Chapitre 2 - Dray
Debout en haut des marches du perron de la Moonainst Academy, j'écoutais mon père se plaindre du manque de ponctualité de la famille royale de Mermailya. Je le trouvais légèrement dans l'exagération. Il était dix heures deux minutes, et nous étions tous attendus pour dix heures pétantes. Je ne considérais pas deux minutes d'absence comme un retard, mais je m'abstins de lui faire part de mon opinion. Pour lui, l'assiduité de la royauté nécessitait d'être en avance, quelque soit les circonstances. C'était pour cela que nous étions arrivés depuis une bonne vingtaine de minutes et qu'il faisait les cent pas depuis autant de temps.
Les mains jointes dans le dos, je ne cessais de jeter des regards anxieux en direction de la route qui reliait l'académie à la capitale de Mermailya. Je savais que la reine Ariel et sa fille, Maeve, ne tarderaient pas à arriver. La philosophie des sirènes, notamment de la famille royale, était telle qu'elles ne se considéraient jamais comme en retard. Pour elles, c'étaient les autres qui étaient en avance. Je failli sourire en me remémorant cette phrase que Maeve me répétait sans cesse à chaque fois qu'elle était à la bourre à nos rendez-vous.
J'aurais simplement pensé qu'elle et sa mère feraient un effort pour un évènement aussi important que celui-ci.
— Ses sirènes n'ont aucun sens de l'honneur, vociféra mon père. Deux minutes de retard ! Pour qui se prennent-elles, à nous faire attendre de la sorte ? Leurs valets ?
Je lançai une œillade à mon paternel. Affublé d'un costume bleu roi et de l'intégralité de ses médailles qui étaient accrochés à son veston, il ne donnait absolument pas l'air d'être le valet de qui que ce soit. Ses cheveux bruns tirés à quatre épingles résistaient au vent qui soufflait uniquement grâce à la magie.
— Elles ne devraient pas tarder à arriver, le rassurai-je. Elles ont peut-être eu un contretemps.
Mon père se tourna vers moi. Il plongea ses prunelles froides dans les miennes et les traits de son visage étaient durs. Il n'appréciait pas mon intervention.
— Un contretemps ? A dix heures du matin ? Ne soit pas stupide. Elles se fichent totalement de l'inauguration de cette école, sinon, elles seraient déjà là.
Il recommença à faire les cent pas, impatient. Je gardai le silence et fixai la route sans rien ajouter. Cela ne servirait à rien. Mon père était persuadé que les mermailyainnes se fichaient du Traité. Quoi que je dise, je ne le ferais pas changer d'avis.
En bas des marches menant à l'entrée de l'école, les quatre cent élèves qui avaient étés sélectionné pour étudier ici attendaient également que la famille royale mermailyainnes pointe le bout de son nez. Ce qu'elle fit quelques secondes plus tard. Au mieux, il trouverait bizarre que je prenne la défense de nos voisines et se poserait des questions qu'il vallait mieux que je n'y réponde pas.
Une limousine rouge écarlate pénétra dans l'enceinte de l'académie, ne laissant aucun doute sur l'identité des personnes se trouvant à l'intérieur. Il n'y avait que des sirènes pour posséder des véhicules de cette couleur, et que la famille royale pour rouler en limousine.
— Il était temps, gronda mon père.
Il jeta un coup d'œil à sa montre d'un air mécontent, pendant que je ne pouvais m'empêcher de fixer la voiture en déglutissant.
Un an. Cela faisait un an que je n'avais plus vu Maeve. A chaque fois que nos familles s'étaient rencontrées pour mettre au point le traité et les conditions de construction et d'aménagement de Moonainst, elle s'était absentée. Elle n'était jamais venue aux réunions, avait toujours quelque chose d'autre à faire.
Une fois, sa mère avait dû l'appeler pour avoir son avis sur un sujet. J'avais eu l'impression que mon cœur allait se briser rien qu'en entendant sa voix. Je ne savais pas comment j'allais réagir en la voyant. Heureusement, ou malheureusement, j'allais bientôt le savoir.
L'une des portières arrière de la voiture s'ouvrit et je retins mon souffle. Ce ne fut pas Maeve qui en descendit, mais l'une des conseillères de sa mère. Je relâchai l'air de mes poumons jusqu'à ce que j'aperçoive une chevelure noire s'agiter dans la voiture. Celle de mon ancienne amante.
— Dray, rapproche-toi, gronda mon père. Tu ne dois pas rester derrière moi.
J'entendis à peine sa voix, mais lui obéit. Je m'avançai en regardant le sol pour ne pas trop m'approcher et tomber dans les escaliers. Lorsque je relevai les yeux vers la voiture des mermailyainne, mes jambes se mirent à trembler et je ne parvins à garder l'équilibre que par miracle.
Elle se tenait devant moi. Habillée d'une courte robe sombre affublée d'une ceinture rouge à la taille et d'une veste de smocking, Maeve était en train de descendre de la voiture. Elle regardait à l'intérieur de l'habitacle en parlant, sans se tourner encore dans ma direction. Discrètement, je serrai les poings pour ne pas réagir et restai impassible.
Elle ne se souvient pas de moi. Elle ne se souvient pas de moi. Je fais comme si je ne la connaissais pas et surtout, surtout, je ne fais pas de gaffe !
Je n'étais pas censé savoir sa couleur préférée, ni ce qu'elle préférait ou encore ce qu'elle détestait. Je devais ignorer que je connaissais tous ses détails sur elle et me comporter comme s'il s'agissait d'une simple inconnue.
C'était plus facile à dire qu'à faire...
Maeve se redressa et pivota sur elle-même. Elle embrasa l'assemblée du regard avant de se tourner vers le manoir, et donc dans ma direction. Ses yeux glissèrent sur moi comme si elle ne me voyait pas. Du bout des doigts, elle redescendit sa robe sur ses cuisses pour qu'elle ne remonte pas trop et s'éloigna de la voiture de quelques pas. Les vivas de son peuple, qui s'étaient ravivés en la voyant apparaître, redoublèrent d'intensité lorsque la reine Ariel sortit de la voiture. Mon père failli s'étrangler en voyant de quelle manière elle était habillée.
— Où se croit-elle ? Au cirque ?
Il n'y avait pas à dire, les sirènes avaient un don pour agacer mon père. Je ne dis rien, observant la famille royale mermailyainne s'approcher de nous. L'origine même des sirènes était le luxure. Pour ma part, je ne trouvais pas leurs tenues étranges. Elles leurs correspondaient, contrairement au costard que mon père m'avait obligé à mettre aujourd'hui.
Maeve, légèrement en retrait, laissa sa mère passer devant elle, aussi je ne pus l'observer davantage. La souveraine s'arrêta devant moi, et je la saluai en baissant brièvement la tête. Elle me rendit mon geste, avant de se diriger vers mon père, avec qui elle entama de suite une conversation que je ne pris pas la peine d'écouter. Maeve se tenait devant moi. Je sentis mes jambes devenir faibles sous le poids de mon corps et mes mains commencer à trembler.
— Princesse Maeve, l'accueillis-je.
Ma voix chavira et tomba dans les aiguës sans que je ne puisse la contrôler. Je me raclai la gorge et toussotai en plaçant ma main devant la bouche.
— C'est un plaisir de vous voir, continuai-je.
Comme j'aimerais la saluer en la prenant dans mes bras...
Elle me dévisagea de haut en bas de son habituel air hautain. Celui que je trouvais si agaçant auparavant et dont j'avais vite compris que ce n'était qu'une apparence qu'elle se donnait.
— Bouge, gronda-t-elle.
Je ne fis pas le moindre mouvement pour me décaler de son chemin. L'entendre me parler sur ce ton me comprima la poitrine, mais je passai outre ce sentiment pour l'examiner. Elle avait énormément maigri depuis la dernière fois que je l'avais vue. Ses joues étaient creusées et même son maquillage ne parvenait pas totalement à masquer ses cernes.
Heureusement pour moi, sa mère l'interpella et Maeve ne se rendit pas compte que j'étais en train de la reluquer d'un air inquiet. De quoi aurais-je eu l'air ? Je lui avais fait oublier toute notre relation. Tous les moments que nous avions passés tous les deux avaient disparus de sa mémoire en un seul sortilège.
— Maeve. Tes manières, la réprimanda la reine Ariel.
D'un geste de la main, Maeve fit signe à sa mère qu'elle avait comprit. Elle se retourna ensuite vers moi et se racla légèrement la gorge.
— Pourriez-vous, je vous prie, ôter votre postérieur de ma route afin que je puisse aller m'acquitter de mes devoirs de princesse et inaugurer cette illustre académie ?
Je serrai les lèvres pour ne pas me mettre à rire devant tant de manières, et m'écartai. Je lui fis signe de passer en tendant le bras.
— Je vous en prie, Votre Altesse. Nous sommes tous impatients de voir de quelle manière vous allez couper ce ruban.
Sourcils froncés, nez retroussé, elle m'examina en faisant la moue. Ma maigre tentative d'humour ne semblait pas avoir l'effet escompté. Je la regardai aller rejoindre la reine de Mermailya en réprimant un soupir. Peut-être aurais-je dû m'effacer la mémoire, à moi aussi. Cela m'éviterait de garder mon cœur brisé en tout temps depuis des mois entiers.
— Nous pouvons commencer ? demanda mon père. Vous êtes déjà arrivé en retard, cela serait fort agréable que nous ne perdions pas plus de temps.
Je me forçai à détourner mon regard de Maeve afin de rejoindre la porte du côté gauche de la porte d'entrée du manoir. J'allai me placer à côté de mon père, qui fut le premier à prendre la parole.
— Bonjour à tous ! Nous sommes ravis de vous accueillir aujourd'hui en ce lieu afin d'inaugurer la Moonainst academy. Bâtie sur les vestiges de la maison d'une des plus puissantes famille de sorcier, disparue depuis des siècles, ce bâtiment deviendra, dès son ouverture, un lieu d'échange et de paix entre nos deux royaumes.
Le ton enjoué de sa voix paraissait forcé, ce qui n'échappa pas à Maeve. Du coin de l'œil, je l'entrevis fusiller mon père du regard avant de se reprendre dès qu'elle sentit mon regard sur elle. Les mains dans le dos, elle marmonna des paroles que je ne parvins pas à comprendre. Je vis pourtant un léger sourire étirer les lèvres de sa mère.
— Les événements de ces derniers mois nous ont tous beaucoup touchés, poursuivit la reine mermailyainne. Nous avons tous subi beaucoup de pertes.
Elle marqua une légère pause, et je sus pourquoi. Le prince Mike n'avait pas survécu à l'unique bataille qui avait eu lieu entre nos peuples. La souveraine appuya son silence d'un regard en biais en direction de mon père.
— Nous espérons que la construction de cette école parviendra à apaiser les cœurs et les esprits. Nos prochaines décisions politiques seront prises avec sagesse et nous ferons notre possible pour qu'elles ne se répercutent pas sur vous, nos sujets, encore une fois.
A mon grand étonnement, Maeve prit ensuite la parole. Je jetai un regard consterné à mon père, n'ayant pour ma part, absolument rien prévu. Je ne savais même pas que nous étions censés parler également.
— J'ai participé en intégralité à la mise en place de l'académie et du règlement interne. Si vous avez le moindre problème pendant votre scolarité, je vous invite à venir m'en parler.
J'étais persuadé que si c'était un membre de mon peuple qui allait la voir, elle l'enverrait balader.
— Maintenant, la princesse Maeve et le prince Dray vont ouvrir l'accès au hall d'entrée.
D'un geste de la main, je fis apparaître une paire de ciseau entre mes doigts. Je me tournai vers Maeve, prêt à lui demander si elle désirait que je lui en fasse apparaître une. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je la vis sortir une cisaille de son décolleté. Ma mâchoire failli se décrocher pendant qu'elle se plaçait au centre du ruban que nous devions couper. J'allai la rejoindre en tentant d'ignorer les effluves de vanille qui émanaient d'elle.
— Puisse cette académie apporter la paix dans notre royaume.
Le ruban, déchiqueté en plusieurs morceaux, plana doucement jusqu'au sol. Maeve n'attendit même pas que l'une des extrémités touche la pierre et retourna vers sa mère. Je la regardai faire en soupirant.
Comment est-ce que j'allais faire pour tenir toute une année alors qu'elle se trouverait proche de moi tous les jours, sans se souvenir de notre relation ?
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