumière.

– Tu sais, sans Lili, j'aurais jamais eu le droit à tout ça. Avant de la rencontrer, j'étais plutôt dans une période compliquée de ma vie. Je venais de me faire jeter à la rue par mes parents, j'avais redoublé mon année, je dormais dans un tout petit studio chez un ami, je galérais à trouver un travail et me faire de l'argent. Je voulais partir, partir loin, fuir cet endroit et... et heureusement que je ne l'ai jamais fait. Parce que je n'aurais jamais eu la chance de rencontrer l'amour de ma vie sinon.

Je sens l'émotion dans la voix de Yanel, et quand je la regarde, je constate les larmes au bord de ses yeux. Sa main n'a pas quitté la mienne, alors j'enlace nos doigts davantage.

Elle regarde devant elle, dans le salon, Lili qui se déhanche sur la musique et chante à voix haute dans une bouteille vide de bière en guise de micro.

– Je l'ai trouvé au bon moment et je suis tombée amoureuse d'elle sur le champ. Ça a été le coup de foudre, exactement comme dans les films. La première chose qui m'a frappé chez elle, c'est son sourire. Quand je l'ai vu à cette conférence à l'université, rire avec un de ses amis, je me suis dit à moi même « cette fille il faut que je lui parle », c'était pas juste une envie passagère, mais un besoin. Je ne saurais pas comment l'expliquer, mais c'est arrivé. J'ai pris mon courage à deux mains, je me suis approchée d'elle et aujourd'hui on en est là...

Leur histoire est si belle, si pure. Et c'est flagrant qu'elles s'aiment à en faire trembler les étoiles. Elles s'aiment dans leurs regards, leurs gestes, leurs mots.

Yanel tourne son visage vers le mien, son sourire est triste.

– Le jour où j'ai dis à mes parents que je voulais changer de sexe, que j'étais une fille, ils m'ont regardé avec tellement de haine. Je n'aurais jamais pensé qu'ils... qu'ils auraient réagi de cette manière. Enfin, je l'imaginais, ça m'angoissait, mais c'était qu'un scénario dans ma tête, pas la réalité. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée dehors, mes affaires sur le pas de la porte et aucun mot d'adieu, je n'étais plus leur enfant parce que j'étais devenue moi même.

Ses mots me serrent la gorge, Yanel n'évoque pas beaucoup son passé, sa vie avant d'avoir rencontré Lili. Elle nous a parlé de sa transidentité peu de temps après que Lili nous ait présenté, Noé et moi, à elle.

– Je me suis détestée pendant longtemps, j'ai cru que c'était moi le problème, que c'était de ma faute si j'étais seule et à la rue, que je l'avais cherché. Mais ce n'est pas le cas. C'était eux. Ils n'ont pas accepté de me voir comme je suis, leur fille. Et ça m'a fait affreusement mal, encore aujourd'hui parfois quand j'y pense. Ça fait plus de quatre ans maintenant, j'étais à peine majeur à l'époque, j'étais effrayée, brisée, triste et abandonnée par mes parents, ma famille. J'avais l'impression d'être seule face au monde entier.

L'angoisse se fait encore ressentir dans sa voix, ce n'est un souvenir qu'elle peut oublier facilement, il est fort probable qu'elle vive avec toute son existence. Mais elle parvient à le faire, elle est heureuse, aux côtés d'une personne qui l'aime et prend soin d'elle. Elle a su trouver son bonheur.

Une larme discrète roule sur sa joue, elle ne l'essuie pas. A la place, elle me sourit et repose ses yeux sur Lili. Je n'ai jamais lu autant d'amour dans un seul regard.

– Mais au final, j'ai compris que ma famille, c'est Lili maintenant. Et tous mes amis. Ça n'a pas forcément à être le lien du sang, il y a des relations bien plus fortes et importantes dans la vie, tu auras encore le temps de t'en rendre compte.

Je pense à mes parents, tous les deux loin de moi maintenant. Ma mère hospitalisée, incapable de mener une vie normale sans céder à une crise de démence, sans tomber dans la folie. Mon père, enfermé en prison certainement pour le reste de ses jours. Je sais que j'ai le droit de les détester, de les renier, de les oublier, mais je n'y parviens pas encore.

Cette partie de ma vie me hante toujours, elle est trop récente, trop vive, trop douloureuse pour l'effacer du jour au lendemain. Il me faudra des années. Je suis habitué à la peur, aux traumatismes, aux cauchemars qui me gardent éveillés la nuit, aux scènes qui se rejouent dans ma tête indéfiniment.

Yanel passe son pouce contre le dos de ma main, je retrouve mon souffle. Elle me regarde et j'ai l'impression qu'elle comprend, qu'elle sait ce que je traverse sans avoir besoin de me le demander. Peut-être que, d'une certaine manière, nos histoires sont tragiquement similaires.

– C'est entièrement ton droit de garder pour toi ce que tu as vécu, je suis passée par là je sais ce que c'est. Mais c'est juste que... je vois un peu la moi du passé en toi, et ça me rend triste. J'aurais aimé me retrouver il y a quatre ans pour me dire : « ça ira, tu vas trouver une autre famille, rencontrer l'amour et tu connaîtras le bonheur continue d'avancer et de te battre ». Même si ça prend des mois, des années, j'espère que tu seras pleinement heureux un jour toi aussi. Et puis, il y a rien de mal à craquer parfois. Il y a des fois où j'ai besoin de pleurer, d'évacuer. Quand j'y réfléchis, je me rends compte que ça me fait du bien.

J'avais besoin d'entendre ces mots, ils me font du bien, ils soulagent le poids sur ma poitrine. Yanel tient encore mes doigts, mais je les lâche pour la prendre dans mes bras. C'est ma façon à moi de la remercier et lui montrer que ses paroles m'aident plus qu'elle ne le pense.

Elle caresse mon dos, je la sens sourire contre ma joue. Quand elle se recule, ses mains encerclent mon visage et elle me dit en me regardant droit dans les yeux :

– Et je sais que tu es sur la bonne voie, souviens toi que tu n'es jamais tout seul. Tu es entouré de personnes qui t'aiment.
– Merci. Merci beaucoup, vraiment.

Ses pouces caressent brièvement mes joues, je lui souris, puis elle me lâche afin de retourner à sa cuisine. Je garde le sourire et fais de même, ses mots tournent dans ma tête, mais ils sont bénéfiques.

Lili entre en cuisine peu de temps après, elle vole un bout de chocolat que j'ai coupé sur la planche, puis enlace Yanel par derrière qui est en train de faire la vaisselle. Comme elle est plus petite qu'elle, elle doit se dresser sur la pointe des pieds pour voir par dessus son épaule, où elle repose son menton. Ses bras entourent son bassin, elle parle tout bas près de son oreille, mais j'entends quand même qu'elle lui dit que ça sent drôlement bon.

Yanel lui sourit et tourne la tête, juste assez pour l'embrasser. Noé leur lance une serviette en papier depuis l'autre côté du bar qui sépare la cuisine du salon.

– Eh pensez au célibataire un peu non ? Harry, joins toi à moi !
– Harry m'aime trop pour se liguer contre moi.

Je ris aux mots de Lili, elle laisse sa petite amie cuisiner tranquillement et vient passer ses bras autour de mes épaules. Noé pose les poings sur ses hanches en me lançant un regard tout à fait sérieux.

– Désolé No, mais elle n'a pas tord.

Noé lève les bras au ciel en signe de désespoir et pousse un long soupir.

– Ouais de toute façon toi aussi dans moins de deux semaines t'es en couple.
– N'importe quoi...

Mes joues se mettent à chauffer subitement, et j'ai peur de savoir pourquoi.

– Excuse moi, mais t'as un mec totalement craquant qui te dépose des pâtisseries, je crois qu'on sait tous comment ça va se terminer.

Je ne réponds pas, je baisse les yeux vers mon récipient à la place. Parce que moi je sais comment ça se terminer. Louis ne voudra jamais plus que de l'amitié, je ne suis pas à la hauteur, et si c'était le cas, je finirais bien par tout briser, comme toutes mes autres relations avant. Un échec. Et je ne veux pas être celui qui blesse Louis.

Lili glisse ses doigts contre ma nuque, puis s'adresse à Noé en soupirant.

– Tu veux pas le laisser tranquille deux minutes avec ça ? Il a le droit d'être ami avec un autre garçon sans avoir forcément envie de plus.
– Alors dis moi comment tu fais Harry, parce que moi je tombe amoureux dès qu'il y en a un qui croise mon regard.

Nos rires résonnent dans la pièce, je hausse les épaules. Noé me sourit puis me tend la main depuis sa place, Lili me lâche et je le rejoins dans le salon. Il augmente le son de la musique puis on se met à danser tous les deux.

Je me sens bien, léger. Il me tient la main et me fait tourner sur moi même. Lili nous ramène à boire, Yanel un premier plateau de toasts.

On danse tous les quatre, Lili chante à voix haute les paroles, dans un anglais douteux, Yanel la fait taire en l'embrassant tendrement. Ça les fait rire, toutes les deux. Elles sont heureuses, et moi aussi je crois.

Du moins je ne pense à rien d'autre qu'à cette soirée, aux sourires sur les visages de mes ami.es, aux toasts qu'on mange jusqu'à en avoir mal au ventre et à la joie du premier Noël joyeux que je vis.

Plus tard dans la soirée, Noé fume sur le balcon et discute avec Yanel, Lili commence à s'endormir devant une émission, il n'est pas tout à fait vingt trois heures trente. Sa tête est appuyée sur mon épaule, on se partage une couverture, étendue sur nos genoux qui se touchent.

Mon portable vibre, à côté de moi, sur le bord du canapé. Je le prends, et c'est un message de Louis qui s'affiche à l'écran. Nous avons échangé quelques messages, quand je lui ai souhaité un joyeux anniversaire ce matin, mais je ne pensais pas en avoir un ce soir.

📩 Salut Harry, bon réveillon ! Désolé de ne pas avoir donné de nouvelles avant, j'étais pas mal occupé. Mais j'espère que de ton côté ça se passe bien ?

J'ai à peine le temps de terminer la lecture qu'un nouveau message apparaît en dessous de l'autre.

📩 Je n'ai pas encore ouvert ton cadeau, j'espère que toi aussi tu tiens encore notre promesse ? J'aurais le coeur brisé autrement...

Un sourire fend mes lèvres, j'active le clavier afin de lui répondre :

📩 Bonsoir Louis, bon réveillon à toi aussi. Tout va bien, je te remercie. Et toi ? Quant au cadeau, il est encore emballé sous le sapin, rassure toi.

Je jette un coup d'oeil au paquet en question. Depuis qu'il me l'a donné hier, je me demande ce qu'il a bien pu m'offrir. Et je dois avouer que son geste me touche beaucoup.

Lili bouge contre mon épaule, elle se redresse, s'étire un peu en baillant. Je repose mon téléphone, elle me sourit et se lève du canapé pour aller se servir à boire.

Pendant un instant, je regarde l'écran de télévision jusqu'à ce que mon téléphone vibre à nouveau. Je n'attends pas une seconde pour découvrir le message de Louis.

📩 Les jumeaux sont excités, j'ai dû les garder cette après-midi et ils m'ont fait la misère j'ai cru que j'allais m'arracher les cheveux... mais je les aime quand même. D'ailleurs ils ont demandé après toi et comme je leur ai dit que tu ne venais pas, ils ont voulu t'envoyer ça.

Sous son message, il m'a joint une photo d'eux trois, en train de faire de regarder l'objectif. Mon attention s'attarde sur le bras tatoué de Louis, ses cheveux, ses yeux, son visage et je ne devrais vraiment pas le trouver aussi beau. Je la regarde un long moment.

Je sens mon sourire qui s'étend jusqu'à mes oreilles et l'intérieur de mon corps qui se réchauffe. C'était tout ce qui manquait à ma soirée pour qu'elle soit parfaite.

📩 Dis leur bonjour de ma part ? Et à toute ta famille aussi. J'aime beaucoup cette photo.

Sa réponse ne met pas longtemps à arriver. Je reste devant l'écran de mon portable à l'attendre. Et j'entends Lili qui range des choses dans la cuisine.

📩 Ce sera fait. N'empêche... ça a l'air d'être quelque chose de mou ton cadeau, ça m'intrigue.

Un léger rire sort de ma bouche, je me mords la lèvre en écrivant ma réponse.

📩 Défense d'y toucher.

Même si je sais qu'il ne le fera pas, Louis a l'air de bien trop aux promesses pour les briser.

📩 Et regarder je peux ?

Je crois qu'il sait que ses messages me font sourire et c'est certainement pour ça qu'il rentre dans mon jeu.

📩 Seulement de loin.

Il met plus de temps à répondre cette fois, je regarde un petit moment la télévision, mais l'émission en m'intéresse pas réellement. Et je n'y trouve plus aucun intérêt lorsque mon portable vibre à nouveau.

📩 J'ai une question très importante... A minuit c'est le matin on est d'accord ? je peux l'ouvrir dans environ 30 minutes alors ?

Je souris tellement que je ne m'en rends plus compte, c'est un peu devenu une habitude avec lui. Une habitude qui me plaît.

📩 Louis... tu serais pas du genre super impatient par hasard ?

Sa réponse est immédiate, et j'imagine la couleur de son rire près de mon oreille. Je sais que ce soir, je ne ferais aucun cauchemar.

📩 Haha, j'attendrais demain matin si ça peut te faire plaisir.


 Le lendemain matin, je me réveille avant tout le monde. Je n'ai jamais dormi très tard. Il doit être six heures trente, je fais un tour sur mon téléphone, puis je me lève. J'ai dormi dans la chambre d'ami, avec Noé, il ronfle encore quand je quitte la pièce.

Les filles, elles aussi, dorment encore. Je fais le moins de bruit possible dans la salle de bains lorsque je passe aux toilettes, me lave les mains et les dents.

Une fois au salon, j'ouvre les rideaux et fais du café. Je termine la préparation de mon pudding que j'ai laissé poser durant la nuit. J'ajoute sur le dessus du sucre glace, afin d'imiter la neige, et des décorations de Noël comestibles.

Mon téléphone vibre sur le comptoir de la cuisine, je referme la porte du réfrigérateur où je viens de ranger le gâteau puis lis le message de Louis. Il est seulement sept heures.

📩 Joyeux Noël Harry ! Je pensais dormir tard, mais deux crapules ont décidé que c'était l'heure de se lever en me sautant dessus. Il y en a qui sont plus pressés que moi d'ouvrir des cadeaux, tu vois.

Je me frotte un œil, puis souris en tapant ma réponse.

📩 Joyeux Noël Louis. Je suis certain que tu étais comme ça aussi quand tu avais leur âge.

Pour bien me réveiller, je me sers une tasse de café encore fumante. La première gorgée me brûle la langue, mais ça me fait du bien.

📩 Je ne vois pas de quoi tu parles...

Le portable vibre une deuxième fois entre mes mains, il ne me laisse pas le temps de répondre et change de sujet en me demandant :

📩 Tu as ouvert ton cadeau ?

Si je n'avais pas encore compris que Louis était de nature impatiente, j'en ai maintenant la preuve.

📩 Pas encore.

Afin de m'occuper en attendant sa réponse, ou qu'un de mes amis se lève, je range le reste de la vaisselle propre qui traîne encore sur la table.

Quand la réponse de Louis apparaît, je lis ses mots et me fige un instant.

📩 Si ça te dit et si tu n'es pas occupé, tu veux qu'on s'appelle pour qu'on les ouvre ensemble ?

Je fixe pendant plusieurs secondes son message. Les battements de mon coeur s'emballent, je ne sais plus vraiment les contrôler.

L'appartement est encore silencieux, je pense que les filles et Noé ne se réveilleront pas dans les minutes qui suivent. Je prends mon courage à deux mains et lui écris :

📩 Maintenant ?

Mon regard ne quitte pas l'écran jusqu'à recevoir sa réponse.

📩 Quand tu peux, mais surtout ne te sens pas obligé d'accepter. C'est simplement une proposition.

Son attention me touche, je me pince les lèvres, inspire et appuie sur l'icône d'appel avant d'avoir la chance de me défiler. Je porte le téléphone à mon oreille, la sonnerie résonne deux fois puis il décroche.

– Salut !

Immédiatement, je suis apaisé par la jovialité dans sa voix, elle est légèrement rocailleuse mais je ne sais pas si c'est à cause de la réception téléphonique ou du fait qu'il vient de se lever. En tout cas, il est de bonne humeur, et c'est communicatif.

– Bonjour, je ne te dérange pas ?
– Harry, c'est moi qui ait proposé qu'on s'appelle.

Je peux parfaitement l'imaginer en train de lever les yeux au ciel, ça me fait sourire.

– C'est plutôt moi qui devrait te demander ça, il est tôt.
– Non ça va, j'étais levé depuis un petit moment.
– Pas de grasse matinée ?
– Ce n'est pas trop mon truc.

Un léger rire sort de ma bouche quand j'entends Louis faire un bruit outré de l'autre côté de la ligne.

– J'aurais bien dormi jusque midi moi.
– Vous vous êtes couchés tard ?
– Les jumeaux non, mais sinon vers deux heures du matin je crois. On a tellement mangé que je ne sais pas su m'endormir tout de suite.

Je souris, mais je me rends compte que Louis ne peut pas me voir, je cherche quoi lui répondre mais il enchaîne déjà sur autre chose. L'excitation se faire sentir dans sa voix quand il me demande :

– Bon comment on procède ? On ouvre en même temps ?
– Oui, d'accord.

Mon ton reste bas, je ne veux pas réveiller mes ami.es. Je laisse ma tasse de café et vais chercher le paquet de Louis en dessous du sapin. Je m'assois dans le canapé, cale le portable contre mon oreille et fronce les sourcils quand j'entends un gros bruit à l'autre bout de l'appareil.

Le rire de Louis me parvient à peine quelques secondes plus tard. Un rire clair et coloré.

– Désolé, je viens de faire tomber mon téléphone en essayant de déchirer le papier.

Je ris à voix basse. Sa bonne humeur me remplit le coeur d'un bonheur sans nom, ça commence à me faire peur, parce que je n'ai jamais connu ça. Une personne aussi solaire. Je commence à retirer l'emballage, mais sa voix me coupe dans mes gestes.

– Tu m'as offert un moule à muffins ?

Louis a été plus rapide que moi, apparemment. Je ne suis pas certain de comprendre sa réaction. Je me mords les lèvres, et lui demande plus bas, d'un ton incertain :

– Ça te plaît ?
– Tu plaisantes, c'est génial ! Je voulais en faire mais je savais pas lesquels acheter et, j'entends du bruit à l'autre bout de l'appareil... mais attends, c'est carrément un kit pour faire de la pâtisserie ça, c'est quoi ce gros pinceaux ? Il y a même un livre de recettes, merci !
– J'ai commencé avec ça, moi aussi. Tout est expliqué à l'intérieur. J'ai voulu t'offrir autre chose qu'un livre, je sais que ce n'est pas un cadeau extraordinaire mais...
– Merci, merci beaucoup Harry j'adore vraiment ! Il me coupe d'un ton enjoué. Tu seras mon premier testeur je te préviens.
– Avec plaisir.

Je peux entendre le sourire dans sa voix, ça me réchauffe l'intérieur de la poitrine. J'oublie mon cadeau, j'oublie où je me trouve, j'oublie tout le reste, le monde entier, je ne me concentre que sur ses mots et sa respiration.

Il me demande si j'ai ouvert le mien, je cligne des paupières en rougissant, même s'il n'est pas là pour me voir, et termine de déchirer le papier décoré de petits sapins verts.

En dessous, je découvre un livre assez épais. Le visage de Virginia Woolf et Vita Sackeville West dessus et je lis le titre.

– Je ne savais pas qu'ils avaient publié un recueil de leurs lettres... merci beaucoup Louis. Ça me fait vraiment plaisir.
– Ouvre la première page.

Son ton est plus doux, je me surprends à frissonner légèrement. Mais je fais ce qu'il me demande et ouvre la page de couverture et découvre glissé à l'intérieur une petite enveloppe. Les sourcils froncés, je l'ouvre et prends ce qu'il y a à l'intérieur.

Deux tickets. Deux tickets pour une exposition sur la littérature féminine du dix-neuvième et vingtième siècle. Elle se déroule dans une ville à quelques kilomètres d'ici, pas très loin de la mer. Sur la brochure, il y a des noms d'autrices françaises, anglaises, allemandes que je reconnais, d'autres qui me sont totalement inconnues.

– Louis...

Ce cadeau me surprend tellement que je ne trouve pas les mots, j'ai le coeur serré, mais ce n'est pas de la peur, au contraire, c'est comme s'il apprenait à se remettre à battre. Peut-être un peu trop vite, j'ai le visage chaud et un sourire qui tremble d'émotions sur les lèvres.

– J'en ai acheté deux, Louis enchaîne, parce que je me suis dit que ce serait plus amusant pour toi d'y aller avec quelqu'un et il n'en restait plus énormément. L'exposition est là jusqu'en Mars, il me semble.

J'écoute les informations, même si les dates sont inscrites sur le ticket, ainsi que l'adresse et les autres détails nécessaires, mais ma tête est ailleurs. Complètement ailleurs.

– Tu y es déjà allé ?
– Non, mais j'ai lu de très bons avis dessus et les places se vendent comme des petits pains. Je me suis renseigné et ils reversent les fonds à une association de lutte contre les violences faites aux femmes, c'est vraiment important alors j'ai pensé que tu...
– Louis ?
– Oui ?

Je le coupe parce que j'ai le coeur qui va exploser tellement je ressens de choses, parce que si je ne m'en doutais pas encore avant, maintenant je le sais, Louis est une personne extraordinaire.

Nous nous connaissons que depuis quatre mois environ, mais je suis déjà certain que notre rencontre va marquer ma vie. Et que si un jour je le perds, je n'aurais plus le droit à un ciel aussi bleu au-dessus de ma tête, à toutes ces couleurs autour de moi. Même si je ne pourrais pas l'oublier, Louis n'est pas quelqu'un qu'on efface de sa mémoire.

Mais j'évite de penser à ça maintenant, je profite du moment présent. Je tiens encore les tickets entre mes doigts, et j'inspire lentement, avant de trouver le courage de lui demander :

– Viens avec moi.
– Pardon ?

Je lâche les billets afin de passer une main dans mes cheveux, je me frotte nerveusement la nuque. Louis ne doit pas avoir compris ce que j'ai dit tellement j'ai parlé vite, pour une fois. Je reprends plus calmement.

– Je veux dire... on peut y aller ensemble ? Tu as payé deux places, tu peux en profiter aussi.
– Tu es sûr ?

Sa question me fait sourire, comme si j'avais envie de m'y rendre avec quelqu'un d'autre que lui. Je ne suis pas la meilleure compagnie, mais je prie pour qu'il accepte. Je pense que ce genre de cadeau ferait plaisir à Lili ou Yanel, seulement j'ai cette envie égoïste que ce soit Louis qui m'y accompagne.

– Je ne connais personne d'autre qui aime autant la littérature que toi, alors oui je suis certain.
– D'accord, merci de m'inviter Harry. Ça me ferait très plaisir ! Je t'avoue que je voulais me prendre une place pour moi, mais je me voyais mal y traîner Zayn ou y aller tout seul.

Le sourire toujours aux lèvres, je m'installe confortablement contre le dos du canapé et entre les coussins. Dehors, la lumière du jour commence à peine à se lever, timidement. Il y a des premiers rayons de soleil qui passent timidement par dessus les toits des maisons et immeubles. C'est le début d'une belle journée.

– C'est moi qui te remercie Louis, ça me touche beaucoup. Vraiment.
– Tant mieux, je suis heureux alors. J'avais peur que ça ne te plaise pas.
– Non, c'est parfait. J'adore, moi aussi.
– C'est génial alors ! On s'arrangera une date quand même rapidement, histoire de s'organiser.
– Oui, je te laisse savoir mes disponibilités dès que je le peux.
– Moi aussi !

Nous restons au téléphone encore quelques minutes, il me parle de son réveillon de Noël avec sa famille, d'à quel point les jumeaux étaient excités durant toute la soirée, si bien qu'ils ont peu dormi. Il me demande comment s'est passé le mien, je lui raconte avec un sourire qui me colle au visage. Je me sens important, qu'il prenne du temps pour discuter avec moi. Je pourrais l'écouter me parler toute la journée, ce serait mon plus beau cadeau.

Puis il me laisse car il doit aller préparer le petit déjeuner. Je le remercie encore, et lui aussi. Nous nous souhaitons un joyeux Noël avant de raccrocher. Si je garde encore plusieurs secondes le téléphone appuyé contre mon oreille, à écouter le silence, à me souvenir de son rire en fixant le livre qu'il m'a offert, personne n'a besoin de le savoir.

Je souris, même une fois la conversation coupée, et je sais que je vais le garder ancré sur mes lèvres toute la journée. Je n'entends plus que mon coeur battre dans mes oreilles et, pour une fois, je n'ai pas envie que ça s'arrête, parce que ce n'est pas douloureux.

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