Chapitre 60

Des centaines d'autres questions se forment dans ma tête à la suite de cette information et je me retrouve à m'asseoir sur un des fauteuils devant son bureau sans même lui demander la permission. J'en ai marre de dire que je suis confuse, mais c'est la seule chose qui me décrit depuis que j'ai connus Samuel. Et j'ai la forte impression que ça va durer.

" Qu'est-ce que vous avez conclu alors ? " je demande, ne voulant même pas savoir les détails. Ce qui m'intéresse pour l'instant c'est le résultat final, comme ça je pourrais sortir de cette entreprise le plus tôt possible.

" Je lui ai donné le dossier de ton père, c'est Samuel qui va s'en occuper ". Il s'adosse contre son siège et j'ai de plus en plus l'impression qu'il est différent. Peut-être qu'il est seulement fatigué, vu son état...

Je hoche la tête, ne sachant pas si je dois être soulagée ou pas que ce soit Samuel qui s'occupe de mon père. Je me prépare à me lever, mais mon regard s'arrête sur le cadre photo posé sur le bureau de Mr. Huguet, légèrement tourné sur le côté, me permettant de voir la photo à l'intérieur.

" Surprise ? " il semble avoir remarqué mon regard et quand je relève la tête il regarde aussi la photo, avant de la prendre en main.

" Un peu, oui " j'admet.

" Pour quelqu'un qui ne veut pas être juger, tu es vite à juger les autres " il remarque, ne relevant pas les yeux de la photo.

Je l'observe un moment sans rien dire. Même si j'aurais voulu dire quelque chose, je ne peux pas parce qu'il a raison. Mais c'est difficile de ne pas juger un homme comme lui.

" Je comprend que tu sois surprise " il reprend, posant le cadre à sa place, " après tout, un homme comme moi ne peut pas aimer sa famille, n'est-ce pas? "

Je suis étonnée de voir que je peux le regarder droit dans les yeux, aucunement intimider. Et ça me plaît, ça me plaît beaucoup même.

" C'est juste difficile à croire après, vous savez, tous ce qui s'est passé "

" C'est vrai, mais tu n'étais pas là avant, tu ne sais rien sur nos vies. Et oui, même si c'est dure à croire pour toi, Jade, j'aime ma famille " il appuie bien sur les derniers mots, comme pour me convaincre.

" Vous devrez penser à le montrer alors " je rétorque en me levant. Le coin de ses lèvres se courbent légèrement vers le haut, comme s'il était amusé. C'est le même sourire amusé que me fait Samuel, je vois maintenant d'où il le tient. " Au revoir " je dis finalement quand il ne fait que me regarder avec ce demi-sourire, et je me retourne finalement, sortant de son bureau.

" Vous pouvez me montrer le bureau de Samuel s'il vous plaît ? " je demande à la secrétaire devant le bureau.

Elle hoche la tête et me conduit le long du couloir en face avant de me laisser devant une autre secrétaire, celle de Samuel je devine. Celle-ci fait la même procédure, appelle Samuel, avant de me dire que je peux entrer.

Quand elle m'ouvre la porte et que j'entre à l'intérieur du grand bureau, mes yeux s'arrêtent immédiatement sur un Samuel me semblant assez énervé. Debout derrière son bureau, une main sur sa hanche, la mâchoire contractée, il écoute un homme qui est lui assis devant son bureau.

" Excuse - moi, j'arrive dans deux minutes " je l'entend murmurer avant qu'il marche vers moi.  " Qu'est-ce que tu fais ici ? " il murmure.

" Je suis venue voir ton père "

" Quoi ?! " sa voix s'élève un peu avant qu'il ne soupire, essayant de se retenir. Il jette un regard derrière lui avant de me faire signe de marcher et nous conduit vers une autre pièce dans son bureau.
" Reste ici " est la seule chose qu'il me dit avant de sortir et fermer la porte derrière lui, me laissant seule.

Je ne cherche même pas à savoir ce qu'il se passe et m'installe sur un des deux canapés. Je ne sais pas exactement à quoi sert cette pièce, mais elle ne me semble pas très professionnelle, donc peut-être la salle de repos ou quelque chose de ce genre. Il y a deux canapés rouge face à face, une table basse entre les deux avec des magazines placés nettement dessus. Un des murs est totalement recouvert d'une fenêtre, tout comme l'autre pièce où j'étais il y a quelques secondes. Sur un autre mur, il y a un écrant plat et un lecteur CD. Oui, ça me semble bien être une salle de repos.

Seulement quelques minutes passent avant que Samuel me rejoigne dans la salle, semblant un peu plus détendu mais je peux voir qu'il est toujours énervé.

" Je t'ai déjà dit que je ne te voulais pas près de cet homme " sa voix est ferme comme je l'avais deviné. Il s'asseoit sur le canapé en face de moi et défait sa cravate avant de se laisser tomber en arrière. " Alors, pourquoi t'as été le voir? " il me regarde enfin.

La photo que j'ai vue il y a quelques minutes me revient en tête alors que je le regarde. Il appelle son père ' cet homme ' comme si c'était un étranger, et Edouart garde une photo de sa famille sur sa table, une photo où il manque Samuel. Je ne sais pas d'ailleurs si c'est ça qui m'a le plus surpris où seulement voir la photo.

Qu'est-ce qu'il s'est bien pu passé entre les deux pour les séparer autant?

" J'ai parlé avec Annie hier " je me reprend finalement, me redressant. " J'ai appris que mon père travaillait de très tôt jusqu'à très tard, donc je voulais parler avec ton père pour qu'il trouve un autre arrangement pour ça. Mais apparemment tu t'es pris avant moi "

Il hoche la tête en se grattant l'arrière du cou, semblant gêné. " Ouais, hum... Ouais. Je pensais que je pouvais faire quelque chose... "

" Merci, c'est sympa " je lui dis sincérement, mais il a l'air encore plus gêné. Je crois même qu'il n'est plus énervé du tout. " Donc, qu'est-ce que tu as conclu? "

" Eh bien, j'ai appris que ton père avait deux postes au lieu d'un, ce pourquoi il avait tant d'heures de travail, donc je l'ai réduit à un poste et j'ai demandé à ce qu'on arrange ses heures en fonction de l'emploi de temps d'Annie de façon à ce qu'il soit à la maison avec elle. "

" C'est... C'est gentil, que tu penses à tous ces détails et tout " je marmonne, légèrement surprise. Il y a toujours un moment de surprise quand il fait des choses... Comme ça. Il peut être gentil et attentionné, je ne comprend pas pourquoi il ne le montre pas souvent.

" C'est rien... Je voulais te parler à propos d'Annie en fait, mais vu que tu lui as parlé hier... "

" Qu'est-ce que tu voulais dire? " je demande en fronçant les sourcils.

Il soupire et se redresse, posant ses coudes sur ses genoux. " Tu sais, la nuit où ton ami avait appelé et que tu étais partit à l'hôpital en laissant Annie avec moi, eh bien... Je l'ai entendu cette nuit. Elle ne dormait pas. Elle se chantait une berceuse à elle-même, et elle a arrêté que vers quatre heures du matin. Ensuite, pendant la journée je l'ai un peu observé et... Elle n'a presque rien mangé, elle ne parle pas beaucoup si ce n'est que pour faire des remarques sarcastiques, puis elle m'a un peu parler de toi. Fin, du fait qu'elle se sentait coupable pour, tu sais, tout ce truc de mariage et tout... "

" Elle m'a dit la même chose... " je murmure, mon regard sur le mur derrière lui alors que je me rend peu à peu compte de l'importance des mots de ma soeur. Ma propre soeur. Elle m'a dit, seulement hier, ouvertement, qu'elle ne pouvait ni dormir ni manger, et j'ai pas compris ça dans le bon sens. Je pensais que c'était seulement une expression pour me dire combien elle se sentait coupable, je ne l'avais pris au sens litéral.

" Jade ? Jade, est-ce que tu vas bien ? " la voix inquiète de Sam me fait revenir sur Terre. Je cligne quelques fois des yeux alors que je le vois se lever et s'avancer vers moi.

Il s'asseoit près de moi et pose son index sous mon menton pour me faire tourner la tête vers lui. " Tu vas bien ? " il demande encore une fois.

" Ouais... " je murmure, puis il lâche mon menton et soupire de soulagement. " Je... J'avais pas compris tout ça... "

Il me regarde avec les sourcils froncés, " comprendre quoi ? ".

" Qu'elle n'est pas bien... J'étais tellement préoccupée par mes problèmes que je l'ai complétement oublié elle... "

" Hey, non, je n'ai pas dit ça pour que tu te sentes coupable Jade. Ce n'est pas le moment, d'accord ? Elle a besoin d'aide, et c'est ce qu'on va lui donner. Tout ira bien "

Ses mots et sa voix me calme d'une façon que seul lui peut faire et je me retrouve à hocher la tête en prenant quelques grandes inspirations. " Qu'est-ce qu'on va faire ? " je demande ensuite.

" Je pensais à un psychologue, il sera mieux quoi faire "

" Ouais " je ne fais qu'hocher la tête, même si je ne sais pas comment je vais pouvoir convaincre Annie à aller voir un spécialiste.

" Je m'en occupe alors, ne t'inquiètes pas. Maintenant, je dois retourner au travail. " il prévient en se relevant.

" D'accord, je vais y aller " je me lève aussi et il nous reconduit à son bureau.

Il s'arrête devant la porte de sortie et se retourne vers moi. " S'il y a quoique ce soit, viens me voir moi, pas cet homme. Je suis sérieux, je ne te veux pas près de lui Jade "

" D'accord " j'acquieçe, parce que je ne veux pas être près de cet homme non plus. L'image de sa main qui se lève pour me frapper revient dans mon esprit à chaque fois que je le vois.

" Bien, alors hum... Je te rappellerais pour, tu sais, le psychologue et tout " il bafouille légèrement.

Je hoche une fois de plus la tête et lui offre un léger sourire. Mon regard se pose sur sa cravate défaite, pendante autour de son cou, et sans réfléchir une seconde fois je tend mes mains pour le prendre et le serrer. Je replis ensuite son col et j'ai l'impression que son rythme cardiaque s'est accéléré sous mon touché, ce qui augmente le mien aussi.

" Tu ne met pas souvent de cravate " je remarque en détachant mes mains de lui.

" Ouais, hum, j'en garde un au bureau pour les rendez-vous, ça fait plus professionnel "

" Pratique... "

" Ouais... "

Je me râcle la gorge, évitant à tout prix son regard. " Eh bien, je vais y aller alors "

" Ouais, d'accord " il se décale et m'ouvre la porte.

Je me réfugie en dehors du bureau et ne regarde pas même pas derrière moi, faisant mon chemin jusqu'à l'ascenseur pour m'en aller d'ici le plus rapidement possible. Je lâche un soupir quand je suis finalement seule dans l'ascenseur.

Les quelques jours suivant cette discussion, on a parlé au téléphone avec Samuel. Il m'a dit qu'il essayait de faire au plus vite pour le travail de mon père et pendant ce temps je restais avec Annie. Il essayait aussi d'avoir un rendez-vous avec un psychologue pendant que j'essayais d'en parler avec Annie sans la brusquer.

C'étaient des jours stressants pour tout dire.

Finalement, samedi soir mon père est arrivé en début de soirée. Je ne sais pas vraiment ce qui m'a pris, mais dès que je l'ai vu, je me suis préparée et sortis de l'appartement sans lui dire un mot. J'avais envie de lui parler, comme lui le voulait, mais ça me rendait nerveuse et... Je savais juste que ce n'était pas le bon moment.

Et ce samedi soir, seule dans cette grande maison, j'ai rêvé d'un monde parallèle. Un monde où tout ceci seraient un grand cauchemar et quand je me réveillerais, Sam serait près de moi, Annie irait mieux, il n'y aurait aucun problème dans notre famille.

Dimanche, j'ai décidé de ne pas rester seule à la maison, ne voulant pas me perdre dans mes pensées encore une fois. Donc, en début d'après-midi, j'ai appelé Tyler pour savoir si sa demande de stage était accepté, et la réponse étant positive je me suis rendue à cet hôpital aussi. J'aurais chercher un autre hôpital, mais à vrai dire c'est le plus près ici et je ne veux pas m'éloigner.

Après avoir déposé ma demande de stage, je décide d'aller voir Marc et Lola. J'ai essayé de ne pas trop penser à ces deux depuis la semaine dernière, mais je ne peux m'empêcher d'aller leur rendre visite maintenant, après une semaine.

Une vingtaine de minutes plus tard, je suis déjà devant leur porte.

" Qu'est-ce que vous faîtes ici? " c'est la belle-soeur de Marc qui ouvre la porte. Je suis légèrement prise au dépourvu par le ton qu'elle a utilisé, quand je l'ai rencontré aux funérailles la semaine dernière elle me semblait plus... Amicale.

" Hum... Je voulais voir Marc et Lola ? " je répond, hésitante.

" Marc n'est pas à la maison, et de toute façon, après ce que votre mari a fait, vous ferez mieux de vous éloignez de lui. "

Et là, elle claque la porte.
Je reste quelques minutes à regarder la porte, ne sachant pas quoi faire et ne comprenant rien encore une fois. J'ai l'impression de toujours manquer quelque chose, de toujours rien comprendre.

Finalement, je me retourne et reprend l'ascenseur, la tête ailleurs. Quand les portes de l'ascenseur s'ouvrent au rez-de-chaussée, je me retrouve face à Marc.

" J'ai besoin d'explications " est la première chose que je lui dit alors qu'il me regarde légèrement surpris.

Je sors de l'ascenseur et on reste un moment en silence. Mon estomac se noue et j'ai de terribles sensations dans tout le corps alors que j'étudie son visage et aperçois l'hématome bleu jaunit sur sa joue. Pour une fois, j'arrive à faire le lien et je comprend.

" S'il te plaît, ne me dis pas que c'est Sam qui t'a fait ça " je le supplie quasiment, ma voix ayant du mal à sortir.

Il détourne le regard et se mord la lèvre inférieure. " Je crois qu'il s'est fait quelques idées. " il lâche finalement.

" Je suis tellement désolée " je murmure.

" Ce n'est pas de ta faute Jade mais... Je préfère que tu ne viennes pas ici pour un moment s'il te plaît, Lola était là quand Samuel est arrivé et je ne veux pas qu'elle voit encore une fois quelque chose comme ça. On va chez ma belle-soeur, en Bretagne, pour quelques jours de toute façon. "

" Je comprend... "

" Merci... Fais attention à toi ". Je ne relève même pas la tête, ne voulant pas rencontré son regard, et il se retourne finalement, entrant dans l'ascenseur.

Et encore une fois, je suis seule avec toutes ces pensées dans ma tête.

Je sais que si je vais voir Sam et lui demander des explications, je ne vais rien avoir. Il va sûrement aggraver mon état. Alors je ne fais que sortir en dehors de l'immeuble et marcher le long du trottoir, ne sachant pas vraiment où aller.

Une heure plus tard, n'arrivant pas à mettre de l'ordre dans ma tête, je décide d'aller parler avec quelqu'un. D'habitude ça aurait été ma mère, mais là j'ai besoin qu'on m'explique et qu'on me donne des conseils. L'idée d'aller voir une psychologue me passe par la tête, mais je finis par prendre mon portable et regarder ma liste de contacts.

Je soupire et secoue la tête en voyant le minimum de choix que j'ai. Finalement, j'appelle Lucie, et comme celle-ci voulait me voir depuis des jours, elle me demande de la rejoindre au café qu'on avait été la dernière fois.

En y repensant, j'ai l'impression que des années sont passées depuis, pas des semaines.

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