12.La vérité derrière les visages
Théo observait passivement la scène qui se déroulait devant ses yeux. Dans les brumes insondables de son inconscient, les ténèbres ne laissaient aucune place à la logique. Jules César ne le quittait pas des yeux. Mais son visage inexpressif ne bougeait pas. En fait les yeux étaient vides et froids. La face du général n'était que le masque d'une lointaine gloire passée. Pourquoi dans les ténèbres Jules César regardait Théo ?
Cette question ne vint pas à l'esprit du voyageur onirique. Théo remarqua que le visage n'était en fait qu'une sculpture sans vie du héros romain. Le temps n'avait eu aucun effet sur le buste qui fut sculpté, il y avait plus de deux mille ans. Théo savait son âge.
Les yeux de la sculpture semblaient vivants. Théo était certain de les avoir vus cligner. Soudain sans signe avant coureur, la sculpture devint vraie. La pierre se métamorphosa en chair, mais le visage changea aussi, une personne bien réelle apparue à Théo. L'homme le regarda de façon totalement inhumaine. Ce regard froid terrifia Théo qui ne pouvait rien faire. Il était piégé dans son propre inconscient. Les yeux de l'homme pénétrèrent au plus profond de son esprit. Son impassible visage formait un horrible masque de vide comme si cet être était incapable d'avoir des sentiments.
L'homme voulu attraper Théo, mais ses mains furent stoppées par une sorte d'écran invisible. Devant ce geste d'animosité, Théo se réveilla en sueur. Son cœur battait plus que de raison et son souffle était lourd. Sa tête le lançait, il lui semblait qu'un troupeau de chevaux venait de l'écraser.
Lançant un regard sur son radio réveil, il s'extirpa de son lit. La fin de la matinée approchait et déjà le fumet du repas que préparait sa mère emplissait toute la maison. Au premier étage d'une bâtisse centenaire, la chambre de Théo ne s'animait que le week-end. Des étagères remplies de livres et de disques compacts supportaient aussi une impressionnante collection de bouteilles de bières vides. On en trouvait des quatre coins du monde : de la Dodo réunionnaise, de la Bud américaine, de la Guinness d'outre Manche et diverses bières aux noms imprononçables venues du Japon ou de Russie.
Une glace sur son armoire lui indiqua qu'il était mal coiffé, il allait falloir qu'il fasse quelque chose pour ses cheveux un de ces jours. Il ne les avait jamais eut aussi longs, en plus quelques mèches grisonnantes poussaient çà et là, à son âge si ce n'était pas lamentable ! Les soucis le submergeaient et le blanchiment de ses cheveux ne faisait que commencer.
Au rez-de-chaussée, Émilie la sœur de Théo regardait une émission sur le cinéma, tout en prenant son petit déjeuner à moitié avachie sur le divan en cuir. À seize ans passés, elle était une fille assez quelconque ni belle, ni moche. Elle arborait une queue de cheval brune et elle n'avait pas encore de cheveux gris. Elle offrit un sourire de bienvenue à Théo qui lui répondit en l'embrassant sur le front. Les relations frère-sœur s'étaient améliorées avec l'éloignement de Théo sur Montpellier, on ne se chamaillait plus pour des bricoles stupides et tout le monde s'en portait mieux.
Émilie tout comme son frère, quelques années auparavant, allait à Béziers au lycée. Elle se trouvait en première où elle réussissait son parcours scolaire avec une grande facilité. Théo ne lui connaissait pas de petit ami, mais il savait que sa petite sœur devait avoir plus de succès que lui avec le sexe opposé.
« Ah je vois que tu es levé Théo, ton père est parti à la vigne ce matin, c'est la saison de la taille, tu te souviens ?
-Maman, ce n'est pas parce que je n'habite plus ici la semaine que j'ai oubliée comment on vit ici ! »
Émilie était le portrait craché de sa mère, sauf que les cheveux blancs parsemaient un peu plus le crâne de son aînée. Mme Josette Auterbe guichetière dans une Poste de son état mettait en confiance les gens. Son visage ouvert et accueillant la rendait très appréciée à son travail et dans son village. Outre sa sympathie naturelle, elle était une excellente cuisinière qui faisait le bonheur de sa petite famille.
Théo prit une pomme et s'assit sur le divan avec sa sœur qui en profita pour commencer une discussion.
« Quoi de neuf Théo à Montpellier ?
-À part la disparition d'Arthur pas grand-chose. La police ne veut pas s'en occuper et tout le monde s'en fout.
-Vous avez des pistes ?
-Ouais, mais je ne peux pas dire si elles sont sérieuses. Et toi au lycée comment ça va ? »
Émilie raconta comment sa meilleure amie Betty s'était faite larguer par son petit copain. Le goujat était parti avec une autre fille pour la simple raison que cette dernière couchait dès le premier soir.
« Tu t'imagines la salope ! »
En fait, Théo venait de conquérir la télécommande et il regardait téléfoot. Le foot ne le passionnait pas vraiment mais en tous les cas c'était mieux que tous ces culs bénis du « Jour du seigneur ».
Théo pensait à autre chose, il se remémorait son rêve avec Jules César, tout ceci avait peut-être un rapport avec le trou noir de l'autre jour.
Je me pose trop de questions, il faut que j'arrête de penser à tout ça, je suis en week-end et rien ne peut m'arriver ici.
Mr Francis Auterbe revint au domicile conjugal vers les midis et demi. Il salua sa famille qui en profita pour s'asseoir autour de la table. Le père de Théo avait la peau abîmée par trop d'heures de travail au soleil et comme tous les viticulteurs, ses mains étaient depuis longtemps calleuses : « des mains issues de la terre » comme il le disait tout le temps. Il avait aussi le sourire des hommes de la terre : franc, direct et jovial.
On déboucha une bouteille de vin du domaine qui datait de 1997. La salade fut servie à tout le monde et le pater familias engagea la discussion sur les études de son fils.
Théo répondait aux questions avec une certaine appréhension : ses parents lui payaient ses études et il devait régulièrement attester de l'avancée de ces dernières. Or la semaine dernière, les études étaient passées au second rang derrière l'enquête sur la disparition d'Arthur. La préparation de ses travaux dirigés en avait pâti. Théo joua donc du pipeau : il ne répondit pas clairement à ses parents en essayant de trouver des justifications plus qu'aléatoires. Il eut enfin l'idée de diriger la discussion sur sa sœur pour savoir comment se préparait le Bac de français.
Ce fut autour de sa sœur de subir l'interrogatoire : qu'allait-elle faire de sa vie ? Est-ce qu'elle voyait des garçons ? Pourquoi s'habillait-elle comme un sac ?
Théo pouvait être fier de lui, certes Émilie lui lança un regard noir à faire fuir un chien enragé mais au moins on ne parlait plus de son parcours scolaire.
L'étudiant en droit passa le reste de sa journée à préparer un T.D. de droit civil sur les biens. Plusieurs pauses entrecoupèrent son après midi de travail : la sieste, le goûter, un assoupissement imprévu et enfin le dîner.
Théo revint sur Montpellier comme tous les dimanches soirs. Au final, il avait passé un bon week-end mise à part cet étrange rêve dans la nuit de samedi à dimanche. Il se demandait de plus en plus si toutes ces choses étranges n'avaient pas un rapport avec les Textoriens. Les réponses à ces interrogations le terrifiaient et titillaient sa curiosité.
La 206 Peugeot le conduisait jusqu'à Montpellier. C'était sa première voiture, le début de l'indépendance. Il n'avait jamais eu d'accident, sa prudence l'avait sauvé à plusieurs reprises. La voiture avançait à vive allure, la route entre Valros et Montpellier traçait une ligne bien souvent droite à travers les vignes qui recouvraient la région à perte de vue. Les phares des autres voitures ne l'éblouissaient pas, mais ils ressemblaient à d'étranges animaux luminescents. Chaque semaine ce voyage évoquait pour Théo la traversée d'un monde inconnu et hostile.
Il doubla une Clio dont il ne put distinguer la couleur dans le noir. Il accéléra encore. La route descendait à présent dans une longue pente droite. Au sol la peinture en pointillé se transformait en ligne droite vers l'infini. La descente évoqua à Théo les escaliers qui l'avaient mené dans l'inconnu. Sa vision se troubla et il crut apercevoir un grand livre qui reposait sur une lourde table en boit massif. Le livre était ouvert. Théo regarda la page, en haut une date figurait : 7 novembre 2001. Sur la page des dizaines de lignes échappèrent à Théo, une seule resta dans son esprit, elle était rouge sang.
Début de la 300éme génération.
Il freina subitement, la voiture émit un horrible son et dérapa l'espace d'une seconde, Théo, voyant sa mort arrivée, reprit le contrôle de la voiture dans ce tournant qui se révélait plus traître qu'à l'habitude. Non, il devenait fou, quelque chose n'allait pas, il voyait des choses, perdait la mémoire et à présent il manquait de mourir dans un accident de la route. Depuis qu'Arthur avait disparu tout partait de travers à une allure incroyable.
Les doigts trempés de sueur, il décida de reprendre la route comme si rien ne s'était passé. Le reste de son voyage s'effectua sans encombre. Il arriva enfin au pied de son immeuble sans blessure mais avec beaucoup de questions.
Théo rentra dans son appartement d'étudiant. Il put remarquer le désordre habituel de début de semaine : des feuilles éparpillées sur un bureau, une étagère pleine de vêtements en boule, une table de nuit remplie de livres inachevés et un coin CD avec divers album rock et jazz (Théo était fan de jazz).
Théo n'avait pas de petite amie, il ne croyait pas au coup de foudre et encore moins au grand amour. Comme beaucoup de jeunes, le mariage ne l'intéressait pas pour le moment, et même il doutait que cela l'intéresse un jour. Les filles lui trouvaient du charme mais à l'inverse de Luc il n'en profitait pas. Les quelques aventures qu'il avait eues, n'avaient pas duré plus d'un mois. Il ne cherchait pas l'amour, peut-être qu'il le trouverait un jour.
Ce soir-là il ne se coucha pas tard, la lecture d'un livre de Relations Internationales le fatigua plus que d'habitude.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top