Chapitre 32

— Ça fait mal ? demanda Nelly en dirigeant son doigt vers la pommette enflée de Valentina.

Cette dernière grimaça. Elle avait pris un bon crochet, deux jours plus tôt en patrouille. Deux sales types s'en étaient pris à une jeune femme d'une trentaine d'années. L'un des deux était bien éméché et Valentina avait décidé qu'elle parviendrait à le maîtriser sans problème ou, mieux encore, à le tenir à distance pendant qu'elle s'occuperait de l'autre.

Elle n'avait pas réussi à savoir jusqu'à quel point ces deux énergumènes auraient pu aller, mais le visage déformé par la peur de la femme l'avait convaincue de passer à l'action. Le temps où elle fonçait tête baissée vers le danger était désormais révolu et, puisqu'elle était dans le quartier botanique, elle avait envoyé un message texte à Francky juste avant d'intervenir. En quelques mots, elle avait expliqué la situation et précisé exactement où elle se trouvait.

Il s'était avéré que l'autre type était beaucoup plus vif qu'elle ne l'avait d'abord imaginé. Il avait certes reçu son premier coup de pied en plein visage, mais cela n'avait pas suffit à le faire fuir. En revanche, ça l'avait bien énervé et il s'était ensuite acharné à le lui faire payer. Comme elle était rapide, elle aussi, elle avait pu éviter une bonne part des tentatives du malfrat. Son acolyte n'avait jamais été un problème. Il n'avait même pas réussi à poursuivre sa pauvre victime sans se prendre les pieds et s'étaler contre une vitrine de magasin. Cela l'avait sonné pour le compte.

De son côté, Valentina avait eu bien du mal à tenir l'autre à distance, même avec une allonge supérieure due à ses coups de pied. Son adversaire avait fini par trouver une faille et avait frappé d'un puissant direct dans son genou. Impossible, dès lors de poursuivre avec sa technique de pied et le crochet qui avait suivi lui avait fait voir des étoiles, malgré les lampadaires qui éclairaient si bien la rue.

C'était à ce moment qu'un voisin avait enfin décidé d'intervenir en hurlant qu'il avait appelé la police. Le cogneur avait hésité une seconde avant d'administrer un second crochet que Valentina avait paré de l'avant-bras, mais qui l'avait fait s'écrouler sur les fesses. Son opposant avait ensuite décidé qu'il était temps de partir et avait agrippé son comparse avant de détaler.

Valentina était restée assise quelques minutes, à bout de souffle, le sang qui lui battait les tempes et la moitié de son visage déjà enflé. Le voisin n'avait jamais eu le courage de la rejoindre dans la rue, mais elle ne lui en avait pas tenu rigueur. Il avait réussi à faire fuir le sale type et elle était toujours entière.

— T'as une sale tête ! avait tout de même déclaré Francky en la voyant assise contre une poubelle.

Elle aurait pu sourire si elle n'avait pas eu si mal. Alors elle s'était contentée de grogner et Francky l'avait raccompagnée chez lui.

Sa mère avait fait une crise le lendemain soir en la voyant débarquer avec son bleu énorme. Valentina avait cependant vite calmé les choses en expliquant qu'elle s'était fait ça à l'entraînement. Un mensonge plausible, avait déclaré Francky lorsqu'elle lui avait proposé de raconter ça à son entourage. À se demander s'il était vraiment prêtre, parfois.

— Ça fait mal quand j'y touche et quand je parle aussi, répondit Valentina.

— Oh...

— On est pas près de t'entendre, alors, sourit Ilyes.

— Elle vient de parler, je te signale, corrigea Nelly en remettant une de ces boucles rousses derrière son oreille.

Toutes ses idées n'étaient pas mauvaises, loin de là. C'était juste que toutes n'étaient pas non plus faites pour elle. Sur d'autres, le résultat aurait pu être spectaculaire. Car Nelly avait une belle imagination et savait marier les formes. Seulement, ce qui donnait bien sur ses croquis, n'avait pas le même effet sur sa petite silhouette. Du haut de son mètre cinquante et un, avec ses hanches plus larges que ses épaules, toutes menues, et son absence de taille, elle ne correspondait pas du tout au profil de ses dessins.

— Bon, on s'y met ? demanda Ilyes qui n'avait semblait-il pas l'intention d'étudier les blessures d'entraînement de Valentina.

— Je propose qu'on commence d'abord par faire connaissance, déclara Nelly.

Valentina hésita. Elle n'avait pas l'intention de passer la nuit dans le studio de sa camarade. Ilyes sembla cependant trouver que c'était une bonne idée.

Leur trio avait été composé par tirage au sort, comme les autres groupes de la classe. La rentrée datait de deux semaines, les élèves ne se connaissaient encore que peu. Pourtant, on leur avait demander de composer un travail de groupe : trouver un nom et réaliser un logo pour leur trio.

Nelly décida qu'elle allait se présenter la première. Elle habitait à près de trois cent kilomètres de l'école, d'où sa présence dans cette résidence étudiante à deux pas de leur école.

— J'ai un petit copain depuis deux, ans, poursuivit-elle. Liam. Forcément, avec la distance, je m'inquiète un peu de ce qu'il risque de se passer entre nous.

Valentina sourit. C'était sans doute cette peur tout à fait justifiée qui la motivait à parler des garçons de l'école toute la journée.

— À part ça, je suis là pour devenir designeuse de mode, évidemment, reprit Nelly. J'aime ça. Ça me donne l'impression de jouer à la poupée, mais en grandeur nature, vous voyez.

Non. Valentina ne voyait pas. Elle trouvait même que ce genre de réflexion avait tout à fait sa place dans la bouche d'un serial killer. Pourtant, elle hocha la tête comme si elle partageait l'avis de Nelly.

Ilyes prit la suite et expliqua qu'il n'habitait pas aussi loin, mais qu'il résidait tout de même à presque une heure et demi de transport, alors il n'allait pas falloir trop traîner avec cette réunion de travail. À cela, Valentina acquiesça avec vigueur, même si elle habitait moins loin encore.

— Contrairement à ce que je suis sûr que vous pensez, je ne suis pas gay, précisa-t-il avec une grimace.

— Sérieux ?

Nelly n'avait donc aucun tact. Valentina était en effet tout aussi surprise, mais avait su rester de marbre face à cette déclaration. Cela n'avait d'ailleurs aucune espèce d'importance pour elle, mais elle comprenait que ce ne devait pas être facile pour Ilyes. Ce fin, était très efféminé, pour commencer. Il étudiait dans la mode et se maquillait. Si aucun de ses traits n'avait l'exclusivité des homos, Valentina pouvait admettre que le cumul pouvait porter à confusion.

— Non, je suis hétéro et tout à fait libre, ajouta-t-il avec un regard appuyé vers Nelly. À part ça, ici c'était mon troisième choix, donc ma motivation est sans doute moins grande que la vôtre.

— C'était quoi tes premiers choix ? demanda alors Nelly.

— Psycho en premier et Personnal Shopper en deuz'.

Valentina resta circonspecte. Elle pouvait facilement faire le lien entre Personnal Shopper et designer de mode, mais Pyscho ?

— Oui, je sais ce que vous vous dites : Y a pas de lien !

Valentina hocha la tête.

— En fait, je veux pouvoir aider les gens à se sentir bien dans leur peau, reprit-il en passant une main dans ses cheveux lissés. Que cela passe par un cabinet de psychologie ou des études de relooking et compagnie, ça marche, vous voyez. Mon but ultime, serait de devenir coach en apparence. Donc il faut de la psychologie, mais aussi un certain sens de la mode. Bref, me voilà !

Le raisonnement n'était pas insensé, même si jamais Valentina n'en aurait eu l'idée. Nelly approuva d'un geste de la tête appuyé par un joli sourire.

— Et toi alors ? Val ?

— Pas val, s'te plaît. Tina, si tu veux, mais pas Val. Je déteste.

Nelly s'excusa et Valentina expliqua qu'elle avait découvert les joies de la couture dans un centre de redressement pour jeunes délinquants.

— Et ça, j'ai pas envie d'en parler, c'est clair.

— Première règle du Fight Club, souffla Ilyes avec un grand sourire.

— Voilà, confirma-t-elle.

Elle expliqua malgré tout que durant son séjour, elle avait découvert qu'elle était plutôt douée avec du matériel de couture, mais qu'en plus elle aimait modifier les vêtements, voir en confectionner des nouveaux avec des morceaux de tissu récupérés ici ou là.

— Du coup, j'avais un book plutôt bien fourni, ce qui a permis à la recruteuse de voir que je savais faire des trucs quand même. Parce que par contre, je ne lis aucun magazine de mode et à part ceux que tout le monde connait, je ne connais personne dans le milieu.

— Si t'as du talent, ici, c'est tout ce qui compte, prétendit Ilyes. La preuve : je suis là.

Valentina pouffa.

— Et sinon, t'as un copain ?

Nelly ne pensait donc qu'à ça !

— Non.

— Eh bien, tu sais, y a un mec dans notre promo, qui passe la moitié de son temps à te fixer.

Valentina se raidit.

— Hein ?

— Joshua Tremido ou Tremidol, je sais pas trop, reprit-elle. Un genre de beau gosse au profil grec, des yeux marron clair à tomber, petit collier de barbe brune, chemises cintrées, pantalon large, mais bien moulant là où il faut.

Valentina voyait en effet de qui il s'agissait. Il n'y avait qu'un seul type avec un collier de barbe. En revanche, il ne lui avait fait aucun effet.

— Dommage pour lui, se moqua Ilyes. Bon, on s'y met ou quoi ?

Nelly bougonna, mais accepta de passer à la phase de recherche. Suivant les conseils de leur prof, les étudiants décidèrent de commencer par un tableau avec tous leurs points communs. Après deux heures, lorsqu'Ilyes décida qu'il était temps pour lui de rentrer, leur seul intérêt commun était les vêtements.

Ce travail allait être bien plus long et difficile qu'anticipé.

De retour chez elle, et après avoir partagé un dîner en famille dans des conditions normales, pour une fois, elle s'installa derrière son ordinateur pour rejoindre Hervé en ligne sur Justices. Depuis la rentrée, tout comme son ami étudiant en école d'ingénieur, elle avait réduit le nombre de ses sorties. Elle savait que ce ne serait que temporaire, le temps qu'elle trouve son rythme avec l'école de design. Cependant, pendant ce temps, il n'y avait plus grand monde dans les rues. Francky avait enfin décidé de se remettre à patrouiller, mais même ce renfort ne suffisait pas aux yeux de Valentina.

Une fois de plus, après les salutations d'usage et une partie pour se libérer le cerveau des tensions de la journée, Hervé et elle en vinrent à la conclusion qu'il leur fallait recruter de nouveau. Franck avait validé ce besoin des semaines plus tôt déjà. Malgré cela, il ne s'était rien passé.

— C'est loin d'être aussi simple, d'un autre côté, écrivit Hervé de son côté du chat.

— Peut-être mais quand même. Si on ne recrute pas quelqu'un, avec Léo qui ne fait plus qu'une sortie toutes les deux semaines en moyenne, il ne restera plus que toi et moi. Ça serait bien qu'on puisse faire des sorties à au moins deux pour éviter le fiasco d'il y a deux jours.

Hervé répondit par un emoji avec un œil au beurre noir et Valentina pouffa derrière son clavier. Il se moquait, mais l'avait rassurée en découvrant sa mésaventure. C'était arrivé à tous au moins une fois. Lui, ça lui avait vécu ça trois fois. La première fois, il avait bien failli arrêter tant il avait été vexé. Mais lorsqu'il avait compris que le jeune homme qu'il avait sauvé avait failli se faire poignarder et que même s'il avait hérité d'une belle cicatrice, ce gars était en vie grâce à lui, il s'était ravisé. Ensuite, il avait pris une poubelle sur le coin du crâne et s'était fait casser le nez par un coup de poing américain. Tout le monde savait que Francky avait fini à l'hôpital avec un trou dans le ventre et même Léo avait son mauvais jour. Lui, il avait été poussé dans la rue au moment où une voiture passait. Par chance, elle ne roulait pas vite et il n'avait eu que quelques bleu et une entorse à la cheville.

— Je peux te déranger, Tina ?

Valentina sursauta en entendant la voix de son frère derrière elle. Il avait dû frapper, mais comme souvent, avec son casque sur les oreilles, elle n'avait rien entendu. Elle ne mettait jamais la musique fort, mais puisque son frère ne toquait jamais fort non plus, elle ne l'entendait qu'une fois sur dix, en moyenne.

— Qu'est-ce qu'il y a, Mathias ? demanda-t-elle en rabaissant un peu le capot de son ordinateur portable.

Mathias n'arborait cette expression de malaise que lorsqu'il avait quelque chose à lui demander. Elle ôta son casque et se tourna vers lui de façon à lui faire face et lui montrer qu'elle était à son écoute. Même s'il savait aussi se montrer insupportable par moment et qu'il vouait une sorte de culte à son paternel, elle aimait son frère et essayait de lui rendre service, lorsqu'elle le pouvait.

— J'ai besoin d'un coup de main sur un truc, lança-t-il avec un petit sourire en coin.

— Si tu veux de la drogue, c'est non ! coupa-t-elle tout de suite.

— N'importe quoi ! sourit-il.

Il s'était détendu et c'était le but de cette fausse accusation. Son frère était clean. De ça, elle était certaine.

— Non, je suis invité à une soirée chez un pote, après demain et y aura Marine.

Valentina sourit. Elle n'avait jamais entendu parler de cette Marine, mais si elle apparaissait dans cette conversation, c'était qu'il avait un intérêt pour elle.

— Ne me dis pas que tu veux des conseils de drague ?

De nouveau, Mathias pouffa. Cette fois, en revanche, c'était presque vexant, décida Valentina.

— Je voudrais un conseil sur comment je m'habille, en fait.

— Oh !

Étonnamment, cette demande, elle ne l'avait pas vu venir. Elle lui sourit et lui demanda s'il avait besoin qu'elle l'aide à choisir entre plusieurs tenues ou s'il était complètement perdu.

— Perdu à fond ! répondit-il.

Elle grimaça, mais accepta de l'aider. Elle ne connaissait pas sa garde-robe par cœur, mais savait qu'il avait une majorité de joggings et de shorts de basket. Elle lui conseilla donc de se trouver un jean. Elle insista sur le fait qu'il devait être propre.

— Si tu as une chemise, ça serait bien aussi.

— Pourquoi pas une cravate ? lança-t-il sarcastique.

— Tu veux mon aide ou pas ?

Silence.

— Bon, donc une chemise, oublie la cravate ou quoi que ce soit. Pas besoin que ce soit ta plus belle chemise non plus. Évite le blanc, tu vas la salir. S'il y a Kakashi dessus, c'est pas terrible, précisa-t-elle en se souvenant de cet horrible vêtement, mais ça sera mieux que tes t-shirts déformés.

— Attends !

Il s'éclipsa au pas de course et revint quelques secondes plus tard avec trois chemises. Une seule était unie et ce fut celle-ci qui eut la préférence de Valentina. Pour être certain de son choix, Mathias revint avec ses deux seuls jeans et Valentina lui conseilla celui qui avait des trous.

— Ça va le faire avec ça. Laisse ta chemise ouverte de deux boutons et ne la rentre pas dans ton pantalon. Ou alors un seul côté.

Il lui adressa un regard surpris, mais finit par acquiescer.

— OK ! Merci, Tina.

Il faisait demi-tour lorsqu'elle l'interpela de nouveau. Elle lui sourit, puis se tourna vers son bureau, ouvrit un tiroir et en extirpa deux préservatifs qu'elle lui tendit.

Il approcha, méfiant, et lorsqu'il avança la main, elle retira la sienne.

— C'est pas une obligation, je te rappelle. Elle a le droit de ne pas vouloir et elle a même le droit de dire oui au début et non ensuite, si ça lui fait peur. Tu ne la forces pas et tu la respectes. C'est clair.

Il acquiesça.

— Je sais ça, je suis pas un connard, je te signale.

— Tout le monde peut devenir un connard avec un peu d'alcool dans le sang ou juste des copains pour te motiver.

Elle tendit de nouveau les préservatifs, Mathias les attrapa, mais elle ne lâcha pas.

— Respect et consentement !

— Oui.

Elle lâcha enfin et Mathias sourit. Elle savait qu'il n'avait pas besoin qu'elle le fournisse. Il savait où en acheter et il en avait peut-être déjà en sa possession. Cependant, elle voulait lui faire passer ce message.

— Euh... hésita-t-il avant de quitter la pièce. Pourquoi deux ?

Elle ricana.

— Des fois ça pète et si t'en as qu'une, t'es mal.

Elle lui adressa un clin d'œil et il la remercia de nouveau avant de partir cette fois.

De son côté, elle retourna sur Justices et raconta la scène à Hervé.

— T'es une sœur trop cool, toi ! déclara-t-il.

C'était ce qu'elle pensait aussi.

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